EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Après avoir inclus cette priorité dans son programme de campagne
des élections législatives de 1997 et après avoir
procédé à des consultations dont il n'a pas rendu compte,
le Gouvernement a déposé deux projets de loi ayant pour objet de
renforcer le dispositif en vigueur en matière d'incompatibilité
des mandats électoraux et fonctions électives.
Lors de la présentation du projet de loi organique et du projet de loi
ordinaire en première lecture à l'Assemblée nationale,
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, a
indiqué que "
le Gouvernement s'est fixé un
objectif : proposer une limitation du cumul des mandats qui, loin
d'être dogmatique, tienne compte des réalités
".
Il ajoutait : "
l'état d'esprit du Gouvernement, comme
celui de votre commission des Lois, n'est nullement d'imposer le port d'une
sorte de cilice aux élus ou de faire oeuvre de puritanisme
(...).
Il faut redouter ceux qui aspireraient à trop charger la barque pour
mieux la voir sombrer
".
Tel est bien le sort qu'aurait néanmoins pu connaître cette
réforme en l'absence du bicamérisme qui permet aujourd'hui au
Sénat d'examiner sereinement ces deux projets de loi et de la recentrer
sur son propos essentiel.
Après la première lecture effectuée par l'Assemblée
nationale, les projets de loi comportent, en effet, désormais
55 articles au lieu des 25 initiaux.
Il ne s'agit pas seulement d'une croissance quantitative mais également
d'un changement de nature du champ de la réforme proposée qui
embrasserait désormais outre le régime des
incompatibilités
entre
mandats électoraux et fonctions
électives
(propos initial), celui des incompatibilités avec
diverses
fonctions
et activités
professionnelles
, celui
des conditions d'
éligibilité
et diverses dispositions
relatives à l'
exercice
des mandats et au
statut
de
l'élu.
S'agissant particulièrement d'une loi
organique
relative au
Sénat, pour laquelle l'article 46 de la Constitution impose un vote
dans les mêmes termes par les deux assemblées, et
l'article 61 prévoit le contrôle de droit du Conseil
constitutionnel, la commission des Lois a souhaité définir
clairement les termes du débat et éviter d'y mêler des
questions allogènes dont la recevabilité pourrait être mise
en cause.
Ayant observé que la législation en vigueur organisait d'ores et
déjà un régime d'incompatibilités entre mandats et
plafonnait les indemnités correspondantes, votre commission estime que
la réflexion sur l'évolution de ces textes ne doit conduire ni
à restreindre artificiellement la liberté de choix de
l'électeur, ni à cloisonner excessivement les niveaux de
responsabilité.
I. LES LOIS DE 1982, 1985 ET 1992 ONT DÉJÀ ÉTABLI LE PRINCIPE DES INCOMPATIBILITÉS ET PLAFONNÉ LES INDEMNITÉS
Un an
avant l'adoption des lois
organique et ordinaire du
30 décembre 1985
, relatives à la limitation du
cumul des mandats électoraux et des fonctions électives, les
statistiques
laissaient apparaître qu'environ 80 % de
députés et 90 % des sénateurs exerçaient
également au moins un mandat local.
Au total, 114 parlementaires de métropole exerçaient
également au moins deux autres mandats ou fonctions, parmi lesquels 86
étaient aussi maire et conseiller général
1(
*
)
La loi organique de 1985
autorise l'exercice d'un mandat parlementaire
avec
un seul
des mandats ou fonctions ci-après :
- parlementaire européen,
- conseiller régional,
- conseiller général,
- conseiller de Paris,
- maire d'une commune d'au moins 20.000 habitants ou maire-adjoint d'une
commune d'au moins 100.000 habitants.
La loi ordinaire de 1985
confirme l'incompatibilité entre les
fonctions de président de conseil régional et celles de
président du conseil général établie en 1982.
De plus, pour les élus locaux qui ne sont pas parlementaires, cette loi
limite à
deux
le nombre des fonctions et mandats susceptibles
d'être exercés simultanément, parmi ceux autorisés
aux parlementaires dans la limite d'un seul par la loi organique.
Enfin, les lois organique et ordinaire du 30 décembre 1985 ont
prévu une application échelonnée sur plusieurs
années des nouvelles règles qu'elles ont fixées.
Pour bien mesurer les résultats de la législation de 1985, il
convient de se reporter aux chiffres.
Un premier tableau récapitule les mandats et fonctions exercés
dans les assemblées locales par les députés et les
sénateurs.
Mandats ou fonctions exercés par les parlementaires
dans les collectivités territoriales au 1er octobre
1998
|
Assemblée nationale (1) |
Sénat (2) |
Mandats ou fonctions dans les
conseils municipaux
|
472
(81,9 %)
|
252
(78,5 %)
|
Mandats ou fonctions dans les
conseils généraux
|
207
(35,8 %)
|
165
(51,4 %)
|
Mandats ou fonctions dans les
conseils régionaux
|
64 (11
%)
|
28
(8,7 %)
|
Mandat européen |
2 (0,3 %) |
0 |
(1)
sur 574 sièges, compte tenu de trois vacances
(2) sur 321 sénateurs
Un deuxième tableau indique le nombre de mandats ou fonctions
exercés par les députés et les sénateurs.
Nombre des mandats exercés par les parlementaires
Parlementaires |
Assemblée nationale |
Sénat |
aucun mandat |
54 (9,4 %) |
51 (15,9 %) |
1 mandat |
295 (51,4 %) |
118 (36,7 %) |
2 mandats |
225 (39,2 %) |
152 (47,4 %) |
Il se
trouve une proportion comparable de députés et de
sénateurs détenant un mandat municipal (respectivement 81,9 % et
78,5 %) ou une fonction de maire (53,8 % et 50,7 %).
Si la proportion de ceux qui détiennent un mandat ou une fonction au
conseil général est plus nombreuse pour les sénateurs que
pour les députés, la situation est inversée pour les
conseils régionaux, où les députés sont
proportionnellement plus nombreux à exercer un mandat ou une fonction.
S'agissant du nombre des mandats et fonctions locales exercés par un
parlementaires, on constate que
15,9 % des sénateurs n'exercent
aucun autre mandat, ce qui n'est vrai que de 9,4 % des
députés.
Depuis 1958, les indemnités de fonction des maires et adjoints
n'étaient versées aux parlementaires qu'à concurrence de
la moitié de leur montant.
Depuis 1992 (loi n° 92-175 du 25 février 1992),
l'élu titulaire de plusieurs mandats électoraux
ou qui
siège à ce titre au conseil d'administration d'un
établissement public local ou d'une société
d'économie mixte locale
ne peut percevoir, pour l'ensemble de ces
fonctions un montant total de rémunérations et
d'indemnités de
fonction supérieur à une fois et
demie le montant de
l'indemnité parlementaire
(article L. 2123-20-II du code général des
collectivités territoriales).
Le plafond est fixé à 48.750 F par mois depuis le 1
er
avril 1998.
En cas de dépassement, l'écrêtement s'effectue sur les
indemnités locales.
L'idée trop souvent véhiculée selon laquelle le
" cumul des mandats serait lié à celui des
indemnités " est donc contredite par la législation en
vigueur.