C. FINANCER LES BESOINS EN MATIÈRE DE SUPERVISION DES FILIÈRES REP PAR UNE HAUSSE DE LA REDEVANCE DES ÉCO-ORGANISMES.
Dans leurs réponses au questionnaire du rapporteur spécial, l'Ademe120(*) ainsi que la DGPR121(*) considèrent comme insuffisants les moyens destinés au contrôle des filières REP, et c'est un constat largement partagé par les rapports qui ont été écrits sur la question. À ce titre, les inspections générales estiment que le nouvel organisme de régulation des filières REP qu'elles appellent de leurs voeux devrait comprendre 100 ETPT, contre 56,6 ETPT actuellement. En comparaison, en Allemagne, la coordination et le contrôle de la seule filière REP emballages sont assurés conjointement par le ministère fédéral, l'agence de coordination des éco-organismes et les Länder, et implique entre 100 et 150 ETPT.
Le rapporteur spécial appelle à ce que cette hausse des moyens ne soit pas supportée par le budget de l'État, mais qu'elle soit prise en charge par les filières REP elles-mêmes, en prolongement du dispositif qui existe actuellement.
En effet, le budget de la direction de supervision des filières REP, qui dispose d'un budget annexe indépendant du budget général de l'Ademe (article L. 131-3 du code de l'environnement), est alimenté intégralement par une redevance versée par les metteurs en marché, qui transite par les éco-organismes. L'article L. 131-3 du code de l'environnement prévoit en effet que « les coûts supportés par l'agence [l'Ademe] sont couverts par une redevance versée par les producteurs ou leur éco-organisme, dont le montant est fixé par décret », et il précise que « le pôle de l'agence réalisant ces actions dispose de l'autonomie financière dans la limite du produit des contributions reçues. » En 2024, il est estimé que cette redevance a représenté 8,7 millions d'euros.
L'article R. 131-26-2 du code de l'environnement précise toutefois que « Le montant de la redevance est fixé par l'agence conformément à des tarifs établis par elle et homologués par le ministre chargé de l'environnement ». Si l'Ademe a ainsi la main sur la détermination du montant de cette redevance, le ministre chargé de l'environnement a néanmoins la possibilité de s'opposer aux tarifs proposés, et ces tarifs doivent être élaborés selon la méthodologie suivante (article R. 131-26-3 du code de l'environnement) :
- l'Ademe doit déterminer la répartition des coûts inhérents aux prestations communes à plusieurs filières, en tenant compte du nombre de producteurs en relevant ;
- pour chaque filière, les coûts qui lui sont affectés sont complétés, le cas échéant, par les coûts inhérents aux prestations qui lui sont spécifiques. Les coûts totaux en résultant doivent ensuite être répartis entre chaque producteur en système individuel et chaque éco-organisme en tenant compte des quantités estimées de produits que ces producteurs ou les adhérents des éco-organismes ont mis sur le marché ;
- enfin, les tarifs annuels de redevance peuvent être augmentés de 20 % au plus afin de couvrir le coût d'investissements devant être réalisés l'année suivante et nécessaires à la réalisation des prestations assurées dans le cadre de la mission de suivi et d'observation des filières REP (article R. 131-26-1 du code de l'environnement). Ce complément de redevance doit donner lieu à régularisation au plus tard l'année suivant la réalisation des investissements, compte tenu des dépenses effectivement réalisées.
Le financement de la supervision des filières REP par une redevance payée par les éco-organismes eux-mêmes est vertueux : cette idée s'inscrit dans la continuité du principe selon lequel les producteurs doivent prendre en charge eux-mêmes les conséquences du traitement des déchets. Sa mise en oeuvre a cependant été poussive.
Les éco-organismes ont contesté cette redevance dès sa mise en place par la loi Agec, et ils ont demandé au juge administratif l'annulation des arrêtés tarifaires ainsi que les titres de perception associés à cette redevance notamment au motif que le coût de la prestation fournie en contrepartie directe de la redevance ne correspondait pas au montant appelé.
Le Conseil d'État, par deux décisions n° 456806 et n° 460437 du 6 mars 2024, a rejeté l'ensemble des moyens invoqués, en précisant notamment qu'il « il ressort des pièces du dossier, et notamment des documents présentant la méthodologie de calcul retenue ainsi que le détail des montants et critères d'allocation par filière communiqués par l'ADEME au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, que les tarifs homologués par les arrêtés attaqués, établis en application des dispositions de l'article R. 131-26-3 du code de l'environnement citées au point 5, ne sont pas manifestement disproportionnés par rapport au coût des prestations assurées par l'ADEME au titre de sa mission de suivi et d'observation des filières à responsabilité élargie. »122(*)
L'application de la notion juridique de « redevance pour service rendu » peut sembler paradoxale dans le cadre d'une mission de suivi et de contrôle, mais comme le souligne à juste titre l'Ademe, il faut envisager le service en question non pas seulement à l'échelle des éco-organismes stricto sensu, mais de l'ensemble de l'écosystème des REP : « il est toutefois important de rappeler que le service rendu au travers de cette redevance l'est à l'ensemble de l'écosystème REP, et va donc au-delà des éco-organismes, même si ceux-ci, par simplification, sont le canal de perception de la redevance. La supervision attendue par les pouvoirs publics porte sur l'ensemble des produits soumis au principe de la REP, et non pas simplement aux flux pris en charge par les éco-organismes. »123(*)
Les inspections générales défendent davantage une restriction de la redevance qui, au lieu de couvrir l'ensemble du budget de la DSREP, ne couvrirait que les coûts de la collecte et de la communication des données, pour se conformer « aux exigences de l'article 8 bis de la directive (UE) 2018/851 du parlement européen et du Conseil »124(*).
L'article 8 bis de la directive 2018/851 dispose en effet que « les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les contributions financières versées par le producteur du produit pour se conformer à ses obligations de responsabilité élargie couvrent : [...] les coûts de la collecte et de la communication des données », mais il n'interdit aucunement de mettre en place d'autres formes de redevance. Le Conseil d'État, dans ses décisions n° 456806 et n° 460437 précitées, a d'ailleurs validé la redevance par rapport à l'ensemble du « coût des prestations assurées par l'ADEME au titre de sa mission de suivi et d'observation des filières à responsabilité élargie », ce qui recouvre l'ensemble des missions de la DSREP telles que définies à l'article R. 131-26-1 du code de l'environnement.
Il n'y a donc pas d'obstacle juridique à augmenter le montant de la redevance afin de répondre aux besoins croissants en matière de suivi et de contrôle. Pour répondre aux exigences du rapport des inspections générales, il faudrait quasiment doubler la redevance, et donc la faire passer de 8,7 millions d'euros à 16 millions d'euros.
Le rapport des inspections générales avance également que la redevance pour service rendu ne permettrait pas d'exercer la supervision des REP en toute indépendance. Le risque existe, mais il ne doit pas être exagéré, et il peut être atténué par la mutualisation des moyens des administrations en charge de la supervision des REP. Un renforcement des capacités de suivi, financé par la redevance, est au contraire un gage d'indépendance.
Recommandation : Financer les besoins en matière de supervision et de contrôle des filières REP par une hausse de la redevance des éco-organismes.
En parallèle, il serait cohérent de comptabiliser les emplois destinés à la supervision des REP dans un budget à part, afin de distinguer les ETPT financés par la redevance des éco-organismes de ceux qui relèvent du budget général de l'État. En effet, bien que l'article L. 131-3 du code de l'environnement dispose que la DSREP dispose d'un budget annexe, ses ETPT ne sont pas distingués au sein du plafond d'emploi de l'Ademe. Le rapporteur spécial appelle ainsi à revenir à l'esprit de la loi Agec, c'est-à-dire de comptabiliser ses emplois à part.
* 120 Réponses de l'Ademe au questionnaire du rapporteur spécial : « Toutefois comme relevé par la mission d'instruction commune IGF, IGEDD, CGE sur la gouvernance des filières REP, les moyens affectés côté Pouvoirs Publics sont notamment insuffisants au regard des missions confiées et de la taille des structures à contrôler. Par exemple CITEO, actuellement agréé uniquement sur la filière des emballages ménagers, compte plus de 500 salariés. »
* 121 Réponses de la DGPR au questionnaire du rapporteur spécial.
* 122 « Performances et gouvernance des filières à responsabilité élargie du producteur », IGF, IGEDD, CGE, juin 2024, page 38 de l'annexe V.
* 123 Réponses de l'Ademe au questionnaire du rapporteur spécial.
* 124 « Performances et gouvernance des filières à responsabilité élargie du producteur », IGF, IGEDD, CGE, juin 2024, page 20.