ARTICLE 36
Ouverture du capital et actionnariat salarié
de
la compagnie nationale Air
France
Lors de
la première lecture, le Sénat a voté la suppression de cet
article. Il a ainsi suivi sa commission des finances, qui avait motivé
sa recommandation par plusieurs considérations très fortes. Deux
d'entre elles doivent être citées.
La première est une question de principe. Le présent
gouvernement, tout en s'abstenant d'ailleurs de soustraire Air France de la
liste des entreprises publiques privatisables, s'est engagé à
maintenir Air France dans le périmètre du secteur public. Cette
position, qui jure avec l'incapacité de l'Etat à accompagner
financièrement l'essor indispensable de la compagnie, hypothèque
son avenir. Par conséquent, le bon déroulement de l'ouverture
partielle du capital d'Air France organisée par l'article dans le cadre
de l'échange "salaires-actions" qu'il abrite et annoncée par
ailleurs par le gouvernement, pouvait apparaître à tout
observateur de bon sens comme compromis.
Une deuxième considération est relative au dispositif même
du présent article. La commission a considéré que le
mécanisme mis en place n'étant pas susceptible d'entraîner
l'adhésion des personnels concernés, ne serait-ce que parce que
ceux-ci semblent craindre les conséquence du maintien d'Air France dans
le secteur public, il n'était pas possible de recommander au
Sénat d'entériner ce qui apparaissait alors comme un acte
discutable de pure gestion interne de la compagnie.
Ayant pris acte de la volonté exprimée par le gouvernement que
l'Etat demeure le principal actionnaire d'Air France, ayant
considéré que cette volonté n'était pas conforme
aux intérêts de l'entreprise, de ses salariés et de l'Etat,
ayant supputé que l'article 36 serait, dans ces conditions,
inapplicable et s'étant, en conséquence, refusé à
entériner un dispositif de pure gestion interne de l'entreprise, la
commission a recommandé la suppression de cet article.
L'Assemblée nationale l'a rétabli en nouvelle lecture. Elle a
considéré que le dispositif organisé par cet article
était exempt de toute faiblesse et estimé que la
négociation qui suivrait son adoption aurait pour mérite "
de
placer les syndicats de pilotes devant leurs responsabilités
".
En outre, la commission des finances de l'Assemblée nationale a
opposé un argument technique à la position de la majorité
sénatoriale en faveur de la privatisation. Elle a jugé que "
la
valeur d'Air France n'est pas si importante (entre 10 et 15 milliards de
francs) qu'une privatisation puisse à elle seule assurer... les
investissements qu'Air France doit conduire dans les cinq années
à venir
".
Ces arguments ne sont pas de nature à modifier la position qu'avait
adoptée la commission des finances lors de la première lecture.
On soulignera d'ailleurs qu'un fait nouveau important est intervenu depuis.
Comme votre commission des finances l'avait craint, la voie empruntée
par le gouvernement a débouché sur une impasse. L'accord
collectif nécessaire à l'échange "salaires-actions" semble
avoir des chances presque nulles d'être conclu. C'est ce qui a conduit le
président d'Air France à, finalement, ouvrir une deuxième
piste pour réaliser les économies salariales recherchées
en proposant aux syndicats un gel des rémunérations des pilotes.
Cette proposition n'a guère rencontré de succès
jusqu'à présent.
Sur le fond, votre commission ne peut que s'étonner de la
légèreté de la méthode gouvernementale qui accule
l'entreprise à de graves difficultés sociales. L'échange
"salaires-actions" n'a manifestement pas fait l'objet, à l'amont, des
négociations qu'un tel projet appelait. La commission des finances de
l'Assemblée nationale est, par conséquent, bien mal fondée
à évoquer les vertus d'une négociation qui apparaît
avoir été bâclée. Il aurait fallu proposer un projet
mobilisateur. Le gouvernement, en figeant Air France dans le secteur public,
s'est lui-même interdit cette possibilité.
Le maintien d'Air France dans le secteur public constitue en effet un affront
au bon sens. L'Etat est fort mal placé pour accompagner le
développement d'une compagnie aérienne confrontée aux
exigences d'une entreprise fortement capitalistique, qui doit relever avec
souplesse les défis d'un marché extrêmement concurrentiel.
Un fait illustre à lui seul le tragique paradoxe de cette position qui
conduit l'Etat à se vouloir actionnaire majoritaire sans être en
mesure d'apporter un financement significatif aux investissements
nécessaires à l'essor et, finalement, à la
pérennité d'Air France.
Malgré cela, la commission des finances de l'Assemblée nationale
récuse toute idée de privatisation. Elle n'apporte aucun argument
à l'appui de cette position, se contentant d'estimer que la
privatisation d'Air France, compte tenu de la valeur médiocre de
l'entreprise, ne lui assurerait que peu de moyens financiers.
Ces développements appellent trois observations.
En premier lieu, il faut souligner que les partisans du maintien d'Air France
dans le secteur public ne peuvent se prévaloir d'aucun argument objectif
susceptible d'étayer leur position.
En deuxième lieu, votre commission ne partage aucunement
l'appréciation portée par celle de l'Assemblée nationale
sur la valeur de l'entreprise. Votre commission estime que la valeur d'Air
France est très supérieure aux 10 à 15 milliards de
francs évoqués par la commission des finances de
l'Assemblée nationale. Cette évaluation fait ressortir un "price
earning ratio"
12(
*
)
très
inférieur à 10, très éloigné donc des
montants usuellement constatés alors même qu'Air France,
désormais redressée, aborde avec l'atout incomparable de
l'extension de l'aéroport Charles de Gaulle une phase de
développement.
Enfin, votre commission n'attend pas de la privatisation d'Air France un apport
direct d'argent frais pour la compagnie, mais bien l'arrivée
d'actionnaires capables de participer au financement de son
développement. La cession des titres détenus par l'Etat se
traduirait, en effet, directement par un accroissement des recettes de l'Etat,
ce qui ne lui serait d'ailleurs pas inutile compte tenu des besoins de
financement du secteur public.
Ce n'est que dans un second temps que la privatisation d'Air France permettrait
à l'entreprise de disposer des moyens financiers de son
développement. Encore faut-il que la mise sur le marché de la
compagnie ouvre aux actionnaires futurs les perspectives d'en maîtriser
le devenir. Le maintien d'Air France dans le secteur public n'offre pas cette
perspective. C'est d'ailleurs l'une des raisons essentielles avancées
par les pilotes pour refuser l'échange "salaires-actions" que le
gouvernement souhaitait leur imposer.
Dans ces conditions, votre commission des finances ne peut que recommander
l'adoption d'un amendement rétablissant la suppression de la
présente disposition.
Ce faisant, elle a d'ailleurs le sentiment de mettre le droit en accord avec
les faits.
Décision de la commission : votre commission vous propose de
supprimer cet article.