C. LES RÉFORMES INDISPENSABLES SONT ENCORE REPOUSSÉES
Aux yeux de votre rapporteur, deux réformes semblent particulièrement prioritaires et devraient être entreprises dans les meilleurs délais : la réforme des régimes spéciaux de retraite et la création de fonds de pension.
1. La nécessaire réforme des régimes spéciaux de retraite
Dans le
secteur public où aucune réforme n'a encore été
réalisée, le paiement des pensions constituera à terme une
charge considérable pour le budget. Entre 1995 et 2015, en francs
constants, les pensions à la charge du budget de l'Etat seraient
multipliées par 2,1, celles à la charge de la CNRACL par 3,2.
Votre rapporteur a bien conscience que la question des régimes
spéciaux est un sujet délicat. L'annonce d'une possible
réforme de ces régimes dans le cadre du plan Juppé
présenté à l'automne 1995 a en effet été en
partie à l'origine des mouvements sociaux des mois de
novembre-décembre 1995 et l'ampleur des protestations a conduit au
retrait des projets annoncés et, plus largement, à un blocage des
processus de réforme dans ce secteur.
Or, les perspectives financières de ces régimes ne sont pas plus
favorables que celles du régime des salariés : exprimé en
points de cotisation, le besoin de financement du régime des
fonctionnaires civils s'élève à plus de 10 points d'ici
2005 et celui des agents des collectivités locales à plus de
16 points. Ces régimes n'ont amorcé aucune réforme
alors que leur rapport démographique va se dégrader rapidement
dès l'an 2000, spécialement pour les fonctionnaires de l'Etat et
des collectivités locales.
Votre rapporteur estime par conséquent qu'il est aujourd'hui
indispensable d'engager sans tarder une réflexion en profondeur sur la
nature, les conditions d'équilibre et l'avenir de ces régimes.
La première étape d'une réforme pourrait être
l'institution d'un régime de retraite des fonctionnaires de
l'Etat.
2. L'introduction d'un complément de retraite par capitalisation, sous la forme de fonds de pension.
Les mots
" capitalisation " et " fonds de pension " soulèvent
débats et polémiques. La capitalisation existe pourtant
déjà dans le secteur privé comme dans le secteur public.
Dans le secteur public, on citera notamment le régime PREFON
destiné aux fonctionnaires et regroupe 160.000 adhérents pour 15
milliards de francs gérés. S'agissant du secteur privé, il
suffit d'évoquer les 150 régimes supplémentaires
d'entreprises existant aujourd'hui ou le dispositif créé par la
loi Madelin auquel avaient déjà souscrit 150.000
non-salariés à la fin de l'année 1996.
Un fonds de pension regroupe des fonds externes aux entreprises -les
créances qu'il représente ne figure pas au bilan-,
créé et alimenté par des accords contractuels dans
l'entreprise, la branche ou le secteur d'activité, à
adhésion facultative ou obligatoire. Le fonds de pension est investi en
actions, obligations ou immobilier
14(
*
)
.
Un fonds de pension est donc un système d'épargne, avec comme
objectif unique de verser un complément de revenu après la
retraite. Il peut être alimenté aussi bien par l'adhérent
que par l'entreprise. les droits acquis sont gérés selon un
principe de capitalisation, c'est-à-dire accumulés jusqu'à
la date de retraite effective, dans un compte ouvert au nom de chaque
bénéficiaire.
Votre commission considère depuis longtemps que l'introduction d'un
complément de retraite par capitalisation, sous la forme de fonds de
pension, est une réforme indispensable.
Le Gouvernement semble aujourd'hui se rallier enfin à cette position.
Votre rapporteur ne peut que s'en féliciter.
L'actuelle majorité a été pendant très longtemps
hostile à l'idée même de fonds de pension. Le Gouvernement
avait ainsi annoncé depuis l'origine qu'il n'appliquerait pas la loi du
25 mars 1997 créant les plans d'épargne-retraite, dite " Loi
Thomas ". Dans sa déclaration de politique générale,
M. Lionel Jospin avait indiqué que
" les dispositions
récemment adoptées en faveur des fonds de pension qui peuvent
porter atteinte aux régimes par répartition seront remises en
cause. "
La loi du 25 mars 1997 est donc restée inappliquée, faute de
décrets d'application. Le Gouvernement ne s'était pas
résolu pour autant à l'abroger. Comme l'a souligné, non
sans un certain cynisme institutionnel, M. Dominique Strauss-Kahn,
" l'abrogation de cette loi serait même à la limite
inutile car les décrets d'application n'ont jamais été
pris par ce Gouvernement, en sorte qu'elle ne peut avoir d'application
concrète ".
De manière assez ironique, la conversion soudaine du Gouvernement -et de
sa majorité- à la capitalisation a été
annoncée à l'occasion de la discussion à
l'Assemblée nationale, lors de l'examen du projet de loi de financement
de la sécurité sociale pour 1999, d'un amendement
présenté par le groupe communiste abrogeant la loi du 25 mars
1997 créant les plans d'épargne-retraite.
Lors du débat sur cet amendement, le 28 octobre 1998
15(
*
)
, Mme Martine Aubry a
déclaré que le Gouvernement n'était pas opposé
" à la constitution d'une épargne à long terme,
complétant, et non concurrençant, la retraite par
répartition, contrairement à ce que faisait le dispositif
prévu par la loi Thomas. ".
La ministre a précisé
qu'elle avait travaillé en collaboration avec le ministre de
l'économie et des finances, dans le cadre de la mission confiée
à MM. Didier Migaud et Jérôme Cahuzac, sur l'architecture
de ce troisième étage qui constituait
" un
complément de la retraite par répartition ".
Elle a ensuite décrit les trois caractéristiques du
système que le Gouvernement entendait mettre en place dès
1999 :
-
" il sera conçu dans un cadre collectif et sera
accessible réellement à l'ensemble des salariés, notamment
grâce à des dispositifs de solidarité "
;
-
" les avantages qu'il offrira devront profiter à
l'ensemble des salariés et ne pas fragiliser les comptes de la
sécurité sociale, aussi bien en ce qui concerne l'assurance
maladie que les retraites "
;
-
" les partenaires sociaux devront être associés
à sa mise en oeuvre et à son contrôle ".
La ministre a également ajouté qu'il s'agissait de faire en sorte
" qu'une partie de l'épargne consolide l'effort productif,
l'effort d'investissement des entreprises et donc, à terme, le
développement des richesses ".
Elle a conclu en déclarant que le Gouvernement était d'accord
pour à la fois abroger la loi Thomas, consolider le régime par
répartition et élaborer un système
d'épargne-retraite respectant les principes énoncés plus
haut.
La ministre a cependant précisé que l'abrogation de la loi du 25
mars 1997 ne semblait pas avoir sa place dans la loi de financement de la
sécurité sociale et serait inscrite dans le projet de loi portant
diverses mesures d'ordre social (DMOS) examiné par le Parlement au
début de l'année 1999.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de
l'industrie, est intervenu pour indiquer qu'il était
" nécessaire de mettre en place un instrument d'épargne
à long terme ". " Non seulement cela répondra aux
besoins des épargnants, mais des masses de capitaux considérables
pourront ainsi se constituer et assurer à notre pays la maîtrise
de son appareil productif. "
a-t-il ajouté.
Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a conclu son
intervention en indiquant que le Gouvernement présenterait très
rapidement, en 1999, un texte spécifique ou, à l'occasion d'un
autre texte, un certain nombre d'articles,
" définissant les
caractéristiques de ce produit d'épargne collectif,
destiné au plus grand nombre, contrôlé par les
salariés, engageant la solidarité, ne mettant pas en cause le
système de répartition tout en répondant à un
besoin d'épargne individuel et à un besoin d'accumulation du
capital sur le sol national ".
Votre rapporteur se plaît à saluer ce " chemin de
Damas ". Il attend avec beaucoup d'intérêt et une certaine
impatience ce projet de loi dont ne sait s'il sera présenté par
le ministre de l'emploi et de la solidarité ou par le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie.
3. Des réflexions de plus long terme
A
plus long terme, deux débats de fond devront en outre être
abordés : la définition d'un mode d'indexation des pensions
sur longue période et le nécessaire allongement de la
durée de la vie active.
•
L'indexation des pensions
sur les prix instaurée
dans la pratique depuis 1987 était une mesure indispensable qui a permis
de préserver la situation financière des régimes de
retraite. Il serait d'ailleurs nécessaire qu'elle soit prolongée
dans les prochaines années.
L'indexation des pensions sur les prix est un mécanisme qui ne peut
toutefois être considéré comme totalement satisfaisant sur
une longue période. En période de hausse de la
productivité, elle conduit à terme à une
dégradation importante de la situation relative des retraités les
plus âgés, écartés des bénéfices de la
croissance. En période d'inflation, elle favorise les retraités
aux dépens des actifs.
Votre rapporteur serait favorable à l'introduction d'un mécanisme
de revalorisation du type " salaires nets - x % ", à l'image
de ce qui existe dans les régimes ARRCO-AGIRC où les
revalorisations s'effectuent selon un taux égal à
l'évolution des salaires nets - 1 %.
Il reste naturellement à déterminer ce que serait la variable x.
Un tel mécanisme permettrait toutefois d'associer les retraités
aux " fruits de la croissance " sans pour autant dégrader trop
sensiblement les comptes des régimes de retraite.
•
Allonger la durée de la vie active
est en principe
une des façons les plus efficaces d'éviter que le vieillissement
de la population ne se traduise par des déficits considérables ou
une forte augmentation des cotisations sociales.
En déplaçant la limite qui sépare l'activité de
l'inactivité de 60 à 65 ans, on diminuerait en 2040 de
près d'un tiers le ratio de dépendance démographique
(inactifs/personnes d'âge actif).
Ceci supposerait de continuer à accroître la durée de
cotisation nécessaire pour bénéficier d'une retraite
à taux plein. Celle-ci sera déjà portée de 37,5
années en 1993 à 40 années en 2003 dans le régime
général. Il conviendra probablement d'aller au-delà pour
l'ensemble des régimes de retraite.
A plus long terme, on peut également envisager un recul de l'âge
légal de départ à la retraite, c'est-à-dire
à partir duquel il devient possible de toucher une pension, aujourd'hui
fixé à 60 ans.
Le principal obstacle à l'allongement de la durée de la vie
active réside cependant dans le fonctionnement du marché du
travail qui exclut de manière de plus en plus prématurée
les personnes les plus âgées. La France a en effet pour
caractéristique de présenter à la fois le plus faible taux
d'activité avant 25 ans et après 55 ans et la plus forte
réduction de l'activité aux âges élevés.
Comme le fait observer M. Olivier Davanne,
" il y aurait une certaine
hypocrisie à vouloir baisser significativement les taux de remplacement
offerts par les régimes de retraite à 60 ans sans
réfléchir aux moyens de garantir un accès à
l'emploi après cet âge. "
L'allongement de la durée d'activité suppose un changement des
mentalités et la création d'un marché du travail pour les
salariés âgés, avec l'encouragement du travail à
temps partiel ou à temps choisi.
*
* *
Sous réserve de ces observations et des amendements qu'elle propose dans le tome IV du présent rapport, votre commission vous demande d'adopter le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 pour ses dispositions relatives à l'assurance vieillesse.