II. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

L'année 2026 sera marquée par deux chantiers prioritaires identifiés par le rapporteur spécial lors de ses auditions :

- la poursuite des grands projets informatiques portés par la mission, et plus particulièrement, la concrétisation de la réforme de la facturation électronique ;

- la lutte contre les fraudes et les flux financiers illicites, qui se traduit par la poursuite de la mise en oeuvre du plan de 2023 de lutte contre les fraudes fiscales, sociales et douanières, ainsi que le renforcement des moyens de contrôle aux frontières des douanes, dans le contexte de l'essor du commerce en ligne.

A. LA CONCRÉTISATION DU PROJET DE FACTURATION ÉLECTRONIQUE INTERENTREPRISE : DES ÉCONOMIES À ATTENDRE TANT POUR LES ENTREPRISES QUE POUR L'ÉTAT

L'année 2026 marquera, pour la DGFiP, la mise en oeuvre effective de la réforme de la facturation électronique. Celle-ci se traduit par une obligation d'émission et de réception de facture électronique (e-invoicing) et de transmission à l'administration de certaines données de facturation (e-reporting). Cette réforme, annoncée dans une disposition programmatique à l'article 153 de la loi de finances initiale (LFI) pour 2020, puis concrétisée par l'article 26 de la première loi de finances rectificative (LFR) pour 2022, devait initialement se déployer progressivement entre juillet 2024 et janvier 2026. Toutefois l'article 91 de la LFI pour 2024 a reporté l'entrée en vigueur de la généralisation de la facturation électronique :

- à compter du 1er septembre 2026 pour les grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire ;

- à compter du 1er septembre 2027 pour la plupart des microentreprises et les petites et moyennes entreprises.

1. La réforme de la facturation électronique devrait générer des économies pour les entreprises et des recettes fiscales supplémentaires pour l'État

La commission des finances a toujours soutenu la généralisation de la facturation électronique et de la transmission des données de transaction, qui répondent à deux objectifs distincts6(*).

D'un côté, la facturation électronique devrait être source de simplification et de gains de productivité pour les entreprises. Missionnée par le ministère de l'économie et des finances, l'inspection générale des finances avait estimé que le coût complet d'émission d'une facture électronique était de moins d'un euro, contre plus de 10 euros pour une facture « papier »7(*).

La facturation électronique réduirait ainsi la charge administrative de constitution, d'envoi et de traitement des factures au format « papier ». En Italie, où l'obligation de facturation électronique est entrée en vigueur le 1er janvier 2019, les économies nettes pour une entreprise générant environ 3 000 factures par an seraient de 7,5 euros à 11 euros par facture8(*). Ainsi, dans le rapport remis au président de la République sur l'ordonnance du 15 septembre 2021, le Gouvernement estimait que les gains de productivité résultant de la seule facturation électronique pourraient s'élever à 4,5 milliards d'euros pour les 1,5 million de PME qui utilisent encore des factures papier9(*). Ce nouveau support pour les factures de TVA doit par ailleurs servir de support à un futur pré-remplissage des déclarations de TVA.

De l'autre, l'obligation de transmettre les données de transaction répond quant à elle à l'objectif d'accroître l'efficacité de la lutte contre la fraude à la TVA, au moyen de recoupements automatisés à partir des données figurant sur les factures. L'Insee a ainsi estimé que les montants manquants de versement de TVA seraient de l'ordre de 20 à 26 milliards d'euros chaque année10(*). La transmission des informations figurant sur les factures doit permettre de mieux tracer les transactions avec des opérateurs de l'étranger, dans l'optique de la lutte contre la « fraude carrousel »11(*) ainsi que d'avoir une plus grande visibilité sur les transactions des entreprises vers les particuliers pour mieux évaluer la TVA due sur les ventes à distance.

Les données issues de l'expérience italienne montrent que, depuis l'instauration de la facturation électronique, l'écart entre la TVA qui aurait dû être perçue par l'administration fiscale italienne et celle effectivement perçue se serait réduit de deux milliards d'euros, tandis que le coût pour l'État du système d'échange des informations s'élèverait à environ 10 millions d'euros par an12(*). L'administration fiscale italienne aurait ainsi intercepté un milliard de faux crédits TVA en 2019.

D'après l'administration fiscale, les gains pour les finances publiques résultant de cette réforme seraient autour de 2 à 3 milliards d'euros par an à compter de 2028. Ils proviendraient de l'augmentation des recettes budgétaires, compte tenu :

- d'une part, d'un meilleur recouvrement spontané de la TVA grâce à la fiabilisation du processus de facturation des entreprises et de déclaration des données à l'administration ;

- d'autre part, d'une amélioration de la lutte contre la fraude à la TVA, qui doit être rendue plus efficace grâce à un ciblage plus fin des opérations de contrôle et à une amélioration de la détection des schémas de fraude.

Le surplus de recettes anticipé compensera donc largement le coût de cette réforme pour l'État, estimé d'après l'évaluation préalable à 267,7 millions d'euros pour la période allant du 1er mars 2021 au 31 décembre 2028, soit de la construction du projet à sa pleine mise en oeuvre.

Échéancier d'engagement et de décaissement des crédits du projet de facturation électronique

(en millions d'euros)

 

2023 et années précédentes

2024

2025

2026

2027

Total

AE

42,32

45,95

33,26

38,13

108,07

267,72

dont T2

10,56

6,77

8,22

24,73

33,84

84,3

dont hors T2

31,76

39,18

25,03

13,39

74,22

183,59

CP

26,69

43,13

39,45

45,5

112,94

267,72

dont T2

10,56

6,77

8,22

24,73

33,84

84,3

dont hors T2

16,13

36,36

31,23

20,77

79,70

183,59

Source : commission des finances d'après le projet annuel de performances de la mission « Gestion des finances publiques »

2. Une vigilance particulière concernant les éventuels surcoûts pour les entreprises de l'abandon du développement du portail public de facturation électronique

Les entreprises soumises aux obligations de facturation électronique devaient initialement avoir la possibilité de recourir pour l'émission, la transmission et la réception des factures électroniques, soit à un portail public de facturation, soit à une autre plateforme de dématérialisation.

Le Gouvernement a toutefois annoncé en octobre 2024 son choix de renoncer au développement du portail public de facturation. Comme l'indique l'évaluation préalable de l'article 28 du projet de loi de finances pour 202613(*), « les travaux de construction du portail public de facturation sont apparus particulièrement complexes. Au-delà de l'aspect financier du projet, non négligeable et difficilement soutenable dans un contexte budgétaire contraint, la poursuite des travaux de construction du portail public de facturation dans son périmètre initial faisait peser un risque sur les conditions de mise en oeuvre du projet ». Les entreprises ne pourront finalement pas recourir au portail public de facturation pour les besoins de la réforme « mais devront choisir une plateforme agréée parmi celles de facturation, de transaction et de paiement à l'administration fiscale ».

Le rapporteur spécial prend acte de cette décision, tout en regrettant que ces difficultés n'aient pas été anticipées par l'État au moment de la définition du périmètre initial du projet.

Il n'en demeure pas moins que l'annonce du Gouvernement de l'abandon du développement du portail public de facturation a suscité des inquiétudes de la part des entreprises concernées, compte tenu des potentiels surcoûts que pourrait impliquer l'obligation de recourir à une plateforme de facturation privée. La DGFiP a toutefois indiqué que « certains offreurs de solution ont d'ores et déjà annoncé des offres de base gratuites ou sans surcoût » qui « pourront être directement intégrées aux systèmes d'information des entreprises exploitant des logiciels de gestion, de facturation ou possédant un compte bancaire. »

Le rapporteur spécial estime qu'un modèle reposant sur le recours à des plateformes privées présente l'intérêt d'offrir une diversité d'offres commerciales, qui permettra une meilleure couverture des besoins de toutes les entreprises, et particulièrement des TPE et PME. Par ailleurs, le nombre important de plateformes ayant déjà manifesté leur intérêt pour ce marché laisser présager une concurrence importante, qui devrait contribuer à limiter le prix des solutions de facturation proposées par les prestataires. En effet, à ce jour, plus de 110 plateformes ont été agréées par l'administration, sous réserve de tests techniques. Ce nombre pourra être amené à évoluer à la hausse d'ici septembre 2026, mais ne devrait vraisemblablement pas dépasser les 150 plateformes agréées d'après le Gouvernement.

En tout état de cause, le rapporteur spécial sera vigilant sur la mise en oeuvre de cette réforme et veillera à ce qu'elle ne se traduise pas par des surcoûts trop importants pour les entreprises.


* 6 Pour davantage de détails, le lecteur est invité à se reporter au commentaire de l'article 10 bis, dans le  rapport n° 846 (2021-2022) du 28 juillet 2022 sur le projet de loi de finances rectificative pour 2022 de M. Jean-François HUSSON, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances, déposé le 28 juillet 2022.

* 7 Selon une étude réalisée par le Forum national pour la facturation électronique et reprise dans l'évaluation préalable de l'article 3 du premier projet de loi de finances rectificative pour 2022. Le volume de factures moyen, tant en émission qu'en réception, s'élève en médiane à près de 2 000 factures par an.

* 8 Ibid.

* 9 Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2021-1190 du 15 septembre 2021 relative à la généralisation de la facturation électronique dans les transactions entre assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée et à la transmission des données de transaction.

* 10 Insee, Estimer la TVA non recouvrée à partir des contrôles fiscaux, 16 décembre 2022.

* 11 Définie comme une fraude à la TVA organisée entre plusieurs entreprises installées dans différents États de l'Union pour obtenir le remboursement par un État d'une taxe qui n'a jamais été acquittée en amont.

* 12 Rapport remis par le Gouvernement au Parlement sur la TVA à l'ère digitale, données reprises de la décision d'exécution (UE) 2021/2251 du Conseil du 13 décembre 2021modifiant la décision d'exécution (UE) 2018/593 autorisant la République italienne à introduire une mesure particulière dérogatoire aux articles 218 et 232 de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

* 13 Cet article prévoit plusieurs ajustements de la réforme de la facturation électronique.

Partager cette page