III. BILAN ET FUTUR DE LA CONFÉRENCE INTERPARLEMENTAIRE SUR LA STABILITÉ, LA COORDINATION ÉCONOMIQUE ET LA GOUVERNANCE, UNE DÉCENNIE APRÈS SA CRÉATION
Mme Diane Fromage, chercheuse individuelle Marie Sklodowska-Curie

1. Introduction : La Conférence, ses origines et ses caractéristiques

À la suite à la crise économique et financière qui sévit en Europe et dans le monde à la fin des années 2000, nombre de mesures furent adoptées au niveau de l'Union européenne (et de ses États membres) afin principalement de garantir la pérennité de la monnaie unique. Parmi ces mesures on compte la réforme du Pacte de Stabilité et de Croissance de 1997 par deux paquets législatifs (« Six Pack » et « Two Pack »),126(*) mais aussi des traités intergouvernementaux parmi lesquels le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (TSCG) approuvé en 2012, soit il y a une décennie.

Ces réformes avaient eu pour effet de restreindre les prérogatives des parlements nationaux en matière budgétaire en ce sens qu'ils sont désormais davantage contraints dans leurs choix budgétaires et que ceux-ci s'opèrent dans un dialogue avec les instances européennes, en particulier la Commission européenne, dans le cadre de la procédure dite du Semestre européen.127(*) Dans le même temps, les possibilités de contrôle et d'influence attribuées au Parlement européen n'ont évolué qu'à la marge dans la mesure où elles sont largement restées cantonnées à des possibilités de dialoguer sans aller jusqu'à la possibilité de co-décider, tel que cela est désormais majoritairement la règle dans l'action européenne.128(*) Toutefois, le TSCG a prévu que « le Parlement européen et les parlements nationaux des parties contractantes définissent ensemble l'organisation et la promotion d'une conférence réunissant les représentants des commissions concernées du Parlement européen et les représentants des commissions concernées des parlements nationaux afin de débattre des politiques budgétaires et d'autres questions régies par le présent traité » (article 13). Bien que contenu dans un traité intergouvernemental conclu en dehors du cadre juridique de l'Union, cet article se réfère au Titre II du protocole n° 1 sur le rôle des parlements nationaux annexé aux traités de l'Union qui porte sur la coopération interparlementaire.

Le titre II est composé de deux articles, les articles 9 et 10, qui contiennent d'une part une référence générale à la coopération entre Parlement européen et parlements nationaux (article 9) et, d'autre part, une référence implicite à la Conférence des Organes Parlementaires Spécialisés dans les Affaires de l'Union des Parlements de l'Union Européenne (COSAC, article 10).129(*) La conférence prévue à l'article 13 TSCG aurait donc pu être établie sous deux formes : soit sous la forme d'une nouvelle conférence interparlementaire tel qu'il en a finalement été décidé, soit sous la forme d'une sous-conférence thématique de la COSAC. La première option fut privilégiée, entre autres raisons parce qu'elle permettait de ne pas être contraint de prévoir la participation d'un nombre identique de parlementaires européens et de parlementaires nationaux, tel que cela est le cas au sein de la COSAC où six eurodéputés et six députés par parlement national se réunissent tous les six mois.130(*) En plus de la question du nombre d'eurodéputés (et, plus généralement, de la taille des différentes délégations sur laquelle aucun accord ne put finalement être trouvé), se posait encore, parmi d'autres questions, celle de la possibilité - ou non - pour les États non-signataires d'être membres à part entière de la Conférence. En effet, tous les États membres de l'Union n'ont pas voulu être liés par tout ou partie du TSCG : la République Tchèque et le Royaume Uni s'y sont opposés totalement, alors que la Croatie ne faisait alors pas encore partie de l'Union européenne. Néanmoins, il fut décidé que les parlements de tous les États de l'Union participeraient à la Conférence interparlementaire, qui s'apparente finalement aux autres conférences interparlementaires, que ce soit celles qui existaient déjà lors de sa création ou celles qui ont été créées depuis lors131(*).

Sans vouloir ici à nouveau relater les difficultés qui entourèrent les négociations qui ont précédé l'établissement de la Conférence interparlementaire sur la Stabilité, la Coordination économique et le Gouvernance - qui sera désignée ici en tant que « Conférence article 13 » tel qu'elle l'est communément dans la pratique -, il convient de rappeler que ces négociations furent particulièrement longues et fastidieuses132(*). Elles débutèrent en 2013 pour ne s'achever qu'en 2015 car différentes visions s'opposaient, notamment quant à la finalité de la Conférence et à son champ d'action, ou à la taille des délégations, sujet sur lequel aucun accord ne put être trouvé comme mentionné précédemment.

En vertu de son règlement d'ordre intérieur,133(*) la Conférence « est un cadre de référence pour le débat et l'échange d'informations et de meilleures pratiques pour la mise en oeuvre des dispositions du Traité, afin de renforcer la coopération entre les parlements nationaux et le Parlement européen et de contribuer à assurer la responsabilité démocratique dans le domaine de la gouvernance économique et des politiques budgétaires de l'UE, en particulier de l'UEM, en tenant compte de la dimension sociale et sans préjudice des compétences des parlements de l'UE » (article 2.1, nous soulignons)134(*). La Conférence se réunit deux fois par an, étant entendu que la première réunion annuelle se tient à Bruxelles et est co-organisée par le parlement de l'État qui assume la présidence tournante du Conseil et par le Parlement européen, alors que la seconde réunion annuelle relève de la seule responsabilité du parlement assumant la présidence et a lieu au sein de cet État membre (article 3.1). Qui plus est, la même division des responsabilités s'applique dans la définition des ordres du jour (article 3.4). La Conférence fonctionne en outre sur la base du consensus (article 3.7). En ce sens, elle s'apparente aux autres conférences interparlementaires existantes, à l'exception de la COSAC qui, seule, peut adopter des contributions à la majorité qualifiée (article 7.5 Règlement de la COSAC). Enfin, des conclusions de la présidence - non contraignantes - peuvent être présentées (éventuellement de concert avec le Parlement européen lors de la première réunion annuelle ; article 6.1).

Dans la mesure où le processus de création de la Conférence avait été fastidieux, et surtout dans la mesure où nombre de réformes sont intervenues depuis lors dans le domaine de l'Union Économique et Monétaire (UEM) provoquant encore un transfert de compétences au profit des instances européennes, et alors que la France assume la présidence tournante du Conseil, il apparaît d'autant plus nécessaire de dresser le bilan de dix ans de coopération interparlementaire en matière économique (2) afin d'esquisser quelques pistes souhaitables d'évolution future (3).

2. Bilan de huit ans de coopération interparlementaire en matière économique

Le bilan proposé ici s'attache principalement à démontrer que certains des éléments de tension qui étaient présents lors de la création de la Conférence se sont désormais atténués sinon résorbés (A). Il permet également de souligner que si cette Conférence s'est bien réunie tel que prévu, on observe toutefois une importante évolution (B). Enfin, il s'agit encore ici de relever comment d'autres initiatives sont venues progressivement palier les lacunes de la Conférence de l'article 13 (C). Chacun de ces aspects sont examinés successivement dans les paragraphes suivants.

a) Une Conférence qui n'a finalement pas pâti des tensions qui avaient entaché sa création

Force est tout d'abord de constater que la question du nombre de participants par délégation nationale n'a, finalement, pas causé de problèmes dans la pratique dans la mesure où même lorsque les réunions ont lieu en ligne tel que cela a été le cas au cours des années 2020 et 2021, les délégations ne sont pas plus nombreuses qu'elles ne le sont dans le cadre des autres conférences interparlementaires qui, elles, limitent par exemple à six le nombre de membres participants (COSAC). Bien au contraire, une analyse des listes de participants disponibles sur la plateforme IPEX révèle que les délégations sont plutôt peu nombreuses, voire composées uniquement d'administrateurs et non de parlementaires quand bien même la Conférence est censée permettre les échanges entre acteurs politiques. En réalité, il semblerait donc qu'une tendance à la baisse du nombre de parlementaires inscrits se dessine au cours des dernières années (pour certaines chambres à tout le moins) et ce, alors qu'assister aux réunions est désormais particulièrement aisé et peu couteux. Ce phénomène n'est toutefois pas uniquement visible dans le cadre de cette Conférence mais il est plus répandu puisqu'il est fréquent dans le cadre des autres conférences également que les parlements ne fassent pas usage de tous les quotas de participants auxquels ils auraient droit.

Une étude qualitative individuelle spécifique à chaque chambre ou à chacun des parlementaires serait nécessaire pour déterminer s'il s'agit, dans le cadre la Conférence article 13 comme dans celui des autres conférences, de l'expression d'un déclin d'intérêt en général, d'une absence d'intérêt des sujets traités lors d'une réunion particulière, ou encore de l'expression d'une fatigue générale face aux rencontres virtuelles devenues particulièrement nombreuses depuis le début de la pandémie de Covid-19. Quoi qu'il en soit, on constate indubitablement que même si certaines des délégations ont pu être assez nombreuses et dépasser les six membres par État, ce n'est pas là une tendance générale qui s'applique à tous.

On constate également que la distinction entre États signataires du TSCG et ceux ne l'étant pas ne s'est pas opérée dans la pratique non plus puisque les délégations tchèques sont, par exemple, plutôt nombreuses en règle générale. En revanche, les délégations croates ont pu être de taille plus restreintes et peut-être le facteur géographique a-t-il joué un rôle dans les fluctuations qui ont existé au cours du temps puisque les députés croates étaient plus nombreux qu'ils n'avaient pu l'être en d'autres occasions lorsque la Conférence s'est réunie à Ljubljana.

Par ailleurs, alors que la question de la définition du domaine de compétence de la Conférence avait fait l'objet de discussions lors de sa création, rien dans les débats accessibles ne laisse présager que cette question ait continué à poser quelconque difficulté. Au contraire, d'autres sujets qui ne sont pas directement liés aux problématiques du TSCG, tels que la reconstruction économique après la pandémie, ont pu faire l'objet de débats, ce dernier sujet ayant été abordé lors de la réunion qui s'est tenue au cours de la présidence slovène en septembre 2021. C'est en ce sens que, comme nous le développerons dans la section suivante, il est à déplorer que certaines problématiques, pourtant très importantes, n'aient à aucun moment été inscrites à l'ordre du jour des réunions de la Conférence, ou ne l'aient été que trop peu fréquemment.

Enfin, la coordination entre la Conférence et l'initiative de la Semaine parlementaire européenne organisée tous les ans par le Parlement européen depuis 2012 semble désormais bien s'articuler, d'autant que tant la Conférence que la Semaine parlementaire a été considérablement raccourcie. Le Parlement européen lança en effet une Semaine parlementaire européenne (European Parliamentary Week)135(*) afin de faciliter la coopération interparlementaire sur le Semestre européen après que le Six Pack et le TSCG avaient été approuvés. Au cours des premières années de fonctionnement de ces initiatives, certains choix quant à l'inscription de certaines thématiques dans le cadre de la Semaine parlementaire (ou plus précisément de la Conférence sur le Semestre européen qui compose la Semaine avec la Conférence de l'article 13) alors qu'elles auraient dû être logiquement débattues dans le cadre de la Conférence de l'article 13 ont pu interroger l'observateur extérieur, même si ce sont probablement des préférences politiques qui les expliquaient. La distinction claire entre la partie du programme dédiée à la Conférence sur le Semestre européen et celle dédiée à la Conférence de l'article 13 ayant été largement gommée depuis invite néanmoins à penser que ces difficultés - voire une certaine concurrence entre ces initiatives - n'ont pas perduré dans le temps.

b) Une décennie de coopération interparlementaire marquée par d'importantes évolutions

Il en est ainsi car la Conférence, et la coopération interparlementaire en matière économique d'une manière plus générale, ont fait l'objet d'une importante évolution depuis qu'elles débutèrent il y a dix ans.

La modification la plus importante a sans doute trait aux changements qui ont affecté la première des deux réunions annuelles de la Conférence organisée autour des mois de février et mars. En effet, même avant la crise de Covid-19, la « Semaine parlementaire » s'était réduite à un voire deux jours. La seconde conférence annuelle organisée par le parlement de la présidence a vu sa durée largement maintenue à deux jours (comme il en est également d'usage dans le cadre des autres réunions interparlementaires), exception faite de celle organisée à l'automne 2021 alors que la pandémie sévissait lourdement.

Le format adopté a pu varier puisque jusqu'à l'édition de 2022 il avait été d'usage que la Conférence sur le Semestre européen soit l'occasion de réunions interparlementaires de commissions (interparliamentary committee meetings, ICMs), que parlementaires nationaux et européens apprécient tout particulièrement car ils permettent un échange plus concentré entre un nombre plus réduit d'experts.136(*) En revanche, en 2022, le choix s'est plutôt porté sur une Conférence entre experts (High level conference) sur le plan de relance européen. Il conviendra d'observer si ce changement a vocation à devenir pérenne ou bien si, au contraire, et tel que cela serait sans doute souhaitable pour permettre en meilleur échange plus ciblé entre parlementaires, le choix se porte à nouveau sur des ICMs dans le futur.

Par ailleurs, comme souligné précédemment, la taille des délégations a fluctué, et aurait eu plutôt tendance à devenir moins importante au fur et à mesure que le temps passait. On devra là encore continuer d'observer comment cette tendance évolue par la suite alors que les États membres (et l'Union) sont appelés à mettre en oeuvre, et surtout à trouver un moyen de financer, le plan de relance européen. En effet, parlements nationaux et européen ont incontestablement un besoin, et surtout un devoir, d'échanger étroitement les informations qui se trouvent en leur possession. Le plan de relance Next Generation EU est unique (et risqué) à bien des égards.137(*) Il repose sur des fonds européens levés toutefois sur les marchés grâce à la garantie apportée par les États membres qui se substitueraient à l'Union si celle-ci ne devait pas être en mesure de rembourser ses dettes. Puis, dans la mesure où sa mise en oeuvre a été inscrite dans le cadre du Semestre européen préexistant qui visait à une meilleure coordination entre les politiques économiques et fiscales nationales, ce Plan vient, encore une fois, affecter les prérogatives des parlements nationaux en matière économique. Au-delà de ces raisons, un devoir incombe aux parlements nationaux et au Parlement européen de tout faire pour que ce Plan n'échoue pas sous peine de quoi la confiance que les citoyens portent au processus d'intégration risquerait d'être encore une fois érodée. C'est pourquoi une participation forte et engagée au sein de la Conférence de l'article 13 (et de la Semaine parlementaire) - qui doivent être l'occasion d'échanges effectifs et réguliers sur le Plan - est primordiale et doit être encouragée et encore améliorée tel que rappelé en conclusion.

Les thématiques abordées dans le cadre de la Conférence ont, quant à elles, été marquées par une certaine continuité, et ont évolué au gré de l'avancement des débats qui se tiennent au niveau européen, tel que cela est bien normal et logique. Ainsi, la question de la réforme du Pacte de Stabilité et de l'intégration dans le domaine de l'UEM a-t-elle par exemple été régulièrement abordée, de même que celle de la lutte contre l'évasion fiscale. D'autres sujets, tels que les enjeux liés à la digitalisation ou les vingt ans de l'euro, ont été débattus de manière plus ponctuelle pour répondre soit aux priorités politiques du parlement de la présidence, soit à la survenue d'événements contemporains. On peut par contre déplorer que certains sujets, tels que l'Union bancaire ou la régulation financière, n'aient pas été suffisamment analysés : le sujet de l'Union bancaire ne l'a pas été depuis 2014 et ce alors même que nombre de développements sont intervenus dans ce domaine au niveau européen, tant en termes d'évolution du cadre juridique, que de difficultés rencontrées par des banques qui ont requis son activation.

c) Des initiatives venues compléter et palier les lacunes de la Conférence de l'article 13

Une analyse de la Conférence de l'article 13 et de son évolution ne saurait être complète si elle ne tenait pas compte d'autres développements venus la compléter voire palier ses lacunes.

Cela est tout d'abord vrai de la Conférence du Semestre européen, même si une simplification et une refonte de ces deux initiatives (Conférence du Semestre européen et réunion de la Conférence de l'article 13 du début d'année) en une seule seraient sans doute les bienvenues.

C'est également vrai de la réunion interparlementaire organisée régulièrement au niveau administratif par l'unité « EGOV » (Economic Governance Support Unit) du Parlement européen.138(*) Ces réunions permettent l'échange d'informations et de bonnes pratiques à un niveau technique, par exemple sur la façon dont le suivi parlementaire du Semestre européen est organisé. En plus de ces réunions sur le Semestre européen, des briefings techniques sont également organisés en marge de la Semaine parlementaire afin de permettre l'échange entre administrateurs des parlements nationaux et européen, mais aussi avec les administrateurs de la Commission européenne.

Ces deux initiatives visant à promouvoir la coordination au niveau administratif doivent indubitablement être saluées. Tel que souligné en introduction, les nombreuses réformes introduites au niveau européen au cours de la dernière décennie ont fortement affecté le rôle des parlements nationaux en matière économique et budgétaire : il est souvent fait référence au fait qu'ils ont été dépossédés de leurs compétences dans ces domaines au profit de leur gouvernement qu'ils ne peuvent pas toujours contrôler de manière adéquate. En effet, même lorsque les parlements peuvent contrôler individuellement la position de « leur » représentant au Conseil ou au Conseil européen, il n'en demeure pas moins qu'un mécanisme de contrôle collectif de ces organes continue de faire défaut139(*). Qui plus est, en particulier dans le cadre de la crise de la zone euro et dans une moindre mesure dans le cadre de la crise de Covid-19, l'Eurogroupe informel a joué un rôle clef. Cette préférence pour cet organe informel a néanmoins eu des conséquences désastreuses pour les parlements nationaux dont les capacités de contrôler ce qu'il s'y passe sont plus limitées, tant au niveau national car ils sont souvent dépourvus d'instruments de contrôle spécifique, qu'au niveau européen dans la mesure où les obligations de transparence et de publicité afférentes aux réunions de l'Eurogroupe sont moindres que celles qui sont normalement d'application dans le cadre des réunions du Conseil.140(*) Enfin, les procédures mises en place dans le cadre du Semestre européen, et a fortiori celles que requiert la mise en oeuvre du plan de relance européen se caractérisant par un degré élevé de complexité, toute initiative qui permettrait aux parlements d'être mieux informés et mieux à même d'exercer le rôle de contrôle qui leur incombe ne peut qu'avoir des effets positifs. Cela est d'autant plus vrai lorsque cette initiative permet de faire dialoguer les niveaux national et européen dont le rôle dans ces procédures diffère tout en étant néanmoins résolument complémentaire pour les motifs déjà énoncés.

3. Conclusion : Réflexions sur le futur de la Conférence

Quelle conclusion tirer des huit ans d'existence de la Conférence de l'article 13 ?

Cette Conférence, et la coopération interparlementaire en matière d'UEM, fonctionne avec régularité. Certaines initiatives, notamment au niveau technique, sont venues progressivement compléter les échanges qui pouvaient exister au niveau politique. Pourtant, on peut regretter que cette Conférence, et la coopération interparlementaire dans ce domaine, ne voient pas leur potentiel totalement exploité.

Ainsi, tel que relevé précédemment, certains sujets sont abordés de façon récurrente alors que d'autres, tels que l'Union bancaire, sont largement négligés. Il serait donc souhaitable que les sujets débattus au sein de la Conférence de l'article 13 soient plus variés.

Puis, pour que les travaux de la Conférence puissent espérer avoir un quelconque impact, et pour que les participants puissent exprimer leurs préférences politiques et pour que donc l'engagement dans les travaux qui se déroulent dans ce cadre revêtent un quelconque intérêt pour les députés nationaux et européens, il importe que soit instaurée la possibilité d'approuver des contributions telles que cela est possible dans le cadre de la COSAC. En effet, comme souligné en introduction, à l'heure actuelle seule la possibilité d'adopter des conclusions de la présidence existe, et elle a même été parfois remplacée par de simples résumés de la présidence. Qui plus est, la Conférence est censée fonctionner sur la base du consensus. On pourrait, pour mieux faire, modifier le mode décisionnel existant en permettant le recours à la majorité qualifiée.

En vue de garantir l'attractivité de la Conférence, il serait souhaitable que de véritables échanges soient instaurés avec les Commissaires en charge, et que le contact avec ces Commissaires ne se limitent pas à des discours sans qu'une réelle possibilité de dialogue n'existe. Il conviendrait également de capitaliser sur l'expérience désormais acquises en termes de dialogues virtuels pour mettre en place, sur une base informelle, un dialogue collectif régulier - et non plus seulement sporadique - entre Commissaires et parlementaires nationaux et européens. En effet, si ces échanges sont cantonnés aux seules réunions semestrielles de la Conférence, le risque existe qu'ils ne demeurent superficiels. En outre, le potentiel qu'ils pourraient avoir pour rendre ces procédures hautement techniques plus attractives aux yeux de parlementaires nationaux et européens déjà très occupés s'en trouve réduit d'autant.

Pour contribuer à améliorer l'attractivité des échanges interparlementaires et la volonté d'engagement politique, il faudrait également que les réunions de groupes politiques qui ont pu être organisées dans le cadre de la Conférence le soient de manière absolument systématique.

Il faudrait encore que le format et le contenu du programme de la Conférence soient flexibles : une session devrait toujours être réservée aux sujets d'actualités, alors que les échanges en eux-mêmes devraient être dynamiques et non se résumer à une série d'intervention extrêmement brèves préparées en amont par les parlementaires. On pourrait encore étudier l'opportunité de fusionner la Conférence sur le Semestre européen et la réunion de la Conférence article 13 organisée en début d'année à des fins de simplification et d'une meilleure lisibilité.

Enfin, il est absolument primordial que le sujet du plan de relance européen soit désormais automatiquement inscrit à tous les ordres du jour des réunions de la Conférence, en plus de faire l'objet de réunions intermédiaires informelles.

C'est seulement si les membres de la Conférence se saisissent de ces enjeux et introduisent encore des changements dans le fonctionnement et dans leur usage de la Conférence de l'article, ainsi que dans leur pratique de la coopération interparlementaire dans ce domaine, qu'ils parviendront à compenser la perte d'influence que l'adoption au niveau européen de mesures pour lutter contre la crise économique et financière et contre la crise covid a provoqué. La guerre qui sévit actuellement en Ukraine et les conséquences économiques qu'elle a déjà provoquées ne font que renforcer la nécessité et l'urgence d'une mobilisation en ce sens si l'on entend préserver l'économie européenne, et faire barrage à l'euroscepticisme galopant dans nombre d'États de l'Union.


* 126 Le Six Pack comprend cinq règlements et une directive (Règlement n° 1173/2011 du 16 novembre 2011 sur la mise en oeuvre efficace de la surveillance budgétaire dans la zone euro ; Règlement n° 1174/2011 du 16 novembre 2011 établissant des mesures d'exécution en vue de remédier aux déséquilibres macroéconomiques excessifs dans la zone euro ; Règlement n° 1175/2011 du 16 novembre 2011 modifiant le règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques ; Règlement n° 1176/2011 du 16 novembre 2011 sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques ; Règlement n° 1177/2011 du 8 novembre 2011 modifiant le règlement (CE) n° 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs ; Directive 2011/85/UE du 8 novembre 2011 sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres). Le Two Pack est composé de deux règlements qui ne s'appliquent toutefois qu'aux seuls États membres de la zone euro (Règlement nº 473/2013 du 21 mai 2013 établissant des dispositions communes pour le suivi et l'évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro ; Règlement nº 472/2013 du 21 mai 2013 relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres de la zone euro connaissant ou risquant de connaître de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière).

* 127 Inter alia Crum, Ben (2020) `Democratic legitimacy in the post-crisis EMU', Journal of European Integration, p. 406. D'aucuns ont néanmoins considéré que certains parlements nationaux avaient au contraire vu leurs prérogatives en matière budgétaires renforcées dans la mesure où ils avaient été jusqu'alors largement dominés par leurs pouvoirs exécutifs. Fasone, Cristina (2015) `Taking budgetary powers away from national parliaments? : on parliamentary prerogatives in the Eurozone crisis', EUI Working paper. V. sur les parlements nationaux dans le cadre du Semestre européen : Numéro spécial « National parliaments, the European Parliament and the democratic legitimation of the European Union economic governance » édité par Diane Fromage et Ton van den Brink (2018), Journal of European Integration ; Numéro spécial « Rising to a Challenge? Ten Years of Parliamentary Accountability of the European Semester » édité par Eric Miklin, Aleksandra Maatsch et Tomasz P. Wo•niakowski (2021), Politics and Governance.

* 128 Cet état de fait est souvent déploré, par exemple par les universitaires (Maurer, Andreas (2013) `From EMU to DEMU: The Democratic Legitimacy of the EU and the European Parliament', IAI Working papers). Toutefois, on peut s'interroger sur le bien-fondé de cette critique dans la mesure où les domaines économiques et fiscaux continuent de relever du domaine de compétence des Etats membres. En ce sens, on pourrait considérer qu'une procédure qui ne prévoit que la seule décision du Conseil sans pouvoir de décision pour le Parlement européen se justifie. V. sur le rôle du Parlement européen dans le domaine de l'Union Economique et Monétaire (UEM) et les négociations des mesures adoptées pour faire face à la crise de 2008 : Fasone, Cristina (2014) `European Economic Governance and Parliamentary representation. What place for the European Parliament?', European Law Journal, et sur la pratique dans le cadre notamment du Semestre européen : Crum, Ben (2020) `Democratic legitimacy in the post-crisis EMU', Journal of European Integration, p. 406 ; Fromage, Diane (2018) `The European Parliament in the post-crisis era: an institution empowered on paper only?', Journal of European Integration.

* 129 V. sur ces articles : Casanela, Pier Giorgio, Lupo, Nicola et Fasone, Cristina (2013) `Commentary on the Protocol no 1 annexed to the Treaty of Lisbon' In Blanke, Hermann-Josef et Mangiameli, Stelio (eds), The Treaty on European Union (TEU) A Commentary, Springer.

* 130 V. d'une manière générale sur les débats qui entourèrent la création de la conférence dite de l'article 13 et les visions divergentes qui existaient alors : Cooper, Ian (2014), `Parliamentary oversight of the EU after the crisis: on the creation of the “Article 13” interparliamentary conference', LUISS Working paper; Fromage, Diane (2016) `European Economic Governance and Parliamentary Involvement: Some Shortcomings of the Article 13 Conference and a Solution', Cahiers européens de Sciences Po; Griglio, Elena et Lupo, Nicola (2018) `The conference on stability, economic coordination and governance: filling the gaps of parliamentary oversight in the EU, Journal of European Integration; Kreilinger, Valentin (2013) `La nouvelle conférence interparlementaire pour la gouvernance économique et financière', Notre Europe Policy Paper.

* 131 V. pour une comparaison entre les différentes conférences interparlementaires et le Groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol : Fromage, Diane (2018) `A comparison of existing forums for interparliamentary cooperation in the EU and some lessons for the future', Perspectives on Federalism.

* 132 Ces difficultés ne représentent toutefois pas un phénomène isolé : la Conférence interparlementaire en matière de Politique Etrangère et de Sécurité Commune et de Politique de Sécurité et Défense Commune (PESC/PSDC) créée en 2012 en avait également été le théâtre au moment de son établissement. V. sur ce phénomène : Herranz-Surrallés, Anna (2014) `The EU's Multilevel Parliamentary (Battle)Field: Inter-parliamentary Cooperation and Conflict in Foreign and Security Policy, West European Politics.

* 133 Tout comme les autres documents afférents à la Conférence et à ses activités, le règlement est disponible sur la plateforme IPEX (ipex.eu).

* 134 En ce sens, cette Conférence a possiblement vocation à permettre davantage un contrôle parlementaire que d'autres conférences telles que la COSAC ou la Conférence PESC/PSDC qui, elles, ne sont destinées qu'à l'échange d'informations et de bonnes pratiques. Art. 1.2. Règlement de la COSAC et Art. 1.1. Règlement de la Conférence PESC/PSDC. V. généralement sur les différentes conférences et le(s) fonction(s) qu'elles pourraient jouer : Cooper, Ian (2019) `The Inter-Parliamentary Conferences of the European Union: Discussion Forums or Oversight Bodies?' in Raube, Kolja-Müftüler Bac, Meltem-Wouters, Jan (ed.), Parliamentary Cooperation and Diplomacy in EU External Relations, Edward Elgar, p. 139-157.

* 135 Des informations à ce propos sont disponibles sur la partie du site du Parlement dédiée aux relations avec les parlements nationaux :

https://www.europarl.europa.eu/relnatparl/en/conferences/european-parliamentary-week.

* 136 Parlement européen (2017) Relations between the European Parliament and national parliaments. Mid-term report 2016, p. 18.

* 137 V. pour plus de détails sur ce Plan et l'ingénieurerie juridique que son approbation et sa mise en oeuvre ont requises : de Witte, Bruno (2021), `The European Union's Covid-19 Recovery Plan: The Legal Engineering Of An Economic Policy Shift', p. 635-381.

* 138 Commission ECON, “Cooperation with national parliaments on the European Semester” https://www.europarl.europa.eu/committees/en/econ/econ-policies/economic-governance.

* 139 V. à ce propos d'une manière générale : Griglio, Elena (2020) `Divided Accountability of the Council and the European Council: The Challenge of Collective Parliamentary Oversight' in Fromage, Diane et Herranz-Surrallés, Anna Executive-Legislative (Im)balance in the European Union, Hart, p. 51-66.

* 140 V. sur ce point par rapport à la crise COVID : Dias Pinheiro, Bruno and Fromage, Diane (2020) `Parliamentary oversight of the EU economic recovery plan - lessons learned and which way forward?' in EU Law in times of pandemic. The EU's legal response to COVID-19. Dolores Utrilla and Anjum Shabbir (Ed.), EU Law Live Press, p. 102-116 et sur l'accountability de l'Eurogroupe : Markakis, Menelaos (à paraître) `The Political and Legal Accountability of the Eurogroup' in Dawson, Mark and Marikut-Akbik, Adina (ed.) Theorising and Assessing Accountability in Post-Crisis EU Economic Governance, Cambridge University Press.

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