II. ENTRETIEN DES INFRASTRUCTURES ROUTIÈRES : DE LOURDS BESOINS EN PERSPECTIVE, DE NOUVELLES RECETTES À DÉGAGER
A. ROUTES : INVERSER LA SPIRALE DE DÉGRADATION DU RÉSEAU ET S'ADAPTER AU CHANGEMENT CLIMATIQUE
· Le PLF pour 2025 prévoit d'allouer plus d'1 Md€ à l'entretien du réseau routier national non concédé (RRNNC) l'année prochaine, soit un montant stable par rapport à 2024, dans un objectif de « renverser la tendance de dégradation des routes d'ici 2030 »6(*).
Pourtant, et malgré la hausse des moyens alloués à cette infrastructure depuis 2017, la tendance à la dégradation du RRNNC est loin d'être enrayée, comme en témoigne le graphique ci-dessous.
Évolution de l'indicateur relatif à l'état des chaussées
Source : PLF pour 2025 - annexe budgétaire
Par ailleurs, le rapporteur pour avis alerte sur le fait que le changement climatique ne fera qu'aggraver encore et accélérer la spirale de dégradation des infrastructures routières et, en conséquence, amplifier les coûts liés à leur entretien.
La méthode consistant à demander chaque année une enveloppe budgétaire supplémentaire pour assurer l'entretien du RRNNC manque d'efficacité et de soutenabilité, au regard des besoins identifiés. La commission appelle donc à réaliser un travail de fond sur ce sujet lors de la conférence nationale sur le financement des mobilités en 2025.
Ces éléments sont d'autant plus inquiétants dans la perspective de la mise à disposition des régions de portions du réseau routier national non concédé, prévu par la loi dite « 3DS ». Au 1er janvier 2025, 1 650 km de sections d'autoroutes et de routes nationales seront en effet mis à la disposition - à titre expérimental - de 3 régions volontaires (Auvergne Rhône-Alpes, Grand Est et Occitanie), via des conventions signées avec l'État. Pour rappel, au 1er janvier 2024, 14 départements7(*) et 2 métropoles se sont en outre vus transférer 920 km de ce réseau.
Dans le prolongement de cette question, le rapporteur pour avis, à titre personnel, s'alarme de la durée prévue pour l'expérimentation de la mise à disposition de parties du RRNNC aux régions par la loi « 3DS », qui est de huit ans à compter de la promulgation de la loi en 2022. Ainsi que le souligne Régions de France, cette durée s'avère en particulier trop faible pour la région Grand Est et « il aurait été préférable de prévoir huit ans à partir de la date réelle de mise à disposition, notamment pour mener à bien certaines opérations d'ampleur (aménagement de l'A31, mise à deux fois deux voies de la RN4, modernisation d'aires de repos, etc.) »
Le rapporteur pour avis appelle le Gouvernement à revenir sur la durée de ces expérimentations, le cas échéant de manière souple pour permettre la mise en place d'un modèle économique adapté à chaque région ayant pris part au dispositif, comme il l'a proposé à travers une proposition de loi.
Au total, il dresse un bilan très mitigé de la décentralisation du RRNNC permise par la loi « 3DS » : ces transferts à « géométrie variable » conduisent, de fait, à une fragmentation de la gestion de ce réseau, alors même qu'une stratégie nationale lisible sur cette question serait indispensable.
· Si l'entretien du réseau des SCA ne soulève pas les mêmes inquiétudes, compte tenu de son financement via les recettes tarifaires, le rapporteur pour avis formule néanmoins deux points de vigilance.
Premièrement, à courte échéance, le rapporteur pour avis alerte sur les difficultés rencontrées par les SCA pour collecter le produit des péages dans le cadre du dispositif de péages à flux libres mis en place depuis 2022 sur certaines portions du réseau. Les SCA font en effet état d'un niveau de fraude non négligeable, notamment de la part de conducteurs étrangers, susceptible de fragiliser leurs recettes tarifaires : le rapporteur pour avis appelle l'Union européenne (UE) à avancer sur cette question, en facilitant le recouvrement des péages et des amendes dans l'ensemble des États membres de l'UE. Il s'agit d'un préalable à une généralisation de ce dispositif qui peut induire de réels gains environnementaux (à travers la diminution de la congestion) une fois les utilisateurs familiarisés avec son fonctionnement.
Deuxièmement, s'agissant de la définition du « bon état » des biens restitués par les SCA à la fin des concessions autoroutières, les travaux de l'État semblent bien avancés. Ainsi que l'a indiqué l'ART, « un référentiel technique de mesure a été mis en place pour définir clairement les contours de la notion de « bon état d'entretien » (telle que prévue par les contrats) dans lequel les biens de retour doivent être restitués en fin de concession. Il permettra d'objectiver l'état du réseau et de fixer les objectifs d'entretien des concessionnaires et d'en déduire les programmes de travaux qu'ils devront mener ». Le régulateur rappelle toutefois que des paramètres cruciaux restent à définir, notamment pour fixer les critères déterminant les ouvrages d'art nécessitant des travaux de réhabilitation. Il indique que « les prochains mois seront donc critiques dans le processus de définition du bon état d'entretien : selon le degré d'exigence du concédant, des dépenses importantes d'entretien et de renouvellement, qui devraient être à la charge des concessionnaires, pourraient être reportées au-delà de l'échéance des concessions historiques »8(*).
· S'agissant de l'entretien du réseau routier des départements et des communes, il y a fort à craindre que ces collectivités territoriales se trouvent confrontées à un effet ciseau entre une hausse de dépenses incompressibles et une baisse de leurs ressources dans le contexte budgétaire actuel. Départements de France souligne que les recettes dont bénéficient les départements au titre des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) poursuivent leur diminution, alors que leurs dépenses en matière sociale pourraient encore augmenter en 2025. Dans ce contexte, cette association rappelle qu'« il est évident que cette situation va impacter fortement prioritairement les budgets routiers, qui sont des variables d'ajustement budgétaire facilement mobilisables »9(*).
Or, les dépenses d'entretien du réseau routier représentent des montants considérables pour les collectivités territoriales. Selon le rapport de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales publié en 2024, en 2023, les départements ont ainsi consacré plus 4,7 milliards d'euros à leur voirie, soit une augmentation d'environ 3 % en un an. En parallèle, les communes de plus de 3 500 habitants ont dépensé 3,8 milliards d'euros pour leur voirie, soit une hausse de 6 % par rapport à 2022.
Le rapporteur pour avis juge opportun de mettre en avant le coût consolidé, tous acteurs confondus (État, communes et départements, mais également SCA), que représente l'entretien annuel du réseau routier : en 2023, les dépenses d'entretien du RRNNC, d'une part, et du réseau routier des communes de moins de 3 500 habitants et des départements, d'autre part, avoisinaient les 9,5 Mds€. En y ajoutant le coût que représente annuellement l'entretien des infrastructures autoroutières pour les SCA selon l'ART10(*), le coût total dépasse les 10 Mds€ par an (cf. schéma ci-après).
Coût consolidé de l'entretien de la
route pour l'État,
les sociétés concessionnaires
d'autoroutes les départements
et les communes de plus de 3 500
habitants
La commission a adopté un amendement, sur la proposition du rapporteur pour avis et de Philippe Tabarot, rapporteur pour avis des crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes, visant à maintenir l'attribution d'un douzième (soit 50 M€ d'euros) du produit de la taxe sur l'exploitation des infrastructures de longue distance, respectivement, aux communes et à leurs groupements exerçant la compétence voirie ainsi qu'aux départements. Cette mesure (qui prévoyait également l'attribution d'une part de recettes équivalentes aux départements) avait été portée par le Sénat lors de l'examen de la LFI pour 2024 et maintenue dans le texte définitivement adopté. Le PLF pour 2025 (article 21) en propose toutefois la suppression.
Afin de ne pas réduire les recettes prévisionnelles de l'Afit France en 2025, la commission a adopté un autre amendement, également sur la proposition du rapporteur pour avis et de Philippe Tabarot, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes, visant à rehausser en conséquence de 100 M€ le plafond de TICPE qui lui sera affecté l'année prochaine.
* 6 Source : PLF pour 2025 - annexe budgétaire du programme 203.
* 7 Un département initialement volontaire - la Haute-Saône - s'étant rétracté.
* 8 Source : réponse de l'ART au questionnaire écrit du rapporteur pour avis.
* 9 Source : réponse de Départements de France au questionnaire écrit du rapporteur pour avis.
* 10 Source : Essentiel de la troisième édition du rapport sur l'économie des concessions autoroutières de l'ART, novembre 2024.