V. RENFORCER LE SOUTIEN AU DÉVELOPPEMENT DE MÉDICAMENTS ORPHELINS ET DE MÉDICAMENTS PÉDIATRIQUES

La Commission européenne propose d'intégrer le règlement (CE) n° 141/2000 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1999 concernant les médicaments orphelins et le règlement (CE) n° 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relatif aux médicaments à usage pédiatrique dans la législation générale applicable à tous les médicaments. Cela vise, selon la Commission, à permettre une simplification et une plus grande cohérence.

L'objectif de la législation reste de favoriser le développement de médicaments orphelins et de médicaments pédiatriques de sorte à répondre aux besoins des patients.

A. LA CRÉATION D'INCITATIONS DIFFÉRENCIÉES POUR LES MÉDICAMENTS ORPHELINS

1. La révision des critères de désignation comme médicament orphelin

La Commission propose tout d'abord de revoir les critères de désignation des médicaments orphelins qui bénéficient de dispositions favorables afin d'encourager leur développement.

Aujourd'hui le règlement (CE) n° 141/2000 prévoit qu'un médicament est désigné comme orphelin selon un critère financier ou un critère de prévalence soit :

- s'il est destiné au diagnostic, à la prévention ou au traitement, dans la Communauté, d'une maladie mettant la vie en danger, d'une maladie très invalidante ou d'une affection grave et chronique, et qu'il est peu probable que, en l'absence de mesures d'incitation, la commercialisation de ce médicament dans la Communauté génère des bénéfices suffisants pour justifier l'investissement nécessaire ;

- ou si l'affection ne touche pas plus de cinq personnes sur 10 000 dans l'Union au moment où la demande de désignation d'un médicament comme médicament orphelin est soumise.

En complément de ces deux critères, le règlement (CE) n° 141/2000 prévoit que le médicament est désigné comme orphelin s'il n'existe pas de « méthode satisfaisante de diagnostic, de prévention ou de traitement de cette affection ayant été autorisée dans l'Union, ou, s'il en existe, le médicament en question procurerait un bénéfice notable aux personnes souffrant d'une telle affection ».

La Commission propose de supprimer le critère financier au motif qu'il est très peu utilisé.

Il appartiendrait désormais à l'EMA, et non plus à la Commission, d'adopter une décision d'octroi, de refus ou de transfert d'une désignation d'un médicament comme médicament orphelin.

L'article 63 de la proposition de règlement prévoit que, sur recommandation de l'EMA, la Commission pourra adopter un acte délégué pour compléter les critères de désignation.

La désignation comme médicament orphelin permettrait de bénéficier du programme de soutien scientifique et réglementaire de l'EMA (PRIME) et de l'évaluation progressive des données de la demande d'AMM.

L'association Prescrire regrette le retrait du critère lié à la rentabilité financière qu'elle estime le seul à véritablement justifier l'octroi des aides.

C'est pour ce motif que les rapporteurs souhaitent que ce critère financier soit maintenu.

2. L'introduction dans la législation de la notion de médicament orphelin répondant à un besoin médical non satisfait important

L'article 70 de la proposition de règlement précise qu'un médicament orphelin est considéré comme répondant à un besoin médical non satisfait important lorsqu'il satisfait aux exigences suivantes :

- il n'existe pas de médicament autorisé dans l'Union pour cette affection ou, bien que des médicaments soient autorisés pour cette affection dans l'Union, le demandeur démontre que le médicament orphelin, en plus de présenter un bénéfice notable, offrira une avancée thérapeutique exceptionnelle ;

- l'utilisation du médicament orphelin entraîne une réduction significative de la morbidité ou de la mortalité pour la population de patients concernée.

L'EMA devra adopter des lignes directrices précisant les critères de désignation après consultation de la Commission et des autorités compétentes des États membres. Il reviendra au promoteur de démontrer auprès de l'EMA que le médicament orphelin répond bien à un besoin médical non satisfait important.

Pour l'EPF, la distinction entre besoins médicaux non satisfaits et besoins médicaux non satisfaits importants, qui ne s'applique qu'aux médicaments orphelins, est utile.

Prescrire insiste à nouveau sur la nécessaire transparence en ce qui concerne les avis de l'EMA relatifs à la qualification d'un médicament comme répondant à un besoin médical non satisfait important et préconise que ces avis fassent l'objet d'une publication.

Bayer s'oppose fermement à l'introduction de cette notion. Pour cette entreprise, ce concept entraîne des complexités éthiques liées à la hiérarchisation et la quantification du poids de la maladie et de la souffrance du patient. Une approche véritablement axée sur le patient devrait permettre d'évaluer l'impact d'une maladie sur la qualité de vie plutôt que de se fonder simplement sur les risques de morbidité ou de mortalité.

Pour l'EMA, il est difficile de distinguer un besoin médical non satisfait d'un besoin médical non satisfait important sur les plans technique et scientifique et de rendre cette distinction opérationnelle. Toutefois, elle apparaît nécessaire pour mettre en place les bonnes incitations et éviter d'accorder des avantages trop importants aux titulaires d'AMM, au regard des difficultés financières qu'ils doivent supporter pour mettre sur le marché un médicament orphelin.

Les rapporteurs soutiennent l'introduction de cette notion pour permettre de déterminer au plus juste les compensations dont peuvent bénéficier les titulaires d'AMM. Ils appellent toutefois à préciser les critères de désignation en définissant la notion d'avancée thérapeutique exceptionnelle et en prenant en compte la prévalence de la maladie.

3. La remise en cause du dispositif d'exclusivité commerciale aujourd'hui en vigueur

Pour permettre le développement de nouveaux médicaments orphelins, le règlement (CE) n° 141/2000 prévoit une exclusivité commerciale de dix ans pour tout médicament orphelin mis sur le marché. Cela implique que l'Union européenne et les États membres s'abstiennent pendant cette période, eu égard à la même indication thérapeutique, d'accorder une AMM ou de faire droit à une demande d'extension d'une AMM existant pour un médicament similaire. Cette période peut être ramenée à six ans s'il est établi, à la fin de la cinquième année que, pour le médicament concerné, les critères relatifs à la désignation comme médicament orphelin ne sont plus remplis.

Une étude réalisée par la Commission en 202020(*) concluait, après évaluation, que cette disposition créait des effets d'aubaine. Il était alors suggéré d'envisager des incitations différenciées en fonction notamment du niveau d'investissement dans la recherche et le développement.

Tout en reconnaissant l'intérêt des exclusivités commerciales pour orienter la recherche, l'étude réalisée pour le STOA précise que ces stratégies conduisent parfois à accorder une exclusivité à des produits très rentables et dont la taille du marché est importante.

Ces exclusivités ont un impact sur le prix du médicament qui demeure élevé en l'absence de concurrence de produits génériques ou biosimilaires et donc sur les budgets des États membres ou des systèmes de sécurité sociale qui prennent en charge ces médicaments.

Dans son avis politique sur la stratégie pharmaceutique pour l'Europe adopté en octobre 2022, la commission des affaires européennes du Sénat recommandait que la durée de l'exclusivité commerciale conférée aux titulaires d'une AMM relative à un médicament orphelin soit allongée pour les maladies les plus graves et lorsque la rentabilité estimée du médicament est jugée insuffisante, en favorisant les médicaments qui n'ont pas fait l'objet d'une AMM pour une autre pathologie.

4. Une modulation de la durée de l'exclusivité commerciale à encourager

Souhaitant tenir compte des observations précédentes, la Commission européenne propose, à l'article 71 de la proposition de règlement, de moduler la durée de l'exclusivité commerciale accordée aux médicaments orphelins comme ci-dessous :

- cinq ans lorsque l'autorisation de mise sur le marché a été accordée sur la base d'un usage bien établi de la substance active au sein de l'Union européenne ;

- neuf ans dans le cas général ;

- dix ans pour les médicaments orphelins répondant à un besoin médical non satisfait important.

Ces deux dernières périodes d'exclusivité sont prolongées de douze mois lorsque le titulaire de l'AMM peut démontrer que le médicament est mis en circulation et fourni sans interruption dans la chaîne d'approvisionnement en quantité suffisante et dans les présentations nécessaires pour couvrir les besoins des patients dans les États membres dans lesquels l'AMM est valable, dans un délai de deux ans à compter de la date d'octroi de l'AMM. Dans ce cas, les titulaires d'AMM ne bénéficient pas de la prolongation de six mois de la durée de la protection des données réglementaires que la Commission propose lorsque ce même objectif est atteint.

De même, ces deux périodes d'exclusivité peuvent être prolongées de douze mois pour les médicaments orphelins si, au moins deux ans avant la fin de la période d'exclusivité, le titulaire de l'AMM d'un médicament orphelin obtient une AMM pour une ou plusieurs nouvelles indications thérapeutiques pour une affection orpheline différente. Une telle prolongation peut être accordée deux fois, si les nouvelles indications thérapeutiques concernent à chaque fois des affections orphelines différentes.

L'EFPIA s'oppose à la modulation proposée par la Commission. Elle estime qu'environ la moitié des médicaments orphelins développés entre 2000 et 2017 n'auraient pas été économiquement viables sans la législation actuelle sur les médicaments orphelins. Selon elle, les modifications réglementaires proposées réduiraient le montant de l'investissement pour le développement de médicaments orphelins de cinq milliards d'euros.

Selon l'étude réalisée pour le STOA, il est utile d'adapter l'incitation en fonction de la prévalence de la maladie, en introduisant des incitations plus fortes pour les maladies plus rares, le système actuel traitant toutes les maladies orphelines de la même manière en termes d'incitation, malgré des variations significatives dans leur prévalence.

Les rapporteurs soutiennent la modulation de la durée de l'exclusivité commerciale et la prolongation de la durée de l'exclusivité commerciale de douze mois lorsque le titulaire de l'AMM d'un médicament orphelin obtient une AMM pour une nouvelle indication thérapeutique relative à une affection orpheline différente.

En revanche, la prolongation de la durée de l'exclusivité commerciale de douze mois lorsque le médicament est mis sur le marché dans tous les États membres de l'Union ne fait pas consensus parmi les rapporteurs, par cohérence avec leurs positions sur la mesure permettant d'accorder aux titulaires d'AMM une prolongation de deux ans de la durée de la protection des données réglementaires lorsque ce même objectif est atteint.

Mme Cathy Apourceau-Poly et M. Bernard Jomier sont favorables à la proposition de la Commission, contrairement à Mme Pascale Gruny et à la majorité sénatoriale qui indiquent que leur proposition de contraindre les titulaires d'AMM, sous peine de sanctions financières, à présenter une demande de fixation du prix et du niveau de remboursement pour un médicament qu'un État membre souhaite voir commercialisé sur son territoire dans un délai d'un an suivant cette demande s'appliquera également aux médicaments orphelins.


* 20 Document de travail de la Commission du 11 août 2020 présentant une évaluation conjointe du règlement (CE) n° 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relatif aux médicaments à usage pédiatrique et du règlement (CE) n° 141/2000 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1999 concernant les médicaments orphelins, SWD(2020) 163 final

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