III. RÉDUIRE LA DURÉE DE LA PROTECTION DES DONNÉES RÉGLEMENTAIRES ET PRÉVOIR SON ALLONGEMENT COMME OUTIL D'INCITATION
A. RÉDUIRE LA DURÉE DE LA PROTECTION DES DONNÉES RÉGLEMENTAIRES DE HUIT À SIX ANS : UNE PROPOSITION CONTROVERSÉE
1. Des protections conçues pour récompenser l'innovation
La mise sur le marché d'un nouveau médicament est généralement précédée de l'octroi d'un brevet. Celui-ci confère une protection commerciale au médicament pour une période de vingt ans à compter de la date de dépôt du brevet, à condition que celui-ci corresponde à une invention nouvelle. À cette date, le titulaire n'est pas encore en mesure d'exploiter cette invention car il ne dispose pas d'une autorisation de mise sur le marché. Les certificats complémentaires de protection (CCP) visent à compenser la période durant laquelle le brevet n'est pas exploité en raison des procédures réglementaires. Ceux-ci sont délivrés au sein de chaque État membre par les autorités nationales compétentes15(*).
La protection des données réglementaires est une protection accordée aux titulaires d'AMM qui leur garantit que les données fournies pour obtenir leur AMM ne pourront pas être utilisées par d'autres. Il s'agit essentiellement des données relatives aux différentes études et essais cliniques menés pour garantir l'efficacité et la sécurité du médicament, et qui sont fournis à l'autorité compétente en charge de l'évaluation du médicament. Elle est conférée aux titulaires d'AMM à compter de la date de délivrance de cette autorisation. Du fait de cette protection, les producteurs de médicaments génériques ou biosimilaires ne peuvent pas utiliser ces données pour constituer leur propre dossier de demande d'AMM. Cette protection est aujourd'hui accordée pour une période de huit ans.
Enfin, la protection de marché est accordée pour une période de deux ans : durant cette période, un médicament générique ou biosimilaire ne pourra pas être mis sur le marché.
Ces protections visent à assurer la rentabilité des investissements réalisés par les titulaires d'AMM en vue de les inciter à développer de nouveaux médicaments.
2. Une réduction de la protection des données réglementaires qui ne fait pas consensus
La Commission propose de réduire la durée de la protection des données réglementaires de huit à six ans afin de permettre aux développeurs de médicaments génériques ou biosimilaires d'utiliser ces données pour présenter leurs propres demandes d'AMM plus tôt. En parallèle, la Commission prévoit que les titulaires d'AMM qui remplissent certains critères pourront bénéficier d'une durée supplémentaire de protection.
Cette mesure aura un impact sur le prix des médicaments qui diminueront à la suite de l'entrée des médicaments génériques ou biosimilaires sur le marché.
La proposition de la Commission a suscité de nombreuses réactions.
Dans le but de favoriser l'accès aux médicaments en permettant une baisse des prix plus rapide, Prescrire et France Assos Santé ont soutenu cette proposition. Medecines for Europe y est également favorable.
Pour sa part, la France est particulièrement réservée sur cette mesure et indique que sa position est alignée sur celles de l'Allemagne, du Danemark et de l'Italie qui soutiennent le statu quo en ce qui concerne la durée de la protection des données réglementaires.
Pour la DGE (Direction générale des entreprises du ministère français de l'économie), cette mesure risque de limiter la recherche et développement en Europe et de compliquer l'accès aux médicaments princeps en renchérissant leurs prix. En effet, pour compenser une durée de protection plus courte qui va réduire leur chiffre d'affaires, les industriels pourraient privilégier les marchés avec les politiques de prix les plus avantageuses et proposer des prix plus élevés aux États de l'Union. Dans ces circonstances, la France, où les prix des médicaments sont moins élevés, risque d'être particulièrement défavorisée par rapport à l'Allemagne ou aux pays du Nord de l'Europe.
L'EPF indique également craindre que, si la proposition de la Commission est adoptée, les entreprises pharmaceutiques se contentent d'une durée de protection de six ans et qu'elles compensent cet écourtement de la protection par une forte augmentation des prix au moment de la mise sur le marché du médicament, ce qui réduirait à nouveau l'accès à ce médicament.
L'EFPIA est vivement opposée à cette mesure car elle remet en cause une condition essentielle de la rentabilité de tout investissement en recherche et développement. Une fois que le médicament n'est plus protégé par un brevet, la protection des données réglementaires permet, pour un tiers des médicaments mis sur le marché, de continuer à bénéficier d'une protection empêchant l'arrivée de médicaments concurrents sur le marché et de garantir ainsi la rentabilité du médicament.
Pour sa part, le Parlement européen a proposé de fixer la durée de la protection des données réglementaires à sept ans et six mois, soit six mois de moins qu'aujourd'hui au lieu des deux ans proposés par la Commission.
Les rapporteurs de la commission des affaires européennes du Sénat ne se sont pas accordés sur la proposition de la Commission. Mme Cathy Apourceau-Poly et M. Bernard Jomier soutiennent la réduction de la durée de la protection des données réglementaires proposée par la Commission européenne. En revanche, Mme Pascale Gruny et la majorité sénatoriale soutiennent la proposition du Parlement européen, soit une durée de protection réduite à sept ans et six mois. Ils estiment que cette réduction de la durée actuelle de protection permettra de garantir aux entreprises la rentabilité de leurs investissements tout en développant des mécanismes d'incitation. À cet égard, ils souhaitent tout comme le Parlement européen que la durée maximale de la protection des données réglementaires soit plafonnée à huit ans et six mois, alors que la proposition de la Commission européenne pourrait permettre aux titulaires d'AMM de bénéficier d'une durée de protection des données réglementaires pouvant aller jusqu'à onze ans, en cumulant les différentes mesures d'incitation proposées.
* 15 La Commission a présenté, en juillet 2023, deux propositions de règlement COM(2023) 231 final et COM(2023) 222 final visant respectivement à créer une procédure centralisée pour l'obtention d'un certificat complémentaire de protection et un certificat complémentaire de protection unitaire.