B. LE CONTRÔLE DU FINANCEMENT DE LA VIE POLITIQUE : UN SYSTÈME EN CRISE
Si la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) est l'acteur le plus visible du système destiné à garantir l'égalité des candidats devant le corps électoral, il faut souligner qu'elle n'a en charge qu'une partie de ce système.
L'importance prise dans les campagnes électorales par des médias qui n'ont de comptes à rendre à personne et plus récemment, la réforme des clips de campagne pour l'élection présidentielle, les élections législatives et européennes 42 ( * ) , ont, en effet, vidé le principe républicain d'égalité devant le suffrage d'une bonne partie de sa substance. Ainsi, l'« équité » entre les candidats, définie par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) en fonction de la « représentativité » des candidats, à partir de sondages d'opinion à la méthodologie contestable, a remplacé l'égalité dans la répartition du temps d'antenne lors de la campagne officielle.
Par ailleurs, eu égard aux polémiques mettant en cause la CNCCFP qui se développent désormais, qu'elle le veuille ou non, après chaque élection politiquement majeure (élections présidentielles et élections législatives), on en vient à s'interroger sur la cohérence du dispositif et le rôle exacte que la commission en est venue à jouer.
1. La CNCCFP : un outil de régulation de la démocratie essentiel
Depuis 1988 43 ( * ) , les dépenses électorales sont plafonnées mais aussi partiellement remboursées par l'État Il s'agissait, selon M. Jacques Chirac, alors Premier ministre, de « rendre notre démocratie encore plus démocratique » car « il ne serait pas acceptable que les chances des candidats au suffrage des Français soient directement proportionnées à l'ampleur de leurs ressources » 44 ( * ) .
Autorité administrative indépendante créée en 1990 45 ( * ) , la CNCCFP s'est donc trouvée au coeur du contrôle des « bonnes moeurs » et du respect de la législation électorale
Les principales missions de la CNCCFP En premier lieu, la CNCCFP publie les comptes des partis et groupements politiques et s'assure qu'ils respectent les obligations légales (loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique). La commission vérifie la cohérence d'ensemble de ces comptes, qui sont certifiés par des commissaires aux comptes. En deuxième lieu, la CNCCFP contrôle les comptes de campagne des candidats aux élections 46 ( * ) (articles L. 52-3-1 à L. 52-17 du code électoral). Elle peut approuver un compte sans modification, l'approuver après réformation (pour ajouter ou soustraire des dépenses électorales) ou le rejeter (notamment en présence de dons consentis par des personnes morales ou d'un dépassement du plafond des dépenses électorales). Lorsqu'elle rejette un compte de campagne, la commission saisit le juge électoral. Le candidat est passible d'une peine d'inéligibilité de trois ans maximum. En dernier lieu, la CNCCFP arrête le montant du remboursement forfaitaire que l'État verse aux candidats, en fonction du montant des dépenses électorales et de leur plafonnement 47 ( * ) . |
2. Un renforcement constant des moyens de la CNCCFP...
Depuis 2014, le budget de la CNCCFP a augmenté de plus de 23 % . Il s'établit à 7,4 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2019, dont 4,77 millions d'euros de dépenses de personnel.
Évolution du budget de la CNCCFP
(en crédits de paiement et en millions d'euros)
Source : commission des lois du Sénat, à partir des documents budgétaires
Subordonnée au calendrier électoral, l'activité de la CNCCFP est particulièrement cyclique, ce qui explique que les crédits qui lui sont affectés baissent de 2,66 % en 2019, année moins chargée que l'année 2018.
Activité de la CNCCFP 48 ( * )
2018 |
2019 |
Contrôle des comptes des partis et groupements politiques |
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Élections partielles |
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Élections législatives (2017) |
Référendum en Nouvelle-Calédonie (2018) 49 ( * ) |
Élections sénatoriales (2017) |
Élections européennes (2019) |
Élections territoriales de Corse (2017) |
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Élections territoriales
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Source : commission des lois du Sénat
Outre son collège de neuf membres 50 ( * ) , la CNCCFP dispose en 2018 de 39 agents permanents (dont 26 agents de catégorie A), soit cinq de plus qu'en 2014. Son plafond d'emplois reste stable dans le PLF pour 2019.
La commission fait également appel à des rapporteurs vacataires pour instruire l'examen des comptes de campagne. Elle a par exemple recruté 169 rapporteurs afin de contrôler les comptes des élections législatives de 2017, pour un montant total de 564 000 euros. On constate d'ailleurs un fort taux de renouvellement des rapporteurs : plus de 30 % d'entre eux n'avaient jamais exercé cette fonction avant les élections législatives, ce qui peut représenter une difficulté.
La commission bénéficie également de nouveaux moyens sur le plan juridique. Elle dispose notamment de davantage d'informations sur les emprunts contractés par les partis et groupements politiques 51 ( * ) et sur les comptes de leurs organisations territoriales 52 ( * ) .
Entendu en audition par votre rapporteur, le président de la CNCCFP a proposé des mesures complémentaires pour conforter son action.
Les mesures complémentaires proposées par le président de la CNCCFP - Pour mieux contrôler les flux financiers entre les candidats à une élection et les partis ou groupements politiques qui les soutiennent 53 ( * ) : . lever le secret professionnel des commissaires aux comptes chargés de certifier les comptes des formations politiques (article L. 822-15 du code de commerce) ; . prévoir, pendant la période de contrôle des comptes de campagne, un droit d'accès en temps réel à la comptabilité et aux factures des partis ou groupements politiques ; - Poursuivre la dématérialisation des échanges entre la CNCCFP et les formations politiques ; - Avoir accès aux factures des sous-traitants des candidats et des partis ou groupements politiques, notamment pour mieux contrôler les marges des « intermédiaires » (voir infra ). |
3. ... qui ne résoudront pas les problèmes liés à la structure même du système
Ainsi en va-t-il de l'évaluation des dépenses de campagne.
Dans l'exemple des élections législatives de 2017, la CNCCFP a dû contrôler 5 427 comptes de campagne en l'espace de six mois , la commission s'efforçant de réduire son délai d'instruction à deux mois lorsqu'un électeur ou un candidat saisit le juge électoral.
Les délais d'instruction sont particulièrement réduits, d'autant plus qu'il faut respecter le principe du contradictoire : les candidats mis en cause doivent pouvoir répondre aux observations de la CNCCFP et dissiper d'éventuels malentendus.
Surtout, le périmètre des dépenses électorales à prendre en compte est un véritable labyrinthe bureaucratique, dans lequel se perdent beaucoup de candidats.
La définition des dépenses électorales En l'absence de définition dans le code électoral, la jurisprudence et la CNCCFP définissent les dépenses électorales à partir de quatre critères cumulatifs : - leur objet : obtention des suffrages des électeurs, ce qui exclut notamment les dépenses à caractère personnel ; - leur date : engagement dans les six mois précédant le vote et jusqu'au dépôt du compte de campagne (le dixième vendredi suivant le scrutin) ; - leur lieu : exécution dans la circonscription du candidat ; - la procédure suivie : engagement par le candidat ou par son représentant et règlement par le mandataire de la campagne. |
Plus de trente pages du guide du candidat et du mandataire 54 ( * ) sont consacrées à cette épineuse question sans lever toutes les ambiguïtés, comme l'a confirmé l'audition du président de la CNCCFP.
À titre d'exemple, le déjeuner d'une équipe de campagne ne constitue pas une dépense électorale car il n'a pas d'impact direct sur les électeurs. À l'inverse, il suffit que l'équipe de campagne invite un journaliste à sa table pour devoir déclarer ce déjeuner à la CNCCFP.
Du côté des recettes, les « concours en nature » sont particulièrement difficiles à cerner. Les services rendus à titre gratuit par des militants ne sont pas intégrés au compte de campagne. À l'inverse, il faut prendre en compte leurs frais de déplacement ainsi que l'action des militants lorsqu'elle est en « lien direct » avec leur activité professionnelle.
Plus globalement, l'évaluation des recettes et des dépenses des candidats soulève un problème de fond. Lorsqu'une entreprise casse ses prix, s'agit-il d'un simple rabais (légal) au profit d'un candidat ou d'un don (illégal) d'une personne morale ?
La CNCCFP admet des rabais commerciaux allant jusqu'à 20 % du prix du marché . Mais comment calculer ce dernier, notamment dans le secteur de la communication ? Lors de son audition par votre rapporteur, le président de la CNCCFP a d'ailleurs reconnu que le coût des prestations de communication évoluait substantiellement en fonction du moment de la campagne, du délai de livraison et des éventuelles économies d'échelle.
De même, comment évaluer les marges facturées par les « ensembliers » qui organisent les meetings tout en faisant appel à des centaines de sous-traitants, dont les factures ne sont communiquées ni aux candidats ni à la CNCCFP ?
Pour la première fois, la CNCCFP a eu recours à des experts pour évaluer les dépenses de campagne de l'élection présidentielle 2017 55 ( * ) . Ces expertises ont concerné quatre domaines (moyens vidéo, propagande imprimée, réunions publiques, immobilier), pour un coût total de 34 212 euros. Si leurs estimations ont divergé, les experts se sont accordés sur une chose : il est impossible de définir un prix du marché pour certaines prestations...
Sur le plan des principes, la CNCCFP peut rejeter le compte de campagne de tout candidat. Envisage-t-on, néanmoins, qu'elle rejette le compte de campagne du vainqueur de l'élection présidentielle ? Le Conseil constitutionnel a répondu à cette question en 1995, en refusant de rejeter le compte du candidat devenu Président de la République, même en présence d'irrégularités manifestes. Difficile de lui donner tort. Imagine-t-on, en effet, d'invalider un président confortablement élu et de le remplacer par un candidat qui n'aurait pas rassemblé la majorité des voix ?
On peut aussi se poser la question de la conciliation entre les deux objectifs contradictoires auxquelles la commission se trouve exposée : maximiser les dépenses quand il s'agit de faire respecter les plafonds de campagne et les minimiser quand il s'agit de les rembourser aux candidats.
La question de l'impossible objectivité des estimations est d'autant plus importante et préoccupante que, de plus en plus ces estimations ont des conséquences pénales, instrumentalisées médiatiquement et politiquement. Ce qui donne aux décisions de l'Autorité administrative indépendant qu'est la CNCCFP une portée que n'avaient certainement pas prévue ses créateurs.
En effet, sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale et de l'article L. 52-15 du code électoral, la CNCCFP signale au parquet les dossiers pouvant relever du juge pénal, même lorsqu'elle a validé le compte de campagne, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes, la première mission de la commission étant précisément cette validation. Elle saisit également l'administration fiscale lorsque des dons lui paraissent litigieux 56 ( * ) . Ainsi, de fait la CNCCFP devient un auxiliaire de la justice et du fisc même si elle ne rend pas ces signalements publics, au contraire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Sa jurisprudence semble aussi à géométrie variable. Ainsi, lors de son audition, le président de la CNCCFP a par exemple confirmé que la commission n'avait pas saisi le procureur de la République concernant un candidat à l'élection présidentielle de 2012 dont le compte de campagne avait été rejeté pour dépassement du plafond des dépenses électorales 57 ( * ) .
En conséquence, les polémiques se concentrent sur certaines affaires, alors que l'immense majorité des candidats respectent scrupuleusement les exigences du droit électoral .
Sur les 5 427 comptes de campagne déposés à l'occasion des élections législatives de 2017, la CNCCFP n'en a rejeté que 1,97 %, en a approuvé 49,33 % sans réformation et 48,70 % avec réformation.
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Sur la proposition de son rapporteur, la commission des lois a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » inscrits au projet de loi de finances pour 2019.
* 42 Loi organique n° 2016-506 du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle et loi n° 2018-509 du 25 juin 2018 relative à l'élection des représentants au Parlement européen .
* 43 Loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique .
* 44 Compte rendu intégral de l'Assemblée nationale, 2 février 1988 (première séance).
* 45 Loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques .
* 46 À titre dérogatoire, les candidats aux élections municipales dans les communes de moins 9 000 habitants ne doivent pas déposer de compte de campagne.
* 47 Ce remboursement est limité à 47,5 % du plafond des dépenses électorales et ne peut pas dépasser l'apport personnel du candidat. Il est octroyé aux candidats qui ont recueilli au moins 5 % des suffrages exprimés, ce seuil étant réduit à 3 % pour les élections européennes.
* 48 Les comptes de campagne sont déposés le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin. La CNCCFP dispose ensuite de six mois pour les examiner (délai réduit à deux mois en cas de recours devant le juge de l'élection).
* 49 Les dépenses des partis et groupements habilités à participer à la campagne peuvent faire l'objet d'un remboursement par l'État dans la limite d'un plafond de 13 000 000 francs Pacifique (environ 110 000 euros). Le montant de ce remboursement sera arrêté le 4 mars 2019 au plus tard (circulaire de la CNCCFFP du 10 août 2018).
* 50 Le collège de la CNCCFP est composé de trois membres du Conseil d'État, de trois membres de la Cour de cassation et de trois membres de la Cour des comptes.
* 51 Loi n° 2017-286 du 6 mars 2017 tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques et des candidats .
* 52 Loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique .
* 53 Aujourd'hui, les comptes des partis et groupements politiques ne sont transmis à la CNCCFP que le 30 juin de l'année suivante. Or, généralement, la CNCFFP a déjà examiné les comptes de campagne des candidats à cette date, sans pouvoir s'appuyer sur les comptes des formations politiques.
* 54 Le guide publié par la CNCCFP est consultable à l'adresse suivante :
www.cnccfp.fr/docs/campagne/20161027_guide_candidat_edition_2016.pdf .
* 55 Ce recours aux experts est autorisé par l'article L. 52-14 du code électoral.
* 56 Les dons à un parti ou groupement politique (limités à 7 500 euros par formation et par an) ou à un candidat (limités à 4 600 euros par an) faisant l'objet d'une réduction d'impôt.
* 57 Ce qui constitue une infraction pénale passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, conformément à l'article L. 113-1 du code électoral.