B. LE DIFFICILE RESPECT, DANS LA CONJONCTURE ACTUELLE, DES AMBITIONS DE LA LOI D'ORIENTATION ET DE PROGRAMMATION DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR
Le cadre budgétaire contraint érode les capacités à maintenir la trajectoire initialement prévue par la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) pour la période 2023-2027.
En particulier, le programme 216 souffre d'un recul notable par rapport aux ambitions affichées. En 2025, les autorisations d'engagement seront inférieures de 15 % aux prévisions. L'écart s'explique notamment par la consolidation des économies de 85 millions d'euros issues du décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
Par ailleurs, la trajectoire prévue par la Lopmi pour renforcer la filière numérique, avec la volonté de créer 310 postes d'ici 2027, marque un sérieux ralentissement. En 2025, aucune création d'emploi n'est prévue, contrastant avec les 50 postes initialement annoncés.
Comparaison des écarts entre les
prévisions de la Lopmi
et les lois de finances
pour 2024 et 2025
(en millions d'euros)
Programme Autorisations d'engagement |
Lopmi pour 2024 |
LFI 2024 |
Écart
2024 |
Lopmi pour 2025 |
PLF 2025 |
Écart
2025 |
P354 - Administration territoriale de l'État |
2 074 |
2 633 |
+ 27 |
2 103 |
2 141 |
+ 2 |
P216 - Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur |
2 811 |
2 705 |
- 4 |
1 885 |
1 603 |
- 15 |
Mission « Administration générale et territoriale de l'État » |
4 885 |
5 596 |
+ 15 |
3 988 |
3 744 |
- 6 |
Source : commission des lois, d'après les données du ministère de l'intérieur et de la Lopmi
Le budget du programme 354, dédié à l'administration territoriale de l'État, connaît, pour sa part, une légère hausse par rapport aux prévisions initiales de la Lopmi. Les crédits de paiement atteignent 2 090 millions d'euros en 2025, contre une prévision de 2 050 millions d'euros. Toutefois, ces crédits restent concentrés sur des dépenses de fonctionnement dans un contexte de hausse durable des prix de l'énergie, sans traduire de véritables avancées en matière d'investissements ou de créations de postes.
C. DES CRÉDITS DÉDIÉS AUX ÉLECTIONS DIFFICILEMENT PILOTABLES
1. Une volatilité des crédits en fonction des échéances électorales connues
Les crédits alloués au programme 232 « Vie politique » présentent une forte volatilité, intrinsèquement liée au calendrier électoral. En 2025, leur diminution est significative, avec une baisse de 61,84 % en autorisations d'engagement et de 61,08 % en crédits de paiement.
En l'absence d'élections nationales en 2025, l'enveloppe consacrée à l'organisation des élections est ainsi réduite à 22,3 millions d'euros (- 87 % par rapport à la loi de finances initiale de 2024), destinés à financer la tenue d'élections partielles, ainsi que la maintenance des outils informatiques électoraux.
Cependant, les prévisions budgétaires de l'action reposent sur la seule prise en compte des scrutins certains à la date du dépôt du projet de loi de finances, n'incluant dès lors pas l'organisation des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, initialement prévues pour mai 2024 et reportées au plus tard à fin novembre 20253(*).
Par ailleurs, l'organisation d'élections législatives anticipées a conduit à un substantiel ajustement en cours d'exercice des crédits alloués en 20244(*), qui seront en partie reportés sur 20255(*). Ils seront principalement dédiés au remboursement des dépenses de campagne des candidats aux élections législatives estimé à 40,86 millions d'euros.
Ces scrutins, dont le coût total est estimé à 171,5 millions d'euros, soit 7 millions de plus que pour les élections législatives de 2022, ont été marqués par une augmentation significative de certains postes de dépenses du fait des délais réduits.
Estimations du coût des
échéances électorales
(en millions
d'euros)
Élections |
Prévision 2024 |
Prévisions 2025 |
|
Programme 232 |
Transfert MEAE |
Programme 232 |
|
Européennes 2024 |
156,28 |
5,81 |
/ |
Législatives 2024 |
135,33 |
4,46 |
31,71 |
Provinciales en Nouvelle-Calédonie |
/ |
/ |
1,75 |
Source : commission des lois, d'après les données du ministère de l'intérieur
Le programme 232 finance, en outre, le fonctionnement de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), autorité administrative indépendante dont le budget est également conditionné par le calendrier électoral. Ainsi, pour 2025, les dépenses de personnel diminuent de 4 %.
L'activité de la CNCCFP se caractérise, en effet, par une double temporalité, du fait d'un contrôle régulier des comptes des partis politiques et d'un contrôle fluctuant des comptes de campagne des candidats.
Cette nature hybride impose une gestion différenciée des ressources humaines, avec l'importante mobilisation d'emplois temporaires pour répondre aux besoins ponctuels mais intenses des périodes électorales. Comme le souligne le président de la Commission lors de son audition, ce modèle pose des difficultés de recrutement en raison de la courte durée des contrats, limités généralement à six mois.
Lors des élections législatives anticipées de 2024, ces recrutements ont pu être réalisés dans le cadre du plafond d'emplois prévu par la loi de finances pour 2024 (55 ETPT), en raison de plusieurs vacances de poste dans les métiers informatiques.
2. Les précédentes élections mettent en exergue certaines difficultés de financement de la vie politique
L'organisation de trois scrutins nationaux en 2024, dont deux non prévus et organisés dans des délais restreints, a mis en lumière des insuffisances concernant, d'une part, les règles de financement de l'organisation des élections par les communes et, d'autre part, les règles encadrant les comptes de campagne des candidats.
En premier lieu, l'État octroie aux collectivités, à la suite des scrutins, une dotation couvrant une partie des frais d'assemblée électorale. Le calcul de cette compensation repose sur des bases forfaitaires établies en 2006 : 44,73 euros par bureau de vote et 0,10 euro par électeur inscrit. Malgré une inflation moyenne de 2 % par an depuis cette date, ces paramètres n'ont jamais été révisés, conduisant à un écart grandissant entre les dotations versées et les coûts réels.
Cette inadéquation est illustrée par la situation rencontrée par la municipalité de Boulogne-Billancourt, entendue par la rapporteure, qui fait état de frais d'organisation des élections européennes de 2024 qui s'élèvent à 200 000 euros, tandis que la dotation de l'État se limite à 15 000 euros. L'Association des Petites Villes de France (APVF), dans un courrier daté du 10 juillet 2024, a également alerté le ministre de l'intérieur sur le caractère dérisoire des compensations versées dans le cadre des deux tours des élections législatives anticipées. Ces exemples soulignent la nécessité, à tout le moins, de revaloriser les taux forfaitaires permettant le calcul des frais d'assemblée électorale.
En second lieu, les candidats et leurs mandataires financiers ont également pu être confrontés à des difficultés de respect des règles de financement des comptes de campagne, notamment concernant l'ouverture d'un compte bancaire dans un délai contraint.
En application de l'article L. 52-6-1 du code électoral, l'établissement bancaire doit fournir, en cas de refus d'ouverture d'un compte, une attestation justifiant sa décision et informer le mandataire de la possibilité de saisir la Banque de France afin qu'elle lui désigne, dans un délai d'un jour ouvré, un autre établissement de crédit. Or, comme le souligne le médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques7(*) dans ses précédents rapports d'activité, les banques omettent fréquemment de fournir des lettres explicites de refus d'ouverture de compte, ce qui retarde la possibilité pour les mandataires financiers de faire valoir leur droit auprès de la Banque de France.
Si l'article L. 52-6-1 dispose que le silence pendant un délai de quinze jours équivaut à un refus implicite, ce délai s'avère peu compatible avec des campagnes électorales d'une durée inférieure à trois semaines. Lors des précédentes élections législatives de 2024, le médiateur a ainsi été saisi à 139 reprises de difficultés liées à l'ouverture d'un compte.
Saisines du médiateur du crédit au cours des élections 2024
Élections |
Difficultés liées à l'ouverture ou au fonctionnement d'un compte bancaire |
Difficultés liées à un prêt bancaire |
Total |
Européennes 2024 |
3 |
1 |
4 |
Législatives anticipées 2024 |
139 |
3 |
142 |
Source : CNCCFP
Une réduction du délai de formation d'un refus implicite serait ainsi pertinente pour offrir aux candidats un accès rapide et effectif à leurs droits, particulièrement dans des contextes où le temps constitue une ressource critique.
* 3 Loi organique n° 2024-1026 du 15 novembre 2024 visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
* 4 Fin septembre 2024, le programme 232 a été abondé par le programme 552 « dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles (DDAI) » en hors titre 2 et par le programme 551 « provision relative aux rémunérations publiques » en titre 2 pour faire face aux dépenses obligatoires jusqu'à fin novembre (indemnités électorales versées aux metteurs sous pli, remboursement d'une partie des comptes de campagne des candidats et paiement des frais d'assemblée électorale engagés par les communes).
* 5 Ce faisant, l'article 51 du projet de loi de finances pour 2025 prévoit une dérogation au plafond fixé par l'article 15 de la LOLF, qui limite le report des crédits de paiement disponibles en fin d'année à 3 % des crédits initiaux inscrits sur un même programme.
* 6 La mesure de transfert entrant correspond à la rétrocession des crédits au programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires », piloté par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
* 7 Le médiateur du crédit aux candidats et partis politiques a été désigné le 3 août 2018, en application de l'article 28 de la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique. Il est chargé « de concourir, en facilitant le dialogue entre, d'une part, les candidats à un mandat électif et les partis et groupements politiques et, d'autre part, les établissements de crédit et les sociétés de financement, au financement légal et transparent de la vie politique ».