TITRE PREMIER
LUTTER CONTRE LES ENTREPRISES
ÉPHÉMÈRES
ARTICLE
1er
Obligation d'effectuer une déclaration de soupçon
à Tracfin lorsqu'une société présente les
caractéristiques d'une société
éphémère
Le présent article prévoit de proposer une série de critères permettant de définir la notion de société éphémère et d'obliger les entités assujetties à effectuer une déclaration à Tracfin lorsqu'il existe des soupçons d'existence d'une telle entreprise.
D'une part, l'article impose aux personnes soumises aux obligations de déclaration dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) d'effectuer une déclaration de soupçon auprès de Tracfin lors de la détection ou de la présomption de détection d'une entreprise éphémère.
D'autre part, il propose une liste d'indices qui permettent de définir les caractéristiques que pourraient avoir ces sociétés éphémères. Cette liste n'est pas exhaustive et ne constitue qu'une série de critères indicatifs.
Cet article soulève plusieurs difficultés de fond.
D'une part, il est largement satisfait par le droit existant, puisque les entités ciblées par l'article L. 561-2 du code monétaire et financier sont déjà tenues, en l'état du droit, de déclarer à Tracfin les soupçons qu'elles ont lorsqu'elles repèrent une société éphémère.
D'autre part, la définition d'une telle société est d'ores et déjà partagée par l'ensemble des services mobilisés dans le cadre de la LCB-FT et s'avère évolutive pour s'adapter à la nature changeante des pratiques criminelles. L'inscription dans la loi de critères de définition, même non exhaustifs, ne semble pas opportun d'un point de vue opérationnel. Par ailleurs, dès lors que la série de critères retenus n'est qu'indicative, elle n'emporte pas de force normative et il est permis de s'interroger sur la portée normative de l'article.
Compte tenu de l'ensemble de ces limites, la commission a supprimé cet article.
I. LE DROIT EXISTANT : LE LÉGISLATEUR N'A PAS ENTENDU DÉFINIR LA NOTION DE SOCIÉTÉ ÉPHÉMÈRE, CE QUI N'EMPÊCHE PAS DE LES CIBLER DANS LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT
A. LA LOI NE DÉFINIT PAS LES SOCIÉTÉS ÉPHÉMÈRES, CE QUI N'EMPÊCHE PAS L'ACTION DES SERVICES POUR LES VISER ET LES REPÉRER
1. Le ciblage des sociétés éphémères constitue une nécessité stratégique pour les services de lutte contre le blanchiment
Lors de son audition par la commission d'enquête sur la délinquance financière5(*) le 13 mars 2025, Victor Geneste, président du Conseil national des greffiers de tribunaux de commerce, définissait les sociétés éphémères comme « des entités juridiques qui, sous couvert d'un objet social licite et d'une activité économique réelle ou fictive, poursuivent des objectifs frauduleux dont la réalisation repose sur leur brève durée d'existence et sur des manoeuvres destinées à tromper la vigilance des administrations et des services publics ».
Ces entreprises ou structures juridiques sont utilisées de façon très courante dans les schémas de blanchiment, en ce qu'elles permettent d'émettre et de recevoir des factures qui donnent à de l'argent sale une crédibilité renouvelée.
Le service de traitement du renseignement et d'action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin) explique combien ces sociétés sont utilisées de façon récurrente et souvent en réseau. Selon ce service, les réseaux de sociétés éphémères sont habituellement constitués de plusieurs niveaux6(*) :
- au niveau 1, en amont de la chaîne, se trouvent les sociétés clientes disposant de capitaux à blanchir ;
- au niveau 2, plusieurs sociétés installées en France ayant ouvert des comptes bancaires sur le territoire national encaissent les capitaux ;
- au niveau 3, un second étage dit « relais » ou « rebond » est constitué de sociétés immatriculées dans des pays européens, le plus souvent en Europe de l'Est. Ces sociétés détiennent des comptes bancaires dans leur pays d'immatriculation et plusieurs pays voisins. Elles récupèrent les capitaux du niveau 2 afin de réduire la traçabilité des fonds ;
- enfin, au niveau 4, les capitaux blanchis peuvent enfin être dirigés vers les destinataires finaux ou des zones géographiques plus éloignées.
Ces sociétés, qui ont souvent une durée de vie courte, de six à dix-huit mois selon Tracfin7(*), sont identifiées par les services de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) grâce à des analyses multicritères.
En général, il s'agit de sociétés « sans activité économique réelle, avec des dirigeants de paille et disposant de comptes bancaires 8(*)». Ces entités sont en outre très souvent défaillantes dans le respect de leurs obligations fiscales et sociales.
Le ciblage de ces structures est donc, aujourd'hui, une priorité pour les services d'enquêtes.
2. L'existence d'une définition des sociétés éphémères à un niveau infra-législatif permet aux services de s'adapter aux évolutions des pratiques criminelles
La loi ne définit pas les sociétés éphémères, appelées aussi « lessiveuses » par les services de LCB-FT.
Cependant, cela ne signifie pas qu'il n'existe pas de définition partagée par l'ensemble des acteurs concernés par cette lutte. En effet, la Mission interministérielle de coordination antifraude (MICAF) oeuvre depuis sa création, le 15 juillet 20209(*), à animer et harmoniser la lutte contre la fraude aux finances publiques.
Ce service, placé sous l'autorité du ministre chargé du budget par délégation du Premier ministre, coordonne des administrations et organismes publics et favorise le décloisonnement des approches par le partage d'informations et d'analyses, l'établissement de cartographies communes des risques, l'élaboration des stratégies d'action et d'enquête coordonnées.
Son rôle est ainsi de combattre les fraudes complexes et organisées en favorisant une meilleure articulation des actions administratives et judiciaires.
Les services auditionnés par le rapporteur ont ainsi indiqué que la MICAF a publié et diffusé, auprès des services partenaires, un guide des sociétés éphémères qui recense un certain nombre d'indices qui permettent de soupçonner l'existence de structures de ce type.
Ces indices sont notamment les suivants : durée de vie courte, le recours à une société de domiciliation, l'absence d'activité physique, une structure sociale incohérente, le recours au service de banques en ligne peu regardantes sur les obligations LCB-FT, entre autres.
La diffusion d'une culture de vigilance pour les sociétés éphémères est donc une priorité pour les services.
Le cadre légal actuel, enfin, permet à Tracfin, en lien avec les professions déclarantes, d'ajuster les capteurs en fonction de l'évolution du risque. En effet, en vertu de l'article L. 561-26 du code monétaire et financier, Tracfin peut désigner :
- les opérations qui présentent un risque important de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, eu égard à leur nature particulière ou aux zones géographiques déterminées à partir desquelles, à destination desquelles ou en relation avec lesquelles elles sont effectuées ;
- des personnes qui présentent un risque important de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.
Dans ce cadre légal, la sensibilisation des professions déclarantes au repérage et à la déclaration des soupçons devant une potentielle entreprise éphémère est déjà effective.
B. L'OBLIGATION POUR LES ENTITÉS ASSUJETTIES D'EFFECTUER UNE DÉCLARATION DE SOUPÇON LORSQU'ELLES REPÈRENT UNE SOCIÉTÉ ÉPHÉMÈRE
De façon plus générale, comme l'indique la direction générale du Trésor dans ses réponses au questionnaire du rapporteur, « le volet préventif du dispositif français de LBC-FT constitue une chaîne mobilisée pour détecter les indices et transmettre le cas échéant une déclaration de soupçon à Tracfin ».
Les professions assujetties, listées à l'article L. 561-2 du code monétaire et financier, sont tenues, en vertu de l'article L. 561-15 du même code, de procéder à une déclaration de soupçon auprès de Tracfin lorsqu'elles soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu'une somme ou une opération sur des sommes dont elles ont connaissance pourrait provenir d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou est liée au financement du terrorisme.
Pour les entreprises éphémères, plus spécifiquement, la chaîne d'analyse et de repérage est déjà robuste, comme l'indique la DGT dans ses réponses aux questionnaires :
- les greffiers des tribunaux de commerce10(*) procèdent à des contrôles au moment de l'immatriculation des sociétés et exercent leur vigilance tout au long de la vie des sociétés ;
- les entités assujetties comme, entre autres, les établissements bancaires, les sociétés de domiciliation, les notaires ou encore les avocats détectent certains signaux portant à soupçonner qu'une entreprise pourrait être éphémère11(*). Elles transmettent dans ce cas une déclaration de soupçon à Tracfin.
Si la détection des entreprises éphémères est perfectible, des efforts de sensibilisation notables sont déployés auprès des assujettis pour attirer leur vigilance sur ces schémas de blanchiment et faire connaître à chacun les indices qu'il est en capacité de détecter, selon la direction générale du Trésor.
La DG Trésor rappelle, enfin, que la récente loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic12(*) a permis des avancées notables dans la détection des sociétés éphémères. En effet, son article 4 permet aux greffiers des tribunaux de commerce d'avoir accès au fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA) pour vérifier l'existence d'un compte déclaré par une société. Or, les sociétés éphémères sont souvent créées sur la base de fausses attestations de dépôt de fonds : cette vérification permet d'accélérer l'identification des sociétés visées.
La même loi crée au même article 4 un mécanisme de radiation d'office des sociétés non conformes aux obligations de transparence des bénéficiaires effectifs, ce qui donne aux greffiers la possibilité de suspendre la personnalité morale de sociétés éphémères.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : PRÉVOIR DANS LA LOI UNE DÉFINITION DES ENTREPRISES ÉPHÉMÈRES ET UNE OBLIGATION DE DÉCLARATION DE SOUPÇON DANS LE CAS DU REPÉRAGE D'UNE TELLE SOCIÉTÉ
A. L'INSCRIPTION DANS LA LOI DE CERTAINS INDICES PERMETTANT D'IDENTIFIER UNE SOCIÉTÉ ÉPHÉMÈRE
Le texte proposé ajoute un article au code monétaire et financier, après l'article L. 561-15-1. Il propose ainsi d'inscrire dans la loi certains des indices qui permettent de définir et de repérer une société éphémère. Ainsi, selon le droit proposé, une entreprise éphémère serait définie comme répondant à « plusieurs des caractéristiques suivantes » :
- une durée de vie prévisible ou observée inférieure à douze mois ;
- une cessation d'activité ou une dissolution anticipée sans justificatif économique ;
- une domiciliation commerciale sans activité physique ;
- l'usage d'un établissement de paiement ou d'une banque en ligne ne disposant pas d'un agrément européen ;
- un siège social situé hors de l'Union européenne ou d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ;
- une structure sociale atypique dès la constitution, caractérisée par la présence de plus de dix associés ou salariés dès le premier mois, ou de plus de vingt dès le deuxième mois ;
- un lien direct ou indirect avec une série de sociétés créées ou dissoutes par une même personne physique ou morale.
L'ensemble de ces indices sont, selon le texte, cumulatifs, pour repérer une entreprise éphémère, sans pour autant qu'il faille remplir un nombre précis de critères pour qu'une entreprise soit, selon la loi, déclarée comme entreprise éphémère.
B. L'OBLIGATION D'UNE DÉCLARATION DE SOUPÇON EN CAS DE DÉTECTION OU DE PRÉSOMPTION DE DÉTECTION D'UNE ENTREPRISE ÉPHÉMÈRE
L'article L. 561-15-2 du code monétaire et financier que crée l'article 1er de la proposition de loi prévoit, en outre, que l'ensemble des personnes assujetties aux obligations déclaratives13(*) dans le cadre LCB-FT doivent effectuer une déclaration de soupçon auprès de Tracfin14(*) lorsqu'elles repèrent ou soupçonnent l'existence d'une société éphémère.
III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : SUPPRIMER L'ARTICLE DÉJÀ SATISFAIT PAR LE DROIT EXISTANT
A. S'IL EST NÉCESSAIRE DE DISPOSER D'UNE DÉFINITION DE L'ENTREPRISE ÉPHÉMÈRE, SON INSCRIPTION DANS LA LOI RISQUERAIT D'ÊTRE CONTRE-PRODUCTIVE
1. La fixation dans la loi de critères serait inefficace voire préjudiciable à la lutte contre le blanchiment
Les services du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique auditionnés par le rapporteur ont indiqué, unanimement, qu'il était nécessaire que les critères permettant de cibler les entreprises éphémères ne soient pas inscrits dans la loi.
En effet, comme l'indique la direction générale du Trésor, « l'approche prise dans cette proposition de loi consistant à ancrer dans la loi des pratiques criminelles observées aujourd'hui » risque « d'attirer l'attention des opérateurs privés ».
Toujours selon ce service, les pratiques décrites dans le texte proposé « évoluent de manière continue », ce qui fait courir le risque à la loi de « devenir obsolète très rapidement ».
La MICAF, dans la même veine, indique qu'il est préférable que les différents critères de vigilance pour les potentielles sociétés éphémères demeurent énoncés au niveau du guides des sociétés éphémères et non dans la loi. Ainsi, selon Éric Belfayol15(*), définir les sociétés éphémères dans la loi « n'apporte pas d'élément supérieur ».
La DG Trésor mentionne pour sa part qu'il est préférable de continuer d'utiliser les canaux existants pour alerter les acteurs privés quant aux risques : documents publics d'analyse des risques, appels à vigilance de Tracfin ou encore sessions de sensibilisation.
Les représentants de Tracfin eux-mêmes, au cours de leur audition, ont indiqué le « caractère contreproductif d'afficher dans la loi les critères de détection des pratiques criminelles », au risque de réduire l'efficacité opérationnelle du dispositif LCB-FT.
De l'ensemble des personnes entendues, seul le président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC) s'est montré favorable à l'inscription dans la loi de ces critères.
La réponse écrite au questionnaire du rapporteur, néanmoins, indique que le CNGTC partage les mêmes craintes que les services administratifs sur le risque d'immobilisme des critères si la définition était inscrite dans la loi : « afin de préserver la souplesse du dispositif, certaines de ces notions pourraient également être intégrées par décret. Cette approche permettrait d'en adapter le contenu à l'évolution rapide des pratiques économiques et technologiques, sans nécessiter une révision législative16(*) ».
Il ne paraît dès lors pas opportun d'inscrire dans la loi des critères de définition des entreprises éphémères.
2. Même en l'absence de définition législative, des résultats tangibles dans la détection et la neutralisation des sociétés éphémères
Selon Tracfin, de septembre 2023 à septembre 2025, 676 sociétés éphémères ont été ciblées avec le recours à 730 droits d'opposition sur les comptes de celles-ci17(*). Selon le même service, 646 notes d'information ont été adressées à 47 parquets différents.
Sur la même période, plus de 66,5 millions d'euros ont été saisis dans le cadre du ciblage des entreprises éphémères avec un taux de contestation marginal.
Ces données chiffrées montrent que la prise de conscience du ciblage des entreprises éphémères fonctionne : le service indique ainsi qu'il s'agit d'un véritable « succès opérationnel18(*) ».
La montée en charge et l'approfondissement de la stratégie qui vise les entreprises éphémères constituent des priorités d'action majeures à court et moyen-terme pour Tracfin.
3. Les critères proposés dans le texte semblent peu opérants
Enfin, les services entendus par le rapporteur ont fait part de leur questionnement quant à l'aspect opérationnel des critères indiqués dans le texte pour le ciblage de la lutte contre le blanchiment.
En effet, comme l'indique Tracfin19(*), « l'article 1er conduirait à signaler des sociétés certes éphémères mais qui n'ont pas vocation à permettre de commettre des infractions ou à permettre le blanchiment de leur produit ».
Les critères indiqués dans le texte sont en effet pour certains trop précis - par exemple le fait d'avoir plus de dix associés dès la création - et d'autres trop larges, comme le fait d'être situé hors de l'Union européenne.
Ainsi, une société créée par 11 associés aux États-Unis pourrait-elle faire automatiquement l'objet d'une déclaration de soupçon si le texte était adopté, alors que rien ne dit qu'une telle entreprise soit d'une quelconque façon condamnable.
De même, comme l'indique Tracfin, « toutes les créations d'entreprises individuelles, d'entreprises de production audiovisuelles ou les montages résultants de fusions acquisitions feraient systématiquement l'objet d'une déclaration de soupçons en application de ces nouvelles dispositions ».
B. L'OBLIGATION D'EFFECTUER DES DÉCLARATIONS DE SOUPÇON EN CAS DE DÉTECTION D'UNE SOCIÉTÉ ÉPHÉMÈRE EST SATISFAIT PAR LE DROIT EXISTANT
1. Les acteurs assujettis ont déjà pour obligation d'effectuer une déclaration dans le cas de soupçon d'une société éphémère
Comme indiqué précédemment, les dispositions actuelles qui régissent les déclarations de soupçon à Tracfin sont précisément définies dans la loi et couvrent déjà les cas de soupçon quant à l'existence de sociétés éphémères utilisées dans le blanchiment.
Ainsi, il n'apparaît pas nécessaire, pour le rapporteur, d'ajouter une disposition qui ciblerait précisément les déclarations de soupçon relatives aux entreprises éphémères.
En effet, les entités assujetties doivent, en vertu de l'article L. 561-15 du code monétaire et financier, effectuer une déclaration auprès de Tracfin des « sommes inscrites dans leurs livres ou [des] opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme. »
Or, lorsqu'un acteur repère une entreprise éphémère ou en soupçonne l'existence, il peut légitimement soupçonner qu'une telle structure soit utilisée pour blanchir des sommes.
En outre, le blanchiment, aux termes de l'article 324-1 du code pénal, est puni « de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende ».
Par conséquent, les entreprises, éphémères ou non, qui pourraient être soupçonnées de participer au blanchiment de sommes frauduleuses, sont par défaut incluses dans les cas où une déclaration de soupçon est obligatoire.
La disposition relative à la déclaration de soupçon est donc satisfaite par le droit en vigueur.
2. En précisant certains cas de soupçon, le risque de fragiliser le dispositif de déclaration et de s'éloigner de la définition européenne commune
La réponse de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur indique que la direction est, « de manière générale, [...] réservée quant aux dispositions consistant à préciser des situations devant donner lieu à une déclaration de soupçon à Tracfin ».
En effet, le champ de l'obligation de déclaration de soupçon découle directement du droit européen et des normes internationales, et couvre l'ensemble des situations identifiées dans la loi puisque l'obligation porte sur toute « opération portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme20(*) ».
Le fait de préciser certaines situations spécifiques, comme celle du soupçon d'existence d'une société éphémère, pourrait mener à fragiliser le dispositif français vis-à-vis des situations qui ne seraient pas précisément identifiées dans la loi.
La DG Trésor explique enfin que le choix de préciser certaines situations spécifiques risque d'éloigner la France des normes européennes et internationales. Or, le renforcement actuel de la coopération européenne en matière de lutte contre le blanchiment appelle à une vigilance particulière pour éviter que cet effort de convergence ne soit mis en péril.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la commission a adopté l'amendement du rapporteur COM-8 de suppression de l'article.
Décision de la commission : la commission des finances a supprimé cet article.
ARTICLE
2
Création d'un fichier recensant les identités fictives
et les prête-noms impliqués dans des affaires de blanchiment
L'examen de cet article a été délégué au fond à la commission des lois21(*).
À l'initiative de son rapporteur Hervé Reynaud, la commission des lois a adopté un amendement ( COM-4) visant à étendre le périmètre des appels à la vigilance émis par Tracfin concernant les identités fictives.
Plutôt que de créer un fichier recensant les identités fictives et les prête-noms, l'article ainsi modifié par la commission des lois permet à Tracfin, non seulement de désigner explicitement aux personnes assujetties des personnes physiques particulièrement à risque mais également de leur signaler les identités fictives et les prête-noms qu'elles utilisent ou sont susceptibles d'utiliser.
La commission des finances salue cet enrichissement de l'information apportée aux personnes assujetties aux règles relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Il permettra de cibler davantage les contrôles et de repérer au plus vite les cas de fraude documentaire.
Décision de la commission : la commission des finances a adopté cet article ainsi modifié.
* 5 Ces dizaines de milliards qui gangrènent la société, rapport n° 757 (2024-2025) fait par Nathalie Goulet et Raphaël Daubet, déposé le 18 juin 2025.
* 6 Tracfin, Rapport annuel 2023.
* 7 Réponses écrites de Tracfin au questionnaire de la commission des finances.
* 8 Réponses écrites de Tracfin au questionnaire de la commission des finances.
* 9 Décret n° 2020-872 du 15 juillet 2020 relatif à la coordination interministérielle en matière de lutte contre la fraude et à la création d'une mission interministérielle de coordination anti-fraude.
* 10 Profession assujettie en vertu du 19° de l'article L. 561-2 du code monétaire et financier.
* 11 Par exemple, cela se manifeste par une croissance rapide de l'activité, une croissance contracyclique par rapport au secteur, une société domiciliée alors que son objet social ne permet pas a priori une domiciliation.
* 12 Loi n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
* 13 Article L. 561-2 du code monétaire et financier.
* 14 Selon les modalités prévues à l'article L. 561-15 du code monétaire et financier.
* 15 Chef de la Mission interministérielle de coordination antifraude.
* 16 Réponse du CNGTC au questionnaire de la commission des finances.
* 17 Réponses de Tracfin au questionnaire de la commission des finances.
* 18 Audition de Tracfin par le rapporteur.
* 19 Réponses de Tracfin au questionnaire de la commission des finances.
* 20 Article L. 561-15 du code monétaire et financier.
* 21 Se reporter à l'avis n° 86 (2025-2026) fait par M. Hervé Reynaud au nom de la commission des lois, déposé le 28 octobre 2025.