B. DES MESURES DE PÉRIMÈTRE EN CONTRADICTION AVEC L'OBJECTIF DE MAINTIEN DE LA TAILLE DU PARC D'HÉBERGEMENT

Si les crédits du programme 177 sont préservés, les mesures de périmètre prévues par le projet de loi de finances pour 2025 apparaissent comme étant incohérente avec l'objectif de maintien du parc d'hébergement. Les crédits dédiés à l'hébergement sont en baisse de 16 % entre la loi de fin de gestion pour 2024 et la loi de finances initiale pour 2025. Ce sont notamment les crédits de l'hébergement d'urgence qui sont en chute de 25 %, tandis que l'enveloppe dédiée aux CHRS connaît une légère augmentation.

Évolution des crédités dédiés à l'hébergement

(en millions d'euros)

Source : Commission des affaires sociales, d'après les projets de loi de règlement (2012-2023), le projet de loi de fin de gestion pour 2024 et le projet de loi de finances initiale pour 2025

Or, en moyenne, le coût par place d'une nuitée hôtelière est de 19,09 euros, de 26,05 euros en centre d'hébergement d'urgence et de 38,58 euros en CHRS8(*). À moins de recourir davantage aux hôtels sociaux, le maintien de 203 000 places d'hébergement n'apparaît pas compatible avec la diminution de 74 millions d'euros de l'enveloppe dédiée à l'hébergement d'urgence, et ce même en tenant compte de l'augmentation de 38 millions d'euros des crédits dédiés aux CHRS.

Les nuitées hôtelières sont une économie de court terme mais engendrent un coût social élevé à moyen terme. 72 % des familles hébergées sont en hôtel9(*). Pourtant, ces structures ne disposent pas de cuisine, sont souvent insalubres et ne bénéficient pas d'un accompagnement social suffisant. Les enfants ne peuvent pas y développer leur autonomie, leur vie affective et étudier. Il est constaté que 19,2 % des enfants sans domicile, dont une majorité réside à l'hôtel, ont des troubles suspectés de santé mentale contre 8 % pour la population générale10(*). La promiscuité avec un public parfois marginal, alimente un sentiment d'insécurité pour ces familles et peut créer chez les enfants un trouble réactionnel à la précarité.

C. LE RISQUE D'UNE SOUS-BUDGÉTISATION DES BESOINS RÉELS

Depuis 2017, le programme 177 fait l'objet d'une sous-budgétisation chronique. Selon la Cour des comptes11(*), seule la loi de finances pour 2022, année de prise en main du pilotage du programme 177 par la Dihal, a été correctement budgétisé - bien que la guerre en Ukraine et le déploiement du Ségur aient conduit à un abondement de 700 millions d'euros en fin d'année.

Pour l'année 2024, le projet de loi de fin de gestion prévoit 250 millions d'euros supplémentaires à destination du programme 177. Cet abondement n'est pas le révélateur d'un dérapage budgétaire, mais d'une sous-budgétisation chronique d'environ 250 millions d'euros qui se retrouve d'année en année et qui a des répercussions majeures tant en matière de pilotage que de contrôle de la politique publique d'hébergement.

Sous-budgétisation du programme 177

(en milliards d'euros)

Source : Commission des affaires sociales, d'après les lois de finances et de règlement (2019-2023), et les projets de loi de finances initiale et de fin de gestion pour 2024

La sous-budgétisation participe à la dégradation de la trésorerie du tissu associatif et à une inefficience dans le pilotage du parc d'hébergement. Pour le tissu associatif, la sous-budgétisation, conjuguée à la réserve de précaution et au surgel de crédits, engendre un déblocage tardif des crédits à leur destination, notamment pour les organismes gestionnaires au régime de la subvention. Ainsi, environ 40 % des subventions annuelles des centres d'hébergement d'urgence sont versées en novembre et en décembre, les associations devant avancer ces frais sur leur trésorerie12(*) et fonctionner sans visibilité. Si la situation perdure, les associations estiment que 50 % des organismes gestionnaires pourraient disparaître d'ici fin 2025.

Répartition mensualisée des versements annuels de subventions
aux centres d'hébergement d'urgence (hors hôtels) en 2023

Source : Commission des affaires sociales, d'après la Cour des comptes (2024)

En matière d'efficience de la dépense publique, cette sous-budgétisation avec un abondement hivernal de crédits crée des surcoûts : les services déconcentrés sont surmobilisés durant le dernier trimestre pour signer des avenants aux conventions et financer les associations, les organismes gestionnaires débloquent des places en urgence coûtant plus cher que si elles avaient été programmées, et aucun contrôle réel de la dépense ne peut avoir lieu.

Concernant le contrôle de la politique d'hébergement, la sous-budgétisation chronique est le marqueur, selon la Cour des comptes, d'un « défaut de sincérité »13(*). La loi de finances de fin de gestion, abondant le programme au mois de décembre des crédits manquants, est laconique dans ses justifications, privant le Parlement d'une capacité de contrôler l'action du Gouvernement. À titre d'exemple, le projet de loi de fin de gestion pour 2024 précise uniquement que les 250 millions d'euros supplémentaires financeront de l'hébergement d'urgence, sans plus de détails.

Ainsi, face à cette sous-budgétisation chronique, il apparaît nécessaire de créer les conditions d'un retour à une gestion saine des crédits pour assurer un pilotage efficient du parc d'hébergement. Pour répondre à cet objectif, le rapporteur considère qu'il est indispensable d'allouer, dès la loi de finances initiale, le montant adéquat et de réduire à 0,5 % des crédits la réserve de précaution qui est consommée tous les ans. À l'initiative du rapporteur, la commission a adopté à cette fin l'amendement n°II-1742 qui abonde de 250 millions d'euros les crédits du programme. En parallèle, il conviendrait de revoir la nature des centres d'hébergement d'urgence financés par subventions. Pour cela, une nouvelle catégorie d'ESSMS pourrait être créée afin que les CHU disposent d'un versement par douzième des financements prévus par un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens.

Effets de la sous-budgétisation

Source : Commission des affaires sociales

Réunie le mercredi 4 décembre 2024 sous la présidence de Philippe Mouiller, la commission des affaires sociales a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission Cohésion des territoires, sous réserve de l'adoption de deux amendements nos II-1725 et II-1742 visant respectivement à garantir le financement des dispositifs d'accueil des Ukrainiens déplacés en France et à corriger une sous-budgétisation chronique du programme.


* 8 Cour des comptes, Les relations entre l'État et les gestionnaires de structures d'hébergement, 2024.

* 9 Unicef et Fédération des acteurs de la solidarité, Baromètre des enfants à la rue, 2024.

* 10 Observatoire du Samusocial de Paris, ENFAMS : Enfants et familles sans logement personnel en Ile-de-France Premiers résultats de l'enquête quantitative, 2014.

* 11 Cour des comptes, Les relations entre l'État et les gestionnaires de structures d'hébergement, 2024.

* 12 Cour des comptes, Les relations entre l'État et les gestionnaires de structures d'hébergement, 2024.

* 13 Ibid.

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