II. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES S'EFFORCENT DE MOBILISER AVEC EFFICACITÉ LEURS RESSOURCES D'INGÉNIERIE AU SERVICE D'UN DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DURABLE DES TERRITOIRES
Paradoxalement, la multiplicité des opérateurs de l'ingénierie du développement économique peut générer des doublons d'ingénierie ou à l'inverse un déficit d'ingénierie dans les territoires moins dotés qui en ont pourtant le plus besoin. Le système dans son ensemble manque de cohérence et gagnerait à être simplifié et rationalisé. On constate toutefois certaines nouvelles dynamiques d'ingénierie mobilisée par les collectivités territoriales qui tendent vers le même objectif de développement économique des territoires plus durable et résilient aux crises.
En effet, les auditions ont permis d'identifier de nombreux exemples où les ingénieries mobilisées, qu'elles soient publiques ou privées, concourent à créer des synergies entre les acteurs du développement économique, au bénéfice d'un écosystème plus cohérent, efficace et résilient.
Ces exemples pourront être une source d'inspiration pour d'autres collectivités territoriales. Vos rapporteurs se sont attachés à comprendre les conditions de réussite d'un développement économique performant et durable en examinant à la fois les conditions propres à l'ingénierie (endogènes), mais aussi les conditions qui lui sont extérieures (exogènes).
A. LES NOUVELLES DYNAMIQUES DE L'INGÉNIERIE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : VERS UN ÉCOSYSTÈME PLUS COHÉRENT ET DURABLE
1. Retrouver la maîtrise du foncier pour privilégier des projets durables pour l'emploi, l'économie et la société
(1) Les difficultés liées à la raréfaction du foncier
L'AMF rappelle que « le foncier, c'est la première étape du développement, qui permet ensuite de faire du logement ou des zones d'activité ». Or, dans le contexte du ZAN et de la raréfaction du foncier économique, il importe aux collectivités territoriales de pouvoir retrouver la maîtrise de leur foncier, et en particulier de leur foncier économique.
Après un mouvement historique de vente du foncier
public au secteur privé, certes générateur de recettes
à court terme, mais qui entraîne une perte de maîtrise du
foncier, certaines collectivités territoriales ont voulu cesser de se
départir de la propriété de leur foncier pour en retrouver
la maîtrise et rendre plus cohérent le développement
économique de leur
territoire. L'Eurométropole de Strasbourg
précise qu'« une fois qu'on a vendu le foncier, on ne
maîtrise plus rien ; certes, il y a l'outil du PLUi54(*), qui permet en cas de revente
du foncier de prescrire de l'activité économique plutôt que
de l'habitat, mais sans contrôle sur la nature de l'activité
économique du futur repreneur ».
(2) L'émergence de nouvelles stratégies et outils fonciers
On voit donc émerger de nouvelles stratégies et de nouveaux outils d'ingénierie du foncier.
La communauté de communes des Luys en Béarn (Pyrénées-Atlantiques) a ainsi préféré substituer à des stratégies de cessions foncières la pratique du bail à construction, qui lui permet de retrouver la maîtrise de la gestion des zones d'activité et le contrôle de sa politique d'immobilier d'entreprises.
Bonne pratique : le bail à construction - Communauté de communes des Luys en Béarn La communauté de communes des Luys en Béarn (Pyrénées-Atlantiques) est composée de 66 communes pour moins de 30 000 habitants. Précurseur dans l'exercice de la compétence développement économique au niveau intercommunal, elle a déployé une ingénierie singulière : la pratique du bail à construction comme outil de gestion de commercialisation des zones d'activité, alors qu'en général le foncier est plutôt commercialisé sous forme d'un crédit-bail immobilier. 1. Le bail à construction Cette pratique du bail à construction est
née d'une particularité historique. Les terrains propices
à l'aménagement des premières zones étaient la
propriété des communes de la vallée d'Ossau, donc en
dehors du territoire. Ces terrains, historiquement utilisés par les
bergers, sont devenus la propriété des communes
extérieures au territoire qui les gèrent en syndicat de
co-propriétaires. Plutôt que de vendre ces terrains, les communes
hors et du territoire ont monté un partenariat consistant à
proposer des baux à construction sur une durée de Le bail à construction comporte de nombreux avantages : - il permet de faciliter le lancement de projets, grâce aux économies liées au non-achat de foncier. De plus, le montant des loyers est affecté aux charges de l'entreprise, ce qui est fiscalement intéressant et favorise le fléchage des investissements vers les moyens de production ; - il a permis d'anticiper les extensions, car les entreprises ont plutôt opté pour des baux couvrant des surfaces importantes comparées à leurs besoins immédiats. L'extension d'activité a pu être absorbée sans difficulté, le foncier étant déjà présent ; - il est un outil souple qui permet, via des
avenants à l'initiative de l'industriel ou de la communauté de
communes, d'adapter le périmètre foncier aux besoins de
l'entreprise, soit pour réduire la charge du loyer, soit pour
augmenter la surface. Par exemple, la révision des baux Plus précisément, les entreprises paient un loyer annuel à la collectivité, calculé sur un prix fixe au mètre carré, afin de faciliter la lisibilité. Le loyer couvre les annuités d'emprunt supportées par la communauté de communes pour l'aménagement de la zone, et un montant qui est reversé à la commission syndicale des communes de la vallée d'Ossau. La fiscalité économique est affectée à l'intercommunalité, moins un intéressement (8 % environ) versé aussi aux communes de la Valée d'Ossau. Ce qui pouvait être considéré comme un handicap financier au départ s'est transformé en avantage concurrentiel. Aujourd'hui, environ un tiers du foncier économique de la communauté de communes est géré par le biais de baux emphytéotiques. La communauté de communes importe ce modèle sur des terrains qu'elle possède au regard de ses effets positifs. Un travail de pédagogie et d'acculturation au dispositif a été nécessaire pour dépasser une vision patrimoniale traditionnelle. 2. La politique d'immobilier d'entreprises : le crédit-bail immobilier La communauté de communes Luys en Béarn utilise aussi des investissements immobiliers en direct et se positionne comme maître d'ouvrage sur le projet immobilier. Dans ces cas, elle est à la fois aménageur, constructeur et banquier avec un fonctionnement semblable au crédit-bail immobilier. À titre d'exemple, pour l'entreprise Gaz System55(*), la communauté de communes a proposé un terrain en bail à construction dans la zone d'activité, porté la maîtrise d'ouvrage de la construction des bâtiments de l'entreprise, ce qui a permis d'obtenir une subvention de l'État (du FNADT56(*)). La communauté de communes a travaillé avec l'entreprise pour définir le besoin et réaliser le programme de construction avec un maître d'oeuvre (architecte). Le loyer mensuel payé par l'entreprise permet de rembourser le reste à charge de l'opération portée par la collectivité (coûts - subventions). Si l'opération est blanche pour la communauté de communes à terme, c'est elle qui prend le risque en cas de défaillance de l'entreprise. Aussi, la collectivité utilise cet outil lorsque les industriels n'ont pas de besoins trop spécifiques. Car en cas de défaillance, elle récupère le bâtiment, peut le revendre, proposer un bail classique ou même repartir sur un nouveau crédit-bail immobilier. La polyvalence du bâtiment est alors un critère important de sa remise sur le marché. Cette ingénierie du crédit-bail immobilier permet de créer de la confiance et d'ancrer l'entreprise sur le territoire. |
D'autres stratégies et outils ont été développés par les collectivités territoriales, par exemple : des outils de portage du foncier économique via des sociétés publiques foncières, des stratégies de foncier pré-aménagé, le recours à l'urbanisme négocié avec les aménageurs en matière de planification urbaine, des exigences en matière de réversibilité des usages notamment du foncier et du bâti, l'occupation temporaire des friches dans l'attente de leur aménagement. S'agissant des friches, l'État propose d'ailleurs, dans le cadre du Fonds vert, un dispositif de financement du recyclage foncier des friches, qui permet d'aider les collectivités territoriales à faire face aux coûts importants liés aux opérations de dépollution et de remise en état des terrains en vue de leur aménagement pour la réalisation d'activités, de logement, d'équipements, d'espaces publics, ce qui contribue à redonner à la puissance publique la maîtrise du foncier.
Retrouver la maîtrise du foncier passe aussi par la volonté de la puissance publique de réguler les usages, dans le respect de la propriété privée, mais en tendant à un aménagement cohérent du territoire aux regards des enjeux de réduction de l'artificialisation des sols. À cet effet, la communauté de communes de Champagnole-Nozeroy (Jura) propose une solution pour l'aménagement foncier intercommunal et communal (SAFIC), inspirée du modèle des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER)57(*), mais propre au contexte foncier urbain et périurbain.
Bonne pratique : la solution pour l'aménagement foncier intercommunal et communal proposée par la communauté de communes de Champagnole-Nozeroy La SAFIC se veut un outil innovant et opérationnel « qui allie développement économique, protection de l'environnement et contrôle public du foncier ». Il s'agit « d'introduire des mécanismes d'intervention proactive qui permettent de réguler l'usage du foncier, de lutter contre la spéculation et de garantir un aménagement du territoire cohérent face aux contraintes de réduction de l'artificialisation », sans porter atteinte à la propriété privée, mais en instaurant un dialogue renforcé avec les acteurs privés. Parmi les leviers qui pourraient être activés par la SAFIC : - un usage raisonné du droit de préemption, ciblé sur du foncier stratégique ou économique, limité à certaines zones définies dans les documents d'urbanisme ; la création de servitudes pour encadrer les usages futurs en cas de vente ou de transfert de la propriété ; - le recours à des mécanismes alternatifs à la préemption : les baux de long terme (baux réels immobiliers, baux à construction), les obligations réelles environnementales (à l'initiative des propriétaires), les conventions d'utilisation temporaires (particulièrement adaptées aux friches), la création d'une taxe sur les terrains sous-utilisés ; - le recours à des mécanismes incitatifs : mise en place d'un avantage fiscal pour les propriétaires s'engageant à maintenir une activité d'intérêt général ou à réorienter l'usage de leur terrain (ex : exonération partielle de taxe foncière) ; subventions à la reconversion des terrains ; - l'instauration d'un droit de regard de la collectivité en cas de changement de destination d'un terrain via les documents d'urbanisme ; mise en place des clauses de réversion ou des obligations de concertation préalable ; - la création d'un marché foncier régulé par la puissance publique, pour aider à la reprise des terrains ou des locaux par des porteurs de projets d'intérêt général ; les prix des terrains stratégiques pour la collectivité pourraient être encadrés, en utilisant des fonds publics pour stabiliser les prix et éviter la spéculation. La solution présente l'avantage de ne pas créer de nouvelle structure, mais de s'appuyer sur l'existant, en mutualisant les ressources existantes (intercommunalité, SAFER, établissement public foncier, entreprises publiques locales). La gouvernance serait pilotée à deux niveaux : à un niveau stratégique, par une conférence des présidents d'EPCI concernés, pour garantir la cohérence territoriale et éviter les concurrences entre territoires ; à un niveau opérationnel, par chaque EPCI. À noter que pour pouvoir être mise en oeuvre, la SAFIC nécessiterait toutefois des adaptations législatives préalables, notamment s'agissant du code de l'urbanisme, du code général des collectivités territoriales et du code général des impôts. Source : direction de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, communauté de communes de Champagnole-Nozeroy |
Enfin, la raréfaction du foncier conduit certaines collectivités à sélectionner les projets qualitatifs à même de s'insérer dans l'écosystème existant. L'Eurométropole de Strasbourg « réserve le peu de foncier qui reste pour accueillir des activités qui sont complémentaires de l'écosystème déjà mis en place, avec un critère du nombre d'emplois au mètre carré, qui fait qu'on ne va pas accueillir des activités qui occupent beaucoup de terrain, mais avec peu d'emplois, ce qui n'aurait pas de sens ».
2. Repenser le modèle économique et industriel
(1) Faire de la raréfaction du foncier une opportunité pour réduire l'empreinte carbone
La raréfaction du foncier économique conduit les collectivités territoriales et les entreprises à repenser les processus économiques et industriels.
En effet, certaines collectivités territoriales utilisent la contrainte de la rareté du foncier économique comme une opportunité pour repenser les processus industriels ou améliorer la qualité de l'écosystème.
L'APVF relève qu'« en France, on imagine toujours les usines à l'horizontale ; or, dans le monde, il y a des usines sur plusieurs étages ». Il existe toutefois des exemples en France, par exemple la cimenterie bas carbone Hoffmann Green en Vendée, qui utilise la verticalité et la gravité pour optimiser les processus industriels de son usine H2, grâce à un système de silos compartimentés : les matières premières stockées dans les étages supérieurs tombent dans un mélangeur, puis le ciment obtenu est injecté vers les compartiments stockage, qui permettent de remplir les camions stationnés au niveau des quais de chargement. L'entreprise réduit son empreinte foncière grâce à sa tour verticale H2 et réduit son empreinte carbone du fait des économies d'énergie.
(Source : cimenterie bas carbone - Vendée - (c)Hoffmann Green)
La raréfaction du foncier conduit aussi à
privilégier l'aménagement et la construction
durable, avec une préférence pour la
réhabilitation du bâti existant ou la réorientation des
usages (activité économique vers du logement par exemple)
plutôt que d'encourager la démolition/reconstruction ou favoriser
l'étalement urbain. Le développement d'une filière
BTP durable appliquant les principes de l'économie
circulaire, va dans ce
sens : optimisation des ressources,
utilisation de matériaux durables, recyclage et valorisation des
déchets. Les pactes bois-biosourcés en sont une
déclinaison.
Bonne pratique - les pactes bois-biosourcés L'association Fibois France fédère les acteurs de la filière forêt-bois. Dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone, qui vise à réduire les émissions de gaz à effets de serre et à atteindre la neutralité carbone d'ici 2025, Fibois France agit en faveur de la décarbonation du secteur du bâtiment en développant les pactes bois-biosourcés. En effet, le bois, comme les autres matériaux biosourcés (chanvre, paille, liège, lin, résine, etc.) utilisés dans la construction ou la réhabilitation des bâtiments, est faiblement émetteur et permet de séquestrer le CO2. Les pactes bois-biosourcés sont des outils contractuels élaborés par Fibois France et mis à disposition des maîtres d'ouvrage publics ou privés pour les encourager à massifier les mètres carrés d'emploi de bois dans le cadre de leurs opérations d'aménagement et de construction (bois pour les surfaces de planchers et les structures, fibres de bois pour l'isolation). |
(2) Mieux structurer les filières pour créer du développement économique tout en tenant compte des limites planétaires
Les collectivités territoriales ont développé des stratégies pour organiser et structurer des filières sur leur territoire dans le but de créer du développement économique (activité, emplois) tout en tenant compte des enjeux de développement durable.
Le CNER incite à filiariser
l'économie, c'est-à-dire à accompagner
l'écosystème pour qu'ils se constituent en
filières économiques et que le territoire puisse
accueillir l'ensemble des entreprises qui interviennent dans le processus de
production, de la matière première au produit final, en passant
par toute la supply chain (y compris le stockage, la
logistique, la formation, etc.). C'est par exemple le cas de la
filière nautisme en région Occitanie58(*), qui présente
une chaîne de valeur complète regroupant 1 200 entreprises,
2 000 emplois, 45 métiers (conception, construction,
maintenance, services associés, etc.). La filière permet à
tout l'écosystème de se développer et de créer
des synergies, par exemple s'agissant de la production de multicoques :
conception, construction sur les chantiers navals (La Grande Motte,
Canet-en-Roussillon) mêlant savoir-faire traditionnel et technologies de
pointe, équipementiers, maintenance, services associés,
formation, export,
etc. L'activité économique nautique
participe ainsi de l'économie bleue régionale, qui promeut le
développement durable de la filière en activant les leviers
de l'économie circulaire (réutilisation du matériel de
glisse et de voile pour prolonger la durée de vie des équipements
sportifs), de la décarbonation (moteurs 100 % électriques)
et des usages écoresponsables pour préserver la
biodiversité marine en Méditerranée (sensibilisation des
usagers).
La communauté d'agglomération Caux Seine Agglo (Seine-Maritime) a quant à elle su se doter des outils d'ingénierie pertinents, notamment via une société publique locale, pour diversifier les filières économiques et décarboner la filière historique de la pétrochimie.
Bonne pratique - le développement d'une filière de chimie décarbonée par la communauté d'agglomération Caux Seine Agglo La communauté d'agglomération Caux Seine Agglo regroupe 50 communes et 78 000 habitants. Le territoire de Caux se caractérise par une histoire industrielle liée à la pétrochimie (36 % du PIB) avec des acteurs comme Exxon Mobil. L'annonce d'Exxon de se désengager de ses activités pétrolières sur le site de Port-Jérôme - les activités de raffinage étant maintenues - menace de destruction plus de 600 emplois et soulève des enjeux en termes de dépollution des sols et de démontage de l'outil industriel. Ces mutations industrielles ont conduit le territoire à diversifier son tissu économique en développant différentes filières économiques et en accueillant des projets innovants. La communauté d'agglomération, en s'appuyant sur l'ingénierie de la société publique locale Caux Seine Développement, a par exemple engagé un travail de développement d'une filière de chimie décarbonée, avec l'implantation des sociétés Eastman (recyclage des plastiques difficiles à valoriser) et Futerro (production de bioplastique). D'autres pôles économiques et industriels ont été constitués autour de l'hydrogène (avec la création de la première unité européenne de production massive d'hydrogène décarboné portée par la société Air Liquide) ou encore de la santé (avec la fabrication de molécules pour le groupe Servier). |
Dans le cadre des accords de réplicabilité passés entre la métropole de Toulouse et l'Eurométropole de Strasbourg, l'élaboration d'une feuille de route sur l'économie circulaire du BTP a vocation à structurer la filière du BTP durable et à animer l'écosystème pour permettre le recyclage et le réemploi de matériaux dans le secteur du BTP : « c'est une façon de créer de l'emploi et du développement économique, en tenant compte des limites planétaires ».
(3) Accompagner l'innovation
La vitalité du tissu économique d'un
territoire dépend de sa capacité à innover et à
créer de l'activité. Les collectivités territoriales se
sont progressivement dotées d'outils d'ingénierie permettant
l'accompagnement de l'innovation, en particulier s'agissant des projets de
création
d'entreprises. Des structures d'accueil pilotées par
la puissance publique comme des hôtels ou incubateurs
d'entreprises ou de start-up offrent un panel de
services (hébergement, formation, conseil, aides, financements) et
jouent un rôle essentiel dans la maturation des projets
innovants.
Le principal écueil pour les start-ups reste toutefois l'accès au financement. Dans son étude de juillet 2024 sur la situation financière de start-ups en 202359(*), la Banque de Franc relevait que : « Le profil des start-ups défaillantes se caractérise par une absence de fonds propres, la présence de lourdes pertes, la faiblesse de leur trésorerie ».
Par ailleurs, l'innovation peut non seulement concerner
le développement économique, mais aussi d'autres formes de
développement : innovation sociale, innovation culturelle,
innovation environnementale, etc. La création de
tiers-lieux avec le soutien des collectivités
territoriales (mise à disposition de foncier ou de locaux, financements)
permet de créer des dynamiques de coopération et d'innovation
économique et sociale en ouvrant des espaces d'expérimentation et
d'initiative ouverts aux acteurs publics, aux acteurs privés et aux
citoyens, ayant pour finalité le développement plus durable du
territoire. C'est le cas du Solilab, un tiers-lieu de
l'économie sociale et solidaire à Nantes.
Bonne pratique - Le Solilab, tiers-lieux de l'économie sociale et solidaire à Nantes Situé sur l'île de Nantes, sur une ancienne friche industrielle, le Solilab est un tiers-lieu dédié à l'économie sociale et solidaire, soutenu par Nantes Métropole et l'association Ecossolies. Espace de travail mutualisé, il regroupe 140 activités de l'économie sociale et solidaire, qui se développent en bénéficiant d'un loyer abordable et de services dédiés. Le tiers-lieu, ouvert à tous, propose différents services au public : un magasin de réemploi, un marché paysan, un café-restaurant, l'organisation d'évènements. Le lieu est géré au quotidien par la société coopérative d'intérêt collectif Lieux communs. Source : https://www.ecossolies.fr/solilab/ |
(4) Favoriser la transition numérique
Le développement économique ne peut désormais plus s'envisager sans les nouveaux usages du numérique, qu'il s'agisse du développement de l'économie 2.0, de l'émergence des villes connectées (smart cities), ou du recours croissant à l'intelligence artificielle.
En effet, l'ingénierie territoriale doit intégrer les nouveaux usages de l'intelligence artificielle, par exemple s'agissant du recours aux jumeaux numériques au service du développement des territoires. Dans son rapport d'information n°447 (2024-2025)60(*) relatif à l'intelligence artificielle dans l'univers des collectivités territoriales, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation mettait en avant l'initiative du CEREMA, pourvoyeur d'une ingénierie IA en soutien des collectivités territoriales : « En lien avec l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA) et l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), la mission Accélérema a également vocation à faciliter l'accès à ces nouveaux outils que sont les jumeaux numériques 3D au service des territoires. On parle de jumeau numérique à propos d'une représentation virtuelle de la réalité (notamment des objets physiques, des processus et des relations). Ce type de dispositif a vocation à entraîner de l'IA générative au profil des territoires : gestion de la forêt, des risques climatiques, du recul du trait de côte... ».
Bonne pratique - les jumeaux numériques L'appel à communs pour la conception du jumeau numérique de la France et de ses territoires, lancé en 2024 par l'IGN, le CEREMA et l'INRIA61(*), souligne que : « Les transitions écologique, climatique, énergétique ou encore agroalimentaire auxquelles nous devons faire face demandent des décisions en matière d'adaptation des pratiques ou d'aménagement de notre territoire qui soient rapides, robustes et étayées par des analyses éclairées. Elles placent les politiques de gestion du territoire face à des défis inédits ». Le jumeau numérique de la France et de ses territoires aura pour objectif de « cartographier le futur du territoire selon différents scénarii d'action publique et d'évolution des conditions climatiques » et « facilitera la construction d'outils d'aide à la décision (politiques publiques) et d'intermédiation (pour éclairer le débat démocratique) en mobilisant notamment des modèles de simulation ». Il permettra de « suivre et anticiper les effets du changement climatique sur le territoire, grâce à des modèles de simulation et de prévision ; de simplifier la prise de décision, en offrant un outil d'analyse systémique (intégrant des facteurs environnementaux, économiques, réglementaires) ». Parmi les cas d'usage prioritaires cités, on peut notamment relever la planification écologique et l'aménagement durable des territoires : « L'aménagement du territoire doit prendre en compte de plus en plus d'enjeux et répondre aux besoins des populations en préservant les ressources naturelles (biodiversité, sols...). Face à ces enjeux, l'optimisation du foncier nécessite par exemple de repenser les pratiques d'aménagement. Le Jumeau numérique de la France et de ses territoires permettra d'éclairer les politiques publiques liées à la planification écologique des territoires et à leur aménagement durable. Il permettra, par exemple, de croiser différentes dimensions de l'aménagement - cadre réglementaire, densification urbaine, gestion de la nature en ville, mobilité multimodale, accès aux services publics. En tenant compte des spécificités de chaque territoire, il permettra de mieux étendre les solutions éprouvées localement ». |
(5) Mieux articuler l'urbain et le rural
Territoires urbains et territoires ruraux sont souvent,
à tort, opposés. Auditionnée le 8 avril 2025 par la
délégation sénatoriale aux collectivités
territoriales et à la décentralisation, Françoise Gatel,
ministre déléguée chargée de la ruralité
rappelait que « le sort des villes et des campagnes est
lié ». En effet, il y a des enjeux de
réciprocité entre les territoires urbains et la
ruralité : 30 % des industries françaises sont
situés en territoires ruraux ; la ruralité nourrit la
ville ; mais pour se développer, la ruralité
« doit disposer d'une armature urbaine ».
Le cabinet de conseil Rouge vif territoires
propose de développer des territoires d'agriculture sur
le modèle des territoires d'industrie, avec parmi les propositions,
celle de « créer une dynamique de coopération
entre
territoires : encouragement des échanges entre territoires
urbains et ruraux dans le cadre de contrats de réciprocité
ville-campagne ; promouvoir des filières courtes et des circuits
locaux pour renforcer les liens économiques et sociaux entre les zones
agricoles et les bassins de consommation ».
3. Engager la transition écologique et sociale des territoires
Engager la transition écologique et sociale des territoires nécessite de se doter des stratégies et outils d'ingénierie adaptés. C'est précisément l'objet du programme de recherche-action Rebonds initié en 2023 par l'association La 27e région, qui s'interroge sur « comment réorienter les politiques de développement économique locales vers des priorités de transition écologique et de justice sociale ?».
(1) Développer une approche systémique et impliquante de la transition écologique et sociale du territoire
Parmi les nombreux leviers identifiables ressort l'idée de mettre en place une approche systémique de la transition écologique et sociale, qui implique tous les acteurs économiques du territoire. L'Eurométropole de Strasbourg propose un Pacte pour une économie locale durable pour « réussir la transformation écologique, sociale et démocratique sur le territoire de l'Eurométropole de Strasbourg, dans le respect des objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les Nations Unies » et « fédérer les acteurs économiques qui s'engagent dans des démarches responsables et de transitions (écologique, sociale, numérique) au bénéfice du territoire et du tissu économique local ». Le Pacte est piloté par des instances partenariales impliquant les entreprises et les acteurs socio-économiques dans la définition des objectifs et des actions à mettre en oeuvre. Les indicateurs du baromètre du Pacte permettent de mesurer les progrès collectifs.
(2) Le recours à la contractualisation en matière de planification écologique
La contractualisation apparaît
également comme un outil efficace pour engager la planification
écologique. Les contrats pour la réussite de la
transition écologique (CRTE), initiés en 2020 et
relancés en 2024 sont pilotés par l'ANCT et
déclinés localement par les préfets en concertation avec
les élus locaux. Ils sont signés pour 6 ans entre l'État
et les collectivités territoriales pour faciliter la relance
économique, la transition écologique et la cohésion des
territoires à l'échelle du bassin de vie. En 2020, sur les 853
périmètres
définis, 80 % l'étaient
à l'échelle intercommunale, 20 % à l'échelle
pluri-intercommunale. Les CRTE ont pour objet de mettre en place une
gouvernance locale partagée et de traduire les projets
stratégiques des collectivités territoriales en plans
d'action opérationnels pour atteindre les objectifs de
transition écologique d'un territoire. Il permet aussi de disposer de
moyens financiers et de mobiliser les ressources
d'ingénierie disponibles des opérateurs de l'État
(ANCT, agence de la transition écologique,
CEREMA). Il traduit enfin
la volonté de l'État de passer d'une logique verticale d'appels
à projets à une logique plus horizontale de
partenariat avec les collectivités territoriales.
Bonne pratique - Le CRTE du parc naturel régional des Grands Causses Dans ses fiches pratiques consacrées au CRTE, l'ANCT donne l'exemple du CRTE du parc naturel des Grands Causses, qui regroupe cinq communautés de communes : Larzac Vallées, Millau Grands Causses, Muse et Raspes du Tarn, Monts Rance et Rougier et Saint-Affricain, Roquefort, 7 Vallons) : « L'état des lieux des politiques climat-air-énergie et économie circulaire a été réalisé en 3 mois. Cela a permis à chaque communauté de communes d'identifier les points forts et les pistes de progrès, par exemple approfondir la planification pour prévenir et gérer les déchets ou intégrer les enjeux climat-air-énergie dans l'urbanisme. Ces objectifs opérationnels se sont traduits par des actions ciblées, telles que le suivi des consommations de fluides des bâtiments de la collectivité, le photovoltaïque sur toitures des zones artisanales, l'amélioration de la valorisation des déchets organiques et la collecte des biodéchets et la mise en place d'une ressourcerie ». |
(3) Le levier de la commande publique responsable
La commande publique constitue un levier économique important en France : près de 6 % du PIB en 2023 avec plus de 170 milliards de marchés publics, dont 67 % sont passés par les collectivités territoriales et leurs satellites.
La loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire, précisée par le décret n° 2022-767 du 2 mai 2022 portant diverses modifications du code de la commande publique, a instauré l'obligation pour les collectivités territoriales réalisant des achats de plus de 50 millions d'euros hors taxes par an, de se doter d'un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (SPASER).
L'article L. 2111-3 du code de la commande publique dispose que : « les collectivités territoriales et les acheteurs soumis au présent code dont le statut est fixé par la loi adoptent un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables lorsque le montant total annuel de leurs achats est supérieur à un montant fixé par voie réglementaire. Ce schéma, rendu public, détermine les objectifs de politique d'achat comportant des éléments à caractère social visant à concourir à l'intégration sociale et professionnelle de travailleurs handicapés ou défavorisés et des éléments à caractère écologique ainsi que les modalités de mise en oeuvre et de suivi annuel de ces objectifs. Ce schéma contribue également à la promotion d'une économie circulaire ».
Le SPASER permet aux collectivités territoriales d'établir une stratégie d'achat public durable, en fixant des objectifs en matière de transition sociale et écologique, mesurable par des indicateurs, permettant un développement économique plus vertueux et durable du territoire : critères et clauses environnementales et sociales, marchés réservés (par exemple aux entreprises de l'économie sociale et solidaire), pourcentage de produits recyclés ou reconditionnés, volume d'heures d'insertion sur les chantiers, achats innovants, accès des TPE/PME à la commande publique, etc.
Le SPASER deuxième génération de la ville et de la métropole de Nantes (2022-2026)62(*) fixe par exemple, en matière de facilitation de l'accès des TPE/PME à la commande publique : « des objectifs de réduction des délais de paiement, une ouverture plus importante vers les artisans par la mise en place d'un allotissement adapté et une bourse à la co-traitance permettant des réponses groupées ; la mise en place des facilités de paiement avec la généralisation d'une avance maximale à 30 % pour les marchés de travaux, sans production de garantie à première demande pour les marchés inférieurs à 90 000 € ». En matière d'amélioration de la qualité de l'alimentation, le SPASER fixe comme objectifs de : « proposer 100 % de repas faits maison dans les cantines et crèches avec 75 % de produits bio en 2026 ; mettre en place une cantine zéro plastique ; favoriser l'achat de produits de saison et les circuits courts ; favoriser le commerce équitable au sein de la distribution automatique et lors d'éco-évènements ».
4. Recréer du lien entre économie et territoire
Dans son rapport du 15 janvier 202563(*), à la demande de la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes dresse le bilan des réformes de la fiscalité locale menées entre 2018 et 2023, notamment :
- la suppression progressive de la taxe d'habitation sur les résidences principales (THRP) entre 2018 et 2023 ;
- la diminution à hauteur des trois-quarts, entre 2021 et 2023, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dont le produit résiduel n'est plus affecté aux collectivités territoriales, mais à l'État ;
- la réduction de moitié, en 2021, des bases d'imposition des locaux industriels assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et à la cotisation foncière des entreprises (CFE).
La Cour souligne les conséquences négatives de la déterritorialisation des impôts locaux qui résulte de ces réformes successives de la fiscalité locale, notamment « l'affaiblissement du lien fiscal entre les ménages et les entreprises et les collectivités pourvoyeuses de services publics ». Cette « rupture du lien contributif » est un frein pour l'économie des territoires, car elle déconnecte le financement, par les collectivités territoriales, de leur compétence développement économique, des principaux usagers qui en bénéficient, notamment les ménages et les entreprises, entraînant un moindre encouragement à créer de l'activité économique (construction, logement, transports, etc.).
Focus : Extraits du rapport de la Cour des comptes - « L'évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et de la (dé)territorialisation de l'impôt » - 15 janvier 2025 Les dernières réformes de la fiscalité locale avaient pour objectifs de donner du pouvoir d'achat aux ménages et d'améliorer la compétitivité des entreprises. La Cour considère que « ces objectifs ont été atteints, mais avec des effets incertains sur l'activité économique » : « la baisse des impôts de production a accru de 2,4 % l'excédent brut d'exploitation des entreprises », avec « un effet conjoncturel favorable en 2021 », même si « le recul manque pour apprécier son impact sur les investissements des entreprises dans la durée ». De plus, ces réformes « s'accompagnent d'un coût considérable pour les finances publiques et d'une déterritorialisation des recettes des collectivités ». S'agissant des départements et des régions, la Cour relève que « les impôts territorialisés sont devenus minoritaires dans les recettes de fonctionnement des départements (20,1 % en 2023) et des régions (12,1 %) » et fait le constat que « les entreprises ne contribuent plus au financement des régions et des départements, malgré les externalités positives qu'elles retirent de l'exercice par ces collectivités de leurs compétences dans le domaine des transports et, s'agissant des régions, celui de l'économie ». S'agissant des communes et des intercommunalités, la Cour note que « les impôts territorialisés restent majoritaires dans les recettes de fonctionnement des communes et des intercommunalités (54,1 %). En raison de moindres retombées fiscales, les communes sont toutefois moins incitées à accueillir de nouvelles activités et à construire de nouveaux logements. Les locataires de leur logement ne contribuent plus au financement des services publics dont ils bénéficient. La taxe foncière maintient néanmoins ce lien contributif dans la grande majorité des communes, qui comptent plus de propriétaires que de locataires ». |
Par ailleurs, les réformes de la fiscalité locale peuvent créer des inégalités entre les territoires. Intercommunalités de France relève que « les territoires industriels ont plutôt été les perdants de la réforme de la taxe professionnelle, qui générait le produit le plus important ».
Si l'idée de créer un nouvel impôt résidentiel est parfois mise en avant dans le but de retisser du lien contributif, la Cour des comptes, lors de la présentation de son rapport devant la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation le 13 mars 202564(*), a précisé que ce point relève d'un choix politique, en précisant toutefois qu'« on ne voit pas la marge aujourd'hui, dans le contexte actuel, pour recréer un impôt résidentiel ».
La communauté de communes de Champagnole-Nozeroy-Jura, auditionné le 1er avril 2025, partage cet avis en indiquant que « ce n'est jamais une bonne idée de créer une fiscalité nouvelle ou d'accroître la pression fiscale sur les ménages ». Pour autant, elle souligne que d'autres mécanismes pourraient être mis en place, par exemple s'agissant de la taxe sur les plus-values immobilières, qui « n'est pas assez dissuasive et pourrait pour tout ou partie être fléchée sur les territoires pour qu'ils puissent préempter de façon stratégique de nouveaux terrains », sur le modèle de la value capture outre-Atlantique.
* 54 Plan local d'urbanisme interommunal.
* 55 Créée en 2020, cette start-up industrielle aux besoins d'investissements élevés est spécialisée dans l'export de générateurs d'hydrogène.
* 56 Fonds national d'aménagement et de développement du territoire.
* 57 Créées dans les années 1960, les SAFER sont des sociétés anonymes sans but lucratif, qui remplissent des missions d'intérêt général, sous la tutelle de l'État, en vue de soutenir les projets agricoles et non agricoles en milieu rural. À l'origine, elles avaient vocation à réorganiser les exploitations agricoles vers une agriculture plus productive et à faciliter l'installation des jeunes agriculteurs. Leurs missions ont progressivement été élargies : appui au développement durable dans l'agriculture, protection de l'environnement, accompagnement des projets fonciers des collectivités territoriales, etc.
* 58 https://www.laregion.fr/nautisme
* 59 https://www.banque-france.fr/system/files/2024-07/Situation-financiere-des-start-up-en-2023.pdf
* 60 Rapport d'information n°447 (2024-2025), par Mmes Pascale GRUNY et Ghislaine SENÉE, déposé le 13 mars 2025.
* 61 cf. : Un appel à communs pour la conception du Jumeau numérique de la France et de ses territoires - Institut - IGN
* 62 https://www.rtes.fr/system/files/inlinefiles/20222026_SPAR_NantesetNantesM%C3%A9tropoleOK.pdf
* 63 https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-01/20250115-Levolution-de-la-repartition-des-impots-locaux-entre-menages-et-entreprises-et-de-la-deterritorialisation-de-limpot_1.pdf