B. LA FRAUDE AUX COTISATIONS : UN POTENTIEL DE GAIN PLUS LIMITÉ ?

1. Une fraude aux cotisations de plus de 7 milliards d'euros

La fraude sociale (recettes et dépenses) est évaluée par le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS)256(*) à 13 milliards d'euros par an, à peu près également réparties entre recettes et dépenses.

Dans le cas des recettes, la fraude serait de 7,25 milliards d'euros pour les cotisations, dont 6,91 milliards d'euros pour les Urssaf et 0,34 milliard d'euros pour la branche autonomie.

Selon le HCFiPS, cette estimation est un minorant, parce qu'elle ne prend pas en compte les redressements comptables d'assiette (CCA), de 4,6 milliards d'euros au total et dont une partie est nécessairement intentionnelle257(*).

Lors de son audition par la commission le 2 avril 2025, Emmanuel Dellacherie, directeur du recouvrement et du contrôle de l'Acoss (Urssaf Caisse nationale), a estimé que cette évaluation pouvait être sous-estimée258(*).

2. Sur les cotisations, une fraude détectée d'environ 1,5 milliard d'euros, dont seulement 0,1 milliard d'euros est recouvré

La fraude détectée par les Urssaf est passée de 0,7 milliard d'euros en 2019 à 1,6 milliard d'euros en 2024259(*).

Par ailleurs, « en matière de lutte contre le travail dissimulé, les recouvrements se sont [...] élevés à 121 millions d'euros en 2024, en hausse de plus de 50 % par rapport à ceux enregistrés en 2023 ».

3. Des marges de progression limitées par la nature de la fraude ?

La fraude au travail dissimulé est par nature difficile à recouvrer.

Aussi, le HCFiPS préconise plutôt de chercher à la prévenir, notamment au moyen de réformes juridiques260(*).

L'Acoss a indiqué aux rapporteures qu'entre les campagnes 2012 et 2023, la part du travail dissimulé détecté par des contrôles aléatoires (visant à mesurer l'ampleur de la fraude) était restée stable261(*). L'augmentation des fraudes détectées dans le cadre de l'activité de lutte contre la fraude ne proviendrait donc pas d'une augmentation de la fraude, mais bien d'une efficacité plus grande des contrôles. Si cela peut sembler rassurant, cela suggère aussi que la lutte contre la fraude n'a pas permis de réduire celle-ci.

4. Les propositions de l'Acoss pour mieux lutter contre la fraude aux cotisations

Interrogée par les rapporteures sur le besoin de modifier le droit, l'Acoss a évoqué diverses mesures tendant à renforcer la lutte contre le travail organisé dissimulé et les entreprises éphémères et à mieux encadrer la sous-traitance (cf. encadré).

Les mesures envisagées par l'Acoss pour lutter contre la fraude aux cotisations

Lutte contre le travail dissimulé organisé

« C'est particulièrement dans la lutte contre le travail dissimulé organisé qu'il semble nécessaire de faire évoluer le cadre juridique. Plusieurs évolutions peuvent être évoquées :

- pouvoir anonymiser les coordonnées de l'agent de contrôle au regard de risques pouvant peser sur sa sécurité et son intégrité (cette disposition existe au plan fiscal) ;

- faciliter l'exploitation des données issues du droit de communication bancaire ;

- étendre les capacités de saisie conservatoire durant le contrôle et donner l'accès à de nouvelles bases de données comme le SIV (système d'immatriculation des véhicules) ;

- mettre en place une solidarité financière à l'égard du maître d'ouvrage n'ayant pas accompli ses obligations de vigilance et de diligence. »

Encadrement de la sous-traitance et lutte contre les entreprises éphémères

« S'agissant de l'encadrement de la sous-traitance, plusieurs évolutions peuvent être mises en débat : faut-il limiter le nombre de niveaux de sous-traitance sachant que la sous-traitance en cascade génère des risques de travail dissimulé importants ? Faut-il renforcer la responsabilité des maîtres d'ouvrage dans le BTP, afin qu'ils soient davantage contraints de s'assurer du respect des obligations sociales de l'ensemble des entreprises/travailleurs indépendants intervenant sur un chantier ? C'est plus particulièrement sur cette dernière piste que l'Urssaf considère que des évolutions juridiques pourraient être menées, en s'inspirant par exemple des dispositions existant en Belgique.

Pour lutter contre ces entreprises « éphémères », des mesures réglementaires ont été instaurées dans le cadre du plan de lutte contre les fraudes, notamment l'obligation de publier les transmissions universelles de patrimoine au Bodacc262(*) et de présenter une attestation de compte à jour en cas de liquidation amiable. Ce sont des actions à poursuivre, le droit commercial est beaucoup contourné par les fraudeurs. Au-delà du corpus juridique, la dématérialisation et la simplification des démarches, très bénéfique pour les entreprises citoyennes, rendent plus difficiles la détection des fraudes, une sensibilisation accrue aux risques de fraudes apparaît nécessaire, par exemple au niveau des greffes des tribunaux de commerce. »

Source : Réponses de l'Acoss aux rapporteures


* 256 Haut Conseil du financement de la protection sociale, Lutte contre la fraude sociale - état des lieux et enjeux, juillet 2024.

* 257 « Ce chiffre n'inclut pas les manques à gagner liés aux contrôles comptables d'assiettes qui s'apparentent à des erreurs de bonne foi [note de bas de page : représentant 4,6 milliards d'euros y compris les chiffres sur les micro entrepreneurs]. Le chiffre de 13 milliards d'euros est donc un minorant, puisqu'une partie des résultats du contrôle comptable d'assiette peut vraisemblablement être la résultante d'anomalies intentionnelles ».

* 258 « L'évaluation de la fraude est très compliquée. Nous ne pouvons prendre en compte que ce que nous parvenons à détecter. Par définition, tout ce qui touche au travail partiellement dissimulé est plus difficile à détecter qu'une situation d'absence complète de déclaration d'un salarié. Les chiffres évoqués sont donc probablement sous estimés par rapport à la réalité du travail dissimulé. »

* 259 Ministère des comptes publics, ministère du travail, de la santé, des solidarités et des familles, Bilan 2024 - Lutter contre toutes les fraudes, 14 mars 2025.

* 260 Comme un meilleur encadrement de la sous-traitance ou des entreprises éphémères.

* 261 « Aucun secteur n'a enregistré d'évolution statistiquement significative entre 2012 et 2023. Globalement, le taux de cotisations éludées est compris entre 1,5 % et 2,0 % en 2023, contre 1,5 % à 1,9 % en 2012 » (source : réponse de l'Acoss aux rapporteures).

* 262 Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales.

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