EXAMEN PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

En première lecture, l'Assemblée nationale n'ayant pas adopté la première partie du projet de loi, celui-ci est considéré comme rejeté en application du troisième alinéa de l'article 119 du Règlement de l'Assemblée nationale.

En conséquence, sont considérés comme rejetés les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le jeudi 13 novembre 2025, sous la présidence de M. Michel Canévet, vice-président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale, sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

M. Michel Canévet, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'examen du rapport spécial sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale. - Les crédits demandés pour la mission « Administration générale et territoriale de l'État » (AGTE) s'élèvent à un peu plus de 5 milliards d'euros en autorisations d'engagement et près de 5,2 milliards d'euros en crédits de paiement, ce qui traduit une progression de, respectivement, 7,13 % et 3,41 %.

Au-delà de ces chiffres, quelle est la réalité ? Les crédits de cette mission sont consacrés à deux domaines d'intervention, qui connaissent des évolutions budgétaires distinctes, celui de l'administration territoriale, avec les programmes 354 et 216, qui entrent dans le périmètre de la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI), et celui de la vie politique, avec le programme 232.

Tout d'abord, le programme 354 « Administration territoriale de l'État » (ATE) et le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » rassemblent plus de 94 % de la totalité des crédits de la mission. Le programme 354 « ATE » finance les services déconcentrés, notamment les préfectures et sous-préfectures, tandis que le programme 216 est un programme support.

Non seulement le total de ces crédits hors pensions n'enregistre pas de hausse, mais il se contracte de 72 millions d'euros en 2026 par rapport à 2025. Certaines actions ont été revalorisées au détriment d'autres, afin de réaliser des économies budgétaires. Ainsi, les crédits de paiements hors pensions du programme 216 baissent de 136 millions d'euros en 2026.

En ce qui concerne les points positifs, on relèvera que les économies budgétaires réalisées par le programme support 216 permettent de financer non seulement ses missions prioritaires, telles que le développement du numérique ou la revalorisation des crédits de l'action sociale et du contentieux, mais également celles du programme ATE, au profit notamment du fonctionnement courant de l'administration territoriale. En effet, les crédits de paiement hors pensions du programme « ATE » progressent de 64 millions d'euros. L'administration territoriale de l'État bénéficie d'un schéma d'emploi de 50 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires en 2026 au profit des services départementaux, en renfort de leurs missions prioritaires. Cela concerne notamment deux services, particulièrement touchés par leur charge de travail croissante : les « services étrangers » des préfectures et les centres d'expertise et de ressources des titres (CERT). On ne peut que se féliciter d'une telle hausse de crédits en faveur de l'ATE, dans un contexte de restrictions budgétaires.

Toutefois, étant très attachée à l'ensemble des actions de cette mission, je déplore les réductions de crédits, parmi lesquelles figurent celles du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), qui finance la prévention de la délinquance et de la radicalisation, la lutte contre les dérives sectaires ainsi que la promotion des valeurs de la République. Son budget est réduit de 10 millions d'euros en 2026 et s'établit à un peu plus de 43 millions d'euros en crédits de paiement et autorisations d'engagement. Ces crédits sont gérés par le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, qui anime les politiques publiques transversales de prévention.

Le constat est sévère. La tendance aux violences, notamment les tentatives d'homicide et les violences sexuelles, est à la hausse selon le neuvième bilan statistique du ministère de l'intérieur. Nous commémorons tristement aujourd'hui les attentats tragiques du 13 novembre 2015. Non seulement la menace terroriste n'a pas cessé, mais elle concerne de plus en plus de jeunes : 70 % des personnes arrêtées pour faits terroristes ont moins de 21 ans. Les deux tiers des auteurs d'attentats commis depuis 2020 n'étaient pas fichés. Les faits nous démontrent donc toute l'importance des actions de prévention.

Agir, c'est d'abord prévenir avant de punir. Quel message envoyons-nous si le budget des actions transversales de la prévention de la délinquance et de la radicalisation diminue à ce point ? Quelques 43 millions d'euros dans un budget de 5 milliards d'euros, ce n'est pas de l'action. Je ne sais comment le qualifier ; de l'abandon ?

Par ailleurs, il est regrettable que la transformation du secrétariat général du comité interministériel de prévention en délégation interministérielle ne soit toujours pas achevée, à ce jour. Celle-ci est très attendue, car elle s'inscrit dans une gestion plus rigoureuse des crédits du FIPD.

Un autre sujet de préoccupation sur le terrain est celui du financement du déploiement des équipements de vidéoprotection des collectivités territoriales. Celui-ci est amputé de 10 millions d'euros en 2026 dans le programme support 216. Il est doté d'un peu moins de 22 millions d'euros contre 32 millions en 2025. Le maillage territorial est certes important, puisqu'il couvre 95 % du territoire. C'est pourquoi le ministère a considéré que le FIPD, ayant rempli sa mission de fonds d'amorçage, devait être repositionné sur des projets plus structurants. Néanmoins, la réalité est que, chaque année, de nombreux projets ne sont pas financés. Selon la direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes (DEPSA), des dizaines de projets parfaitement pertinents n'ont pu être déployés en 2023, le fonds étant sous-doté de 8 millions d'euros.

En outre, lorsque ces projets de vidéoprotection voient le jour, ils sont majoritairement financés par la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), celle de la politique de la ville (DPV) ou encore celle de soutien à l'investissement local (DSIL). Le recours à ces dotations pour mettre en oeuvre un projet de la vidéoprotection entraîne un effet d'éviction au détriment des autres actions éligibles au titre de ces dotations, telles que la rénovation thermique des bâtiments ou la restauration de l'égalité républicaine dans les quartiers en difficulté.

Un autre point d'inquiétude concerne les schémas d'emplois insuffisants pour faire face aux besoins de certains services et entités relevant de la mission. Les suppressions d'emplois, les plafonds d'emplois bloqués et les schémas d'emplois nuls au cours des années 2016 à 2020 ont non seulement mis à mal l'administration territoriale de l'État mais ont hypothéqué son avenir. Celle-ci en subit encore aujourd'hui l'impact négatif, ayant recours à la contractualisation, voire à l'externalisation de certaines de ses prestations. En 2022, la Cour des comptes dénonçait le fait que « les préfectures ne fonctionnent qu'au moyen de contrats courts qui précarisent leurs titulaires et désorganisent leurs services ». Le taux de contractuels est de 16 % pour les effectifs relevant du programme 354 « ATE » et ce ratio s'élève à 83 % pour les agents du Centre de Contact Citoyens (CCC), centre d'assistance de France Titres, ancienne Agence Nationale des Titres Sécurisés. La contractualisation et l'externalisation constituent deux risques majeurs, financiers et opérationnels pour le fonctionnement des services. Si certains profils, notamment à haute valeur ajoutée, légitiment le recours à ces procédures, celles-ci ne peuvent constituer une réponse pérenne au manque d'effectifs.

Enfin, agir, c'est anticiper l'avenir. Je souhaite devant vous réitérer mes alertes passées : les efforts constatés dans le cadre de cette mission ne sont pas à la hauteur des enjeux. Les diagnostics sont posés mais les moyens se font toujours attendre, année après année. France Titres a vu ses missions s'étendre au-delà de la production des titres sécurisés, avec leur dématérialisation, en particulier dans le cadre du projet France Identité, avec la refonte du système d'immatriculation des véhicules et l'assistance accrue aux préfectures et sous-préfectures.

Or la trajectoire budgétaire ne permettra pas à cet opérateur de porter à l'avenir l'ensemble de ses projets. Le remplacement des recueils de titres ou le renouvellement des cartes nationales d'identité et permis de conduire à trois volets, à l'horizon de 2031 et de 2033, ne sont pas budgétés. Le coût de l'opération est pourtant estimé à 220 millions d'euros.

Autre chronique d'un échec annoncé, celui de la rénovation du parc immobilier préfectoral. Les efforts jusque-là consentis ne permettent pas de stopper la dégradation physique des bâtiments liée à une maintenance insuffisante. Là encore, l'action doit résider dans la prévention, non dans la réparation, qui entraîne des surcoûts. Ces dépenses sont nécessaires et ne sauraient être victimes d'un effet d'éviction au profit des grands projets, tels que celui de relocalisation de plusieurs directions supports du ministère de l'intérieur au coeur du village olympique, pour un montant total de 375,6 millions d'euros. L'opération est pertinente, mais il conviendra d'être vigilant sur son opportunité patrimoniale.

L'autre projet immobilier majeur est celui du regroupement sur un site unique, en 2029, des services centraux de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), actuellement localisés sur trois sites, pour un coût total de 1,2 milliard d'euros, dont 983 millions d'euros seront financés par le programme 216 de la mission. Les paiements ont été rééchelonnés permettant une économie budgétaire substantielle de ce programme en 2026. Force est de constater que les marges de manoeuvre d'investissement des préfectures et sous-préfectures sont obérées par ces grands projets.

Pour autant, l'État ne semble pas avoir abandonné ses préfets, puisque, dans le cadre de la refondation de l'État local, sans impact budgétaire, les préfets voient leurs pouvoirs d'adaptation et de dérogation élargis depuis le 30 juillet dernier, afin de mieux prendre en compte les réalités locales. L'idée est de redonner toute sa place au préfet pour incarner l'État sur le territoire. C'est d'autant plus nécessaire que l'État tend à se désincarner dans sa relation avec ses administrés, au fur et à mesure de la progression de la digitalisation de ses services.

Cela me conduit à aborder la question des crédits numériques relevant des programmes 354 et 216. Ceux inscrits dans le programme 216 progressent de 13,7 % en 2026, soit de 46 millions d'euros supplémentaires. La mission porte les crédits d'une stratégie ambitieuse autour de grands projets - France Identité numérique (FIN), le réseau Radio du futur (RRF) et le système d'immatriculation des véhicules (SIV) -, dont le coût global représente 1,1 milliard d'euros. Par ailleurs, une feuille de route ministérielle sur l'intelligence artificielle a été élaborée, afin d'éviter toute dispersion des moyens ou redondance des initiatives. Les gains attendus de ces projets résident dans la simplification, la sécurisation des démarches administratives ainsi que dans l'efficience liée au traitement des demandes qui ne font que croître.

Ce processus de digitalisation doit inclure un volet d'accompagnement des « précaires numériques », car l'État digital ne peut se développer en excluant les publics éloignés non seulement des services publics mais également des outils informatiques. Comment ramener de l'humain et de l'accessibilité dans ce processus ? Une solution réside dans le développement des implantations de France Services dans les sous-préfectures. Ce guichet unique a démontré son efficacité. Or ce réseau n'est aujourd'hui présent que dans 48 sous-préfectures et 5 préfectures sur 2 804 structures labellisées, soit moins de 2 % de l'ensemble de ces guichets uniques.

Enfin, je souhaite aborder brièvement l'autre périmètre d'intervention de la mission, le programme 232 « Vie politique ». Ce programme regroupe les crédits destinés à l'aide publique aux partis politiques, à l'organisation des élections ainsi qu'au fonctionnement de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), opérateur de l'État chargé du contrôle du financement des campagnes électorales. Sa dotation est triplée en 2026 pour l'organisation des scrutins nationaux. Elle s'élève à 299,56 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 300,92 millions d'euros en crédits de paiement. Le coût prévisionnel des élections municipales est de 193,7 millions d'euros contre 3,7 millions d'euros pour les élections sénatoriales. Outre le caractère cyclique du programme, des coûts supplémentaires ont été budgétés pour la mise en oeuvre de la loi du 11 août 2025 visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille, dite Paris-Lyon-Marseille ou PLM, estimés à 15,2 millions d'euros, et celle de la loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux, pour un montant de 7,61 millions d'euros.

En conclusion sur les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », les sujets de satisfaction - revalorisation de certains programmes, projets de modernisation immobiliers et numériques - sont aussi nombreux que les sujets d'inquiétude. Par conséquent, au regard de la hausse des crédits de certaines actions et du contexte budgétaire particulièrement contraint que nous connaissons et malgré toutes les réserves exposées, je vous propose d'adopter les crédits de la mission.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je félicite Mme la rapporteure spéciale pour la qualité de son rapport et pour sa constance.

Mon intervention sera moins une question qu'une remarque. Votre rapport spécial pointe un élément essentiel pour le Sénat, à savoir la diminution constante des moyens de l'État local au profit de l'État central. Nous avons besoin de l'État local et, pour être honnête, nous l'oublions parfois un peu quand, avec de grandes envolées lyriques dans l'hémicycle, nous créons des normes et des réglementations qui lui imposent de plus en plus de travail, alors qu'il a de moins en moins de moyens.

M. Marc Laménie. - Cette mission est très importante, puisqu'il s'agit de la représentation de l'État dans nos territoires. Nous sommes rassurés par la relative stabilité des effectifs, car les préfectures et sous-préfectures sont les interlocuteurs non seulement des habitants mais encore des élus locaux.

Ma question porte sur l'accueil du public dans les préfectures et sous-préfectures. L'accueil du réseau France Services au sein des sous-préfectures est-il amené à se développer ?

Quelles solutions la rapporteure spéciale entrevoit-elle pour remédier au sous-financement chronique de France Titres, notamment pour l'aide relative aux titres sécurisés ? La situation en la matière est proprement alarmante. Je m'interroge également sur le nombre très important de contractuels.

M. Michel Canévet, président. - Je m'inquiète, comme Jean-Raymond Hugonet, des effectifs de l'État sur le territoire. Un quart des effectifs de cette mission relève de l'administration centrale et les trois quarts restants de l'administration territoriale. Un effort ne serait-il pas nécessaire pour réduire les effectifs de l'administration centrale, un peu au profit de l'administration territoriale et beaucoup pour économiser des postes ?

Ensuite, comme Marc Laménie, je constate que l'on assigne de nombreuses missions à France Titres, qui éprouve des difficultés à les assumer. Des recettes spécifiques peuvent lui être affectées, notamment le droit de timbre sur les passeports. Ne serait-il pas utile de rendre payants d'autres titres de sécurité, afin de doter cette agence des moyens nécessaires pour engager les évolutions technologiques qui s'imposent ?

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale. - Monsieur Hugonet, monsieur le président, je ne peux que souscrire à votre volonté de renforcer les effectifs de l'État déconcentré. De nouvelles missions sont confiées aux préfets, mais sans moyens supplémentaires. Quelque 4 500 postes, essentiellement d'accueil, ont été supprimés entre 2010 et 2020 ; un rééquilibrage serait nécessaire.

Marc Laménie pose la question de la présence des maisons France Services dans les sous-préfectures. Seules 58 des 233 sous-préfectures reçoivent des usagers, c'est faible. Lors de mes déplacements, nombre de préfets me confient que la vocation des préfectures est d'être au service des concitoyens. France Services représente une solution pour offrir un accueil, notamment au public éloigné du numérique. Il conviendrait d'octroyer aux préfectures les moyens d'accueillir davantage, d'autant que l'expérimentation des points d'accueil numérique (PAS) n'est pas prolongée.

J'en viens à la question sur le financement de France Titres. Cette agence fait face à deux grands enjeux : le remplacement des anciennes cartes d'identité d'ici à 2031 et celui des permis de conduire à trois volets à horizon 2033, sachant qu'il convient également d'anticiper le renouvellement des nouveaux permis de conduire, au format carte bancaire, introduits en 2013, qui ne sont valables que quinze ans. L'enjeu du remplacement des anciennes cartes d'identité et permis de conduire est crucial. Il manque 220 millions d'euros à France Titres pour y faire face. Une information du public sera nécessaire pour encourager les usagers à procéder au changement spontanément avant les dates butoirs, faute de quoi, il risque d'y avoir un encombrement des services submergés par les demandes à traiter.

S'agissant du revenu tiré des timbres, celui-ci étant plafonné, il conviendrait de rehausser ce plafond, afin que France Titres bénéficie de crédits supplémentaires.

L'autre enjeu majeur est celui de l'identité numérique. Le taux de conversion des cartes d'identité en identité numérique est trop faible. Il faut former davantage les personnels de mairies pour encourager nos concitoyens à adopter cette identité dématérialisée et sécurisée. Ce taux s'élève à seulement 7 % ; près de 3 millions de personnes sont passées à l'identité numérique.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

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Réunie à nouveau le mercredi 26 novembre 2025, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé définitivement ses votes émis sur toutes les missions, tous les budgets annexes, tous les comptes spéciaux et les articles rattachés aux missions, ainsi que les amendements qu'elle a adoptés, à l'exception des votes émis pour les missions « Action extérieure de l'État », « Aide publique au développement », « Cohésion des territoires », « Culture », « Immigration, asile et intégration », « Investir pour la France 2030 », « Monde combattant, mémoire et liens avec la nation », « Sport, jeunesse et vie associative », ainsi que des comptes spéciaux qui s'y rattachent.

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