TROISIÈME PARTIE
PRÉSERVER À LONG
TERME L'ÉQUILIBRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Une fois que la sécurité sociale aura été ramenée à l'équilibre - ce qui, sauf crise économique ou dysfonctionnement majeur de notre système institutionnel, devrait être atteint à moyen terme -, l'enjeu sera d'éviter l'apparition d'un nouveau déficit.
I. L'ASSURANCE MALADIE : LE PRINCIPAL DÉFI DES PROCHAINES DÉCENNIES
Comme on l'a vu ci-avant, le principal enjeu des prochaines décennies sera de continuer de maîtriser les dépenses de la branche maladie, dont la croissance spontanée, nettement supérieure à celle du PIB, pourrait les porter de 8,6 points de PIB actuellement à 10,5 points de PIB en 2040 et 14,5 points de PIB en 2070, ce qui ne serait manifestement pas finançable.
A. UNE CROISSANCE SPONTANÉE DES DÉPENSES DE SANTÉ NETTEMENT SUPÉRIEURE À CELLE DU PIB
1. Une croissance spontanée des dépenses de santé nettement supérieure à celle du PIB
Les dépenses de santé sont, par nature, les plus difficiles à projeter.
Schématiquement, les dépenses de santé résultent de quatre phénomènes :
- une élasticité au revenu (« effet richesse »), habituellement évaluée à environ 0,75 pour les principaux pays. Cela signifie que quand le revenu augmente de 1 %, les dépenses de santé augmentent de 0,75 % (avant prise en compte des autres phénomènes)305(*) ;
- trois phénomènes augmentant globalement la croissance des dépenses de santé :
o le vieillissement ;
o le fait que, le secteur de la santé étant une activité intense en main-d'oeuvre, avec moins de gains de productivité que dans l'industrie, les prix tendent à y augmenter plus vite que dans l'économie considérée dans son ensemble (ce qu'on appelle l' « effet Baumol »)306(*) ;
o le progrès technologique (en plus de celui indirectement pris en compte par les lignes précédentes)307(*).
Sur la base d'une approche de ce type, l'OCDE évalue la croissance spontanée des dépenses de santé en France à 2,2 % par an en volume en 2022-2040.
Croissance spontanée des dépenses de santé selon l'OCDE (2022-2040)
(en %)
* L'effet Baumol est la tendance des prix des secteurs intensifs en main-d'oeuvre (comme la santé) à augmenter plus rapidement que ceux du reste de l'économie, du fait de gains de productivité plus faibles dans ces secteurs.
** Progrès technique non indirectement prix en compte par les l'effet de la croissance du PIB et l'effet Baumol.
Source : D'après OCDE, Fiscal Sustainability of Health Systems - How to finance more resilient health systems when money is tight ?, janvier 2024, https://doi.org/10.1787/880f3195-en
Cette simulation économétrique est par nature simplifiée. En particulier, elle ne prend pas en compte le fait que la morbidité à âge donné tend à augmenter et les coûts croissants des nouveaux médicaments (cf. supra).
On remarque toutefois que, sur la base d'une hypothèse d'inflation de 1,75 %, cette croissance spontanée des dépenses de 2,2 % en volume correspond à une croissance spontanée de près de 4 % en valeur, cohérente avec les estimations du Gouvernement308(*).
2. Des dépenses de santé qui, si elles n'étaient pas maîtrisées, pourraient passer de 8,6 points de PIB en 2023 à 10,5 points de PIB en 2040 et 14,5 points de PIB en 2070
Ainsi, selon les projections de la Mecss, laisser les dépenses de santé augmenter de manière spontanée les ferait passer de 8,6 points de PIB en 2023 à 10,5 points de PIB en 2040 et 14,5 points de PIB en 2070, comme le montre le graphique ci-après.
Projections de recettes, de dépenses et de
solde de la branche maladie
de la sécurité sociale
(Robss+FSV)
(en points de PIB)
2016 |
2023 |
2023 |
2030 |
2040 |
2050 |
2060 |
2070 |
|
En points |
En Md€ |
En points de PIB |
||||||
Maladie |
||||||||
Recettes |
8,8 |
232,8 |
8,2 |
8,1 |
7,9 |
7,8 |
7,7 |
7,7 |
Dépenses |
9,0 |
243,9 |
8,6 |
9,3 |
10,5 |
11,9 |
13,3 |
14,5 |
Solde |
- 0,2 |
- 11,1 |
- 0,4 |
- 1,2 |
- 2,6 |
- 4,1 |
- 5,5 |
- 6,8 |
Maladie avec stabilisation de la dépense en points de PIB |
||||||||
Recettes |
8,8 |
232,8 |
8,2 |
8,1 |
7,9 |
7,8 |
7,7 |
7,7 |
Dépenses |
9,0 |
243,9 |
8,6 |
8,7 |
8,7 |
8,7 |
8,7 |
8,7 |
Solde |
- 0,2 |
- 11,1 |
- 0,4 |
- 0,5 |
- 0,7 |
- 0,9 |
- 0,9 |
- 0,9 |
Source : Calculs de la Mecss du Sénat
Le second scénario, non prescriptif, n'est pas à politiques inchangés. Il suppose que les dépenses de la branche maladie restent stables en points de PIB par rapport à 2024. Pour mémoire, cela correspond à ce qui se passe depuis une dizaine d'années. Ainsi, en 2016, les dépenses de la branche maladie étaient de 9 points de PIB309(*), soit plus qu'aujourd'hui. Autrement dit, les mesures d'économie sont parvenues à compenser la croissance spontanée augmentée des mesures coûteuses.
Les deux scénarios marquent une légère diminution des recettes rapportées au PIB, qui s'atténue progressivement sur la période de projection. Il s'agit de prendre en compte le fait que selon la Cnam, actuellement le taux de croissance spontané des recettes de l'assurance maladie est inférieur d'environ 0,3 point à celui du PIB en valeur, du fait du faible dynamisme des recettes assises sur la masse salariale du secteur public et sur la consommation de produits du tabac310(*). Dans son rapport « charges et produits » de juillet 2025, la Cnam préconise de prendre des mesures afin de neutraliser cette tendance à la baisse.
* 305 Les premières études réalisées à ce sujet parvenaient habituellement à une élasticité supérieure à 1, suggérant que, d'un point de vue collectif, la santé était un « bien supérieur » (dont la part dans les dépenses tendait spontanément à augmenter). Toutefois les études récentes considèrent que cela vient d'une prise en compte insuffisante des autres déterminants de la dépense de santé.
* 306 Du fait de l'impossibilité pratique de mesurer la productivité dans le secteur de la santé, l'OCDE a évalué pour chaque État membre, au niveau de l'ensemble de l'économie, le supplément de croissance des salaires par rapport à la croissance de la productivité par travailleur. Son estimation de l'effet Baumol pour les dépenses de santé correspond à ce supplément de croissance, multiplié par le coefficient (de 0,482) évalué économétriquement pour l'ensemble des États.
* 307 « On considère généralement que les innovations en technologie médicale sont le principal moteur des dépenses de santé. Des estimations récentes suggèrent que la technologie médicale explique 27 à 48 % de la croissance des dépenses de santé depuis 1960 (Smith et al., 2009). Willemé et Dumont (2015) ont estimé la contribution de la technologie médicale à la croissance passée des dépenses de santé pour 18 pays de l'OCDE sur la période 1980-2009 à 37 % en moyenne, allant de 19 % en Irlande à 56 % en Italie. » (Commission européenne, « 2024 Ageing Report - Economic & Budgetary Projections for the EU Member States (2022-2070) », Institutional Paper 279, avril 2024 ; traduction par les rapporteures).
* 308 Selon le Gouvernement, l'Ondam passerait spontanément de 265,9 milliards d'euros en 2025 (montant de la LFSS 2025) à 309,4 milliards d'euros en 2029 (présentation du Premier ministre du 15 juillet 2025). On calcule que cela correspond à une croissance annuelle de 3,86 %.
* 309 200,7 milliards d'euros, pour un PIB de 2 231,8 milliards d'euros.
* 310 Source : réponse au questionnaire des rapporteures.