AUDITION DU GÉNÉRAL D'ARMÉES HUBERT BONNEAU
Compte rendu de l'audition du Général d'armée Hubert Bonneau, directeur général de la gendarmerie nationale - mercredi 29 octobre 2025
M. Cédric Perrin, président. - Mon général, nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui pour ce qui est votre deuxième audition devant notre commission.
Vous avez, au début de cette année, tenu des propos très forts dans une lettre adressée à vos plus hauts commandants. Soulignant le durcissement de notre environnement stratégique, vous jugez que « la possibilité d'un conflit armé et d'une agression du sanctuaire national » doit « être sérieusement envisagée » et que la gendarmerie « a le devoir de se préparer pour tenir sa place ». La « militarité » de la gendarmerie, notion que vous mettez régulièrement en avant, retrouve ainsi sa pleine pertinence au regard des nouvelles menaces.
Je vous inviterai donc à nous indiquer comment ce constat oriente concrètement votre action à la tête de la gendarmerie nationale et comment il se reflète dans le budget du programme 152. Je vous demanderai également de revenir, si vous le voulez bien, sur la notion de défense opérationnelle du territoire (DOT), dont la gendarmerie est partie prenante, avec nos forces armées. Quelle est sa pertinence ? Et devons-nous l'adapter au nouveau contexte stratégique ?
Dès votre prise de fonctions, vous avez également identifié une autre priorité, l'immobilier, qui, à travers le logement en caserne, fonde la condition militaire du gendarme. Ceux d'entre nous qui ont été maires ou qui ont eu l'occasion d'oeuvrer à la construction de gendarmeries mesurent l'importance de cet enjeu. Plusieurs années de sous-investissement ont engendré une « dette grise » d'environ 2 milliards d'euros, qui se traduit par un délabrement notable du parc, mais aussi par le poids budgétaire croissant du locatif. Amorcé l'an dernier, le redressement se poursuit cette année, avec pas moins de 352 millions d'euros en crédits de paiement.
Nous retiendrons également la reprise du déploiement des 239 nouvelles brigades, mis en pause en 2025, les 25 millions d'euros supplémentaires pour la réserve opérationnelle, après la coupe sévère opérée l'an dernier, et la refonte de la grille indiciaire des officiers, attendue pour la fin de l'année.
Toutefois, malgré ces points de satisfaction, et en dépit d'une progression globale du budget de la gendarmerie dans le contexte budgétaire que nous connaissons, le sentiment demeure que la réalisation de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) a été percutée par les priorités plus immédiates que sont les jeux Olympiques et la crise en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte.
Comment, dans ces conditions, la gendarmerie pourra-t-elle « tenir sa place », selon vos propres mots, face à la multiplication des défis qui l'attendent ?
Sans plus attendre, je vous cède la parole. Après votre exposé liminaire, les rapporteurs pour avis du programme 152, Philippe Paul et Jérôme Darras, vous poseront leurs questions ; je donnerai ensuite la parole aux autres commissaires.
Général Hubert Bonneau, directeur général de la gendarmerie nationale. - C'est pour moi un honneur de me présenter devant vous pour la deuxième fois, accompagné de M. François Desmadryl, directeur des soutiens et des finances à la direction générale de la gendarmerie nationale, et du colonel Ronan Lelong, chef du bureau de la synthèse budgétaire.
Je souhaiterais, avant mon propos liminaire, vous présenter un court film sur les actions de la gendarmerie, afin de nous plonger dans l'ambiance de notre institution. (La vidéo de présentation est diffusée aux membres de la commission.)
Je commencerai par évoquer les éléments qui font la force de la gendarmerie et nos points de vigilance.
Plutôt que par les missions qu'elle assure - sécurité publique, renseignement, ordre public, maintien de l'ordre, police judiciaire -, je définis la gendarmerie comme une force armée dont la vocation est de garantir l'accès de tous aux services publics de sécurité sur 96 % du territoire national.
Depuis 2007, la population de notre zone de compétence a augmenté de plus de 3 millions d'habitants, tandis que les effectifs de la gendarmerie devraient seulement retrouver leur niveau de 2007 en 2026, avec l'arrivée de 400 équivalents temps plein (ETP) prévus par la Lopmi, ce qui correspond aux 58 brigades qui n'ont pas pu être créées cette année.
Au cours de la même période, nous avons constaté une hausse massive des interventions et de la délinquance.
Sur dix ans, la délinquance générale dans notre zone de compétence a augmenté de plus de 25 %. Les interventions ont crû de plus de 53 % et les gardes à vue de plus de 40 %. Nous constatons une augmentation du niveau de violence subie par la population et par les forces de l'ordre : depuis le début de l'année, six gendarmes sont décédés en service ou en mission, 4 100 ont été victimes d'agressions et 8 000 ont été blessés, soit une hausse notable de 3,5 % par rapport à l'an dernier.
La montée de la criminalité organisée est un phénomène qui ne peut pas non plus nous échapper, en métropole comme en outre-mer, et qui connecte toutes les formes de délinquance. Il n'y a pas de narcotrafic sans point de deal ou « Uber shit » ; il n'y a pas de gang criminel organisé itinérant venant d'Europe de l'Est, comme les Vory v zakone (« voleurs dans la loi »), sans cambriolages au niveau local.
Nous faisons également face à des problématiques majeures d'immigration illégale et de vols en bande organisée.
La multiplication des crises dans nos outre-mer est un autre phénomène majeur, notamment depuis mai 2024, qui entraîne un niveau d'engagement inédit de la gendarmerie mobile. Actuellement, 39 escadrons, soit 2 730 gendarmes mobiles, sont détachés en permanence dans les outre-mer. Il faut y ajouter 165 gendarmes départementaux en missions de courte durée pour apporter une compétence supplémentaire, notamment en police judiciaire. Ces escadrons ne sont pas engagés au quotidien dans le maintien de l'ordre, mais dans la sécurité publique générale en Guyane, aux Antilles et, bien évidemment, en Nouvelle-Calédonie, où nous mobilisons en permanence 20 escadrons.
Le contexte budgétaire est marqué par des contraintes qui justifient des efforts à tous les niveaux. Ceux-ci se traduisent sur le programme « Gendarmerie nationale » par certains renoncements.
La gendarmerie est une force de couverture des territoires dont la réponse opérationnelle repose sur quatre forces essentielles.
La première, la gendarmerie départementale, représente notre « système d'armes ». Les 3 700 implantations et 3 100 brigades territoriales constituent les points d'appui essentiels de la gendarmerie, qui nous permettent une rapide montée en puissance des moyens.
La deuxième, ce sont les moyens spécialisés. Nous avons développé des chaînes spécialisées qui viennent appuyer dès que nécessaire nos unités territoriales. En fait, il y a une espèce de double maillage : il y a un maillage territorial et un maillage subsidiaire qui vient renforcer le travail des unités territoriales. Nos actions à l'échelon national sont renforcées avec l'unité nationale de police judiciaire, la fameuse UNPJ, qui vient d'être créée.
La troisième, c'est évidemment la gendarmerie mobile, qui fait face à un taux d'engagement particulièrement soutenu, en particulier dans les outre-mer. Pour être à l'équilibre, il est nécessaire de faire un peu « souffler » les forces, mais aussi de les maintenir en condition opérationnelle par un entraînement. On estime que l'engagement maximum devrait être de 68 escadrons par jour. En réalité, nous montons pratiquement en moyenne à 77 escadrons par jour.
Enfin, la quatrième, essentielle à mes yeux, c'est la réserve opérationnelle, qui est un apport précieux, un atout majeur dans les territoires. Pour faire face au niveau d'engagement requis, nous avons repensé les dispositifs opérationnels. Je pense par exemple aux dispositifs de renfort estivaux et hivernaux. Grosso modo, l'hiver, des gendarmes de plaine montent en renforcement des stations de ski, et l'été, des gendarmes de l'intérieur viennent renforcer les gendarmes de la côte. Cela s'effectue à l'échelon régional, mais aussi, le cas échéant, à l'échelon national.
Notre finalité est d'abord le contrôle des flux, la surveillance et le contrôle sur le ruban routier, mais pas seulement : la gendarmerie doit être efficace en surveillance et en contrôle sur le trait de côte, dans les ports de plaisance, dans les ports secondaires, dans les ports de pêche. Elle doit être performante en surveillance et contrôle sur les canaux, sur les aérodromes secondaires, sur la voie ferrée. Tout passe par les flux.
Pour pouvoir exécuter de telles missions sous plafond d'effectifs, j'ai décidé de transformer nos escadrons départementaux de sécurité routière, qui ont été dissous, en escadrons départementaux de contrôle des flux. Ces gendarmes sont capables aujourd'hui non seulement d'être en contrôle sur les axes routiers, mais aussi de monter dans les trains et d'avoir une surveillance particulière sur le trait de côte et des compétences supplémentaires, y compris sur l'immigration illégale.
Les efforts que nous avons réalisés se sont répercutés sur notre chaîne de police judiciaire. L'approche que nous avons retenue est d'abord celle du renseignement judiciaire et administratif, ce qu'on appelle le renseignement criminel. Nous avons rapproché partout, dans toutes nos structures, les responsables de la police judiciaire et du renseignement. Je demande aujourd'hui aux gendarmes de travailler plus sur les criminels que sur la criminalité. Nous faisons plus de ciblage.
Cela se retrouve dans notre organisation, avec la création, à compter du 1er septembre 2025, de l'UNPJ, qui regroupe 1 200 enquêteurs à Pontoise. Il s'agit de spécialistes de la police judiciaire dans le cyber, dans le numérique, dans la délinquance financière, dans les cryptomonnaies.
Par exemple, face à la DZ Mafia, nous avons détaché à Marseille de manière permanente des dizaines d'enquêteurs sur des mois pour augmenter le niveau d'expertise de la section de recherche.
Nous essayons aujourd'hui de nous réorganiser, de nous restructurer, pour être plus performants. Nous avons fait de même dans le continuum sécurité-défense. Ainsi, en matière de défense opérationnelle du territoire, j'ai demandé à mes réservistes d'organiser dès maintenant partout dans les territoires, sous le contrôle de la gendarmerie départementale, des dispositifs d'une meilleure connaissance du terrain. Mes gendarmes doivent avoir refait un état complet des organismes d'importance vitale (OIV) et des points d'importance vitale (PIV) d'ici à la fin de l'année. Le travail avance bien, y compris dans les outre-mer.
Le projet de loi de finances doit soutenir notre modèle. Je voudrais remercier la représentation nationale et les ministres des efforts qui ont été réalisés, notamment, sur l'immobilier de la gendarmerie. C'est essentiel. Si nous voulons une gendarmerie pérenne, nous devons assurer le maillage territorial. Nous retrouvons des marges, avec 300 millions d'euros en investissement, même s'il le besoin annuel est estimé à 400 millions d'euros.
Certes, en 2025, nous n'avons pas eu la possibilité de faire les 58 brigades nouvelles prévues dans le cadre de la Lopmi. En 2026, le schéma d'emplois est prévu à 400 ETP ; il nous en faudrait exactement 464 pour faire les 58 brigades supplémentaires. Même si nous faisons les brigades nouvelles l'année prochaine, il manquera encore 1 145 ETP pour faire la totalité des 239 brigades prévues par la Lopmi.
En 2007, le ratio était de 3,2 gendarmes pour 1 000 habitants. Aujourd'hui, il est de 2,9. L'enveloppe prévue pour la réserve opérationnelle, qui nous aide au quotidien, doit augmenter de près d'un tiers. Nous avions 70 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2025 ; il est prévu de monter à 100 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2026. C'est absolument nécessaire.
La Lopmi prévoyait 50 000 réservistes. Aujourd'hui, nous disposons de près de 39 000 réservistes. Toutes nos préparations militaires gendarmerie sont pleines. Il faut pratiquement un an d'attente pour entrer dans la réserve gendarmerie. Je suis contraint par le budget, alors que le nombre de jours par réserviste par an diminue. Avec 150 millions d'euros ou 160 millions d'euros, je pourrais continuer la marche en avant vers les 50 000 réservistes et employer davantage mes réservistes sur une année.
Le projet de budget prévoit 33 millions d'euros de plus en faveur de l'investissement. Le parc immobilier, qui est le socle de notre système d'armes, avait souffert d'un sous-investissement chronique. Avec votre soutien, nous avons obtenu pour 2025 des crédits favorables pour financer des travaux impératifs et urgents, qu'il s'agisse de la qualité de vie des familles ou des locaux de services et techniques (LST) pour mieux accueillir nos concitoyens.
Notre schéma directeur immobilier vise à redonner aux familles, aux gendarmes, la vision d'une politique immobilière ambitieuse. Nous avons lancé le projet Cap Satory, qui est un partenariat public-privé pour remettre en condition le plateau de Satory. Ce sont des travaux dont le montant s'élèvera à plus de 600 millions d'euros.
Je considère le retour en immobilier domanial comme une absolue nécessité. Une caserne domaniale coûte deux fois moins cher en exploitation qu'une caserne locative.
Il faut aussi revoir les décrets de 1993 et 2016, qui permettent la construction locative en gendarmerie. Il faudrait que nous puissions démarcher les collectivités pour contracter dans le cadre d'un emprunt à taux fixe, à l'issue duquel la brigade reviendrait en domanialité à la gendarmerie.
Les véhicules sont un sujet d'attention particulière pour nos brigades territoriales. Actuellement, la durée de vie des véhicules en gendarmerie est estimée à huit ans - je devrais donc, normalement, renouveler un huitième du parc chaque année, ce qui correspond à 3 700 véhicules. Or l'âge moyen du parc en gendarmerie est déjà de sept ans ou huit ans. Sur la base de ce calcul, je devais renouveler environ 15 000 véhicules sur la période 2023-20026, mais la somme des véhicules renouvelés sur ces années ne sera que de 5 000, parce que je n'ai pas les moyens de faire plus.
J'en viens aux équipements stratégiques de projection. Les hélicoptères de la gendarmerie sont une priorité. Nous sommes engagés dans le renouvellement partiel de la flotte par dix H160 - les premiers devraient arriver cette année -, et nous avons obtenu six H145, dont deux sont payés par les Britanniques dans le cadre des accords de Sandhurst. Toutefois, le programme ne peut pas couvrir, pour l'instant, ce que l'on appelle la tranche complémentaire du programme d'acquisition des nouveaux H145 D3. Sans décision d'ici au début de 2027, la gendarmerie connaîtra une rupture capacitaire majeure sur sa flotte d'aéronefs, avec des conséquences fortes, notamment dans les outre-mer. Nous avons des hélicoptères Écureuil qui ont aujourd'hui plus de quarante ans : il faut impérativement les renouveler, sous peine de devoir fermer des sections aériennes de gendarmerie, soit en métropole, soit dans les outre-mer. Nous sommes déjà obligés de fermer partiellement certaines sections aériennes de gendarmerie par rotation pour garantir le maintien en condition opérationnelle des hélicoptères.
Sur le volet numérique, 120 millions d'euros en crédits de paiement sont prévus. Ils couvrent 60 % du besoin. Je pense qu'aujourd'hui, tout n'est pas qu'une question d'ETP. L'important est d'avoir des « gendarmes augmentés » ; le numérique, le cyber et l'intelligence artificielle (IA) doivent le permettre. Mais tous ces programmes ont un coût. Avec 120 millions d'euros, il me faut faire des choix. J'ai des difficultés à renouveler certains équipements. Certains ordinateurs, certains terminaux portables de la gendarmerie, ce qu'on appelle les NEO, seront assez compliqués à rénover cette année.
Enfin, en tant que force armée, la gendarmerie a des missions spécifiques de niveau militaire. Là encore, nous avons besoin d'un niveau d'équipement acceptable pour la gendarmerie. Il y a des plans capacitaires à prendre en compte pour le renouvellement des équipements, des armes, des gendarmes. Nous sommes, me semble-t-il, la seule armée à être encore dotée de Famas, équipements qui ont plus de quarante ans et qui ne seront bientôt plus soutenus, parce que plus personne ne saura les entretenir. Il faut que nous dotions nos unités territoriales de moyens modernes, notamment de vision nocturne et de protection individuelle. Et songeons à ce que seraient nos besoins dans le cadre d'un engagement majeur de nos armées sur l'extérieur.
M. Cédric Perrin, président. - Mon général, je vous remercie de ces propos liminaires. Je connais bien les difficultés auxquelles un maire doit faire face pour pouvoir construire une brigade de gendarmerie. Outre les problèmes administratifs, la gestion de l'ensemble des constructions de brigades relevait autrefois - je pense que cela a dû évoluer depuis - d'une seule personne.
M. Philippe Paul - Mon général, je vous remercie de cette présentation très complète.
Vous avez évoqué les brigades nouvelles. Cette année, il n'y a pas eu de création d'emploi. Tout est décalé sur l'année prochaine. Nous perdons ainsi un an. Voilà quelques semaines, nous avions des garanties du précédent ministre de l'intérieur que les effectifs seraient au rendez-vous en loi de finances.
Vous avez également abordé le domanial, sujet que nous connaissons bien. Je sais que vous attendez des arrêtés de la part de Bercy. Comment les choses se présentent-elles ?
Les hélicoptères sont, il est vrai, un peu fatigués. Pourriez-vous nous rappeler les chiffres à cet égard ? Pensez-vous que, côté Bercy, les financements seront au rendez-vous ?
Le remplacement des Famas, notamment avec des HK416, est urgent. J'ai cru comprendre qu'il fallait tous les remplacer d'ici à 2030. Combien de pièces faudra-t-il acheter ? Des crédits sont-ils prévus, en imaginant un lissage entre 2027 et 2030 ?
Je termine sur la défense opérationnelle du territoire. Avec quelques collègues, j'ai conduit une mission récente dans les pays scandinaves, qui sont assez en avance sur le mélange du civil et du militaire - on appelle cela la « défense totale » là-bas. Je l'avoue, pour certaines personnes, cela peut être un peu anxiogène. Vous avez évoqué les réservistes ; comment voyez-vous les choses de ce point de vue ? On a aussi évoqué, cet été, la possibilité d'actionner les hôpitaux pour un éventuel afflux de blessés, ou la distribution d'un guide de survie. Je pense qu'il faut tranquilliser quelque peu la population. Quels éléments complémentaires pouvez-vous nous communiquer sur la DOT ?
M. Jérôme Darras - Mon général, je vous remercie à mon tour de cette analyse complète et franche du programme « Gendarmerie nationale », qui montre les réalités qui se cachent derrière les chiffres. Je veux rendre hommage à l'engagement et au dévouement de nos gendarmes, qui, vous l'avez rappelé, paient un lourd tribut face à la montée de la violence et continuent pourtant d'imposer partout sur le territoire national leur présence rassurante.
Les crédits de la réserve opérationnelle, après avoir été ramenés à 75 millions d'euros en 2025, remontent à 100 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2026. Mais, si le nombre de réservistes est passé de 33 000 en 2023 à 38 000 aujourd'hui, la marche pour atteindre l'objectif de 50 000, fixé par la Lopmi, demeure haute. Pensez-vous être en mesure de mobiliser nos réservistes à l'avenir plus de vingt jours par an ?
Vous l'avez rappelé, compte tenu du schéma d'emplois, l'objectif des 239 brigades annoncées paraît difficilement atteignable à l'échéance prévue. Néanmoins, les implantations se poursuivront-elles jusqu'à ce qu'il soit atteint ? Ne craignez-vous pas une démotivation des communes qui ont engagé des projets immobiliers pour l'accueil de brigades ? Le nouveau dispositif de location avec option d'achat leur sera-t-il rapidement proposé ?
La dimension ultramarine de l'action de la gendarmerie, qui constitue l'essentiel de nos forces de sécurité intérieure dans ces territoires, est très spécifique. En Guyane, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, des conditions de maintien de l'ordre particulièrement difficiles ont nécessité et nécessitent encore un suremploi de la gendarmerie mobile. Est-il envisageable de repenser globalement le déploiement des effectifs et des matériels outre-mer, afin de ne pas avoir à sursolliciter les renforts de gendarmerie mobile ?
J'en viens à l'équipement en véhicules légers. L'effort important sur l'investissement immobilier, qu'il faut saluer, s'effectue au prix d'un recul de 100 millions d'euros sur les autres postes. Ainsi le budget réservé à l'acquisition des véhicules ne permettra-t-il d'acquérir que 600 à 700 véhicules quand le besoin annuel est de 3 750 véhicules pour le seul renouvellement. S'ajoutent des problèmes de fiabilité de ceux qui ont été acquis entre 2020 et 2022.
Enfin, l'état-major commun qui a été constitué par la gendarmerie et les forces armées en Guyane semble particulièrement bien fonctionner. Peut-il être considéré comme la préfiguration d'un dispositif de défense opérationnelle du territoire et être appliqué à l'avenir sur l'ensemble du territoire national ?
- Présidence de M. Pascal Allizard, vice-président -
Général Hubert Bonneau. - Je crois que nous ne valons que par le maillage territorial. Je pense que ce serait une erreur de le casser.
Par exemple, dans le sud de la France, où le trait de côte est particulièrement occupé - je pense notamment à la Côte d'Azur - et où l'intérieur des terres l'est moins, c'est pourtant à l'intérieur que l'on trouve aujourd'hui une implantation du cartel de Sinaloa.
Si les gendarmes ne sont pas au contact, nous ne voyons pas ce qui se passe. Encore une fois, je pense que la gendarmerie nationale doit être la force qui surveille et qui contrôle sur l'ensemble des territoires les flux. Tout passe par les flux : le trafic d'êtres humains, le trafic d'armes, le trafic de stupéfiants.
À mon sens, notre action est améliorable, et même grandement améliorable. Je réclame beaucoup d'efforts aux gendarmes, qui sont déjà très chargés. Je leur demande ainsi d'orienter leur action de présence sur la voie publique sur des objectifs précis de contrôle, de regarder ce qui se passe dans les territoires, de ramener du renseignement à vocation criminelle.
Nous contrôlons mieux les aérodromes secondaires, qui sont des endroits névralgiques sur lesquels on peut avoir de l'arrivée massive de produits.
Aujourd'hui, il faut avoir véritablement la conscience que nous ne pouvons pas aller plus loin dans la réorganisation territoriale de nos forces. La bascule de forces est toujours possible, mais elle s'effectuerait au détriment du contrôle du territoire national et de la profondeur des territoires.
Je pense que nous ne pourrons pas renforcer notre action dans les outre-mer sans ETP supplémentaires. Il y a quinze ans, à Saint-Laurent-du-Maroni, il y avait entre 15 000 et 20 000 personnes. Aujourd'hui, on parle de 80 000 à 100 000 personnes ; et les effectifs de gendarmerie ont peu évolué.
Et, encore une fois, tout n'est pas affaire d'ETP. Il faut donner les moyens aux gendarmes d'être plus performants. Je pense à la technologie, à l'intelligence artificielle. Nous avons ainsi lancé le système de traitement central Lapi (STCL), qui nous permet de mieux cerner ce qui se passe sur nos axes routiers. Aujourd'hui, l'axe d'effort de la gendarmerie est d'augmenter les capacités du gendarme grâce à la technologie et à l'IA.
Je vais laisser la parole au directeur des soutiens et des finances sur l'immobilier, qui est évidemment un sujet essentiel.
M. François Desmadryl, directeur des soutiens et des finances à la direction générale de la gendarmerie nationale. - Actuellement, le délai entre la décision de construire une brigade et l'inauguration est de cinq ans à six ans. Il y a une partie incompressible, qui est la construction de la caserne elle-même. Nous avons examiné comment simplifier la phase administrative, ce qui nous a permis de gagner entre neuf mois et douze mois. Le financement avec les collectivités locales reste un point difficile : les décrets de 1993 et de 2016 ont souvent un effet bloquant, notamment depuis le regain d'inflation de 2022. Nous n'arrivons pas toujours à boucler les financements, ce qui retarde les projets.
C'est pourquoi nous sommes en train d'envisager une révision des décrets. L'avantage d'un décret « LOA », au-delà duretour en domanialité, est de nous faire changer de logique. Au lieu d'un plafond applicable à tous les projets de construction de manière indifférenciée, nous pourrions avoir, comme cela avait émergé des auditions du sénateur Belin l'an dernier, un principe de « redevance transparente » : discuter avec les collectivités locales sur la réalité de leurs coûts, et compenser ces coûts avec les frais de gestion correspondants. Les collectivités nous ouvrent en quelque sorte leurs comptes, et nous payons le juste prix en échange. Cela permettrait de lever tous les blocages qui ajoutent aujourd'hui des délais quand on veut construire des brigades.
Le décret fait actuellement l'objet de consultations. Nous espérons pouvoir présenter le projet au début de l'année prochaine et le voir entrer en vigueur avant l'été 2026. Ce serait intéressant pour les collectivités locales, qui n'auraient plus à se demander si leurs frais seront couverts par le plafond, et pour l'État, grâce au retour en domanialité. Et le processus devrait être accéléré assez substantiellement. Normalement, il ne devrait pas y avoir trop d'oppositions. Il nous reste à convaincre Bercy, mais nous avons bon espoir d'y arriver.
M. Jérôme Darras. - Peut-on considérer que, dès que le système sera acté, les projets qui étaient prévus en locatif et qui étaient en attente de financement repartiront ?
M. François Desmadryl. - Oui. Ces projets ne sont pas suspendus aujourd'hui. Pour l'instant, nous continuons avec les décrets en vigueur. Lorsque le nouveau décret, qui sera a priori plus avantageux pour tout le monde, sera sorti, il n'y aura, je le crois, aucune difficulté pour basculer d'un système à l'autre.
Général Hubert Bonneau. - Je poursuis sur les besoins en renouvellement d'équipements.
Aujourd'hui, 22 000 fusils d'assaut doivent être remplacés, pour un budget estimé à 110 millions d'euros. L'ensemble du budget estimé pour renouveler les équipements dits « militaires » de la gendarmerie, mais qui servent aussi au quotidien - les monoculaires de vision nocturne qui permettent de débusquer des individus se livrant à des actions de sabotage, et les armes tactiques utiles à la gendarmerie mobile -, est aujourd'hui de 800 millions d'euros.
Au sein de la gendarmerie nationale, nous disposons aujourd'hui de 56 hélicoptères : 15 EC145, 15 EC135 et 26 Écureuil. Dans le cadre de la Lopmi, comme je l'ai dit, six H145 D3 ont été acquis sur marché commun. Nous avons besoin d'une tranche complémentaire de 22 hélicoptères, pour un montant de 355 millions d'euros. Cela doit impérativement être signé avant 2027.
Dans notre parc automobile, l'âge moyen des véhicules est de sept ou huit ans. Nous estimons pouvoir en remplacer 600 l'an prochain, quand il faudrait en renouveler, comme vous l'avez rappelé, 3 700 chaque année.
Sur la réserve opérationnelle, aujourd'hui, je suis capable de faire exactement 22,14 jours d'emploi réserviste par an. Les réservistes trouvent qu'ils ne sont pas assez employés, et je les comprends. L'idéal pour moi serait de dépasser les trente jours par an. La réserve opérationnelle de gendarmerie - ce chiffre est important - est constituée à plus de 70 % de purs civils. Et il n'y a pas que des jeunes majeurs ; on trouve aussi des mères de famille, des chefs d'entreprise, etc. C'est une vraie richesse, en particulier à une époque où l'on parle souvent du lien entre l'armée et la Nation. En outre, et c'est un aspect qui me tient à coeur, nos réservistes sont employés là où ils vivent : le lien, c'est le lieu. Je peux témoigner, comme tous mes commandants, du niveau d'engagement de nos réservistes. Je leur rends hommage, comme à mes gendarmes départementaux.
Je tiens à vous décrire l'idée que nous nous faisons de la DOT, notamment par rapport aux armées. Aujourd'hui, celles-ci nous appuient. Nous ne pouvons pas être performants en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte et en Guyane - j'y reviendrai tout à l'heure - si nous n'avons pas l'appui des armées. Nous avons vu lors des Jeux olympiques ou lors du quatre-vingtième anniversaire du Débarquement combien les armées viennent aujourd'hui en appui des forces de sécurité intérieure. Je pense que, dans l'hypothèse d'un engagement majeur, ce sera l'inverse. Par exemple, si nous avons un engagement majeur à l'Est, cela ne se fera pas sans agitation sur le territoire national : actions de proximité, sabotage, voire manifestations, car je ne suis pas sûr que tous nos concitoyens soient favorables à ce type d'engagement. Et avant même un engagement, il faudra peut-être faire transiter par la France des matériels sensibles ; il faudra alors couvrir le territoire avec des moyens, et c'est, je le crois, le rôle de la gendarmerie nationale. Nous devons nous préparer à de telles hypothèses.
L'état-major conjoint que nous avons mis en place en Guyane n'est pas nécessairement une préfiguration de la DOT. Il a été institué dans le cadre de l'opération Harpie. Je l'ai visité ; c'est remarquable. Les gendarmes sont totalement intégrés dans un état-major otanien dirigé par le COMSUP des forces armées en Guyane, où plusieurs bureaux sont dirigés par des gendarmes, notamment dans le renseignement. Cela permet aujourd'hui d'orienter les actions contre l'orpaillage de façon inégalée : 85 % de nos missions programmées font un hit sur le terrain. C'est l'exemple même de ce que l'on peut faire en appui conjoint entre les forces armées et la gendarmerie dans un département aussi compliqué que la Guyane.
M. Olivier Cigolotti. - Mon général, avec le président Perrin et notre collègue André Guiol, dans le cadre d'une mission lancée par notre commission, nous avons eu l'occasion de partager le quotidien des gendarmes de Guyane, notamment en forêt. Nous tenons à saluer le travail remarquable et exemplaire qui est réalisé au quotidien par ces gendarmes dans un milieu à la fois abrasif et hostile. Je pense à la lutte contre le narcotrafic et à la lutte contre l'orpaillage illégal.
Aujourd'hui, la montée de la criminalité en Guyane est parfaitement documentée. Ne pensez-vous pas qu'il serait opportun de revoir le dispositif Harpie ? Un certain nombre de compétiteurs - je pense notamment à la Chine, pour ne pas la nommer - pillent nos ressources naturelles dans ce département, et notre dispositif, même s'il remplit aujourd'hui pleinement les objectifs qui lui sont fixés, risque d'être rapidement dépassé par l'intérêt qui est lié à l'évolution du cours de l'or.
M. Philippe Folliot. - Mon général, j'avais déjà évoqué l'an dernier le décalage entre les éléments nationaux relatifs à l'immobilier que vous venez de rappeler et les propositions qui peuvent être formulées sur le terrain, mais qui n'aboutissent pas, ce qui est bien dommage...
Vous avez indiqué que la réserve opérationnelle était l'un de vos piliers majeurs. Si mes informations sont exactes, il semblerait que, pour la garde républicaine à Paris, tous les crédits soient utilisés sur les huit ou neuf premiers mois de l'année. Est-ce lié à un problème de programmation ?
En 2009, j'avais fait part d'interrogations quant à l'intégration de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur. Aujourd'hui, certains commencent à dire qu'il pourrait être intéressant de réintégrer la gendarmerie dans le périmètre du ministère de la défense. Existe-t-il des réflexions en ce sens de votre côté ? Pour notre part, nous sommes tous très attachés au caractère militaire de la gendarmerie, que vous avez su préserver malgré le rattachement au ministère de l'intérieur.
Mme Nicole Duranton. - Je me fais le relais des questions de mon collègue Lemoyne. Certains départements verront la réalisation de leur première brigade en 2026. Y aura-t-il d'autres brigades que celles que vous avez annoncées ? À défaut, la cible de 2027 pour la réalisation de l'ensemble du plan de 200 brigades est-elle maintenue ?
M. Jean-Pierre Grand. - Mon général, j'ai un peu sursauté quand vous avez parlé du retour au domanial. Vous le savez, je suis un fan de la gendarmerie.
La gendarmerie, ce sont aussi des familles. Et quand j'ai construit la gendarmerie que vous connaissez, je l'ai fait en pensant aux familles des gendarmes. On a regroupé tout le monde de manière à ne pas être obligés d'organiser une sorte de ramassage scolaire pour une opération à trois heures du matin. Or demain, ce seront des bureaux parisiens qui dessineront la gendarmerie de telle ou telle commune. Pour moi, ce n'est pas cela, la gendarmerie du XXIe siècle. La gendarmerie du XXIe siècle, c'est la gestion de la famille, c'est-à-dire la proximité avec les équipements publics, les écoles, les sports, les transports. La CDC Habitat, c'est un retour à l'autre fois qui me laisse perplexe. Il faut être très attentifs à la qualité de l'habitat.
En plus, on nous dit que des communes mettraient la main à la poche pour construire des brigades. Au moment où nous allons voter un budget dans lequel il n'y aura plus de dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), cela risque tout de même d'être un peu compliqué ! Et ce n'est pas leur rôle.
Ce retour au domanial me laisse donc très perplexe, non pas par idéologie, mais par sens des réalités pratiques. Je vous invite à venir visiter ce que nous avons fait : vous verrez combien les gendarmes et les familles y sont heureux. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait encore réfléchir et revoir votre projet de retour au domanial ?
Général Hubert Bonneau. - Je réponds d'emblée à cette dernière question. Je ne suis pas du tout d'accord avec vous, monsieur le sénateur.
Je suis un homme de terrain. J'ai fait évacuer totalement des compagnies de gendarmerie, parce que l'habitat locatif y était indigne. Et ce n'est pas la gendarmerie qui fixait le montant des loyers. En 2009, lors de notre intégration au ministère de l'intérieur, le prix des loyers en gendarmerie, c'était 300 millions d'euros. L'année dernière, c'était 620 millions d'euros. Et, dans moins de dix ans, ce sera 1 milliard d'euros.
Notre modèle sur le locatif est-il supportable ? Je n'ai pas l'argent pour cela. Très concrètement, une brigade domaniale coûte deux fois moins cher qu'une caserne locative. Les logements que nous construisons pour nos gendarmes ne sont pas des prisons ; il y a de multiples normes que nous devons respecter et que nous respectons !
Aujourd'hui, le coût du locatif est trop important, ce qui menace l'équilibre de la gendarmerie. Nous devons nous poser la question de la soutenabilité du modèle. Voilà pourquoi je prône un retour vers le domanial.
Au demeurant, monsieur le sénateur, si une collectivité ne veut pas installer une gendarmerie, c'est son choix. S'il n'y a ni brigade ni terrain, nous n'y allons pas ; il ne faut pas nous demander l'impossible. Aujourd'hui, vu l'augmentation des coûts des loyers, nous sommes bien obligés de faire des choix. Vous avez bien compris ce vers quoi je m'oriente.
Monsieur le sénateur Folliot, si nous sommes effectivement obligés de ne plus convoquer de réservistes, c'est parce que les crédits sont épuisés ; ce n'est pas forcément un défaut de planification. Étant donné le taux d'emploi de la gendarmerie mobile, j'ai dû faire des choix d'engagement de nos réservistes. En effet, je ne peux pas non plus convoquer des réservistes sans les rétribuer ou en reportant les paiements de plusieurs mois.
Un rattachement de la gendarmerie aux armées n'est pas du tout à l'ordre du jour. La gendarmerie a trouvé, je le crois, trouvé sa place au sein du ministère de l'intérieur. Nous travaillons avec la police judiciaire au quotidien, notamment pour lutter contre la criminalité organisée. En la matière, nous avons ainsi monté un état-major commun qui est piloté par une commissaire de la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), avec un gendarme pour adjoint. Je pense que nous avons trouvé un équilibre.
Monsieur le sénateur Cigolotti, je rejoins ce qui a été indiqué sur le programme Harpie et la montée en puissance des groupes criminels. À titre d'exemple, au premier trimestre 2025, la gendarmerie de Guyane a détecté la présence de ce qu'on appelle les factions armées brésiliennes dans cette zone. Nous nous sommes interrogés sur les causes d'une telle présence. En réalité, ces organisations criminelles, qui ne font pas énormément de trafic de stupéfiants, vont là où elles peuvent trouver de l'argent. Aujourd'hui, le cours de l'or, c'est, je crois, 105 euros le gramme. Le cours de la cocaïne, lui, est plus fluctuant ; le prix du kilo est beaucoup moins élevé en Guyane qu'en métropole. C'est donc pour l'or que ces organisations investissent la Guyane. C'est ce que nous devons combattre. C'est pourquoi la mission Harpie a été renouvelée, notamment avec la constitution de cet état-major commun, et nous obtenons de bons résultats. Il faut continuer à lutter contre cette criminalité organisée, qui crée des atteintes majeures à l'environnement - le mercure fait des dégâts terribles - et qui s'infiltre en Guyane.
Madame la sénatrice Duranton, en 2024, 80 brigades nouvelles ont été réalisées. Les 57 qui n'ont pas été réalisées en 2025 sont reportées sur le projet de loi de finances pour 2026. Il reste donc une centaine de brigades qui, normalement, devraient être faites en 2027. C'est source d'inquiétudes, car cela représente tout de même 1 145 ETP. Je ne sais pas aujourd'hui s'il y aura un glissement au-delà de 2027. Il y a des négociations à mener. J'espère en tout cas que le plan ira au bout.
M. Alain Cazabonne. - Ma première question porte sur le narcotrafic. Nous le savons, s'il n'y avait pas de consommateurs, il n'y aurait pas de trafic. Concrètement, qu'est-ce qui est fait en matière de contrôle ? Voilà plus de quarante ans que je conduis, et je n'ai été contrôlé aux stupéfiants qu'une seule fois ! En tant que maire, j'avais équipé les véhicules municipaux de dispositifs empêchant la voiture de démarrer lorsque le conducteur avait trop bu. Pourrait-on envisager des dispositifs similaires ? De même, voilà une quinzaine ou une vingtaine d'années, j'avais suggéré de faire une opération coup de poing : prévenir les habitants que le quartier va être bloqué un matin et que tous les appartements seront visités ; les personnes qui, détenant des armes ou autres, les auront rendues préalablement ne seront pas poursuivies, mais celles chez qui du matériel aura été trouvé le seront. Est-ce techniquement envisageable ?
Ma deuxième question concerne les rave-parties. Est-il possible de bloquer l'accès à un terrain quand il commence déjà à y avoir quelques véhicules ? Il s'agirait d'une mesure pratique, n'engageant pas de crédits.
M. Guillaume Gontard. - Monsieur le directeur général, je partage votre avis sur l'importance du maillage territorial, notamment en zone rurale.
Vous avez aussi évoqué l'augmentation des violences intrafamiliales. La Lopmi prévoyait la création de quarante postes d'intervenants sociaux en gendarmerie (ISG) par an pendant cinq ansCela se met-il en place à l'échelle nationale ? Y a-t-il des secteurs dépourvus de professionnels formés ? Je pense notamment aux zones rurales, où se pose en plus le problème de la présence de lieux d'accueil pour recevoir les personnes concernées.
M. Akli Mellouli. - Mon général, je vous remercie pour vos propos éclairants.
Comment la gendarmerie compte-t-elle préserver la qualité des enquêtes malgré la baisse des temps pleins consacrés à la filière judiciaire ?
Comment la DGGN évalue-t-elle la réforme de la formation des officiers de police judiciaire (OPJ) ? Est-ce une occasion de renforcer le métier d'enquêteur ou, au contraire, une fragilisation ? Que mettez-vous en oeuvre pour améliorer les taux d'élucidation ?
Mme Gisèle Jourda. - Dans mon département, la caserne de Palaja, qui n'a pas vu le jour l'année dernière, se fera au cours de cette année.
Ma question porte sur la féminisation des effectifs de la gendarmerie. Le taux de féminisation est-il à la hausse ? Les effectifs féminins sont-ils répartis dans toutes les unités et, surtout, à tous les niveaux de commandement ?
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - Mon général, en tant qu'ancien maire de Cahors, je voudrais revenir sur l'implantation dans ma commune, annoncée en son temps par Gérald Darmanin, d'une antenne de l'inspection générale de la gendarmerie nationale. On a le sentiment qu'il n'y a pas de réelle envie d'avancer sur ce dossier. Si vous avez des éléments à communiquer à cet égard, je suis preneur.
Par ailleurs, et sans vous manquer de respect, je ne peux pas vous suivre lorsque vous indiquez que ce serait aux élus de décider s'ils veulent une brigade. Je rappelle qu'il s'agit d'une compétence régalienne. Les communes ont déjà beaucoup à faire, et toutes n'ont pas les mêmes capacités financières. Surtout, je trouve que c'est une logique dangereuse : imaginez que l'on demande aux communes de mettre la main à la poche chaque fois que l'État veut implanter un service public, par exemple un hôpital, sur le territoire concerné...
M. Pascal Allizard, président. - Sénateur du Calvados, je peux constater combien la mise en concurrence de deux communes pour la construction d'une brigade nouvelle est source de tensions à l'échelle locale, à quelques mois des élections municipales. Et, dans le cas d'une compétence régalienne, il y a effectivement de quoi s'interroger.
Général Hubert Bonneau. - Certes, monsieur le président. Mais il est difficile d'exercer une compétence régalienne sans budget. En l'occurrence, je ne peux tout simplement pas acheter de terrains.
Monsieur le sénateur Cazabonne, je souhaite rappeler quelques chiffres sur le trafic de stupéfiants. L'année dernière, 1 209 opérations sur 650 points de deal identifiés en gendarmerie ont été menées, et il y a eu 8 300 mises en cause pour trafic de stupéfiants. Nous avons saisi près de 600 millions d'euros d'actifs sur les enquêtes liées aux stupéfiants. Nous avons un dispositif de ciblage des trafiquants, mais un effort est également fait sur les consommateurs. Idem pour le dépistage d'alcoolémie : comme nous ne pouvons pas être en permanence en contrôle d'alcoolémie, nos gendarmes font des actions ciblées sur le terrain, par exemple autour des discothèques ou des points de consommation habituels.
Nous sommes également vigilants sur les rave-parties, qui sont un sujet majeur de perturbations à l'échelon local. Pour un maire, il est compliqué de recevoir une rave-party sur son territoire ; ça l'est aussi pour les agriculteurs. Je rends un hommage tout particulier à mes gendarmes. Ce sont eux qui doivent absorber la foule et traiter nos concitoyens mécontents. Ils effectuent un travail remarquable. Quand des centaines de personnes arrivent, il ne s'agit pas de bloquer la circulation. Et même lorsque nous le faisons, les gens abandonnent leur véhicule sur la voie publique et viennent à pied. Nous travaillons avec l'autorité administrative pour des saisies préalables. Nous avons en outre un dialogue et un suivi permanents avec l'autorité judiciaire pour relever toutes les infractions et effectuer les saisies de matériel, ce que nous pouvons souvent faire en fin de rave-party, quand le rapport de force s'est inversé.
Monsieur le sénateur Gontard, les violences intrafamiliales (VIF) demeurent un sujet de préoccupation pour les gendarmes. Il y a d'abord une problématique de prévention. En 2024, rien qu'en milieu scolaire, nous avons sensibilisé 450 000 personnes autour des violences intrafamiliales et des violences sexuelles et sexistes. Les ISG sont un outil essentiel, qui permet de créer le lien avec les associations. En outre, 21 500 gendarmes ont suivi la formation initiale concernant les VIF. Nous avons formé 820 experts à l'échelon national. Il faut absolument maintenir les ISG.
Monsieur le sénateur Mellouli, je n'ai aucune difficulté à propos des OPJ. Nous avons 35 000 OPJ en gendarmerie. Il va d'ailleurs falloir que j'en limite le nombre, parce que chaque OPJ en gendarmerie a droit à une prime, et l'enveloppe dédiée à cette prime n'est pas extensible ! En gendarmerie, l'OPJ est consubstantiel de l'avancement : pour être gradé en gendarmerie départementale, il faut être OPJ. Le taux d'encadrement OPJ est parfois très important. Et nous avons des écoles de formation continue en la matière. Par exemple, nous formons chaque année 200 spécialistes capables de travailler sur les circuits financiers et la cryptomonnaie.
Que ce soit dans nos brigades ou sections de recherche ou au sein de l'UNPJ, nous n'avons aucune difficulté quant au traitement des procédures. Nous avons essayé d'être plus performants, notamment face aux retards de procédure. Aujourd'hui, grâce aux dispositifs volontaristes que nous avons mis en place, les procédures sont traitées non plus par un gendarme, mais par un groupe de gendarmes. Le traitement de la procédure est accéléré pour que nos concitoyens aient une réponse la plus rapide de la part de la justice.
Madame la sénatrice Jourda, en gendarmerie, le taux de féminisation est de 22,9 % pour les militaires. Pour l'ensemble des personnels - car nous avons, je le rappelle, 5 000 camarades qui sont des personnels civils et font un travail remarquable -, ce taux est de 24,6 %. Pour les officiers supérieurs de gendarmerie, il est de 12 %. Chaque année, nous essayons de faire en sorte que des officiers féminins puissent accéder au généralat.
Ce qui nous manquait jusqu'à présent, c'était la ressource. En effet, les camarades féminines venaient essentiellement des grandes écoles militaires. Or nous avons ouvert le concours universitaire en gendarmerie voilà une vingtaine d'années. Aujourd'hui, nous allons commencer à avoir une véritable ressource de colonels féminins pour l'accès au généralat. Au sein des promotions d'élèves officiers qui entrent chaque année à l'académie militaire de la gendarmerie à Melun, le taux d'intégration des femmes est tout à fait remarquable, au-delà de 40 %. Cette année, pour la première fois, nous avons nommé la première femme quatre étoiles à la tête d'une zone de gendarmerie, en l'occurrence la générale Florence Guillaume, qui commande 20 000 hommes dans le Grand Est.
M. Pascal Allizard, président. - Mon général, nous vous remercions pour vos réponses claires et précises.