B. POURSUIVRE LA POLITIQUE DE MAÎTRISE DES DÉPENSES DE SANTÉ « PAR LES PRIX » DES ANNÉES 2010 ?
1. Des économies qui ont jusqu'à présent essentiellement consisté à agir sur les prix
Comme indiqué supra, les documents prévisionnels annexés aux PLFSS suggèrent que sur la période 2015-2021, les mesures de maîtrise de la dépense de santé se sont élevées à près de 4 milliards d'euros par an en moyenne, dont :
- 2,5 milliards d'euros pour les mesures portant sur les prix (prix des médicaments, prix des achats hospitaliers, dans une moindre mesure rémunération des soins de ville) ;
- 1,1 milliard d'euros pour les mesures portant sur les volumes (maîtrise médicalisée, parcours de soins, arrêts de travail, transport de patients) ;
- 0,4 milliard d'euros pour les mesures portant sur la prise en charge (mise à contribution des patients et complémentaires, et dans une moindre mesure lutte contre la fraude).
Ces documents prévisionnels ne comportent pas de chiffrage des économies suscitées par la maîtrise de la masse salariale hospitalière, qui ont été bien sûr importantes311(*).
2. Un type de régulation qui présente d'évidentes limites
Ce type de régulation de la dépense « par les prix » est probablement indispensable.
On peut toutefois s'interroger sur son efficacité s'il n'est pas accompagné de mesures plus « qualitatives ».
Ainsi, dans le cas de l'hôpital, la politique de maîtrise des coûts des années 2010 s'est traduite par une faible progression des rémunérations312(*), un sous-investissement et une dégradation des conditions de travail, ce qui contribue à expliquer le « Ségur de la Santé », qui majore les dépenses de 13,4 milliards d'euros par an (les mesures discrétionnaires en faveur de l'hôpital atteignant même 21,6 milliards d'euros si l'on ajoute les « mesures inflation »).
On peut donc craindre qu'en l'absence de réformes structurelles suffisantes, une politique de maîtrise des coûts, en particulier en ce qui concerne la masse salariale, soit suivie tôt ou tard par un retour de ceux-ci à un niveau proche de celui qu'ils auraient eu en l'absence de ces mesures.
3. Des mesures de régulation par les prix et les déremboursements plus difficiles lors des prochaines décennies ?
Comme le directeur de la sécurité sociale l'a souligné lors de son audition par les rapporteures, les mesures potentielles de maîtrise de la dépense se « reconstituent » tous les ans. En particulier, la pertinence d'une pratique change d'une année à l'autre.
Toutefois, les efforts réalisés sur l'hôpital dans les années 2010 semblent difficilement renouvelables, en particulier dans un contexte d'endettement important de l'hôpital.
Dans le cas des produits de santé, les pénuries de certains produits, les innovations technologiques (qui, comme indiqué supra, ont suscité une forte croissance des dépenses de médicaments depuis 2020), les considérations de souveraineté et les récentes annonces du président des États-Unis conduisent à s'interroger sur la possibilité de maîtriser durablement des prix des médicaments.
Ces difficultés ont récemment été soulignées par Nicolas Revel, directeur général de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP).
La difficulté de continuer à privilégier la maîtrise des prix et les déremboursements, selon le directeur général de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris
Dans un récent article publié par le think tank Terra Nova, Nicolas Revel considère que l'action sur les prix (tarifs des actes et prix des médicaments) et les moindres prises en charge ont correspondu dans les années « avant covid » « aux trois quarts de l'effort ».
Il estime que la pratique consistant à allouer aux hôpitaux des financements inférieurs à leurs besoins pour les contraindre à réaliser des gains d'efficience, sans « aucune réforme tant sur la carte sanitaire que sur les règles de gestion des établissements », a conduit pour de nombreux établissements à des « exodes massifs » après la crise sanitaire, l'AP-HP ayant ainsi perdu 12 % de ses infirmières.
Selon lui, « les leviers tarifaires sur l'hôpital et l'industrie pharmaceutique sont devenus beaucoup moins évidents à mobiliser », ne laissant d'autres choix, si on ne parvient pas à davantage réguler les volumes, que de recourir davantage aux déremboursements, ce qui ne paraît pas politiquement envisageable, surtout pendant plusieurs décennies.
Ainsi, selon Nicolas Revel, « une seule solution demeure et va s'imposer à nous : travailler sur le premier paramètre de la dépense, c'est-à-dire la demande de soins pour la resserrer sur sa partie réellement nécessaire ou non évitable ».
Source : D'après Nicolas Revel, La santé des Français : sortir de l'impasse, Terre Nova, 26 mai 2025
* 311 Malgré divers coûts induits (développement du recours à l'intérim...).
* 312 Les effectifs ont en revanche poursuivi leur augmentation. Ainsi, les effectifs médicaux au 31 décembre sont passés, dans l'hôpital public, de 119 271 personnes en 2011 à 135 608 personnes en 2019 et 144 617 personnes en 2022 (source : Repss « maladie » annexé au Placss 2024).