IV. LA TRANSITION VERS LA DEUXIÈME GÉNÉRATION DE MACHINES À VOTER AVEC IMPRESSION D'UNE PREUVE PAPIER EN BELGIQUE (FLANDRE) ET AU BRÉSIL.

La structure fédérale de la Belgique et les divergences politiques entre la Flandre et la Wallonie se reflètent dans l'organisation des opérations de vote. On distinguera les règles applicables aux élections européennes, législatives et des parlements de communauté et de région, fixées nationalement, et aux élections provinciales et communales, de la compétence des régions.

Lors des élections européennes, législatives et des parlements de communauté et de région, deux types de vote électronique peuvent être employés : le vote automatisé et le vote par impression des suffrages émis sur support papier.

Le vote automatisé a été introduit le premier par la loi fédérale du 11 avril 1994. Un système de vote automatisé comprend par bureau de vote une urne électronique et des « machines à voter équipées d'un écran de visualisation, d'un lecteur enregistreur de cartes magnétiques et d'un crayon optique » (art.2 §1 er ). Chaque bureau principal dispose d'un système électronique de totalisation des votes émis dans les bureaux de vote qui en dépendent. Les systèmes de vote et de décompte doivent être conformes aux conditions générales d'agrément déterminées par décret royal, qui garantissent la fiabilité et la sécurité des systèmes ainsi que la sécurité du vote. Le ministre de l'intérieur constate la conformité sur avis d'un organisme d'expertise agréé (art. 2 §2).

Ces systèmes électroniques sont la propriété des communes et si le matériel a été acquis par la commune, l'État assume 20 % des coûts d'investissement. Les frais d'entretien et de stockage sont à la charge de la commune, qui est tenu de faire réparer ou remplacer le matériel hors d'usage. Les logiciels électoraux, les codes de sécurité, les cartes magnétiques et les supports de mémoire sont fournis par l'État à chaque élection (art. 3).

Le jour du scrutin, dans le bureau de vote, chaque isoloir est doté d'une machine à voter. L'électeur reçoit du président du bureau une carte magnétique, qu'il introduit dans le lecteur de la machine pour exprimer son vote. L'écran de visualisation affiche alors toutes les listes et le crayon optique permet à l'électeur de choisir. Il peut également voter blanc. Il confirme ensuite son choix ou l'annule et fait un autre choix. Une fois le vote pour les candidats de son choix définitivement confirmé, l'électeur récupère sa carte magnétique. Il peut, s'il le souhaite, vérifier son vote en réintroduisant sa carte, sans pour autant pouvoir le modifier. Enfin, l'électeur reprend sa carte et l'introduit dans l'urne électronique sous la surveillance du président du bureau de vote. À l'issue du scrutin, le président rend l'urne inopérante et transmet au bureau principal les supports de mémoire (original et copie) sur lesquels sont enregistrés les votes afin de procéder au décompte des suffrages. 84 ( * ) Il convient de noter que la machine à voter ne stocke pas les votes émis.

Le vote électronique avec preuve sur papier a d'abord été expérimenté en 2003, après l'adoption de dispositions législatives spéciales uniquement pour les élections de cette année. Sa généralisation a été recommandée par un consortium d'experts des universités belges en 2007. Enfin, la loi fédérale du 7 février 2014 a autorisé et organisé le vote électronique avec preuve papier. Aux termes de son art. 4, « un système de vote électronique avec preuve papier comprend, par bureau de vote :

1° une urne électronique avec un scanner ;

2° plusieurs ordinateurs de vote équipés chacun d'un écran de visualisation tactile, d'une imprimante de bulletins de vote et d'un lecteur de cartes à puces ;

3° un ordinateur pour le président avec une unité pour initialiser les cartes à puces et une imprimante ;

4° un lecteur de code-barres pour la visualisation du contenu du code-barres par l'électeur ;

5° des cartes à puces. »

Les dispositions sur l'agrément des systèmes, sur les droits de propriété et les obligations de maintenance et de réparation des communes, ainsi que sur le soutien financier de l'État et la fourniture des logiciels et autres matériels par l'État sont identiques à celles qui régissent les anciens systèmes automatisés.

Les opérations de vote ressemblent à celles du vote automatisé. Le jour du scrutin, l'électeur reçoit du président du bureau de vote une carte à puce préalablement initialisée et permettant de voter une seule fois pour l'élection à laquelle l'électeur est convoqué. L'électeur introduit la carte à puce dans ordinateur de vote placé dans l'isoloir. L'écran de visualisation tactile affiche alors toutes les listes. L'électeur indique la liste de son choix par « effleurement tactile », puis choisit les candidats et exprime son vote de la même manière. Tant que le vote n'est pas confirmé, l'électeur peut recommencer l'opération de vote. La confirmation clôt le vote de l'électeur. Lorsque le vote est clos, un bulletin de vote est imprimé et mis à la disposition de celui-ci. Le bulletin de vote imprimé est divisé en deux parties : l'une présentant un code-barres, l'autre indiquant le vote sous forme dactylographiée à des fins de contrôle et d'audit. Le bulletin de vote doit ensuite être plié face imprimée à l'intérieur pour préserver le secret du vote. Si l'électeur déplie son bulletin au sortir de l'isoloir, son vote est annulé. L'électeur retire ensuite la carte à puce, sachant que ni l'ordinateur de vote, ni la carte ne sauvegardent la moindre donnée sur le vote émis. En scannant le code-barre dans l'isoloir, l'électeur peut visualiser son vote sans pouvoir le modifier. Ensuite, l'électeur remet sa carte à puce au président du bureau ou à l'assesseur, scanne le code-barre de son bulletin à l'aide du lecteur placé sur l'urne, puis insère sa preuve papier dans l'urne. À l'issue du scrutin, le bureau est clôturé par le président. L'urne est ouverte et les bulletins papiers placés dans une enveloppe scellée. Les supports de mémoire électroniques, ainsi que l'enveloppe scellée, sont transmis au bureau principal pour totalisation des suffrages. 85 ( * )

Le 25 mai 2014 se sont déroulées simultanément les élections européennes, législatives et des parlements de région et de communauté. Les deux systèmes de vote électronique ainsi que le vote papier traditionnel ont cohabité, mais la divergence entre les régions était très nette. En Flandre, 151 communes sur 308 étaient équipées de système électronique avec preuve papier, dont Anvers, Bruges, Courtrai, Ostende, Hasselt et Louvain. Les autres communes flamandes ont recouru aux bulletins et enveloppes traditionnels mais pas aux anciennes machines de vote automatisé. En Wallonie, 39 communes sur 262 étaient équipées de systèmes automatisés, dont Liège et Eupen. Les autres communes wallonnes ont recouru aux bulletins et enveloppes traditionnels mais pas aux nouveaux ordinateurs de vote avec impression d'une preuve papier. Dans la Région Bruxelles-Capitale, deux communes (Saint-Gilles et Woluwe-Saint-Pierre) ont essayé les nouveaux ordinateurs de vote, les autres sont restées aux anciens systèmes automatisés.

Les difficultés rencontrées lors des élections simultanées de 2014 ont mis en évidence les défauts du système de vote automatisé (modèle Jites/Digivote). Toutes les communes qui l'ont utilisé ont été affectées avec des lectures de carte très lente, des urnes électroniques illisibles, une validation en bloc sans possibilité de calculer pour chaque candidat le nombre de voix de préférence. 86 ( * ) À l'inverse, le nouveau système avec impression d'une preuve papier (modèle Smartmatic) s'est avéré robuste. Le collège des experts chargé du contrôle des opérations de vote électronique a recommandé l'abandon du système Jites, en raison de sa vétusté, tant au niveau du matériel que de la qualité du code source du logiciel, et son remplacement par un système uniforme pour toutes les élections en Belgique, quel que soit le pouvoir organisateur. 87 ( * )

La divergence entre les régions demeure cependant manifeste, notamment dans l'organisation des élections provinciales et communales, qui relèvent de leur compétence. La région flamande a abrogé en 2012 pour les élections locales les dispositions applicables de la loi du 11 avril 1994 organisant le vote automatisé. Le décret flamand du 25 mai 2012 ( Digitaal Kiesdecreet ) a imposé en cas de vote numérique le recours au système avec impression d'une preuve papier (art. 4 et 10). Les dispositions retenues pour sont identiques à celles de la loi fédérale de 2014, à ceci près que le gouvernement flamand se substitue au gouvernement fédéral belge. Un décret du gouvernement flamand du 30 juin 2017 a modifié à la marge le régime de 2012 pour prévoir la possibilité de recourir à des modules audio permettant à l'électeur d'écouter la présentation des listes dans l'isoloir (art. 74 et s.).

En Wallonie, le gouvernement a fait le choix radicalement inverse en revenant au scrutin traditionnel avec bulletins et enveloppes. L'article 45 du décret wallon du 9 mars 2017 a abrogé les articles du Code de la démocratie locale et de la décentralisation qui reprenaient les dispositions de la loi de 1994 et prévoyaient un système de vote automatisé pour les élections locales. Toutefois, la communauté germanophone a refusé cette évolution, si bien que le vote numérique avec système automatisé reste applicable pour les élections locales dans les cantons d'Eupen et Saint-Vith. De même, le vote électronique demeure en place dans la région Bruxelles-Capitale.

Le parti socialiste (PS), les chrétiens-démocrates (cdH) et les écologistes (Ecolo) réclamaient la suppression du vote électronique en raison de son coût estimé près de trois fois supérieur par électeur au vote papier (4,3 euros contre 1,5) et de difficultés pour respecter le secret du vote. Les libéraux du MR contestent ces arguments et regrettent que la Wallonie s'isole du reste du pays.

Alors que le vote électronique fait l'objet d'une méfiance grandissante en Europe, il s'agit d'une procédure désormais courante et d'un choix irréversible dans les grandes démocraties émergentes comme le Brésil, l'Inde ou les Philippines. À une toute autre échelle que la Belgique, le Brésil recourt au vote électronique depuis les élections municipales de 1996 où il fut expérimenté par 200 000 électeurs environ dans 57 villes du pays. Le vote électronique a été dans la foulée généralisé par la loi électorale de 1997 88 ( * ) pour être utilisé sur l'intégralité du territoire dès 2000.

Le premier modèle de collecteur de vote électronique ( coletor eletrônico de voto, urna eletrônica) utilisé au Brésil correspond aux machines à voter néerlandaises et aux systèmes de vote automatisé belge : il s'agit de dispositifs d'enregistrement électronique direct du vote ( Direct Recording Elecronic - DRE voting machine ) présentant les défauts déjà décrits. Sont utilisées aujourd'hui 600 000 de ces urnes électroniques pour un coût de 600 dollars pièce, d'après le Tribunal supérieur électoral.

Lors des prochaines élections générales de 2018 seront utilisées des machines de deuxième génération plus fiables et plus sûres avec impression de preuve papier ( Voter Verifiable Paper Audit Trail - VVPAT ). On constate donc au Brésil le même mouvement technologique qu'en Belgique et aux Pays-Bas, mais sans la tentation de revenir aux modes de vote traditionnels après le constat des lacunes des machines de première génération.

Toutefois, la modification de la législation nécessaire indispensable pour autoriser le nouveau dispositif technique a donné lieu à un conflit entre le Congrès brésilien et la présidente Rousseff en 2015. Le véto présidentiel initial, motivé par le coût et l'étroitesse des délais à tenir pour assurer le remplacement des systèmes de vote, a été finalement surmonté par le Congrès à la majorité qualifiée requise. 89 ( * ) La loi électorale de 1997 est ainsi dotée d'un nouvel article 90 ( * ) prévoyant qu'au cours du processus de vote électronique, soit imprimé un reçu ( registro ) de chaque vote qui sera déposé dans une urne physique préalablement scellée. Le vote ne sera pas achevé tant que l'électeur n'aura pu confirmer la correspondance entre la teneur de son vote et le reçu imprimé par la machine électronique.

D'après les estimations du Tribunal supérieur électoral du Brésil, le déploiement du nouveau système de vote électronique coûtera 1,8 milliards de réaux, soit environ 450 millions d'euros, de coûts directs de fourniture des machines. Pour les élections d'octobre 2018, seulement 30 000 nouveaux systèmes avec impression de preuve papier seront disponibles. Il faudra encore quelques années pour remplacer le stock des 600 000 machines anciennes.

Des tests de sécurité furent réalisés sur les nouveaux dispositifs de vote électronique en novembre 2017 sous l'égide du Tribunal supérieur électoral. Trois failles furent détectées par le groupe de hackers mobilisé qui disposait du code source du logiciel. Aucune de ces failles ne représente un danger en termes d'altération des résultats du vote d'après le président du Tribunal. 91 ( * )


* 84 Art. 6 à 13, chapitre II, loi du 11 avril 1994 organisant le vote automatisé.

* 85 Art. 7 à 14, chapitre 3, loi du 7 février 2014 organisant le vote électronique avec preuve papier.

* 86 Pour mémoire, les élections belges suivent le principe de la représentation proportionnelle avec vote préférentiel.

* 87 Collège d'experts chargés du contrôle du système de vote et de dépouillement automatisés, Rapport sur les élections simultanées du 25 mai 2014 , Chambre des représentants de Belgique, 19 juin 2014, p. 75.

* 88 Le i das Eleições n° 9.504 de 30 de setembro de 1997, art. 59.

* 89 Lei n° 13.165 de 29 de setembro de 2015, art 2° e 12.

* 90 Lei das Eleições, art. 59-A.

* 91 Agência Brasil, « TSE encontra três falhas no sistema da urna electrônica em teste de segurança », 1 er décembre 2017

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