EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 4 décembre 2024 sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission des affaires sociales a examiné le rapport pour avis de Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis, sur le projet de loi de finances pour 2025 (programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires »).
M. Philippe Mouiller, président. - Nous examinons maintenant le programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires ».
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis sur le programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires ». - Le programme 177 constitue l'un des piliers de la mission « Cohésion des territoires ». Au coeur de la politique de lutte contre le sans-abrisme en France, il finance l'hébergement et l'accompagnement social des personnes sans domicile.
Aujourd'hui, la responsabilité de ces dispositifs incombe principalement à l'État, à une exception près : la mise à l'abri des femmes enceintes et des mères isolées avec un enfant de moins de 3 ans, qui relève, en principe, de la compétence des départements. Le programme 177 soutient un hébergement généraliste inconditionnel, garantissant à toute personne sans domicile un accueil digne et adapté.
Je rappelle cette distinction fondamentale, sur laquelle notre collègue, Mme Rossignol, était revenue lorsqu'elle était rapporteure d'une proposition de loi (PPL) sur le sujet : est considérée comme sans domicile une personne ayant dormi la nuit précédente dans un lieu non prévu à l'habitation - comme la rue ou une voiture - ou dédié à l'hébergement - comme un centre d'hébergement, un centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou chez un tiers ; est considérée comme sans abri une personne ayant dormi la nuit précédente dans un lieu non prévu à l'habitation. Ainsi, si les personnes sans abri sont sans domicile, la réciproque n'est pas toujours vraie.
Avant toute chose, il m'apparaît indispensable de dresser le portrait du sans-domicilisme en France. Les statistiques publiques dont nous disposons sont lacunaires et datées. La dernière enquête de l'Insee sur le sujet a été publiée en 2012, et sa méthodologie fut vivement critiquée ; la prochaine étude sortira seulement en 2026.
Pour autant, grâce au travail des organismes gestionnaires, nous disposons d'estimations permettant de constater que le nombre de personnes sans domicile est en augmentation constante depuis 2012, passant de 133 000 à 300 000 personnes en 2021. Par ailleurs, le profil des personnes sans domicile évolue ; les femmes et les familles sont plus nombreuses, la part des enfants dans la population hébergée passant de 22 % à 35 % en dix ans.
Cependant, ces données restent parcellaires, le public sans domicile, notamment les femmes, mettant en oeuvre des stratégies d'invisibilisation et la part des personnes à la rue n'ayant plus recours au 115 étant croissante.
Le premier plan Logement d'abord, lancé en 2018, a restructuré la politique d'hébergement. La principale avancée de ce plan a été de mettre fin à la gestion « au thermomètre » des places d'hébergement. Désormais, les places sont mises à disposition toute l'année et nous n'avons plus à ouvrir en catastrophe des gymnases ou des salles des fêtes lors des périodes de grand froid.
Ce premier plan s'est accompagné d'un déploiement inédit de moyens pour sortir les personnes de la rue. Le budget dédié à l'hébergement a augmenté de 66 % depuis 2017 et de 208 % depuis 2013. Le nombre de places d'hébergement est passé de 150 000 en 2017 à 203 000 en 2023. Sur la même période, 40 000 places d'intermédiation locative ont été créées. En 2022, 6,6 % des logements sociaux ont été attribués à des ménages sans domicile. Le bilan de ce plan est sans appel : 440 000 personnes ont trouvé un logement grâce à lui entre 2018 et 2022.
En 2023, le Gouvernement a présenté le deuxième plan Logement d'abord. Celui-ci fixe des objectifs ambitieux : maintien du parc d'hébergement à 203 000 places ; réduction de la part des nuitées hôtelières dans l'hébergement d'urgence ; création de 30 000 places d'intermédiation locative ; recrutement de 500 équivalents temps plein (ETP) dans la veille sociale. À ce jour, les objectifs annuels de création de places sont globalement atteints.
En dépit de ces efforts, le parc d'hébergement est saturé, et le secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion est au bord de la rupture. Les associations, auxquelles l'État a confié la gestion de l'hébergement, sont confrontées à une triple crise de financement, de croissance et des vocations.
Concernant le financement, les organismes subissent deux phénomènes distincts mais cumulatifs : une sous-budgétisation chronique du programme et un retard dans le versement des crédits.
S'agissant de la sous-budgétisation chronique, celle-ci est estimée à 250 millions d'euros par la Cour des comptes, un montant que l'État vient abonder tous les ans en fin de gestion. Or cette sous-budgétisation entraîne des effets en cascade. En l'absence de crédits suffisants prévus dès la loi de finances initiale (LFI), les associations sont contraintes de réduire les moyens alloués à l'accompagnement social, pourtant indispensable pour une sortie durable de la rue. Elles privilégient des solutions moins onéreuses, comme l'hôtel social, et doivent ouvrir des places en urgence qui, paradoxalement, reviennent plus cher que si elles avaient été planifiées dès le début de l'année budgétaire. Cette sous-budgétisation, en plus d'être un marqueur d'insincérité budgétaire, est inefficiente ; nous pourrions faire mieux avec autant de moyens.
Concernant les modalités de versement, les centres d'hébergement d'urgence (CHU) ne sont pas des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), et sont subventionnés dans le cadre d'appels à projets, percevant ainsi les subventions suivant la règle du service fait. Or l'État est en retard dans ses paiements : 50 % des versements de subventions s'effectuent lors du dernier trimestre, pour une activité qui court sur toute l'année.
Ce mode de fonctionnement a des effets délétères sur le secteur. Les associations doivent avancer sur leur trésorerie les frais d'hébergement, les plaçant en découvert bancaire. Les subventions, versées a posteriori, ne correspondent pas toujours au montant réel dépensé, faisant peser sur les associations des charges non compensées. Enfin, les préfectures sont débordées durant le dernier trimestre et ne peuvent effectuer un contrôle correct de la dépense.
Si la situation perdure, 50 % des associations pourraient disparaître d'ici à la fin 2025. Je tiens à tirer la sonnette d'alarme. Ces associations sont aussi celles qui s'occupent de nos aînés, des personnes en situation de handicap, des plus démunis. Une bombe sociale pourrait exploser si ce tissu associatif venait à s'effondrer. L'État est un mauvais payeur et fait aujourd'hui courir le risque, par ses carences, d'un démantèlement du système d'hébergement.
Concernant la crise de croissance, la Cour des comptes relève que l'augmentation de la taille du parc ne s'est accompagnée ni d'une montée en puissance en matière de gestion des ressources humaines pour les associations ni d'une amélioration du pilotage du parc d'hébergement du fait de logiciels non interopérables. Il est à saluer qu'un nouveau système d'information soit en cours de déploiement pour optimiser la gestion du parc.
Au sujet de la crise des vocations, les organismes gestionnaires ont de plus en plus de difficultés à recruter des travailleurs sociaux. Ces derniers, mal rémunérés, sont confrontés à la gestion de la pénurie du parc d'hébergement. Alors que l'hébergement est censé être un droit inconditionnel, ils doivent trier les publics vulnérables pour offrir à une fraction de demandeurs un toit pour la nuit.
En 2024, 60 % des demandes d'hébergement sont non pourvues, faute de places, et 70 % des ménages à la rue n'appellent plus le « 115 ». À Paris, sont prioritaires dans l'accès à l'hébergement les femmes enceintes de huit mois et les femmes avec un enfant de moins de trois mois. Ces critères créent chez les travailleurs sociaux un sentiment profond de mal-être, voire même de maltraitance, conduisant à des démissions en chaîne. Au Samusocial de Paris, les écoutants ont en moyenne sept mois d'ancienneté, ce qui est le signe d'un fort renouvellement des effectifs.
Dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, les crédits du programme 177 sont reconduits à hauteur de 2,9 milliards d'euros de crédits de paiement (CP). C'est un élément à saluer, alors que le contexte budgétaire est à la consolidation. Il convient de le répéter : l'État ne fait pas d'économies sur les personnes sans domicile.
Pour autant, je m'inquiète de l'absence de correction de cette sous-budgétisation de 250 millions d'euros et de mesures de périmètre apparaissant en contradiction avec le maintien du parc d'hébergement à 203 000 places. Les crédits dédiés à l'hébergement sont en baisse de 16 % par rapport à la loi de finances de fin de gestion (LFG) de 2024. À moins de recourir davantage aux hôtels sociaux, le maintien de 203 000 places d'hébergement n'apparaît pas compatible avec la diminution de 74 millions d'euros de l'enveloppe dédiée à l'hébergement d'urgence, et ce même en tenant compte de l'augmentation de 38 millions d'euros des crédits dédiés aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale.
Or il n'est pas souhaitable d'augmenter la part des hôtels sociaux dans le parc d'hébergement. Ces hôtels - qui n'ont d'hôtel que le nom - proposent de minuscules chambres souvent insalubres, avec parfois des punaises de lit et des cafards, sans cuisine, dans lesquelles on place des familles sans que celles-ci ne disposent d'un accompagnement social suffisant pour en sortir. Aujourd'hui, 60 % des familles hébergées le sont dans un hôtel social. Les enfants y grandissant ont si peu d'espace qu'ils ne peuvent se développer correctement ; ils sont comme amorphes et semblent anesthésiés.
Enfin, je m'inquiète de constater qu'aucune ligne budgétaire dédiée à l'hébergement des déplacés ukrainiens n'est prévue. En 2023, sur 100 000 Ukrainiens présents en France, 37 700 bénéficiaient d'un dispositif financé par le programme 177. L'absence de budgétisation des moyens nécessaires à l'accueil de ce public crée des difficultés de trésorerie pour les associations. Pire, il engendre dans certains cas une dette ukrainienne. La fin prématurée des financements à destination de ce public pourrait mettre à la rue des familles entières ayant fui la guerre, créant un risque de crise sociale et diplomatique. La population ukrainienne pourrait alors se tourner vers la demande d'asile, déjà embolisée et contraire à l'idée d'un retour en Ukraine pour reconstruire le pays après la guerre.
En cohérence, je vous propose deux amendements, en miroir de ceux déposés par la commission des affaires économiques au titre de leur avis budgétaire sur le programme 177 : un amendement de 250 millions d'euros visant à corriger la sous-budgétisation chronique du programme, au nom de la sincérité budgétaire et de l'efficience du pilotage du parc ; et un amendement de 30 millions d'euros visant à budgétiser les moyens dont ont besoin les déplacés ukrainiens.
M. Philippe Mouiller, président. - Les deux amendements de crédits, qui doublonnent donc, en termes de montants, avec un amendement unique présenté par la commission des affaires économiques, correspondent à un besoin identifié par les différents acteurs du secteur.
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-1742 vise à corriger la sous-budgétisation initiale à hauteur de 250 millions d'euros, la somme étant prélevée sur le programme « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat ». Les années précédentes, nous avons corrigé le budget en fin d'année. En mettant les moyens dès le début de l'exercice, on gagne des places d'hébergement. Par ailleurs, de nombreuses associations ont indiqué qu'elles ne pouvaient plus fonctionner ainsi ; certaines ont évoqué des problèmes de trésorerie à hauteur de 9 millions d'euros.
L'amendement n° II-1742 est adopté.
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-1725 prévoit 30 millions d'euros pour maintenir les dispositifs financés par le programme 177 à destination des déplacés ukrainiens.
L'amendement n° II-1725 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires », sous réserve de l'adoption de ses amendements.