II. LE CNM A-T-IL TROUVÉ SON RYTHME ?

A. UN ANNIVERSAIRE SOUS TENSION

1. Cinq ans, déjà !

Hasard du calendrier, la commission a entendu le Président du Centre national de la musique (CNM) le 30 octobre 20242(*), soit cinq ans jour pour jour après la promulgation de la loi de 2019 qui l'a créé et lui a fixé des objectifs particulièrement ambitieux.

Le CNM regroupe en son sein plusieurs leviers d'action précédemment assurés par différents acteurs publics et privés. Sa création a mis fin à la forme d'injustice dont souffrait le secteur de la musique qui, à la différence du cinéma avec le CNC ou du livre avec le CNL, ne disposait jusqu'à présent pas d'un organisme dédié où faire converger les débats relatifs à la musique enregistrée et au spectacle.

Les avis sur les projets de lois de finances des années précédentes ont accompagné et analysé le lancement du Centre, ainsi que les incertitudes budgétaires qui ont longtemps plané sur lui.

2. Un budget complexe à établir

La lecture du budget du CNM est particulièrement complexe, en raison des incertitudes qui entourent les prévisions de recettes, d'une part, et de reports de crédits d'un montant particulièrement élevé (37,9 millions d'euros en 2024, soit le quart du budget), d'autre part.

Pour l'essentiel, les ressources pérennes du CNM reposent sur une dotation de l'État et sur des taxes affectées.

Dans le projet de loi de finances pour 2025, la subvention s'inscrit en baisse de 1,3 million d'euros par rapport à 2024 pour s'établir à 25,65 millions d'euros, ce qui constitue la première diminution financière depuis la création du Centre.

Les deux taxes affectées devraient représenter en moyenne dans les années à venir d'après le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2024-2028 les deux tiers des ressources du CNM :

- la taxe sur les spectacles de musiques actuelles et de variétés, qui représente 3,5 % du prix du billet ;

- la taxe sur l'écoute en ligne, dite taxe « streaming », qui frappe la consommation de musique par abonnement ou financée par la publicité.

B. DES RESSOURCES FISCALES QUI INTERROGENT

L'évolution du produit de ces deux taxes présentent aujourd'hui un certain degré d'incertitude qui nuit à la trajectoire financière du CNM.

1. La taxe sur les spectacles : quel plafonnement ?

Les fonds collectés par cette taxe sont redistribués aux acteurs de la filière selon une clé de répartition héritée de l'ancien Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV) et arrêtée à l'article 45 du Règlement général des aides du CNM :

- 65 % sous la forme de droit de tirage pour contribuer, dans un délai de trois ans, à la production d'un nouveau spectacle, ce qui assure au redevable, sous réserve d'être affilié au CNM, de récupérer 65 % des sommes qu'il a versées au titre de la taxe ;

- 35 % en aides sélectives, destinées au financement des programmes et actions de soutien aux spectacles de chanson, de variétés et de jazz.

Initialement estimée à 32 millions d'euros en 2024, son montant devrait finalement s'avérer très nettement supérieur pour atteindre 50 millions d'euros, ce qui témoigne des excellents résultats du spectacle vivant.

Depuis 2016, le niveau de la taxe est plafonné à 50 millions d'euros, montant alors très éloigné de son rendement. L'article 33 du projet de loi de finances pour 2025 confirme ce niveau.

Le rendement de la taxe pourrait cependant être supérieur au plafond dès 2025. Au-delà de ce seuil, les sommes collectées sont affectées au budget général.

En cas de dépassement, ce mécanisme pose deux questions :

- d'une part, il revient à créer une forme de taxe additionnelle supportée par le seul secteur du spectacle vivant ;

- d'autre part, il pose un problème quant à l'affectation des taxes collectées après le dépassement. En effet, pour les spectacles qui auraient lieu une fois le plafond atteint, il n'y aurait plus de droit de tirage à hauteur de 65 %, puisque le CNM ne recevrait pas les sommes correspondantes, à moins que le Centre ne prélève sur ses autres ressources pour maintenir l'équité.

Dans ce contexte, il pourrait être opportun de réfléchir suivant deux axes :

- du côté du CNM, et comme cela a été exprimé par son Président lors de son audition devant la commission, à un réexamen des aides automatiques, au moins de leur niveau, en modifiant l'article 45 de son Règlement pour privilégier les aides sélectives ;

- du côté des pouvoirs publics, à un rehaussement ou à une suppression du plafond de 50 millions d'euros.

2. La taxe streaming : encore un effort !

Le sujet de la création d'une taxe sur les écoutes en ligne a été porté par la commission de la culture de longue date, lors de l'examen des crédits, mais également par l'intermédiaire de la mission confiée en 2023 à l'ancien rapporteur pour avis Julien Bargeton, qui plaidait pour cette solution. La commission a également consacré au financement du CNM une table ronde le 19 octobre 20223(*), qui avait permis de mesurer les oppositions à cette proposition d'une partie de la profession.

Finalement, à l'initiative du Sénat, qui a adopté un amendement conjoint des commissions de la culture et des finances, l'article 53 de la loi de finances pour 2024 a bien créé la taxe streaming, affectée au CNM.

La commission, qui a soutenu cette initiative, se réjouit donc tout particulièrement de voir ce dispositif ambitieux enfin promulgué.

Sa mise en place pour l'exercice 2024 a cependant posé plusieurs difficultés.

Tout d'abord, et comme il était prévisible, elle a été reçue avec une certaine hostilité par les plateformes de streaming. Spotify en particulier a augmenté au mois de mai le prix de son abonnement pour répercuter le prix de la taxe sur les consommateurs. Le prix a cependant été également augmenté dans d'autres pays qui n'ont pas mis en place de taxation spécifique. La plateforme a également publiquement annoncé des désinvestissements en France.

Ensuite, la circulaire d'application n'a toujours pas été publiée par le ministère des comptes publics, ce qui crée une incertitude sur ses modalités de mise en oeuvre.

Enfin, et au moins en partie en conséquence, le rendement est moindre qu'espéré. Initialement estimée à 18 millions d'euros, puis à 15 millions dans le budget du CNM, elle devrait finalement s'établir à un peu moins de 10 millions d'euros en 2024.

Depuis sa création il y a cinq ans, le CNM a consacré une bonne partie de son temps à créer et conforter les moyens budgétaires nécessaires pour mener les actions de soutien au secteur qui lui sont assignées par la loi. Pour la commission, il serait temps que ces questions soient enfin définitivement résolues en 2025 pour que le Centre puisse consacrer son temps et son énergie à ses missions premières.


* 2 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20241028/cult.html#toc3

* 3  https://videos.senat.fr/video.3039626_634f951450b4a.table-ronde-sur-la-situation-du-centre-national-de-la-musique-

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