III. UN RÉARMEMENT FRAGILISÉ, FAUTE DE MOYENS BUDGÉTAIRES SUFFISANTS
A. LE DÉSARMEMENT DE LA PRÉVENTION DE LA DÉLINQUANCE
1. Le SG-CIPDR, une transformation inachevée
À l'instar de la proposition du rapport de l'inspection générale de l'administration sur l'évolution de l'organisation et des missions du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR), la rapporteure spéciale a, avec constance, appelé de ses voeux, la transformation du SG-CIPDR en une délégation interministérielle. Cette novation poursuit un double objectif :
- opérer un recentrage du SG-CIPDR sur les missions relatives à la prévention de la délinquance et à la radicalisation, ainsi qu'à la promotion des valeurs de la République et au soutien de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes)77F78(*) ;
- et donner au SG-CIPDR une existence juridique ainsi qu'une plus grande visibilité78F79(*).
En effet, si le Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et son secrétaire général, tel que prévu dans la loi de 2007 instituant le FIPD, sont juridiquement définis79F80(*), il n'existe pas d'organisation administrative du SG-CIPDR.
Cette transformation programmée pour 2025 n'est malheureusement pas encore achevée. Le décret simple est actuellement examiné par les services du secrétariat général du ministère de l'intérieur. Les changements de gouvernement ont provoqué des retards dans l'avancée de ces travaux.
2. Le FIPD, un outil sous doté de la prévention contre la délinquance
Le recentrage des missions du FIPD a été mis en oeuvre :
- en 2024 avec le transfert de crédits à hauteur de 22 millions d'euros à la DEPSA pour la gestion de la vidéoprotection. Le budget du FIPD, réduit d'autant, s'élève ainsi à 62,4 millions d'euros en LFI 2024 ;
- en 2025, avec le transfert des missions de veille et d'analyse des réseaux sociaux vers la direction nationale du renseignement territorial. 8 ETP du SG-CIPDR ont été transférés vers le programme 176 de la mission budgétaire « Police nationale ».
Concomitamment, la réduction de crédits se poursuit. Les contraintes budgétaires de 2024 imposent au programme 216 l'annulation de décrets d'avance qui impacte le FIPD dédié aux politiques de prévention, pour résulter en fin d'année budgétaire 2024 à une exécution de crédits de 45 millions d'euros. En LFI 2025, le montant de 62 millions d'euros était reconduit, mais réduit à 53 millions d'euros de ressources nettes, après les différentes mises en réserve. En 2026, les transferts de missions de l'action 10 « FIPD »80F81(*) (Cf. Supra) réduit l'enveloppe pilotée et gérée par le SG-CIPDR de 9 millions d'euros, auquel s'ajoute une mesure d'économie de 10 millions d'euros.
Le montant du FIPD prévu en 2026 n'est que de 43,45 millions d'euros afin d'assurer les trois missions prioritaires de prévention de la délinquance, de la radicalisation et de soutien aux mineurs et jeunes majeurs non judiciarisés de retour de zones de conflits, de promotion des valeurs de la République, ainsi que de la lutte contre les dérives sectaires. En outre, selon le SG-CIDPR, il est possible que les crédits réellement disponibles ne soient que de 37 millions d'euros.81F82(*), après mise en réserve.
Un budget si restreint, en comparaison des années précédentes, pèsera fortement sur la prévention de la délinquance alors que l'ADN du FIPD consiste en cette mission, comme en témoigne la loi de 200782F83(*), qui a créé le Fonds. Il avait été confié alors en gestion et pilotage à l'ACSé avec une enveloppe de crédits de 44,1 millions d'euros, soit 58,3 millions d'euros en euros constants83F84(*), dédié au seul soutien aux politiques de prévention de la délinquance.
Or, le PLF pour 2026 prévoit un total de 32,3 millions d'euros en AE et en CP pour la seule prévention de la délinquance. Cette dotation est non seulement bien inférieure en euros constants à celle prévue lors de la création du Fonds mais elle enregistre une baisse de 7,2 millions d'euros par rapport à 2025.
Le financement du programme délinquance se répartit de la façon suivante :
- actions en faveur des jeunes exposés à la délinquance ou à la récidive : 9,3 millions d'euros en en CP ;
- actions de protection en faveur des personnes vulnérables : 18,9 millions d'euros en CP, dont 8,9 millions d'euros prévus pour le financement de 500 postes d'intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie (ISCG)84F85(*) ;
- soutien et ingénierie de projets, autres préventions de la délinquance : 4,1 millions d'euros en CP.
Quant au schéma d'emplois du SG-CIPDR, il est de 30 ETP pour assurer trois missions transversales et le lien interministériel.
Parallèlement à la réduction du financement de la prévention de la délinquance, force est de constater que cette dernière progresse et est devenue un enjeu sociétal majeur, comme en témoignent les émeutes urbaines de 2023 ainsi que les statistiques du ministère de l'intérieur.
Bilan statistique de la délinquance en 202485F86(*)
En 2024, la tendance la plus notable en matière de délinquance enregistrée concerne les violences physiques, en particulier les violences intrafamiliales.
Parmi les violences intrafamiliales enregistrées, ce sont celles sur les mineurs qui progressent toujours fortement en 2024 (+ 11 %). Les violences hors cadre familial sont quant à elles stables en 2024, après un ralentissement amorcé dès 2023 (+ 3 %).
Sur l'année 2024, le nombre d'homicides baisse (- 2 %) pour la première fois depuis 2020, soit 976 personnes victimes d'un homicide. Dans le même temps, les tentatives d'homicide enregistrées poursuivent leur nette progression (+7 %), avec un rythme proche de celui observé depuis 2016 (+ 8 % par an), mais en ralentissant toutefois par rapport aux deux années précédentes. [...]
En 2024, les violences sexuelles enregistrées progressent nettement (+ 7 %), mais en léger ralentissement par rapport aux deux années précédentes, et par rapport à 2016 (hausse de 11 % par an en moyenne). Les viols et tentatives de viol enregistrés s'accroissent encore rapidement (+ 9 %). [...]
En 2024, les infractions enregistrées liées aux stupéfiants connaissent une nette progression, tant pour l'usage (+ 10 %) que pour le trafic (+ 6 %).
Source : Extrait du communiqué de presse du ministère de l'intérieur sur la 9e édition du bilan « Insécurité et délinquance »
Certains actes violents continuent de progresser ou de représenter de fortes proportions, comme l'illustrent les graphiques ci-dessous.
Nombre de victimes de violences sexuelles enregistrées entre 2016 et 2024
Source : SSMSI, bases statistiques des victimes enregistrées par la police et la gendarmerie entre 2016 et 2024
Nombre d'infractions pour destructions et dégradations volontaires enregistrées entre 2016 et 2024
Source : SSMSI, bases statistiques des victimes enregistrées par la police et la gendarmerie entre 2016 et 2024
Le constat est sans appel. Le soutien financier du FIPD à la prévention de la délinquance est plus que jamais crucial, sans compter la prévention de la radicalisation, la promotion des valeurs de la République et la lutte contre les dérives sectaires, tandis que, paradoxalement, son budget se contracte considérablement.
Notons que le montant de crédits du FIPD en 2026 ne représente que 54 euros par habitant (France métropolitaine et Outre-mer)86F87(*). C'est pourquoi la rapporteure spéciale s'inquiète de la capacité du FIPD à pouvoir mettre en oeuvre efficacement une véritable politique de prévention de la délinquance.
* 78 Le Secrétaire général, Président de la Miviludes, continue de piloter l'action de la Mission interministérielle qui est autonome et soutenue budgétairement et en RH par le SG-CIPDR.
* 79 Compte tenu du caractère interministériel de la structure, et en donnant à celui qui la dirige, devenu délégué interministériel, la capacité d'entretenir des rapports directs avec les autres ministres et cabinets. Reconnu comme directeur d'une administration centrale, le délégué interministériel serait ainsi nommé en conseil des ministres.
* 80 Cf. Article D. 132-1 du code de la sécurité intérieure. CIPDR.
* 81 Transfert du programme K « sécurisation des sites sensibles » vers la DLAPJ (action 07 du programme 216) et du reliquat du programme S de sécurisation des écoles et de l'équipement des polices municipales vers la DEPSA (action 11 du programme 216).
* 82 « Les crédits pourraient être impactés par la mise en réserve de la direction du budget (-5,5%) et par la réserve de précaution du responsable de programme, qui, en 2025, s'est élevée à 10% et n'a pas été dégelée ». Source : SG-CIDPR
* 83 Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance
* 84 Source : Calculateur INSEE
* 85 Nés du constat que les forces de l'ordre sont régulièrement confrontées à des situations de détresse sociale qui dépassent leurs compétences, les premiers postes d'intervenants sociaux en commissariats et gendarmeries (ISCG) ont été expérimentés en France dans les années 1990. Ce dispositif a été identifié comme adapté à la prise en compte des victimes de violences conjugales. Source : réponse au questionnaire budgétaire. La rapporteure spéciale s'interroge sur l'absence de cofinancement de ces postes par d'autres programmes budgétaires (P 176 et P 152, mais aussi le P 182 porté par le Ministère de la Justice par exemple).
* 86https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques-de-presse/insecurite-et-delinquance-en-2024-bilan-statistique-et-atlas-departemental-de-delinquance
* 87 Source SG-CIDPR sur la base des chiffres INSEE au 1er janvier 2025 de 68,606 millions d'habitants en France (métropolitaine et DROM), source https://www.insee.fr/fr/statistiques/5225246 consultée le 29 octobre 2025

