EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 19 novembre 2025, la commission a examiné le rapport pour avis de Mme Micheline Jacques sur la mission « Outre-mer » du projet de loi de finances pour 2026.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport pour avis sur les crédits de la mission « Outre-mer ».

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la mission « Outre-mer ». - L'année 2025 a été éprouvante pour les territoires de l'océan Indien : nous nous rappelons tous les cyclones Chido et Dikeledi, à Mayotte, où une délégation de notre commission s'est rendue en mai dernier, ou le cyclone Garance, à La Réunion. Nous examinons donc ces crédits avec une attention singulière pour ces territoires. Ce budget s'élève à 2,9 milliards d'euros en AE et à 2,8 milliards d'euros en CP, soit des baisses respectives de 17,75 % et de 5,14 %, par rapport aux montants prévus dans la loi de finances initiale pour 2025, même si le passage à l'Assemblée nationale a déjà fait évoluer la maquette proposée.

La mission « Outre-mer » ne résume pas à elle seule les moyens consacrés par la Nation aux territoires ultramarins : l'enveloppe totale qui leur est allouée est estimée pour 2026 à 24,9 milliards d'euros d'AE et à 26,8 milliards d'euros de CP, si l'on ajoute les crédits visant les outre-mer et qui sont répartis dans 29 autres missions, ainsi que les dépenses fiscales spécifiques.

La mission « Outre-mer » est constituée de deux programmes : le programme 138, relatif à l'emploi outre-mer, et le programme 123, qui traite des conditions de vie outre-mer.

81 % des crédits du programme 138 sont mobilisés pour compenser les pertes liées pour la sécurité sociale au dispositif d'allègements de charges dit Lodéom, du nom de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer. Les crédits inscrits à ce titre dans la mission « Outre-mer » correspondent ainsi à un transfert de l'État vers la sécurité sociale, mais le dispositif Lodéom d'exonération de charges patronales figure quant à lui dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Devant l'augmentation du coût pour l'État de ces exonérations, qui est passé de 1,1 milliard d'euros à 1,5 milliard d'euros entre 2019 et 2023, le Gouvernement avait prévu de revoir cette année le dispositif, en s'appuyant sur les recommandations d'un rapport conjoint de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales rendu public en mai dernier. Cette réforme se serait traduite pour les entreprises ultramarines concernées par un effort de 340 millions d'euros, qui était disproportionné. Lors des débats relatifs au PLFSS à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a finalement renvoyé à l'année prochaine toute évolution du dispositif. Si je ne suis pas opposée par principe à une réforme, je souhaite qu'elle ne se traduise pas par une « smicardisation » des économies ultramarines et que l'objectif de lutte contre le travail informel soit préservé. Nous avons besoin d'une étude en profondeur, qui examine tous ces dispositifs en associant les parlementaires ; je plaide pour que le Sénat en prenne l'initiative.

Le programme 123, relatif aux conditions de vie outre-mer, présente un aspect contrasté : d'un côté, les autorisations d'engagement, à 1,08 milliard d'euros, sont en baisse de 20 % par rapport à la loi de finances pour 2025 ; de l'autre, les crédits de paiement, qui s'élèvent à 1 milliard d'euros, augmentent de 22 %. Les services du ministère des outre-mer expliquent ce décalage par la nécessité de contenir la hausse des engagements constatée ces dernières années pour mieux maîtriser les décaissements à venir.

Le programme 123 comprend en particulier l'action consacrée au logement. L'année 2026 devrait être marquée à cet égard par la mise en oeuvre du troisième plan Logement outre-mer (Plom), dont la logique territorialisée suscite beaucoup d'attentes de la part des acteurs concernés.

C'est dans ce même programme que sont inscrits certains des fonds mobilisés pour la reconstruction de Mayotte, soit 290 millions d'euros d'AE et 160 millions d'euros de CP, des sommes conformes à la trajectoire fixée dans le cadre de la loi du 11 août 2025 de programmation pour la refondation de Mayotte. Je serai particulièrement attentive, en 2026 et au cours des prochains exercices, au respect des engagements pris.

Au-delà des crédits budgétaires, dans le contexte actuel du nécessaire redressement de nos finances publiques, je voudrais mettre l'accent sur les autres leviers qu'il nous faut mobiliser. Il nous est possible de trouver des solutions sans augmenter les dépenses de l'État.

Je crois, d'abord, qu'il nous faut mener la bataille normative. Pour le secteur de la construction et du logement, j'attends beaucoup de la publication des textes réglementaires qui permettront au marquage des régions ultrapériphériques - le marquage RUP - de s'appliquer en lieu et place du marquage européen, le marquage CE. J'appelle le Gouvernement à prendre ces textes sans tarder.

Un autre sujet me tient à coeur, celui de la meilleure utilisation des fonds européens. Lorsque je l'ai entendu pour préparer ce rapport, le directeur général des outre-mer m'a indiqué être particulièrement préoccupé cette année par l'application de la règle du « dégagement d'office ». Les crédits européens, inscrits dans un cadre financier pluriannuel, sont en effet répartis en tranches annuelles, qui doivent être engagées à temps sous peine de leur annulation par l'Union européenne. La DGOM craint ainsi que, au 31 décembre 2025, un nombre important des fonds alloués, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros, soient définitivement perdus, au détriment des territoires ultramarins concernés. Cette situation n'est pas acceptable.

Je suis ainsi convaincue que nos outre-mer pourraient tirer un plus grand bénéfice des fonds européens. Notre délégation sénatoriale aux outre-mer va réfléchir dans les semaines qui viennent à ce sujet et j'espère bien que ses propositions ouvriront des pistes fécondes. À Mayotte, c'est le préfet qui est responsable de la répartition des fonds structurels européens, je suis donc surprise qu'ils ne soient pas davantage mobilisés - et il en est de même à Saint-Martin.

Voilà, mes chers collègues, les réflexions que m'inspire cette année le budget de la mission « Outre-mer », dont les contours ont déjà bien évolué à la faveur de la discussion parlementaire. Malgré les réserves que j'ai exprimées, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

M. Daniel Salmon. - Je partage vos réserves mais pas votre vote. Nous évoquons régulièrement les enjeux socio-économiques des outre-mer : le logement, l'habitat indigne, le chômage, la vie chère, le soin et l'éducation. Or, le budget de cette mission baisse cette année, c'est incompréhensible, surtout après les mesures que nous avons prises dans le projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer. Le budget de l'Observatoire des marges et des revenus diminue, alors que nous avons besoin de plus d'indicateurs pour bien observer ces marges, nous l'avons tous demandé. Même chose pour les baisses de crédits pour l'Agence des mobilités outre-mer, alors que la mobilité est un enjeu massif dans ces territoires, qui représente une dépense contrainte de plus en plus importante. Et nous avons, encore, déploré les ravages outre-mer liés au réchauffement climatique ; ces dévastations vont se reproduire, mais cette mission budgétaire ne prévoit rien pour l'adaptation au changement climatique - alors que nous savons bien l'utilité des mesures de prévention, nous n'en prenons pas et nous ne retenons aucune leçon de ce qui se passe.

La seule politique que le Gouvernement continue, c'est celle de l'exonération de cotisations sociales, alors que l'Igas et l'IGF ont montré que ces exonérations ne produisaient pas les effets attendus : il y a là un vrai sujet de réforme, on ne peut pas perpétuer un système qui ne fonctionne pas, surtout quand nous recherchons à réduire la dette publique.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre le budget de cette mission.

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis. - Attention à ce que l'on dit, il faut prendre en compte le manque de culture publique vis-à-vis des outre-mer : l'État dépense des sommes faramineuses outre-mer mais sans en examiner l'efficacité et tant que cette analyse ne sera pas faite, précisément et globalement, on entretiendra le flou et les décalages entre les mots et les réalités. On dit que les exonérations sociales sont coûteuses, peu efficaces ; mais pour faire des économies sociales, il faudrait peut-être commencer par donner accès aux ultramarins à des services médicaux près de chez eux, plutôt que de ne leur laisser pas d'autre choix que d'aller se soigner dans l'Hexagone. Les territoires ultramarins doivent être des territoires d'innovation, il faut évaluer les politiques publiques dans leur ensemble - j'ai demandé que la Mission d'évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale (Mecss) se saisisse du sujet, parce que si l'Igas et l'IGF font un excellent travail, leur cadrage est parfois trop étroit, il faut voir large.

Vous évoquez le réchauffement climatique, les spécificités des outre-mer ne sont pas prises en compte : les politiques mises en oeuvre sont les mêmes, en outre-mer comme dans l'Hexagone. Il y a, là aussi, beaucoup à dire, par exemple sur le fonctionnement du Fonds vert par appels à projets : si des départements comme La Réunion sont équipés pour répondre à une telle procédure, d'autres territoires ne le sont pas et s'en trouvent désavantagés, je pense en particulier à Mayotte.

Sur la défiscalisation, je pense demander une mission à Jean-François Husson, il y a un vrai sujet - mais il y en a bien d'autres, par exemple le recyclage, j'avais un amendement l'an passé, il a été repoussé et j'y reviendrai ; il y a aussi tout ce qu'on doit faire contre la vie chère, il est aberrant qu'un citron vendu 50 centimes le kilo au Brésil revienne à 5 euros le kilo à Cayenne une fois passé... par Rungis, nous travaillons sur ces sujets dans la délégation sénatoriale aux outre-mer, pour développer nos filières d'excellence en outre-mer, pour montrer que nos territoires peuvent aussi innover, j'espère que notre commission et le Sénat tout entier nous soutiendront.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

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