II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
A. UNE HAUSSE CONSÉQUENTE DES ENGAGEMENTS EXTRABUDGÉTAIRES DE L'UNION EUROPÉENNE DU FAIT NOTAMMENT DE L'AIDE FINANCIÈRE APPORTÉE À L'UKRAINE
Le rapporteur spécial constate une hausse substantielle des engagements extrabudgétaires de l'Union européenne. Il a souhaité y consacrer un contrôle budgétaire en 2025 afin de mesurer le risque qu'ils font peser sur la contribution française.
L'exposition totale du budget de l'UE correspond au montant maximal qui doit être couvert par le budget de l'UE en cas de défaut de paiement sur une année donnée de tous les remboursements de prêts octroyés ou de garanties accordées. Les engagements extrabudgétaires recouvrent une diversité d'instruments financiers.
Typologie des engagements extrabudgétaires de l'Union européenne
Type de passif |
Description |
Principaux dispositifs |
Assistance financière aux États membres |
Prêts financés par des emprunts de l'Union pour lesquels celle-ci reste responsable vis-à-vis des investisseurs finaux, y compris en cas de défaut |
Instrument de soutien temporaire à
l'atténuation des risques de chômage en situation d'urgence (SURE)
Mécanisme européen de stabilisation financière (MESF) |
Assistance macrofinancière (AMF) aux pays tiers |
Dispositifs en faveur de l'Ukraine : AMF, AMF+ |
|
Garanties budgétaires |
L'Union couvre (totalement ou en partie) les pertes des partenaires chargés de la mise en oeuvre qui résultent de défauts de paiement issus d'opérations de financement et d'investissement (opérations de prêt ou de fonds propres) |
Fonds InvestEU |
Source : commission des finances
Or le niveau de risque porté par le budget européen connaît une forte hausse depuis 2019 :
Exposition totale du budget de l'Union européenne
(en milliards d'euros)
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
90,5 |
131,9 |
204 ,9 |
248,3 |
298,0 |
Source : Cour des comptes européenne
L'assistance financière aux États membres a considérablement augmenté dès 2021, avec la mise en oeuvre du programme SURE et l'introduction de la FRR. À partir de 2022, le taux de croissance de l'assistance financière aux pays tiers a également été élevé, en raison de l'extension de l'assistance macrofinancière (AMF) à l'Ukraine, et il en a été de même pour les garanties budgétaires. En 2023, les prêts FRR et le dispositif AMF+ ont expliqué la progression des engagements extrabudgétaires de l'UE.
Cette exposition globale de 298 milliards d'euros fin 2023 devrait progresser en 2024 et au-delà, principalement sous l'effet des nouveaux prêts au titre de la FRR, de l'Ukraine et de nouvelles mesures d'assistance macrofinancière prises par l'UE à destination des Balkans et de l'Égypte.
Exposition passée et attendue du budget européen pour 2024 et au-delà
(en milliards d'euros, prix courants)
Source : Cour des comptes européenne
Si le rapporteur spécial ne se prononce pas ici sur le risque que font peser les prêts accordés aux États-membres, sur lesquels la littérature est peu développée et qui feront partie des objets d'étude du contrôle budgétaire, certaines observations peuvent d'ores et déjà être portées sur les conséquences financières des dispositifs de soutien à l'Ukraine.
En effet, si le soutien financier apporté par l'Union européenne à l'Ukraine depuis 2022 paraît indispensable pour soutenir son effort de guerre face à l'agression russe, il constitue une exposition financière croissante pour le budget européen et, partant, pour la contribution française. L'aide financière européenne à l'Ukraine est constituée d'une multitude de dispositifs qui se sont succédés depuis 2022, avec plus de 75 milliards d'euros de prêts depuis cette date, principalement sous la forme de mesures d'assistance macro-financière (AMF) :
- l'assistance macrofinancière d'urgence (1,2 milliard d'euros) versée en 2022 et garantie à hauteur de 9 % par le fonds commun de provisionnement compris dans le budget de l'Union européenne ;
- l'assistance macrofinancière exceptionnelle (6 milliards d'euros versés en 2022), garantie à hauteur de 9 % par le budget européen et à hauteur de 61 % par les États membres. La garantie française au titre de l'AMF exceptionnelle, prévue par l'article 149 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023, s'élève à 639 millions d'euros ;
- l'assistance macrofinancière + (AMF+, 18 milliards d'euros) prenant la forme de prêts et financée par le dispositif unique d'émission de titres de créance à court terme de l'Union européenne et d'obligations de l'Union européenne. Cette aide n'est garantie que par la mobilisation de la « marge sous plafond », soit la marge entre le niveau des contributions et le plafond fixé par la décision ressources propres. En d'autres termes, tout défaut nécessiterait une hausse des contributions des États membres.
- La « facilité Ukraine » (50 milliards d'euros, dont 17 milliards d'euros d'aides non remboursables), qui de même, n'est garantie que par la mobilisation de la « marge sous plafond ».
- une AMF exceptionnelle dite « avoirs gelés » (18,1 milliards d'euros) mobilisée à partir des revenus générés par les avoirs gelés de la Banque Centrale de Russie, garantie par la marge sous plafond.
Additionnellement, le soutien financier de l'UE s'est également traduit par les garanties apportées aux financements de la banque européenne d'investissement (BEI) pour près de 2,8 milliards d'euros à date.
L'ensemble de ces instruments sera remboursé selon des échéanciers distincts. D'ores et déjà, la Commission européenne a annoncé que le remboursement des intérêts de l'AMF + et de l'AMF exceptionnelle représenteraient respectivement 2,3 milliards et 717 millions d'euros sur la période 2024-2027, répartis entre les États membres selon la clé RNB. Depuis 2024, la Facilité Ukraine représente un coût pour le budget de l'UE au titre de la prise en charge des intérêts des prêts consentis, estimé à 1,53 milliard d'euros sur la période 2025-2027.
Le paiement des intérêts du prêt AMF + a débuté en 2024, avec un impact sur la contribution française de 97,1 millions d'euros. Ce coût devrait être proche de 100 millions d'euros par an pour les prochaines années.
Surtout, le coût pour la France de la facilité Ukraine est de 2,9 milliards d'euros sur 2024-2027 (sa quote-part dans les 17 milliards d'aides non-remboursables) auxquels il faudrait rajouter 5,6 milliards d'euros en cas de défaut de l'Ukraine, répartis sur plusieurs années4(*)), une hausse dont l'impact vraisemblablement atténué par le redéploiement de crédits, voire l'introduction de nouvelles ressources propres (cf. ci-après).
* 4 Estimation de la Cour des comptes, qui applique aux 33 milliards de prêts la quote-part moyenne de la France dans les dépenses de l'Union européenne (16,9 % en moyenne sur 2014-2020).