EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 8 octobre 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial, sur le soutien de l'État à la prévention et à la valorisation des déchets ainsi qu'à l'économie circulaire.
M. Claude Raynal, président. - Nous entendons ce matin le rapport de Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », sur le soutien de l'État à la prévention et la valorisation des déchets ainsi qu'à l'économie circulaire.
Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial. - L'économie circulaire est un concept assez large. Entre le Graal vers lequel il faudrait tendre - l'absence de production de déchets -, et le stockage, qui est la pire des solutions, on passe par le réemploi et la réparation, le recyclage, la valorisation énergétique et l'incinération.
Aujourd'hui, l'usage des matériaux recyclés rencontre des difficultés économiques, notamment en raison de leur surcoût significatif par rapport aux matières vierges. Par exemple, le plastique recyclé coûte en moyenne quatre à cinq fois plus cher que le plastique vierge. Il n'y a donc pas d'intérêt économique pour un fabricant à utiliser de la matière recyclée, alors que celle produite à partir de pétrole est beaucoup moins chère.
Par ailleurs, la filière, encore naissante, rencontre des difficultés, faute de massification. Sur tout un ensemble de chaînes, les volumes de produits à traiter sont encore faibles. Par exemple, la Ville de Paris est revenue sur son système de collecte des déchets alimentaires parce que les quantités étaient trop faibles et les coûts de collecte trop élevés par rapport à la valorisation qui pouvait en être faite. En outre, l'usage des combustibles solides de récupération (CSR) se heurte à un problème de compétitivité par rapport à celui des énergies fossiles, notamment le gaz.
Quand une filière n'a pas de viabilité économique à court terme, mais que l'on est persuadé qu'elle présente un intérêt à long terme, il est possible de l'aider par des fonds publics. C'est ce qui a été fait, mais le soutien est fortement émietté.
Le traditionnel fonds économie circulaire peut en théorie soutenir tout projet présentant un lien avec l'économie circulaire, du financement de chaufferies utilisant des CSR à des campagnes de sensibilisation dans les écoles.
Jusqu'en 2025, près de la moitié des crédits du fonds était allouée au recyclage et à la valorisation énergétique, avec une grande disparité dans les projets financés. L'enveloppe du fonds a été quasiment divisée par deux dans le PLF 2025, passant de 300 à 170 millions d'euros, la baisse portant principalement sur le soutien à la filière CSR, ce qui paraît logique, car c'est celle qui présente le moins d'intérêt au regard de la pyramide de l'économie circulaire.
Le deuxième outil est le fonds vert, destiné à soutenir le tri à la source des biodéchets et leur valorisation, notamment par compostage et méthanisation. Environ 100 millions d'euros ont été versés en 2023 et 2024. Mes critiques sur ce dispositif tiennent à l'émiettement de ces crédits sur la mission « Écologie », en dépit de leur objectif commun.
Il faut citer également le volet « prévention des déchets et soutien à l'économie circulaire » du plan de relance, dont les crédits ont essentiellement été engagés au cours de l'année 2021, ainsi que France 2030, qui comporte deux thématiques liées à l'économie circulaire : le recyclage des plastiques et les solutions innovantes pour la recyclabilité. Deux appels à projets ont été lancés à ce titre, l'un en 2022 pour 430 millions d'euros, l'autre en 2021 pour 120 millions d'euros.
Si l'on additionne ces soutiens publics, en 2015, l'aide s'élevait à 217 millions d'euros. Son acmé a été atteint en 2023, avec 461 millions d'euros de crédits budgétaires, avant qu'une baisse ne s'amorce en 2024, poursuivie en 2025. Je suis toutefois incapable de vous dire quelle sera in fine l'enveloppe réelle : le fonds vert n'étant pas préaffecté, il faudra attendre la loi de règlement pour 2025 pour connaître les crédits fléchés sur ce dispositif.
À côté de ces crédits budgétaires destinés à aider les filières, un principe est mis en place dans le domaine de l'écologie, celui du pollueur-payeur, qui vise à responsabiliser les créateurs d'externalités négatives. Dans le domaine de l'économie circulaire, il s'applique depuis 1992, date de création de la première filière à responsabilité élargie du producteur (REP). Depuis cette date, les filières REP ont crû assez régulièrement, avec une très forte accélération à la suite de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (loi Agec). Depuis la promulgation de cette loi, dix nouvelles filières ont été créées, ce qui porte leur nombre à vingt-deux. Une filière REP oblige les producteurs qui y sont inclus à instaurer un système individuel de collecte et de traitement agréé - ce qui a été fait par exemple pour des producteurs relevant des filières des équipements électriques et électroniques, ou de celle des véhicules -, soit à mettre en place collectivement des éco-organismes agréés avec d'autres entreprises soumises aux mêmes obligations. À ce jour, vingt-sept éco-organismes exercent en France pour vingt-deux filières REP, ce qui signifie qu'il peut y avoir plusieurs éco-organismes pour une même filière, mais aussi un seul éco-organisme pour plusieurs filières. Leur taille est très variable : le plus important, Citeo, représente 463 équivalents temps plein pour 1,3 milliard d'euros d'écocontributions sur l'exercice 2024, tandis que le plus petit, PYRéO, compte deux ETP et a collecté 0,9 million d'euros.
Ces éco-organismes sont des organismes de droit privé. Par ailleurs, comme ils ne sont pas autorisés à dégager de bénéfices, leur équilibre économique est exclusivement guidé par leurs dépenses, qui doivent répondre aux obligations d'un cahier des charges arrêté par le ministre chargé de l'environnement. Le budget en équilibre qu'ils présentent détermine le montant de l'écocontribution, le tout étant simplement supervisé par l'Ademe.
On constate une très forte progression des écocontributions : 1,9 milliard d'euros ont été collectés en 2022, 2,3 milliards en 2024, 8 milliards devraient l'être en 2029. Ces sommes pèsent sur l'ensemble des entreprises opérant des mises sur le marché. On peut se poser la question de la soutenabilité à long terme de ce modèle, d'autant que l'écomodulation visant à récompenser les entreprises les plus vertueuses n'est proposée que par 15 filières REP sur 22. Un rapport récent de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd) concluait par ailleurs que l'écomodulation n'était pas un instrument efficace pour inciter les metteurs sur le marché à intégrer des matières recyclées dans leurs produits.
On peut aussi se poser la question de la fraude. Au regard des montants collectés, est-ce que tout le monde paie ? Le contrôle est assez faible : seules sept décisions ont été prises pour imposer des amendes à des metteurs sur le marché qui n'auraient pas réglé leur écocontribution. Un travail est en cours entre l'administration des douanes et le reste du système REP pour faire coïncider les volumes mis sur le marché et les volumes d'écocontribution.
Au final, entre les quatre dispositifs de crédits budgétaires et les filières REP, nous pouvons parler d'une véritable usine à gaz. La montée en puissance des filières REP ne s'est pas accompagnée d'une diminution des subventions publiques, pour des résultats somme toute très médiocres.
Le budget de l'Union européenne pour 2021-2027 a prévu une nouvelle ressource dépendant de la qualité du recyclage du plastique dans chaque pays. Or, la France est bonnet d'âne en la matière, puisque nous payons à nous seuls 20 % de la recette plastique du budget de l'Union. Sur la période 2022-2024, cela représente tout de même 4,3 milliards d'euros. Si la France recyclait aussi bien que l'Allemagne, nous pourrions économiser chaque année 750 millions d'euros.
Nous constatons également que les outils de la loi Agec se sont surtout concentrés sur des dispositifs à forte visibilité médiatique, dont le fameux fonds réparation, qui souffre aujourd'hui d'un problème de massification et de distribution à grande échelle. Les réparateurs indépendants - cordonniers, couturiers, distributeurs de produits électroménagers hors chaîne - en sont très peu bénéficiaires, car il est très compliqué d'obtenir l'agrément.
Si, à l'échelle de l'ensemble des éco-organismes, sur la période 2010-2022, les tonnages collectés ont connu une augmentation proche de celle des écocontributions dues, la croissance des tonnages recyclés et valorisés reste beaucoup plus faible que la progression des écocontributions. En d'autres termes, nous arrivons à collecter, mais nous n'arrivons pas à transformer et réutiliser. Au surplus, en 2023, 40 % du gisement des déchets soumis à une REP échappaient encore à la collecte, soit 6,6 millions de tonnes. Sur huit filières disposant d'un objectif de collecte, seules trois l'ont atteint en 2023.
Les REP ont par ailleurs une trésorerie dormante importante : un milliard d'euros fin 2022, soit environ la moitié de ce qu'ils ont collecté. Nous n'avons pas connaissance des données pour 2023 et 2024, ce qui pose un problème de transparence, mais nous sommes certains que cette trésorerie augmente, car nous avons pu constater un différentiel de l'ordre de 300 millions d'euros entre les dépenses effectuées par les éco-organismes et le montant de la collecte.
C'est la raison pour laquelle nous préconisons notamment d'encadrer les provisions pour charges futures, en prévoyant des seuils plus contraignants et en renforçant les sanctions en cas de non-respect.
Nous voulons aussi que cette trésorerie dormante soit utilisée pour soutenir l'investissement. Si la loi Agec a prévu une réorientation des REP vers l'investissement, nous sommes aujourd'hui très loin d'avoir atteint cet objectif. Nous proposons donc que les éco-organismes puissent initier des appels à projets capacitaires permettant d'atteindre les objectifs réglementaires de réutilisation, de réincorporation et de recyclage. L'utilisation de ces crédits disponibles dans la trésorerie des REP justifierait, dans le même temps, une diminution progressive des crédits du fonds économie circulaire, moyennant deux nuances. Premièrement, ce fonds reste indispensable dans les outre-mer, où les filières REP sont très peu développées. Deuxièmement, lorsque c'est nécessaire, des dispositifs de prêts à taux zéro restent nécessaires pour financer des projets dont la viabilité économique ne pourra exister qu'à très long terme. La Caisse des dépôts et consignations pourrait aussi jouer ce rôle de financeur.
Il faut également renforcer le contrôle des éco-organismes, qui n'est pas très efficace à en croire le rapport des inspections générales. De plus, certaines sanctions sont inadaptées. Le montant de l'astreinte journalière est ainsi indépendant des fonds collectés par les éco-organismes - PYRéO est soumis au même montant d'astreinte journalière que Citeo... La sanction qui vise à retirer la labellisation de l'éco-organisme pose également problème : lorsqu'il n'y a qu'un seul éco-organisme dans une filière REP, il ne paraît pas crédible de lui retirer sa labellisation.
Je préconise donc d'adapter et de simplifier la procédure de contrôle des éco-organismes. Le rapport propose en premier lieu de mutualiser les moyens des administrations en charge du suivi et du contrôle des filières REP. Aujourd'hui, cinq structures publiques interviennent dans ce contrôle : la direction générale de la prévention des risques (DGPR), les douanes, la direction générale des entreprises, le contrôle général économique et financier et l'Ademe. Or la majorité des effectifs sont concentrés à l'Ademe et la DGPR, pourtant administration de tutelle et disposant du pouvoir de sanction, n'a pas accès à Syderep, la base de données de l'Ademe...
Le rapport propose en second lieu de renforcer le budget de ces administrations. Actuellement, dans le projet annuel de performances de la mission « Écologie », sont seulement indiqués 4 millions d'euros de recettes sont affectés à la DGPR pour financer des campagnes de communication sur le suivi des filières REP. La redevance pour le contrôle ne figure pas dans le projet annuel de performances.
La DGPR m'a expliqué que ses moyens budgétaires étaient presque entièrement consacrés à la vérification des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), qui accuse un retard important. Par conséquent, le suivi des filières REP n'est pas assuré. Je suggère donc de financer les moyens supplémentaires de supervision et de contrôle par une hausse des redevances des éco-organismes.
Il serait également judicieux, au sein des informations communiquées par l'Ademe sur son plafond d'emplois, d'isoler les effectifs qui s'occupent des REP, puisqu'un budget dédié est prévu par la loi Agec.
Enfin - et c'est peut-être le plus dramatique -, la supervision des filières REP ne repose aujourd'hui sur aucune analyse économique des secteurs. Une meilleure information sur les situations financières des éco-organismes et des filières soumises à ces REP est donc nécessaire. Les contentieux sont nombreux et certains acteurs font faillite, car certains dispositifs ont été conçus en faisant totalement abstraction de l'économie de la filière. On peut entendre qu'il y ait un problème de rentabilité à court terme, mais nous ne pouvons pas avoir autant d'argent qui dort dans les filières REP et des résultats aussi mauvais.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La situation est consternante. Le rapport souligne bien les carences et les insuffisances du mécanisme des écocontributions. Les entreprises sont prélevées, puis nous assistons à une fuite en avant sans contrôle, ou avec des contrôles insuffisants, sur le niveau de dépense et d'efficacité. Nous devons réfléchir à une meilleure organisation, plus fluide, avec un nombre d'intervenants plus restreint et une nouvelle allocation des ressources.
Les dispositifs que nous avons créés à une certaine époque échappent désormais au contrôle du Parlement. Quand Christine Lavarde rappelle le montant des sommes en jeu, surtout si on le projette à l'horizon 2030 en cas de poursuite de la dérive, cela donne froid dans le dos. Nous devons faire les bons arbitrages et redresser la situation. La situation de la filière des petites réparations est assez révélatrice de la dérive actuelle : en raison de la complexité du dispositif, elle n'est pas vraiment accessible, ce qui est assez incompréhensible.
Si je souscris aux propositions de notre collègue, je souhaiterais l'interroger sur sa proposition n° 1, celle du prêt à taux zéro : quel avantage cette solution présente-t-elle ?
M. Grégory Blanc. - Je remercie notre rapporteur pour la clarté de son propos et j'approuve presque toutes ses recommandations.
Je souscris à la nécessité de bien dissocier ce qui relève du recyclage de ce qui relève de la réparation ou de la refabrication. Nous devons être extrêmement clairs, car ce sont deux façons d'envisager le développement et l'industrialisation de l'économie circulaire. Les circuits logistiques et les besoins financiers ne sont pas les mêmes lorsqu'il s'agit de transformer la matière, d'un côté, ou de transformer ou réparer un produit, de l'autre.
Autant je soutiens les recommandations 2 à 7 de votre rapport, que je voterai sans difficulté, car nous avons besoin de plus de lisibilité, de clarté et d'efficience, autant j'ai un désaccord sur la recommandation n° 1. Nous avons besoin de plus de fonds en les orientant mieux, notamment sur la refabrication et la réparation, car il est nécessaire de développer ces filières, d'innover et d'inventer. À côté, nous devons créer des véhicules financiers qui permettent aux opérateurs de supporter le poids de produits qui pèsent dans leur stock et leur bilan. Aujourd'hui, ils ont besoin d'argent et les banques, très souvent, ne veulent pas leur prêter.
L'idée des prêts à taux zéro est bonne, mais elle ne sera sans doute pas suffisante. Il faut également travailler à la question des durées d'amortissement pour les biens dits « durables ». Je ne peux donc pas voter une recommandation qui propose de prendre de l'argent à un endroit pour le mettre à un autre, alors que les enjeux d'adaptation sont considérables et qu'ils nécessitent de repenser l'ensemble de la filière. Nous avons besoin d'investir plus d'argent et de réinventer l'ensemble de nos outils.
M. Pierre Barros. - Certains parmi nous ont été sollicités par les filières du BTP, très actives sur le sujet. Nous pouvons les comprendre, car elles paient aujourd'hui la charge des REP sans avoir en retour un niveau de services adaptés aux volumes qu'elles traitent.
Lorsqu'on connaît un peu le milieu du bâtiment, on sait ce que pèse la charge des déconstructions, des déchets et de leur traitement. Le secteur a construit depuis quelques années ses propres filières de revalorisation, mais ce changement de prestataires ou d'opérateurs crée a minima un stress pour les entreprises du BTP. Le sujet est particulièrement sensible pour les très grosses entreprises. Quant aux petites entreprises et aux PME, cette réorganisation n'a pas permis de limiter les dépôts sauvages dans nos territoires. Je trouve que ces deux échelles sont à mettre en relation.
Tant qu'il n'y aura pas une filière cohérente de revalorisation et de transformation, nous pourrons bien injecter tous les millions que nous voudrons, les objectifs ne seront pas atteints.
Mme Ghislaine Senée. - Je vous remercie de mettre en avant ce sujet, car il y a un véritable problème, notamment avec les éco-organismes. Ma rencontre avec l'entreprise Le Relais m'a permis de mieux comprendre les enjeux dans la filière textile.
Il convient de bien dissocier ce qui relève du recyclage de ce qui relève du réemploi, car ce n'est pas la même chose. Le recyclage peut être automatisé et représente un investissement que l'éco-organisme devrait pouvoir financer. En revanche, le réemploi du textile demande un tri manuel. En dépit de l'intelligence artificielle et des capteurs, une expertise humaine reste nécessaire pour apprécier la qualité du tissu.
Aujourd'hui, le coût du tri est de l'ordre de 300 euros nets, mais l'éco-organisme ne le valorise qu'à hauteur de 150 euros. Il considère que, dans le cas de l'entreprise de l'économie sociale et solidaire Le Relais, les recettes d'aide à l'insertion compensent la différence. Or, l'aide à la réinsertion représente également un coût - accompagnement, formation, etc. - et cette politique publique de l'emploi n'a pas à servir les filières et les entreprises qui mettent des biens sur le marché.
Ce sujet doit être réglé une bonne fois pour toutes. L'estimation réelle du coût du traitement et du tri ne peut être effectuée par les seuls metteurs sur le marché, car cela fausse la donne. Il faut revoir la gouvernance et prévoir que les opérateurs de terrain aient au moins leur mot à dire, voire soient majoritaires.
Il faudrait aussi pouvoir régler la question des matériaux qui n'ont pas d'exutoire. Il y a par exemple aujourd'hui des montagnes de textiles qui s'entassent : les metteurs sur le marché ont la responsabilité de trouver une solution et de la financer.
Contrairement à notre collègue, je ne crois pas qu'il faille baisser les crédits du fonds économie circulaire, car nous voyons bien qu'il est, dans certains secteurs, créateur d'emplois. Les prêts à taux zéro peuvent apporter une réponse, mais elle ne sera pas totale. Je ne suis donc pas favorable à cette recommandation, non plus qu'à la recommandation n° 3, car nous savons que les appels à projets empêchent les entreprises d'avoir de la visibilité pour investir sur une base pluriannuelle. J'émets enfin une petite réserve sur la recommandation n° 4 : vous avez dit qu'il s'agissait de renforcer la procédure, mais il me semble qu'il s'agit en réalité de l'adapter et de la simplifier. Quoi qu'il en soit, si nous ne retirons pas la proposition n° 1, j'aurai du mal à voter ce rapport.
M. Laurent Somon. - Je vous remercie pour ce rapport fort intéressant et je souhaite vous poser trois questions.
La première concerne les plastiques. La contribution élevée de la France est-elle due à l'utilisation de certains plastiques difficilement recyclables ou à un véritable défaut de collecte ?
La seconde porte sur l'importante trésorerie dormante dont vous avez parlé. Existe-t-il des différences entre les filières ? Certaines sont presque autonomes, comme celle du papier-carton, d'autres non. Les filières autonomes, qui sont donc en économie circulaire, bénéficient-elles d'une valorisation ? Serait-il envisageable, comme le suggère la recommandation n° 1, de leur accorder des prêts à taux zéro plutôt que de diminuer le fonds de contribution ? La crainte de ces entreprises autonomes est de payer pour les autres, qui ont encore besoin de subsides publics.
Toujours au sujet des plastiques, les organismes publics de ramassage et de traitement craignent-ils de perdre des volumes si une consigne était mise en place ? La consigne est-elle un dispositif positif pour le recyclage du plastique ou risque-t-elle de déstabiliser les services publics de ramassage et de traitement ?
Enfin, ma troisième question porte sur le fonds réparation. Dispose-t-on d'une évaluation de son coût budgétaire ? Peut-on constater par ailleurs une diminution de la consommation, notamment dans le textile ?
Mme Florence Blatrix Contat. - Ce rapport très précis dresse un état des lieux et expose les faiblesses du financement de l'économie circulaire. Cette dernière me paraît essentielle : elle peut constituer un véritable avantage comparatif pour la France, avec des entreprises capables d'exporter leur savoir-faire.
Si la collecte s'est améliorée dans notre pays, le recyclage n'est pas au niveau. Je partage l'essentiel du rapport, mais, comme d'autres collègues, je ne souscris pas à la proposition de supprimer le fonds économie circulaire. Ce fonds est notamment utilisé pour les projets de production de CSR, qui sont essentiels pour beaucoup de nos collectivités. Sa suppression serait donc un frein au financement de ces projets.
Quelles seraient les conséquences de la suppression de ce fonds, même si j'ai bien compris que les outre-mer pourraient être épargnés ? Par ailleurs, les failles de ces dispositifs ne sont-elles pas dues à une filière de recyclage insuffisamment structurée ? Que faudrait-il faire pour avoir des filières plus efficientes ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - C'est un sujet majeur. La semaine dernière, j'ai visité l'un des plus grands sites de recyclage de France, situé à Vert-le-Grand, dans mon département, l'Essonne ; celui-ci est adossé à la Semardel, une importante société d'économie mixte.
Je félicite Christine Lavarde pour ce rapport étayé et précis.
À l'inverse de mes collègues qui viennent de s'exprimer, la présence de la recommandation no 1 m'invite à voter le rapport : c'est la plus importante - et de loin. Prévoir de l'argent est nécessaire, certes, mais nous sommes bien placés pour savoir que celui-ci ne coule plus à flots. La diminution des crédits du fonds économie circulaire sera non pas brutale, mais progressive : voilà l'intérêt de cette proposition. Ne pas adopter cette proposition serait une erreur majeure, à l'heure où nous traversons une période difficile sur le plan financier.
M. Marc Laménie. - Merci à notre rapporteur spécial pour ce travail de qualité. Plusieurs de nos collègues ont évoqué la question du textile. Les bornes de collecte débordent dans nos départements respectifs. Quelles solutions pourraient-elles être mises en oeuvre ?
Quel est le nombre d'emplois créés par les entreprises et les associations relevant de l'économie sociale et solidaire (ESS) ?
M. Christian Bilhac. - Merci à Christine Lavarde pour son excellent travail. Nous devrions consulter les archives de l'administration : les données étaient plus faciles à trouver voilà 50 ou 100 ans qu'à l'heure actuelle, époque de l'informatique et de l'intelligence artificielle. Nous avons seulement accès à des données qui datent déjà de deux ou trois ans. Ce constat vaut pour tous les rapports que nous examinons.
Quelque chose m'échappe au sujet des filières. Lorsque j'ai acheté un appareil électroménager, j'ai payé l'écocontribution. De même lorsque j'ai réalisé des travaux dans ma salle de bains : c'est moi qui ai payé la mise en décharge des gravats, et non la filière.
Toutefois, les contributions payées par les citoyens, de l'ordre de 2,3 milliards d'euros, sont insuffisantes. Résultat : des financements supplémentaires, issus du fonds vert, du fonds économie circulaire, du programme d'investissements d'avenir (PIA) sont nécessaires. Pas moins de cinq entités sont chargées des contrôles : la direction de la supervision des filières REP de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), la direction générale de la prévention des risques, la direction générale des entreprises (DGE), le contrôle général économique et financier (CGefi), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Une fois encore, tout le monde fait tout : c'est le bazar !
Quelle part du montant des écocontributions est-elle réellement affectée à des actions de recyclage et à l'économie circulaire ? À combien s'élèvent les montants perdus dans les méandres de toutes ces structures ? Plus personne n'y comprend rien !
Mme Sylvie Vermeillet. - Les acteurs de la filière bois estiment que le montant de l'écocontribution qu'ils devraient verser à la filière REP des produits et matériaux de construction du bâtiment (PMCB) est insoutenable, alors que le bois participe de la décarbonation du bâti. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ? Je rappelle que le Sénat a adopté une proposition de loi d'Anne-Catherine Loisier à ce sujet le 15 mai dernier.
M. Claude Raynal, président. - Le graphique de la page no 1 de L'Essentiel montre l'évolution constatée et la trajectoire prévisionnelle du montant des écocontributions perçues par les filières REP entre 2000 et 2028. Je regrette que celui-ci ne comporte pas l'évolution qui était prévue en 2000 : nous aurions pu comparer les différences entre la trajectoire alors prévue et ce qui s'est effectivement passé. Le graphique traduit-il une évolution normale ou un retard par rapport aux prévisions ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial. - Il reflète les nouvelles obligations introduites par la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire. Aucune prévision n'avait été élaborée avant ce texte.
M. Claude Raynal, président. - Comment vérifier année après année que les objectifs sont atteints ? Cette courbe est-elle déclinée filière par filière pour que l'administration puisse effectuer des contrôles, et, le cas échéant, imposer des corrections ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial. - Vous appelez de vos voeux un contrôle de l'efficacité de la politique publique dans son ensemble. Or celui-ci est aujourd'hui vraiment déficient, car les données ne sont pas partagées et le système est très endogame. En effet, les personnes validant les écocontributions et celles chargées des contrôles sont les mêmes : elles sont juges et parties.
Le Parlement voit son contrôle plus limité, puisqu'il s'agit d'organismes de droit privé ne bénéficiant d'aucun crédit budgétaire. C'est regrettable : nous avons beaucoup de difficultés à obtenir des éléments, ce qui n'est pas le cas pour les données des différents fonds publics. Ceux-ci sont toutefois sans commune mesure avec la masse d'argent collectée auprès des entreprises et utilisée pour le fonctionnement des REP, bien plus importante.
Tel est l'objet de la deuxième série de préconisations du rapport : renforcer les contrôles. Certes, la Cour des comptes a publié plusieurs rapports sur les filières, sans oublier le travail mené par les inspections générales, mais nous déplorons tous de ne pas disposer de données en nombre suffisant. C'est seulement en consultant les rapports d'activité que nous parvenons à trouver quelques éléments. Nous faisons face à un manque de transparence évident, car le système est très fermé sur lui-même, sans que l'administration puisse jouer son rôle.
Je ne pourrai pas à votre question générale sur l'économie sociale et solidaire, Monsieur Laménie, car mon contrôle porte sur l'économie circulaire : ce sont deux champs d'activité différents, même s'il peut y avoir des recoupements.
Marta de Cidrac et Jacques Fernique, membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, ont mené à bien un travail très intéressant sur la mise en oeuvre de la loi Agec. Je vous invite à lire ce rapport très complet, publié au mois de juin dernier.
Monsieur Bilhac, vous avez souligné que c'était le consommateur qui payait l'écocontribution. En théorie, ce n'est pas le cas, puisque celle-ci résulte de l'application du principe pollueur-payeur. Lors de l'examen de la loi Agec, deux filières - l'ameublement et la filière électrique et électronique - ont obtenu que cette charge figure sur la facture remise au client. La filière ameublement souhaite que cette transparence perdure, alors que celle-ci devait être temporaire : les acteurs de la filière ne souhaitent pas qu'on leur impute l'augmentation du prix de vente des meubles.
Lorsque le consommateur paie, on s'éloigne du principe pollueur-payeur, dont l'objectif était d'inciter les producteurs à être plus vertueux. Le système mis en place pèse sur les entreprises, non sur les consommateurs, même si, dans les faits, les producteurs ont répercuté sur ces derniers l'augmentation des charges qu'ils supportent.
Le bonus réparation ne représente aucun coût pour le budget de l'État, puisqu'il est entièrement financé par les filières REP. Les seuls chiffres dont nous disposons montrent qu'entre 2022 et 2024, seuls 30 % des crédits prévus ont été exécutés.
La montée en charge de ces bonus a pris du temps, car il a fallu d'abord agréer les réparateurs ; puis le nombre de produits éligibles a considérablement augmenté. On peut toutefois s'interroger sur le montant des bonus, sans lien avec le prix d'achat de l'appareil. Si vous faites réparer une machine à laver classée E, qui consomme beaucoup d'eau et d'électricité, vous bénéficiez du même montant de bonus que pour une machine A+, qui ne vous a pourtant pas coûté le même prix à l'origine. Le montant du bonus est le même pour un drone et pour une bouilloire, alors que ce ne sont pas les mêmes personnes qui les achètent. Je me pose un certain nombre de questions sur la manière dont les bonus ont été fixés et sur le choix des appareils concernés. Ces éléments n'entraient toutefois pas dans le cadre de mon contrôle budgétaire, puisque nous ne sommes pas chargés d'établir le cahier des charges : c'est le travail du ministère de l'environnement.
Les questions liées à la consigne relèvent davantage de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable que de la commission des finances. Je souhaite toutefois vous apporter quelques éléments sur les catégories de plastique nous conduisant à nous acquitter d'une amende auprès de l'Union européenne. Il s'agit des bouteilles en plastique à usage unique pour boisson, des emballages plastiques ménagers hors bouteilles, et des emballages plastiques non ménagers. En réalité, ce sont quasiment tous les emballages plastiques, mais ils sont dissociés par catégories.
Je ne suis pas en mesure d'apporter des précisions sur la situation de la filière bois. En revanche, le cas de la filière BTP, en cours de négociation, est intéressant. La durée de vie des produits utilisés est très longue. Les metteurs sur le marché sont soumis à l'application du principe pollueur-payeur. Or le moment où interviendra le recyclage des produits est lointain. Les acteurs bénéficiant du soutien logistique de la REP sont les acteurs de la démolition, et non pas nécessairement ceux qui ont payé l'écocontribution à l'origine.
Le recyclage est couvert par la REP bâtiments, mais il aura été payé par d'autres. D'où des tensions pour définir le cahier des charges de cette REP. Les enjeux sont colossaux, car les volumes le sont également et la nature des acteurs est très différente entre les géants du BTP et les petits artisans, notamment dans la filière bois. Je suis bien incapable de vous dire à quoi pourrait ressembler le futur cahier des charges.
Je m'étonne du peu d'appétit de certains pour passer d'un soutien budgétaire à un soutien par les filières REP pour financer les investissements dans le domaine du recyclage. Le financement des REP repose sur le principe pollueur-payeur : on demande à ceux qui produisent des externalités négatives de les compenser. À l'inverse, le soutien budgétaire repose sur un financement par la collectivité, c'est-à-dire par l'ensemble des citoyens, via l'impôt.
Par ailleurs, nous faisons face à un problème de soutenabilité des finances publiques. Or nous avons constaté à de nombreuses reprises que de l'argent dormait dans ces filières. J'ai répondu à toutes vos questions que les crédits budgétaires n'avaient pas été utilisés dans leur intégralité ; il en va de même pour les sommes collectées par les filières. Je vous invite vivement à visiter les sites internet de ces éco-organismes : il y a pléthore de personnes dont je me demande ce qu'elles font. Un même éco-organisme peut ainsi disposer de deux ou trois sites internet, selon que l'on est un professionnel, un institutionnel ou un particulier.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il y a du gaspillage !
Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial. - Oui, il y a du gaspillage. C'est d'ailleurs le titre du rapport : « Éviter le gaspillage ».
M. Claude Raynal, président. - Au regard de nos débats, je vous propose de voter d'abord la recommandation no 1, puis, en un seul bloc, les recommandations nos 2 à 7.
La recommandation n° 1 est adoptée, de même que les recommandations nos 2 à 7 du rapporteur spécial. La commission a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.