IV. UN IMPÉRATIF : SIMPLIFIER LES EXONÉRATIONS DE COTISATIONS POUR UNE MEILLEURE GESTION
Au terme
de leurs investigations, vos rapporteurs soulignent la complexité
qu'induit la gestion de multiples mécanismes d'exonération de
cotisations, à la fois pour les entreprises et pour la branche du
recouvrement.
Proposer " clefs en main " une refonte complète des
mécanismes existants n'entrait pas dans le propos de vos rapporteurs
dans le cadre de leur mission de contrôle sur pièces et sur place.
A la lumière de leurs constatations, il leur est apparu toutefois que
quelques pistes pouvaient a priori être inventoriées.
A. L'IMPÉRATIF DE RATIONALISER LES MESURES EMPLOI
1. Respecter les engagements de la convention d'objectifs et de gestion Etat - ACOSS
Les
conventions d'objectifs et de gestion, signées entre l'Etat et les
caisses nationales, constituent une nouvelle démarche de
" contractualisation ", permettant une tutelle davantage
" stratégique ". Le propre d'une convention est de comporter
des engagements réciproques. Il serait opportun que l'Etat attache du
prix à respecter sa part du contrat.
La convention d'objectifs et de gestion signée entre l'Etat et l'ACOSS
le 3 avril 1998 comprenait un engagement de l'Etat, au paragraphe 241,
intitulé
" des textes clairs et adaptés aux
réalités vécues par les employeurs "
. La
première phrase précisait cette volonté :
" l'élaboration des textes législatifs et
réglementaires relatifs aux cotisations et contributions devra tendre
à une rationalisation des règles d'assiette au sein du
régime général et en liaison avec les autres
régimes de protection sociale, à une simplification des mesures
d'assiette ou de taux dérogatoires en faveur de l'emploi. "
Deux ans après la signature de cette convention, force est de constater
l'absence totale de réalisation de cet engagement. M. Charles
Descours, président du Conseil de surveillance de l'ACOSS, indiquait
dans le résumé de l'avis au Parlement du 28 septembre 1999 :
" l'Etat doit également respecter ses différents
engagements, notamment dans le domaine de la simplification et de la
clarification de la réglementation : rationalisation des mesures en
faveur de l'emploi ; meilleure écoute des gestionnaires dans le
processus d'élaboration des mesures. "
.
2. Etudier le regroupement de certaines mesures
La concentration financière des exonérations de cotisations laisse rêveur.
Concentration financière des mesures d'exonération (régime général)
Nature d'exonérations |
en millions de francs |
en % du total |
en % cumulé |
Exonérations RTT intégrant la ristourne bas salaires |
61 315 |
64,80 % |
64,80 % |
CIE |
4 551 |
4,81 % |
69,61 % |
Apprentissage |
3 913 |
4,14 % |
73,75 % |
ARTT de Robien |
3 100 |
3,28 % |
77,03 % |
Temps partiel |
2 975 |
3,14 % |
80,17 % |
CES |
2 903 |
3,07 % |
83,24 % |
Embauche 1er salarié |
2 864 |
3,03 % |
86,27 % |
Contrats de qualification |
2 562 |
2,71 % |
88,98 % |
CES consolidés |
2 139 |
2,26 % |
91,24 % |
Exonérations emplois familiaux |
1 894 |
2,00 % |
93,24 % |
Exonérations DOM |
1 313 |
1,39 % |
94,63 % |
Exonérations salariés en ZFU |
1 261 |
1,33 % |
95,96 % |
Aide à domicile |
999 |
1,06 % |
97,02 % |
Chèque emploi service |
772 |
0,82 % |
97,84 % |
Exonération des cotisations allocations familiales |
451 |
0,48 % |
98,32 % |
Insertion par l'économie |
381 |
0,40 % |
98,72 % |
HCR avantages en nature repas |
350 |
0,37 % |
99,09 % |
Zone franche Corse |
285 |
0,30 % |
99,39 % |
Créations d'emploi en ZRR |
245 |
0,26 % |
99,65 % |
CRE (part compensée) |
210 |
0,22 % |
99,87 % |
Créations d'emploi en ZRU |
85 |
0,09 % |
99,96 % |
Contrats d'orientation |
28 |
0,03 % |
99,99 % |
CRE (part non compensée) |
23 |
0,02 % |
100,00 % |
Total des exonérations |
94 619 |
100,00 % |
100,00 % |
La
moyenne nationale fait apparaître une concentration de 80 % des
crédits sur les cinq premières mesures. Mais, à l'occasion
du déplacement effectué à Arras, vos rapporteurs ont pu
constater que les cinq premières mesures pouvaient représenter
jusqu'à 97 % des exonérations accordées.
Les mesures les plus " chères " sont d'ailleurs les plus
simples, comme l'a montré le succès de la ristourne bas salaires.
Dès lors, ne serait-il pas possible d'envisager un regroupement, un
"toilettage " des différentes mesures d'exonération ?
Il convient de noter que la mission IGF-IGAS de mai 1998 insistait sur cette
règle de bon sens :
" la branche générera
d'autant mieux les mesures emploi que ces dernières seront peu
nombreuses, simples à appliquer et stables dans le temps. A cet
égard, la succession rapide des mesures et la multiplication de leurs
critères d'attribution sont autant d'obstacles à la mise en place
d'une gestion rigoureuse du dispositif "
48(
*
)
.
Deux années après ce constat, rien n'a été fait
pour simplifier les exonérations de cotisations de
sécurité sociale.
La difficulté de la simplification administrative ne doit pas être
mésestimée.
En dehors des mesures générales de baisse des charges, chaque
mesure s'adresse à un public particulier : jeunes, chômeurs,
exclus,... Chaque mesure a été
" étudiée " avec soin pour pouvoir " cibler "
avec précision l'objectif poursuivi. Cette volonté de cibler, et
de limiter les coûts de telle ou telle mesure, a abouti à la
situation actuelle : trente-six mesures d'exonération
différentes, cent cinquante textes d'application...
Se borner à reconnaître que la complexité est
inévitable n'est cependant pas souhaitable. Il est tout à fait
envisageable d'étudier le regroupement de certaines mesures.
Ainsi, les différences entre
le contrat de qualification
et
le
contrat d'orientation
ne semblent pas de nature à justifier un
mécanisme différent.
Il serait également envisageable de fondre en un seul dispositif les
deux mécanismes du
contrat emploi-solidarité
et du
contrat emploi consolidé
, les personnes arrivant en fin de CES
étant souvent amenées à bénéficier d'un CES.
Le
contrat d'accès à l'emploi
dans les DOM pourrait
être remplacé par le
contrat initiative-emploi
.
Il serait bon que toutes les administrations de l'Etat prennent une
réelle conscience des difficultés que pose l'existence de
mécanismes aussi divers. Il est indispensable qu'elles étudient,
en concertation étroite avec la branche du recouvrement, les dispositifs
qui pourraient être unifiés.
Une volonté politique claire paraît un préalable
essentiel. Elle serait à l'origine de la mise en place d'une mission
administrative
ad hoc
, disposant d'un temps limité, regroupant
des fonctionnaires des directions concernées et des responsables de la
branche du recouvrement, ainsi que des acteurs du terrain (directions
départementales, URSSAF, ANPE, entreprises).
Face au " silence " des administrations de l'Etat sur le sujet, il
n'est pas interdit à la branche du recouvrement de proposer des mesures
concrètes de simplification. Il est compréhensible que le
gestionnaire hésite à se prononcer sur la pertinence de faire
coexister tel ou tel mécanisme. Il n'en demeure pas moins qu'il est le
mieux à même d'isoler certains dysfonctionnements.
En effet, le système actuel ne permet pas une simplification
" catégorie ". Les administrations de l'Etat ne souffrent pas
de la complexité de la gestion des dispositifs d'exonération,
puisque c'est la branche du recouvrement qui en supporte les
conséquences. Par ailleurs, l'Etat n'a aucun intérêt
à simplifier -voire à supprimer- les dispositifs
antérieurs à 1994, dont il ne supporte pas le coût
financier. Au contraire, par une interprétation hasardeuse de la loi du
25 juillet 1994, il a tendance à reconduire ces mécanismes non
compensés, tout en étendant parfois leur champ
49(
*
)
.
Or, ces mécanismes sont nettement plus lourds en gestion que la
ristourne bas salaires.
L'absence de comptabilité analytique conduit à ignorer la
question du coût de gestion. Dans une logique de comptabilité
analytique, il serait envisageable que l'Etat participe aux frais de gestion
des mesures emploi. En comparaison, la sécurité sociale continue
d'acquitter des frais d'assiette et de recouvrement pour la CSG sur les revenus
du patrimoine.
Ce principe inciterait à étudier avec davantage de
précision le " coût " de gestion par la branche du
recouvrement et permettrait de privilégier les mécanismes
à gestion " simple ".
B. LA RECHERCHE D'UNE SIMPLICITÉ À TOUTES LES ÉTAPES
1. Harmoniser les techniques d'exonération
Au-delà du regroupement des mesures
d'exonération, il
serait souhaitable d'harmoniser les techniques d'exonération :
- assiette ;
- durée ;
- règles de cumul.
Cette harmonisation devrait faire partie plus explicitement des missions de la
Direction de la sécurité sociale, seule à même
d'inspirer une cohérence des techniques d'exonération. A tout le
moins, il serait possible d'imaginer un système de " visa "
administratif du mécanisme d'exonération de cotisations par cette
Direction. Cette fonction nécessite cependant un renforcement de ses
moyens, sur lesquels vos rapporteurs appellent l'attention depuis plusieurs
années.
La définition des mesures d'exonération devrait être
accompagnée d'une évaluation réaliste des moyens à
mettre en oeuvre pour en assurer la bonne gestion. Aujourd'hui, en effet, les
études d'impact dont doivent être assortis tant les projets de loi
que les décrets en conseil des ministres sont souvent lacunaires,
parfois indigents
50(
*
)
. En outre,
la formulation claire des objectifs poursuivis est un préalable à
l'évaluation nécessaire des politiques publiques.
Enfin, un délai raisonnable avant la mise en oeuvre d'un nouveau
mécanisme, ou d'une modification substantielle d'un dispositif
d'exonération de charges sociales, s'impose. La branche du recouvrement
doit aujourd'hui adapter sans relâche ses outils informatiques, ce qui
conduit à une " course de vitesse " incessante.
2. Recentrer les mesures d'exonération sur un nombre plus restreint d'objectifs
Les
gestionnaires des mesures d'exonération soulignent à juste titre
la complexité extrême des exonérations de charges sociales
liées à la politique d'aménagement du territoire.
Une réflexion pourrait être menée sur le remplacement
éventuel de ces mécanismes par des aides directes de l'Etat. En
effet, les règles communautaires n'interdisent pas des aides directes,
sous réserve qu'elles aient été "
négociées " avec la Commission. La date du
1
er
janvier 2002 (échéance des ZFU -ZRR - zones
franches) invite à conduire cette réflexion dès maintenant.
*
* *
Au terme
de cette mission, vos rapporteurs considèrent que la multiplication des
exonérations de cotisations sociales sont le révélateur du
poids trop élevé des charges sociales dans notre pays.
Le développement considérable qui a été
donné à ces mécanismes dans le cadre de la politique de
réduction de la durée du travail a certes pour objet de compenser
le coût pour les entreprises d'une mesure générale et
autoritaire, mais elle représente également l'amorce pour le
Gouvernement d'un " chemin de Damas ", qui le conduit à
reconnaître les vertus des allégements de charges. C'est à
ces dernières qu'il faudra imputer probablement, au-delà de la
croissance, l'évolution de l'emploi davantage qu'au " partage du
travail " résultant des trente-cinq heures.
Il reste que le financement de notre protection sociale devient de moins en
moins intelligible et qu'une frontière de plus en plus ambiguë
distingue l'assurance et la solidarité, en raison de la fiscalisation
des recettes de la sécurité sociale et de la fiscalisation de la
compensation des exonérations de cotisations.
Il n'y a que le titre abusif du " FOREC " pour laisser penser qu'une
réforme a eu lieu des cotisations de sécurité sociale.