TITRE II
RENDRE SYSTÉMATIQUE LA VÉRIFICATION
DE L'ORIGINE DES FONDS
AVANT LA REPRISE D'UNE ENTREPRISE

ARTICLE 3

Justification de l'origine des fonds apportés pour l'acquisition d'une entreprise par voie amiable

L'examen de cet article a été délégué au fond à la commission des lois22(*).

À l'initiative de son rapporteur Hervé Reynaud, la commission des lois a adopté un amendement ( COM-5) qui crée une nouvelle mesure de vigilance applicables aux personnes assujetties aux règles de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).

Concrètement, au lieu d'une obligation systématique de déclaration de l'origine des fonds en cas de cession amiable d'une société commerciale comme le prévoyait l'article initial, les professionnels en charge de la rédaction de l'acte de cession, en particulier les notaires ou les greffiers des tribunaux de commerce selon les cas, auraient l'obligation de se renseigner auprès de l'acquéreur de l'origine des fonds lorsque le risque de blanchiment est élevé.

La commission des finances salue cette initiative qui consacre une approche par les risques et garantit en outre l'existence d'un contrôle effectif de l'origine des fonds.

Décision de la commission : la commission des finances a adopté cet article ainsi modifié.

TITRE III
OBLIGATION POUR LES SOCIÉTÉS COMMERCIALES
DE DÉCLARER À L'ADMINISTRATION FISCALE
LEURS COMPTES BANCAIRES À L'ÉTRANGER

ARTICLE 4

Obligation pour les sociétés commerciales de déclarer à l'administration fiscale leurs comptes bancaires à l'étranger

Le présent article prévoit d'obliger les sociétés commerciales à déclarer les références des comptes ouverts, détenus ou clos à l'étranger à l'administration fiscale.

En ce sens, il met au même niveau les obligations incombant aux sociétés commerciales avec celles qui incombent aux personnes physiques, aux associations et aux sociétés n'ayant pas la forme commerciale domiciliées ou établies en France.

En outre, l'article prévoit d'inscrire dans la loi le fait que l'administration fiscale peut transmettre des déclarations de soupçon à Tracfin.

L'obligation de déclaration des comptes à l'étranger détenus par les sociétés commerciales impliquerait un bouleversement important et demande à la direction générale des finances publiques de s'organiser pour stocker, gérer et exploiter ces nouvelles données. En conséquence, le rapporteur propose de décaler d'un an sa mise en oeuvre pour laisser aux services le temps de s'organiser.

En outre, l'adoption de cet article imposera, notamment aux entreprises multinationales, une nouvelle obligation déclarative lourde. D'ici à l'adoption définitive d'une telle mesure, une concertation avec les organisations professionnelles quant à l'application concrète du texte et son implication pour ces sociétés et l'attractivité de la France serait probablement indispensable.

Enfin, les dispositions qui offrent la possibilité à l'administration fiscale d'effectuer des déclarations de soupçon à Tracfin sont aujourd'hui satisfaites. Par conséquent, le rapporteur propose de les supprimer.

La commission des finances a adopté cet article ainsi modifié.

I. LE DROIT EXISTANT : LE LÉGISLATEUR A ENTENDU EXONÉRER LES SOCIÉTÉS COMMERCIALES DE L'OBLIGATION DE DÉCLARER LEURS COMPTES BANCAIRES À L'ÉTRANGER

A. LE DROIT FRANÇAIS PRÉVOIT UN CERTAIN NOMBRE D'OBLIGATIONS DÉCLARATIVES RELATIVES À LA TENUE DES COMPTES BANCAIRES

1. L'obligation générale de déclarer l'ouverture, la modification et la clôture des comptes et des locations de coffres-forts au fichier des comptes bancaires et assimilés (FICOBA)...

Afin de lutter plus efficacement contre la fraude et le blanchiment, la France s'est dotée en 198223(*) d'un fichier recensant l'ensemble des ouvertures, clôtures ou modifications de comptes bancaires.

Cette création du fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA) est la conséquence de l'adoption de la loi de finances pour 198024(*), dont l'article 75 a été codifié à l'article 1649 A du code général des impôts (CGI).

Le premier alinéa de cet article prévoit l'obligation pour toute personne recevant habituellement en dépôt des valeurs mobilières, titres ou espèces, de déclarer à l'administration des impôts l'ouverture et la clôture des comptes ainsi que la location de coffres-forts.

Les articles les articles 164 FB à 164 FF de l'annexe IV du CGI précisent la mise en oeuvre de cet alinéa :

- les déclarations incombent aux établissements qui gèrent les comptes ou les coffres-forts25(*);

- les déclarations doivent avoir lieu dans les sept jours qui suivent l'ouverture, la modification, la clôture d'un compte ou la location d'un coffre-fort26(*);

- les déclarations comportent les informations suivantes : adresse de l'établissement, désignation du compte ou du coffre-fort, date et nature de l'opération déclarée, identité de la personne physique titulaire du compte et de ses mandataires ainsi que du numéro SIRET27(*) pour les entrepreneurs individuels28(*).

La direction générale des finances publiques (DGFiP) procède aux inscriptions à réception de la déclaration de l'établissement bancaire qui a procédé à l'ouverture du compte, sa modification ou sa clôture. Les éléments d'état civil des personnes sont certifiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), tandis que les agents de la DGFiP utilisent le SIRENE29(*) pour certifier et mettre à jour les éléments d'identification des organismes.

Outre les déclarations relatives aux comptes bancaires et aux coffres-forts, la DGFiP reçoit et compile des données provenant à la fois :

- des organismes qui permettent la souscription de contrats de capitalisation, comme les contrats d'assurance vie, en vertu de l'article 1649 AA du CGI ;

- des administrateurs de trusts en vertu de l'article 1649 AB du même code ;

- des teneurs de compte, organismes d'assurances et autres institutions financières en vertu de l'article 1649 AC du même code.

Le FICOBA constitue donc un fichier très complet et utile pour l'administration car il permet d'associer chaque compte bancaire, coffre-fort, et autres entités citées supra à son bénéficiaire effectif.

Les agents ayant accès aux informations contenues dans le FICOBA sont nombreux : il s'agit notamment de l'administration fiscale, des officiers de police judiciaire, de certains juges, des notaires en charge d'une succession, des commissaires de justice et de certains agents de la Caf30(*).

Les informations contenues dans le FICOBA sont conservées pendant toute la durée de vie du compte et durant les dix ans qui suivent sa clôture. En revanche, il ne retrace pas les opérations effectuées dans les comptes ni le solde de ces comptes.

2. ... est renforcée par une obligation pour certains acteurs de déclarer leurs comptes ouverts, détenus, utilisés ou clos hors de France

La loi de finances pour 199031(*) a élargi les obligations déclaratives qui concernaient les comptes en France aux comptes à l'étranger détenus par des personnes domiciliées ou établies en France. Cette évolution est la conséquence logique de l'internationalisation du réseau bancaire et de la facilité croissante de mobilité des capitaux. Ainsi, le FICOBA se trouve également alimenté par les informations relatives aux titulaires de comptes à l'étranger.

Ces dispositions sont codifiées dans le deuxième alinéa de l'article 1649 A du CGI qui étend l'obligation déclarative aux comptes ouverts, détenus, utilisés ou clos à l'étranger par les personnes physiques et certaines personnes morales, domiciliées ou établies en France.

Aux termes de ces dispositions, l'obligation déclarative incombe aux acteurs suivants, lorsqu'ils sont domiciliés ou établis en France :

- les personnes physiques ;

- les associations ;

- les sociétés n'ayant pas la forme commerciale.

L'administration fiscale définit32(*) les sociétés qui n'ont pas la forme commerciale à partir de leur organisation juridique et de leur régime fiscal. Ainsi, la doctrine indique que les sociétés ayant la forme suivante ne sont pas soumises à l'obligation de déclaration des comptes à l'étranger :

- les sociétés anonymes (SA) ;

- les sociétés à responsabilité limitée (SARL) ;

- les entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée (EURL) ;

- les sociétés en commandite par actions (SCA) ;

- les sociétés en nom collectif (SNC) ;

- les sociétés en commandite simple (SCS).

En revanche, le Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) donne une liste indicative des structures devant se soumettre à une telle déclaration. Ainsi, entrent notamment dans le champ d'application du deuxième alinéa de l'article 1649 A du code général des impôts :

- des sociétés de fait et des indivisions ;

- des sociétés en participation ;

- des sociétés civiles quel que soit leur objet : sociétés civiles professionnelles (SCP), sociétés civiles de moyens (SCM), sociétés civiles immobilières de gestion ou de construction-vente, sociétés civiles de placement immobilier (SCPI), sociétés civiles à objet agricole, groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC), groupements fonciers agricoles (GFA), groupements forestiers ou encore exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL) ;

- des groupements d'intérêt économique (GIE) dès lors que leur objet n'est pas commercial ainsi que, dans les mêmes conditions, les groupements européens d'intérêt économique (GEIE) ;

- des établissements de sociétés étrangères n'ayant pas la forme commerciale.

La déclaration doit contenir les informations permettant l'identification des comptes, du déclarant, du titulaire du compte et du bénéficiaire de la procuration.

Les comptes visés par cette obligation déclarative sont ceux qui ont été ouverts, détenus, utilisés ou clos au cours de l'année ou de l'exercice par le déclarant. La doctrine fiscale précise les termes de détention et d'utilisation d'un compte :

- un compte est réputé être détenu dès lors que le titulaire en est titulaire, cotitulaire, bénéficiaire économique ou ayant droit économique ;

- un compte est réputé avoir été utilisé par le déclarant dès lors que celui-ci a effectué au moins une opération de crédit ou de débit pendant la période visée par la déclaration.

La notion d'utilisation a, en outre, été précisée par le Conseil d'État33(*). Il a ainsi été jugé qu'un compte est réputé être utilisé seulement si le contribuable a effectué au moins une opération de crédit ou de débit sur ce compte. Par conséquent, les opérations de crédit qui se bornent à inscrire sur le compte les intérêts produits par les sommes déjà déposées au titre des années précédentes, et les opérations de débit correspondant au paiement des frais de gestion pour la tenue du compte, ne constituent de telles opérations.

B. L'EXPLOITATION DU FICOBA EST CLÉ POUR L'EFFICACITÉ DU DISPOSITIF LCB-FT MAIS IL RESTE DÉPOURVU D'INFORMATIONS RELATIVES AUX COMPTES BANCAIRES ÉTRANGERS DES SOCIETES COMMERCIALES

1. Les autorités impliquées dans la LCB-FT doivent bénéficier d'une habilitation législative afin d'obtenir communication des données issues du FIBOCA

Parmi les professions les plus exposées aux risques de délinquance financière, l'analyse nationale des risques (ANR) de 202334(*) du Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) cible le secteur financier comme présentant l'essentiel des risques de blanchiment de capitaux. À cet égard, l'ANR souligne l'importance de l'ouverture de l'accès au FIBOCA aux différentes autorités impliquées dans le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).

Il n'en demeure pas moins que l'accès au FICOBA est réglementé et trouve ses sources tant dans le droit européen que national.

D'une part, le titulaire d'un compte, mais aussi le curateur ou le tuteur du titulaire du compte ainsi que l'un des héritiers du titulaire du compte peut avoir accès aux données du fichier en question. Cette disposition trouve sa source dans l'application de l'article 15 du règlement général sur la protection des données35(*) qui consacre un droit d'accès aux données pour la personne concernée.

En outre, comme l'indique l'arrêté du 14 juin 1982 précité relatif à l'extension d'un système automatisé de gestion du FICOBA, en son article 2, les informations du fichier ne peuvent être communiquées « qu'aux personnes ou organismes bénéficiant d'une habilitation législative et dans la limite fixée par la loi ».

Néanmoins, ces personnes s'avèrent être nombreuses. En sus des autorités judiciaires, des officiers de police judiciaire agissant en application des articles 28-1 et 28-2 du code de procédure pénale et des agents de la direction générale des finances publiques (DGFiP), on retrouve en effet, par exemple :

- les agents de la direction générale des douanes et des droits indirects, en vertu des articles 64 A et 455 du code des douanes et L. 134 du livre des procédures fiscales ;

- les agents de l'Autorité des marchés financiers, visés à l'article L. 135 F du livre des procédures fiscales ;

- la Banque de France, l'Institut d'émission des départements d'outre-mer et l'Institut d'émission d'outre-mer, chargés d'assurer la centralisation des informations relatives aux titulaires de comptes, visées au deuxième alinéa de l'article 17-II de la loi n° 91-1382 du 30 décembre 1991 ;

- et les agents de la cellule de coordination chargée du traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin) en application de l'article L. 561-27 du code monétaire et financier.

L'article 4 de l'arrêté du 14 juin 1982 mentionné supra détaille l'ensemble des entités autorisées à demander et recevoir des informations contenues dans le FICOBA.

L'application du secret professionnel, en vertu de l'article 103 du livre des procédures fiscales, peut limiter l'accès au FICOBA. Toutefois, il est possible, dans de nombreux cas prévus par la loi, d'y déroger.

2. L'exonération des sociétés commerciales de l'obligation de déclarer leurs comptes étrangers limite, de fait, le pouvoir d'enquête de ces autorités

Depuis la levée complète du contrôle des changes, intervenue le 1er juillet 1990, les personnes physiques résidant en France ont la possibilité de transférer librement des capitaux à l'étranger et d'y détenir des avoirs.

C'est cette évolution qui a conduit le législateur à instituer, en contrepartie, l'obligation de déclaration annuelle des comptes ouverts, utilisés ou clos à l'étranger par les personnes domiciliées ou établies en France.

Il ressort des débats parlementaires d'alors que cette initiative visait à éviter que la suppression des restrictions aux mouvements de capitaux ne favorise la fraude.

Le droit actuel n'impose pas aux sociétés commerciales les mêmes obligations déclaratives qu'aux autres types de sociétés, de sorte qu'il résulte du dispositif actuel une différence de traitement de nature à limiter la traçabilité des flux financiers internationaux, d'autant plus que les entités commerciales s'avèrent être davantage susceptibles de détenir des comptes à l'étranger dans le cadre de montage financiers complexes.

En outre, il convient de souligner que depuis le 1er janvier 2024, l'obligation de déclarer les portefeuilles d'actifs numériques ouverts, détenus, utilisés ou clos à l'étranger, a été étendue à toutes les personnes ou entités juridiques domiciliées ou établies en France, y compris aux sociétés commerciales36(*).

Dès lors, force est de constater que le droit existant prévoit d'exonérer les sociétés commerciales domiciliées ou établies en France de l'obligation de déclarer leurs comptes bancaires à l'étranger, mais les assujettit à l'obligation de déclarer leurs comptes d'actifs numériques à l'étranger.

C. L'ADMINISTRATION FISCALE DISPOSE DU DROIT DE TRANSMETTRE À TRACFIN TOUTES LES INFORMATIONS UTILES À SA MISSION

Le droit existant prévoit, à l'article L. 561-27 du code monétaire et financier (CMF), que les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics, les organismes de protection sociale et toute personne chargée d'une mission de service public envoient à Tracfin les informations nécessaires à sa mission.

Le service de renseignement économique et financier peut, en outre et selon le même article du CMF, demander aux mêmes acteurs chargés d'une mission de service public de lui transmettre les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission.

Par conséquent, les administrations de l'État, en particulier l'administration fiscale, sont habilitées à envoyer toute information à Tracfin qui permettrait au service d'accomplir sa mission.

Les administrations et les personnes chargées d'une mission de service public ne sont en revanche pas soumises au même type d'obligation de déclaration de soupçon que celles mentionnées à l'article L. 561-2 du CMF. En effet, ces dernières ne sont tenues d'effectuer une déclaration que si elles constatent que « les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur [ces] sommes » proviennent ou pourraient probablement provenir « d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme37(*) ».

Le législateur, supposant une volonté d'entraide entre Tracfin et les personnes chargées d'une mission de service public, a permis que les échanges d'information entre ces entités servent, de façon très large, à l'accomplissement des missions du service.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : IMPOSER AUX SOCIÉTÉS COMMERCIALES DE DÉCLARER LEURS COMPTES À L'ÉTRANGER ET PERMETTRE À L'ADMINISTRATION FISCALE DE DÉCLARER LES ANOMALIES REPÉRÉES À TRACFIN

A. OBLIGER LES SOCIÉTÉS COMMERCIALES À DÉCLARER LEURS COMPTES À L'ÉTRANGER

L'article 4 de la proposition de loi, en son 1°, supprime dans l'article 1649 A du code général des impôts la mention exonérant les sociétés commerciales, domiciliées ou établies en France, de la déclaration de l'ouverture, la détention, l'utilisation ou la clôture des comptes qu'elles détiennent à l'étranger.

Ainsi, l'adoption de l'article viendrait remettre au même niveau les obligations qui s'imposent aux sociétés n'ayant pas la forme commerciale et celles ayant forme commerciale.

Par conséquent, l'ensemble des structures juridiques listées ci-après devraient déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouvertes, détenus, utilisés ou clos à l'étranger :

- les sociétés anonymes (SA) ;

- les sociétés à responsabilité limitée (SARL) ;

- les entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée (EURL) ;

- les sociétés en commandite par actions (SCA) ;

- les sociétés en nom collectif (SNC) ;

- les sociétés en commandite simple (SCS).

B. LA CRÉATION D'UN NOUVEAU MOTIF DE DÉCLARATION À TRACFIN POUR L'ADMINISTRATION FISCALE

Le 2° de l'article 4 ajoute un alinéa à l'article 1649 A du code général des impôts. Il prévoit que l'administration fiscale peut transmettre à Tracfin, dans les conditions fixées par un décret en Conseil d'État, les incohérences ou les éléments susceptibles de caractériser un risque de fraude, de blanchiment ou de financement du terrorisme repérés lors des déclarations de comptes à l'étranger.

Cette possibilité viendrait ainsi s'ajouter à celle, de portée plus générale, déjà prévue dans l'article L. 561-27 du code monétaire et financier. En effet, la lutte contre la fraude, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme constitue l'une des missions constitutives de Tracfin : le 4° de l'article R. 562-3 du code monétaire et financier dispose que Tracfin participe « à l'étude des mesures à mettre en oeuvre pour faire échec aux circuits financiers clandestins, au blanchiment de l'argent et au financement du terrorisme ».

III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : À CE STADE, ADAPTER L'ENTRÉE EN VIGUEUR D'UN DISPOSITIF DONT LES EFFETS DEVRONT ÊTRE PLEINEMENT MESURÉS AVANT SON ÉVENTUELLE ADOPTION

A. L'UTILITÉ DE LA DÉCLARATION DES COMPTES À L'ÉTRANGER SE HEURTE NÉANMOINS À SON APPLICATION OPÉRATIONNELLE

1. L'obtention de ces nouvelles informations pourrait faciliter le contrôle de l'administration fiscale

Comme l'indique la direction générale des finances publiques (DGFiP) dans ses réponses aux questions du rapporteur, « [la direction], par principe, souhaite obtenir toujours davantage d'informations pour permettre de réaliser ses contrôles, et donc l'information sur les comptes à l'étranger serait une donnée supplémentaire intéressante. »

La facilité qui existe, aujourd'hui, pour les personnes physiques comme les personnes morales, d'ouvrir des comptes à l'étranger et d'y faire transiter des capitaux, tend ainsi à faciliter le transfert de sommes frauduleuses ou blanchies avant que les autorités n'aient la capacité de les saisir.

Lors de l'audition de la DGFiP, le service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal (SJCF) a fait part de l'émergence d'un schéma de fraude prenant de l'ampleur : la liaison directe de terminaux de paiement par carte bancaire vers des comptes à l'étranger. Certains commerçants peuvent ainsi ne déclarer qu'une partie de leurs revenus en France et dissimuler la part de chiffre d'affaires qu'ils souhaitent directement à l'étranger.

Ce schéma de fraude semble plutôt concerner les petits commerces et permettre le blanchiment de basse intensité dans certains cas.

Au niveau des entreprises de taille intermédiaire ou des grands groupes, de même, l'existence de nombreux comptes à l'étranger facilite la mise en oeuvre de schémas financiers complexes. Ainsi, l'absence de connaissance par l'administration fiscale des comptes à l'étranger de ces sociétés commerciales réduit sa capacité d'action et de contrôle.

Cette nouvelle obligation pourrait ainsi grandement faciliter le travail de contrôle et d'enquête de l'administration fiscale.

2. La nécessité de prévoir une entrée en vigueur différée pour permettre aux services de traiter ces nouvelles informations

Les échanges avec le SJCF ont montré que la mise en oeuvre opérationnelle du dispositif demanderait cependant une adaptation importante pour l'administration, qui prendrait un certain temps.

D'une part, il faudra renouveler et adapter les modalités déclaratives des sociétés commerciales, en adaptant les formulaires et les systèmes informatiques.

D'autre part, il conviendra de mettre sur pied une base de données sécurisée, fiable et ergonomique pour que l'ensemble de ces informations soient exploitables par l'administration.

Enfin, il faudra probablement recruter ou former des personnels en vue du stockage, du traitement et de l'exploitation des nouvelles données qui seraient massives : en France, en 2022, 8,9 millions d'unités légales sont enregistrées dans le répertoire SIRENE38(*) dans les secteurs de l'industrie, de la construction, du commerce et des services.

Après échanges avec le SJCF, le rapporteur estime qu'un délai d'un an à partir de la publication du dispositif serait nécessaire pour que sa mise en oeuvre opérationnelle soit fluide et maîtrisée.

Un tel délai serait également probablement utile pour que l'ensemble des sociétés commerciales puisse répondre à cette nouvelle exigence.

Tel est l'objet de l'amendement COM-9 du rapporteur.

3. La prudence doit guider la mise en oeuvre de ce dispositif, pour éviter tout effet potentiellement négatif sur l'attractivité économique de la France

Si les auditions et les travaux menés par le rapporteur n'ont, à ce stade, pas fait ressortir de réticences majeures à l'adoption de cette disposition, plusieurs alertes l'enjoignent néanmoins à la prudence.

D'une part, les organisations professionnelles, qui représentent les sociétés commerciales qui seraient soumises à cette obligation, n'ont pas eu la possibilité de présenter les incidences concrètes que cette nouvelle disposition aurait sur leur activité. Le rapporteur souhaite ainsi continuer ses travaux pour mesurer de façon plus précise la lourdeur qu'une telle obligation déclarative pourrait constituer sur les sociétés commerciales en France. Cette précaution a été soulevée par la DGFiP lors de ses réponses au rapporteur.

D'autre part, les risques de réduction de l'attractivité économique de la France en lien avec cette nouvelle obligation déclarative ne sont pas quantifiés à ce stade. Il conviendrait de s'assurer que la balance entre le bénéfice attendu et les effets économiques conjoints plaide bien pour l'adoption d'une telle disposition.

Lors de l'adoption, en loi de finances pour 1980, de la disposition obligeant l'ensemble des entités juridiques à l'exception des sociétés ayant la forme commerciale à déclarer leurs comptes à l'étranger, le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, M. Roger Chinaud, avait porté un amendement qui la supprimait. Cet amendement avait d'ailleurs été adopté, contre l'avis du gouvernement. Le rapporteur général précisait alors que « la déclaration automatique des comptes ouverts, utilisés ou clos à l'étranger, ferait peser une suspicion de fraude sur l'ensemble des personnes qui souhaitent utiliser les possibilités qui leur sont légalement offertes par la libération des mouvements de capitaux.39(*) »

Il apparaît ainsi que, dès l'origine, des réticences quant à la présomption de fraude qui pèserait sur les acteurs tenus à la déclaration avaient été exprimées. Il en est de même aujourd'hui : l'intégration des sociétés commerciales dans le champ du deuxième alinéa de l'article 1649 A risque de faire peser sur ces dernières une présomption de participation à des schémas de fraude et de blanchiment. Le risque d'une perte d'attractivité pour les sociétés commerciales d'une implantation en France doit ainsi être objectivé.

Cependant, comme indiqué précédemment, il existe déjà une obligation de déclaration des portefeuilles de crypto-actifs détenus à l'étranger40(*) pour l'ensemble des entités juridiques. Cette obligation ne semble pas avoir constitué un frein au développement de ces produits financiers pour les acteurs domiciliés en France depuis sa mise en oeuvre en janvier 2024.

Le rapporteur, dans l'attente d'une expertise plus approfondie, maintient ainsi la disposition modifiée par l'entrée en vigueur différée.

B. LA TRANSMISSION D'INFORMATIONS PRÉVUE PAR L'ARTICLE EST DÉJÀ SATISFAITE PAR LE DROIT EXISTANT

Comme indiqué précédemment, l'article L. 561-27 du code monétaire et financier (CMF) prévoit déjà la transmission d'informations par l'administration fiscale à Tracfin.

En outre, comme le fait remarquer Tracfin dans sa réponse au questionnaire du rapporteur, « le champ est plus large que celui prévu par la proposition de loi puisqu'elle porte41(*) sur les « sommes inscrites » ou les « opérations portant sur des sommes » et non uniquement sur des « fonds [qui] proviennent » d'une infraction42(*)»

Les modalités de transmission des informations de l'administration fiscale vers Tracfin sont donc satisfaites par le droit existant. Le service relève enfin, dans ses réponses au questionnaire du rapporteur, que « les modalités de cette transmission ne nécessitent pas d'être fixées par un décret en Conseil d'État » comme le prévoit le texte de la proposition de loi. En effet, l'article L. 561-27 du CMF ne prévoit de mesure réglementaire d'application.

Le rapporteur propose ainsi la suppression du 2° de l'article 4 de la proposition de loi, en ce qu'il est déjà satisfait.

Décision de la commission : la commission des finances a adopté cet article ainsi modifié.


* 22 Se reporter à l'avis n° 86 (2025-2026) fait par M. Hervé Reynaud au nom de la commission des lois, déposé le 28 octobre 2025.

* 23 Arrêté du 14 juin 1982 relatif à l'extension d'un système automatisé de gestion du fichier des comptes bancaires.

* 24 Loi n° 80-30 du 18 janvier 1980 de finances pour 1980.

* 25 Article 164 FB de l'annexe IV du CGI.

* 26 Article 164 FC de l'annexe IV du CGI.

* 27 Le numéro SIRET (système d'identification du Répertoire des établissements) est le numéro d'immatriculation de chaque établissement d'une entreprise. Il se compose de 14 chiffres attribués par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Le SIRET permet l'identification de chaque établissement par les administrations et organismes publics.

* 28 Article 164 FD de l'annexe IV du CGI.

* 29 Le SIRENE, pour « Système national d'identification et du répertoire des entreprises et de leurs établissements », identifie toutes les entreprises et leurs établissements, quelle que soit leur forme juridique ou leur secteur d'activité, implantés en France.

* 30 L'article 4 de l'arrêté du 14 juin 1982 précité dresse la liste exhaustive des personnes autorisées à demander et recevoir communication des informations gérées par le FICOBA.

* 31 Article 98 alinéa 2. de la loi n° 89-935 du 29 décembre 1989 de finances pour 1990.

* 32 Bulletin officiel des finances publiques, BOI-CF-CPF-30-20.

* 33 Conseil d'État, décision du 4 mars 2019, n°410492.

* 34 COLB, Analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en France, janvier 2023.

* 35  Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

* 36 L'article 1649 bis C du code général des impôts indique que cette obligation s'impose à toutes les « personnes ou les entités juridiques, domiciliées ou établies en France » à partir du 1er janvier 2024.

* 37 Article L. 561-15 du code monétaire et financier.

* 38 Le répertoire SIRENE compte, au total, 13,7 millions d'unités légales enregistrées, comprenant notamment des associations et des sociétés non commerciales, en sus des sociétés commerciales.

* 39 Compte rendu intégral, séance du 9 décembre 1989.

* 40 Article 1649 bis C du code général des impôts.

* 41 À l'article L. 561-27 du CMF.

* 42 Comme le prévoit la proposition de loi.

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