EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2025
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M. Laurent Lafon, président. - Nous débutons nos travaux par l'examen du rapport pour avis de Cédric Vial sur les crédits relatifs à l'audiovisuel public.
M. Cédric Vial, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à l'audiovisuel public. - L'audiovisuel public contribue à construire un référentiel commun dans une société de plus en plus fragmentée. Son existence est d'autant plus légitime que la culture et l'information constituent des vecteurs d'influence déterminants au niveau mondial. Néanmoins, alors que la maîtrise des dépenses publiques est une nécessité, un effort de rationalisation de l'audiovisuel public apparaît nécessaire. Il l'est d'autant plus que la concurrence des acteurs du numérique s'intensifie. Pour y faire face, l'audiovisuel public ne peut demeurer immobile.
Je commencerai par vous livrer quelques chiffres incontournables de ce projet de loi de finances (PLF) pour 2026.
Les crédits de l'audiovisuel public s'élèvent à 3,878 milliards d'euros, en baisse de 71 millions d'euros, après avoir déjà diminué de 78 millions d'euros l'an dernier.
Les médias internationaux, c'est-à-dire Arte France, France Médias Monde et TV5 Monde, ne sont pas impactés, bénéficiant de dotations stables, et même en hausse pour France Médias Monde, grâce à un apport du budget de l'aide au développement à hauteur de 10 millions d'euros.
En revanche, les trois autres sociétés de l'audiovisuel public contribuent à l'effort de réduction des dépenses publiques avec des dotations en baisse. Cette baisse est de 65,3 millions d'euros pour France Télévisions (- 2,6 %) ; de 4,1 millions d'euros pour Radio France (- 0,6 %) ; et de 1,5 million d'euros pour l'Institut national de l'audiovisuel (INA) (- 1,4 %).
L'essentiel de cette diminution des crédits porte donc sur le principal opérateur, France Télévisions, auquel le Gouvernement demande de réaliser un effort de 146 millions d'euros. Ce chiffre prend en compte, non seulement la baisse de la dotation, mais aussi une évolution tendancielle des charges, estimée par le Gouvernement à 37 millions d'euros, mais dont le mode de calcul n'est pas précisé. Il est également tenu compte de la nécessité de résorber le déficit enregistré en 2025, à savoir 44 millions d'euros.
Dans le rapport qu'elle a publié en septembre dernier, la Cour des comptes a souligné la lenteur du processus de transformation de France Télévisions et la difficulté à aller plus loin dans l'approfondissement des synergies au sein de l'audiovisuel public. La Cour alerte sur la fragilité du modèle économique du groupe, qu'elle qualifie d'impasse et juge non soutenable dans la durée, dans la mesure où les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social.
Dans un rapport de 2024, l'inspection générale des finances (IGF) soulignait, elle aussi, la situation critique de France Télévisions, indiquant : « La culture de l'efficience doit devenir centrale chez France Télévisions. Une absence d'économies substantielles serait d'autant plus dommageable que les coupes budgétaires pour équilibrer les comptes porteront alors sur les coûts les plus variables, dont le programme national et le numérique font partie. » Ce constat est plus que jamais d'actualité.
S'agissant des autres acteurs de l'audiovisuel public, du côté de Radio France, étant donné les mesures déjà prises au cours de la dernière décennie, l'entreprise estime que la réduction des crédits ne peut conduire qu'à une aggravation du déficit ou à une réduction du périmètre de l'offre. De fait, Radio France a supprimé la fréquence de sa chaîne Mouv' pour transformer celle-ci en une radio de flux musical sur support numérique, avec un gain estimé en année pleine à 900 000 euros.
Radio France procède également à une permutation des fréquences de France Musique et de Franceinfo, qui s'accompagnera d'économies sur la diffusion de France Musique estimées à 3 millions d'euros en année pleine, c'est-à-dire à compter de 2027.
L'effort demandé à l'INA est significatif, d'autant que cet établissement estime son effort réel à environ 10 millions d'euros, compte tenu de la hausse tendancielle de ses charges. Une subvention accordée en fin de gestion 2023 a permis de rehausser la trésorerie de l'INA de manière durable. Néanmoins, l'établissement est confronté au défi de concilier le maintien d'une trésorerie positive et le haut niveau d'investissement nécessaire à l'achèvement des projets en cours, notamment dans le domaine de l'intelligence artificielle (IA). Ces investissements doivent servir à l'identification de relais de croissance à l'international.
S'agissant d'Arte, sa dotation est stable, et sa situation financière est équilibrée. La dérive des prix freine toutefois l'accélération du développement européen d'Arte ainsi que la mise en oeuvre de son plan d'innovation technologique. La mutation d'Arte, d'une chaîne franco-allemande vers une chaîne de dimension européenne, est une évolution intéressante, mais qui mériterait d'être l'objet d'un débat.
Pour France Médias Monde (FMM), la dotation issue du compte de concours financier est stable, mais celle qui est apportée au titre de l'aide au développement augmente de 10,6 millions d'euros. Le financement complémentaire du ministère des affaires étrangères est dédié à la mise en oeuvre de projets spécifiques au plus près des zones de tensions, avec des rédactions placées respectivement à Bucarest, Beyrouth et Dakar. Il s'agit notamment de maintenir la position de FMM en Afrique, où la censure s'étend et où la concurrence est exacerbée par le désengagement des États-Unis, dans un contexte de coûts de diffusion croissants.
FMM reste confrontée à la nécessité de financer, parallèlement, un accroissement significatif de sa présence numérique, notamment grâce à l'IA, qui doit permettre d'améliorer la production de contenus et leur référencement.
Enfin, FMM et son concurrent et partenaire allemand Deutsche Welle portent ensemble un projet de « bouclier informationnel », qui s'inscrit dans les objectifs du « bouclier démocratique européen » annoncé récemment par la Commission européenne.
TV5 Monde est confronté à la nécessité de conduire les investissements nécessaires pour réussir sa transformation numérique, dans un contexte de choc inflationniste, et alors que son marché publicitaire africain francophone est de taille très limitée. La chaîne envisage toujours un élargissement de sa gouvernance. En avril 2025, un courriel officiel a été adressé aux chefs d'État de sept pays d'Afrique en ce sens. À ce jour, les discussions les plus avancées concernent le Maroc, la Côte d'Ivoire et la République démocratique du Congo.
J'évoquerai maintenant le pilotage stratégique, que je juge insuffisant.
Tout d'abord, pour Radio France, comme pour France Télévisions, la mise en oeuvre des réformes structurelles est lente. Alors que l'Inspection générale des finances et la Cour des comptes avaient déjà souligné, dans leurs rapports respectifs, la nécessité de faire évoluer le cadre social de France Télévisions, la dénonciation de l'accord collectif n'a eu lieu qu'en juillet 2025.
L'accord de 2013 est en effet très contraignant, et inadapté à l'évolution des technologies, qui a profondément transformé le métier de journaliste. Sa dénonciation récente ne fait toutefois qu'ouvrir un délai de négociation de plus de deux ans. Le rapprochement entre France 3 et France Bleu souffre de la même inertie.
Faute d'avoir suffisamment anticipé les réformes structurelles, France Télévisions met aujourd'hui en place, en lien avec le Gouvernement, un plan d'économies, qui risque d'avoir une répercussion immédiate sur le secteur de la création.
En 2024, France Télévisions est en effet le premier contributeur à la production d'oeuvres audiovisuelles. Le groupe public représente 35 % des dépenses de production d'oeuvres audiovisuelles en France. Une économie de 50 millions d'euros est aujourd'hui envisagée sur ce poste, ce qui impliquerait une modification par l'État du cahier des charges de France Télévisions, qui prévoit un plancher de 420 millions d'euros. S'agissant du cinéma, secteur dans lequel France Télévisions représente 15 % des investissements, une baisse de 10 millions d'euros est évoquée. Enfin, dans le domaine des programmes de flux, c'est une économie de 15 millions d'euros supplémentaire qui serait réalisée. Ces chiffres sont des estimations, sujettes à caution.
Faute d'avoir anticipé les réformes qui s'imposaient, les économies à réaliser sont donc reportées sur tout un tissu économique, qui risque ainsi de dépendre de plus en plus des dépenses des plateformes américaines.
Cette situation résulte aussi d'une absence de lignes directrices claires de la part de l'État.
D'abord, la réforme de la gouvernance est attendue depuis plus de cinq ans. Depuis 2019, cette réforme est continuellement annoncée sans jamais aboutir, ce qui crée un climat d'incertitude, tant dans le cadre des négociations sociales que pour l'élaboration d'une trajectoire financière ou la définition d'orientations stratégiques, qui ne peuvent être arrêtées tant que la question de la gouvernance n'est pas traitée. L'audiovisuel public se trouve contraint d'avancer sans visibilité claire sur son organisation future.
Ensuite, la question des contrats d'objectifs et de moyens (COM) continue à se poser. Suite aux avis défavorables de l'Assemblée nationale et du Sénat, les projets de COM présentés en 2024 ont été abandonnés, sans qu'aucun cadre pluriannuel ne soit clairement défini.
Le PLF comprend des prévisions pour 2027 et 2028 qui ne sont étayées par aucun sous-jacent. Ceux du projet de budget pour 2026 ne sont d'ailleurs guère mieux connus : ces orientations figurent dans la lettre plafond adressée par le Premier ministre à la ministre de la culture. Elles n'ont été communiquées qu'oralement aux entreprises. Or il revient à l'État de fixer des orientations et de prendre les mesures réglementaires éventuellement nécessaires à leur mise en oeuvre, sous le contrôle du Parlement.
En conclusion, une accélération des réformes structurelles me paraît aujourd'hui nécessaire afin d'éviter, autant que possible, que l'effort demandé ne se répercute sur le plan économique avec des effets multiplicateurs.
Ces réformes structurelles sont indispensables. Il serait anormal que l'audiovisuel public ne contribue pas à l'effort de réduction de la dépense publique. Cet effort doit l'inciter à une gestion plus rigoureuse, selon les orientations données tant par la Cour des comptes que par l'Inspection générale des finances.
C'est pourquoi je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de l'audiovisuel public dans le projet de loi de finances pour 2026.
Mme Sylvie Robert. - Je veux tout d'abord remercier le rapporteur. J'ai particulièrement apprécié le temps que nous avons consacré à certaines auditions au regard notamment de la gravité de la situation de l'audiovisuel public, une question sur laquelle je reviendrai, mais aussi de la nécessité de mieux comprendre à la fois l'organisation interne et les choix de ces acteurs. À cet égard, ces auditions ont été, pour moi, très éclairantes.
Je partage le constat du rapporteur sur l'audiovisuel : la situation est alarmante. Or je suis étonnée par l'avis favorable qu'il émet sur les crédits prévus dans le PLF. Est-ce à dire qu'il considérerait - peut-être nous le dira-t-il ?... - qu'il faut « punir » en quelque sorte France Télévisions au motif qu'elle n'aurait pas suffisamment anticipé la situation ? Mais ce n'est pas la bonne solution.
En effet, comme vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, cela fait plusieurs années que l'audiovisuel public, singulièrement France Télévisions et Radio France, connaît une diminution de ses moyens. Si nous ne sommes pas arrivés à un point de rupture, la situation de ces grandes maisons de l'audiovisuel public est pour le moins singulière.
S'agissant de France Télévisions, vous l'avez d'ailleurs explicité, l'État ne fait pas preuve de responsabilité. Aujourd'hui, ils ont dénoncé l'accord ; ils n'ont pas de COM et subissent une diminution de leurs moyens. Ils naviguent donc complètement à vue. Ils n'ont aucun outil à leur disposition pour préparer stratégiquement l'avenir.
Comme vous, et je l'ai toujours dit, j'estime qu'il est fondamental d'engager une réforme. Je ne suis pas d'accord, vous le savez bien, sur la réforme de la gouvernance telle qu'elle a été présentée par la ministre de la culture en juillet dernier. Mais cette réforme peut être l'une des voies de passage pour améliorer la situation de l'audiovisuel public, singulièrement sur la question de la polyvalence. L'audiovisuel public se trouve dans une situation budgétaire et sociale difficile, et se retrouve seul face à l'inertie de l'État. Cette situation est absolument inadmissible. J'en déduis qu'il n'est absolument pas considéré comme un secteur stratégique, alors qu'il s'agit, sur le plan international d'un soft power extrêmement puissant, surtout considérant les asymétries réglementaires existant en faveur des plateformes. Il est temps de prendre ce sujet à bras-le-corps.
À force de leur demander de faire des économies, c'est la création audiovisuelle qui sera impactée, et l'ensemble de l'écosystème sera touché, ce qui est aussi extrêmement préoccupant.
Avec la suppression de la fréquence de sa chaîne Mouv', Radio France a redéployé l'ensemble de ses compétences : trois personnes, au lieu de trente auparavant ; une personne au service technique, contre sept auparavant. Ils essaient donc de faire des économies.
L'État fait preuve d'une irresponsabilité telle que notre groupe ne peut que donner un avis défavorable sur ces crédits.
Mme Monique de Marco. - Je vous remercie également, monsieur le rapporteur ; le constat que vous dressez est très clair. Cependant, à la fin de votre propos, vous pointez la gestion de l'audiovisuel public. Mais c'est oublier la suppression de la redevance audiovisuelle ! Le Président de la République est donc quelque peu responsable de cette situation. N'oublions pas non plus que, l'an dernier, grâce à votre initiative, nous avons dû trouver une solution de financement via la TVA, afin d'éviter le pire. Nous estimions, pour notre part, qu'il s'agissait d'une solution injuste sur le plan fiscal, qui, de plus, n'assurait pas une totale indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Nous avions proposé une contribution progressive, une forme de financement autonome, prévisible et juste, qui nous semble à la hauteur des besoins et de nature à préserver l'indépendance de l'audiovisuel public.
Concernant la réforme de la gouvernance, même si nous estimons, à l'instar de Sylvie Robert, nécessaire d'engager une réforme, nous ne partageons pas l'esprit de la proposition de loi de Laurent Lafon ni celui de la réforme proposée par la ministre Rachida Dati, qui est toujours en suspens.
Les entreprises de l'audiovisuel public sont privées de visibilité budgétaire en raison de la suspension des COM, ce qui pose de graves problèmes. Cette situation rend particulièrement difficile le pilotage des différentes entités et la poursuite des projets de transformation qui s'étendent sur plusieurs années.
Ce projet de loi de finances prévoit une diminution de 1,79 % des crédits affectés à l'audiovisuel public. Trois entreprises sont affectées par ces coupes ; même si les dotations de France Médias Monde et de TV5 Monde sont reconduites, les budgets de ces deux sociétés sont en réalité en baisse, compte tenu de l'inflation estimée à 1,3 %. Vous l'avez dit, France Télévisions est l'opérateur le plus affecté par les coupes budgétaires, avec une diminution de ses crédits de plus de 65 millions d'euros par rapport à 2025. Ces cures d'austérité à répétition ont contraint France Télévisions à présenter un budget 2025 en déficit de 40 millions d'euros.
Cette nouvelle coupe brutale, couplée à un manque de prévisibilité pluriannuelle, aura des conséquences lourdes sur l'attractivité de France Télévisions, notamment pour ce qui concerne le financement de la création et la production audiovisuelle indépendante.
Alors que France Télévisions finance à elle seule un tiers des programmes de fiction, un certain nombre de sociétés de production pourraient disparaître, avec des conséquences pour les auteurs, les scénaristes, les réalisateurs de cinéma, de fiction ou de documentaire, dont certains connaissent déjà une situation de précarité.
La Cour des comptes a qualifié, dans son rapport publié fin septembre, la situation financière de France Télévisions de « critique ». Mais quelles solutions celle-ci peut-elle trouver, si ce n'est de réduire les financements de la création ?
Radio France subit également une coupe de ses crédits à hauteur de 4,1 millions d'euros dans un contexte déjà difficile, tandis que l'INA voit ses crédits diminuer de 1,5 million d'euros. La poursuite des chantiers entamés en matière d'intelligence artificielle va s'en trouver affectée.
En conclusion, notre groupe dénonce fortement cette nouvelle cure d'austérité qui frappe l'audiovisuel public dans un contexte où son indépendance fait déjà l'objet d'attaques de toutes parts. Tout ce qui peut affaiblir ce secteur représente une menace pour notre démocratie, particulièrement au moment où les réseaux sociaux et l'intelligence artificielle produisent des contenus de désinformation. Pour toutes ces raisons, nous ne suivrons pas l'avis du rapporteur.
M. Pierre-Antoine Levi. - Je voudrais tout d'abord féliciter notre rapporteur pour la qualité et la précision de son rapport.
Les chiffres de l'audiovisuel public traduisent une réalité budgétaire : une baisse de 71 millions d'euros, après une baisse de 78 millions d'euros en 2025. Dans un contexte où l'audiovisuel public joue un rôle fondamental pour notre démocratie, cette trajectoire doit s'accompagner d'une transformation profonde de nos opérateurs. Il importe que cette contraction budgétaire soit l'occasion d'une modernisation structurelle et non d'un affaiblissement progressif.
L'analyse de la ministre, confirmée par la Cour des comptes, indique qu'il faudrait procéder à des économies structurelles à hauteur de 140 millions d'euros pour rendre le modèle de France Télévisions viable sur le long terme. Ce constat n'est pas nouveau, mais il prend aujourd'hui une acuité particulière.
Nos opérateurs publics doivent faire face à une double contrainte : d'une part, l'évolution rapide des usages, avec une audience jeune qui se détourne massivement de la télévision linéaire au profit des plateformes numériques ; d'autre part, une concurrence accrue des acteurs privés et des géants du numérique, qui disposent de moyens financiers et technologiques considérables.
Dans ce contexte, maintenir un modèle économique inchangé conduirait à une impasse. Nous partageons donc le constat de la nécessité d'engager une adaptation profonde, une modernisation résolue, un recentrage sur le numérique et le service au territoire.
L'audiovisuel public doit se transformer pour rester pertinent, pour reconquérir les jeunes générations, pour maintenir son ancrage local, qui fait sa force et sa légitimité. Les économies demandées peuvent être l'opportunité de cette transformation, à condition qu'elle soit véritablement structurelle : réorganisation des services, optimisation des moyens, mutualisation des fonctions support, adaptation de l'offre aux nouveaux usages. C'est cette approche que nous appelons de nos voeux.
Toutefois, pour que cette trajectoire budgétaire soit soutenable et efficace, elle doit s'accompagner d'un cadre solide, clair et contrôlable, un cadre dans lequel le Parlement retrouve toute sa capacité d'examen et de pilotage. Nous ne pouvons accepter une gestion des incertitudes où les économies seraient réalisées de façon opaque, sans vision stratégique claire, sans que nous puissions vérifier que les choix opérés préservent l'essentiel, à savoir la qualité des programmes, la diversité de l'offre, l'indépendance éditoriale, la couverture territoriale. C'est pourquoi le contrôle parlementaire doit être renforcé, et non affaibli, dans cette période de transformation.
Tel est précisément l'objet de la proposition de loi portée par le président de notre commission, Laurent Lafon, relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle. Adoptée par le Sénat, cette proposition de loi constitue une réforme institutionnelle majeure destinée à donner une gouvernance rénovée à l'audiovisuel public. Elle vise à clarifier les missions de chaque opérateur, à renforcer le contrôle parlementaire et à garantir l'indépendance éditoriale dans un contexte où celle-ci est régulièrement mise en cause. Il revient maintenant à l'Assemblée nationale de l'examiner, en seconde lecture, pour qu'elle prospère. Nous espérons qu'elle sera rapidement inscrite à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale afin que cette réforme structurante soit mise en oeuvre dans les plus brefs délais. Sans cette réforme de gouvernance, les efforts budgétaires demandés risquent de ne pas produire les effets attendus.
Par ailleurs, je souligne l'urgence de disposer de contrats d'objectifs et de moyens actualisés pour France Télévisions, Radio France et l'INA. Ces documents contractuels sont essentiels : ils fixent les engagements réciproques entre l'État actionnaire et les opérateurs ; ils définissent les priorités stratégiques ; ils établissent les trajectoires financières et programmatiques. Sans COM, sans indicateurs de performance précis portant sur la qualité des programmes, la diversité de l'offre, la modernisation numérique ou la couverture territoriale, nous ne pouvons pas vérifier que les économies réalisées sont bien structurelles et qu'elles permettent effectivement de construire un audiovisuel public plus efficace, plus moderne, plus en phase avec les attentes de nos concitoyens. Le Parlement a besoin de ces outils pour accompagner la transformation en cours et s'assurer qu'elle produit les résultats escomptés.
Dans ce contexte budgétaire exigeant, je relève une note positive : la préservation des crédits d'Arte France et de France Médias Monde. Il est essentiel que l'État continue à soutenir ces entités afin de préserver notre souveraineté audiovisuelle et notre influence sur la scène mondiale. Ces choix de préservation témoignent d'une hiérarchisation des priorités, que nous jugeons pertinente.
Le groupe Union Centriste votera ces crédits, considérant que la trajectoire proposée, si elle est accompagnée des réformes structurelles nécessaires, permettra de construire un audiovisuel public plus fort, plus moderne et plus efficace, tout en restant fidèle à sa mission fondamentale : garantir l'accès de tous à une information libre, diversifiée et de qualité.
Notre vote sera assorti de quatre exigences claires : l'inscription rapide de la proposition de loi Lafon à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale et son adoption définitive ; des COM actualisés et publics pour chaque opérateur concerné ; des indicateurs clairs permettant de mesurer l'impact réel des réformes sur la qualité du service public et l'efficacité de la gestion ; un véritable calendrier de mise en oeuvre des transformations annoncées.
M. Pierre Ouzoulias. - Je tiens à remercier très sincèrement le rapporteur, car il importe que nous partagions les bilans et les constats. Or, depuis que nous avons commencé à examiner les budgets de la culture, nous nous accordons - malheureusement - sur le constat et sur le bilan. Même si nous divergeons quant aux avis à rendre sur les crédits qui nous sont proposés, le petit-fils de résistant que je suis considère que, en période de crise, il est important de se retrouver sur l'essentiel.
Vous connaissez l'adage : « si l'on n'a pas les moyens de sa politique, on doit élaborer la politique de ses moyens. » En l'occurrence, il n'y a pas de moyens et il n'y a pas de politique. Depuis quelques jours, qu'il s'agisse du budget de la culture ou de celui de l'enseignement supérieur et de la recherche, on constate que la réflexion politique fait défaut. Cela fait une dizaine d'années que le gouvernement est dans l'incapacité de dire clairement - même si la position politique défendue n'est pas la mienne -, ce qu'il attend de l'audiovisuel public.
J'en suis intimement persuadé, en période de crise comme celle que nous vivons actuellement, où tous les fondements de la République sont attaqués, l'audiovisuel public doit servir une cause essentielle, la formation de l'esprit critique du citoyen. Face à l'augmentation des informations non vérifiées, cela doit être le coeur de métier de l'audiovisuel public.
Par ailleurs, je constate que le ministère de la culture se décharge d'un certain nombre de missions qui devraient être les siennes ; je pense à l'aide à la production. Les entreprises de l'audiovisuel public se retrouvent face à des injonctions contradictoires : la direction, les personnels sont perdus, et nous aussi.
Enfin, je suis certain que l'on peut trouver des ressources propres, mais on ne le fait pas pour des raisons politiques. Les opérateurs de l'intelligence artificielle pillent l'audiovisuel public, comme tout le reste d'ailleurs, pour vendre des informations financées au travers de nos impôts. Il faudrait donc à un moment donné que l'État demande une contribution à ces grandes plateformes !
Cessons cette forme d'irénisme considérant que tout ce qu'elles font contribue à développer l'innovation, car c'est faux. À un moment donné, l'État - et l'Europe - doivent leur demander de payer ce qu'elles pillent.
Mme Catherine Belrhiti. - Je remercie le rapporteur de son travail. L'évolution des crédits alloués à l'audiovisuel public dans le cadre du PLF pour 2026 est réellement préoccupante. Le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » voit ses crédits baisser de 71 millions d'euros ; la dotation à France Télévisions chute de 65,3 millions d'euros.
Ce repli s'inscrit dans une dynamique de baisse continue. Rappelons que les lois de finances initiales de 2024 et 2025 avaient déjà entamé des corrections budgétaires tardives, parfois en cours d'année, ce qui fragilise la visibilité à moyen terme des opérateurs. Ces arbitrages sont lourds de conséquences. France Médias Monde, dont je suis membre du conseil d'administration, joue un rôle essentiel dans notre rayonnement international, avec la diffusion d'informations en plusieurs langues, la couverture des zones de crise et le service d'un journalisme indépendant. Or l'enveloppe de l'audiovisuel public constitue près de 85 % de ses ressources totales. Une contraction budgétaire imposera des choix difficiles : réduction des effectifs, recul du nombre de correspondants à l'étranger, ralentissement du développement numérique ou repli sur des contenus moins coûteux. Autant de menaces réelles pesant sur la qualité et l'indépendance de l'information.
Or l'heure n'est pas à l'austérité, mais à la consolidation. La concurrence des plateformes mondiales, l'accélération des crises internationales et la désinformation renforcent le besoin d'un service public audiovisuel fort, capable de produire des contenus rigoureux, pluriels et accessibles. Réduire les moyens, c'est risquer d'affaiblir durablement notre capacité à remplir ces missions.
Par conséquent, il convient de s'interroger sur le modèle d'information que nous souhaitons. Si l'on veut préserver notre souveraineté culturelle, notre influence diplomatique et la diversité du paysage médiatique français, il faut donner des garanties claires et une visibilité pluriannuelle, prévoir un financement stable à la hauteur des enjeux internationaux.
L'audiovisuel ne doit pas être considéré comme une variable d'ajustement, car, derrière chaque euro retiré, se joue l'avenir de notre influence culturelle, de notre information et de notre voix à l'étranger. Cependant, nous suivrons l'avis du rapporteur.
Mme Laure Darcos. - À mon tour, je remercie le rapporteur pour son travail et la qualité des auditions, auxquelles j'ai pu en partie assister.
Concernant France Médias Monde, l'audition de sa présidente Marie-Christine Saragosse m'a permis de comprendre les raisons pour lesquelles ils ont exigé de ne pas être concernés par la réforme, notamment au regard des ingérences étrangères. Aujourd'hui, ils consacrent 5 millions d'euros supplémentaires au numérique, pour répondre' aux attaques des Russes et des Chinois, voire des Américains. Dans le cadre du bouclier pour l'information, les sociétés de l'audiovisuel coopèrent pour alerter sur les infox, afin d'essayer de les corriger. FMM ouvre des antennes dans des pays stratégiques, tels que la Moldavie. Ce groupe joue donc un rôle contribuant au soft power de la France.
S'agissant de France Télévisions, je dresse le même constat que mes collègues : le groupe souffre cruellement de ne pas disposer de contrat d'objectifs et de moyens ; c'est d'ailleurs ce que demandait le rapport de la Cour des comptes. Le groupe public ne peut donc pas faire de projections. Delphine Ernotte Cunci l'a souligné, la masse salariale a été réduite de façon drastique : plus de 900 personnes en quatre ans, soit une baisse de 10 % des effectifs.
Or la coupe drastique supplémentaire qui leur est demandée aura bien évidemment une incidence sur la grille des programmes. La diffusion de l'émission « Questions pour un champion » uniquement le week-end, qui avait fait grand bruit à l'époque, a permis de faire 3 millions d'euros d'économies. Il va sans dire que d'autres programmes populaires subiront le même sort.
Enfin, ce qui m'inquiète le plus, ce sont les crédits alloués au cinéma. France Télévisions va devoir faire 10 millions d'euros d'économies au titre des achats et des coproductions.
Pour toutes ces raisons, notre groupe s'abstiendra sur ce budget.
M. Max Brisson. - L'État consacre près de 4 milliards d'euros à l'audiovisuel public en l'absence même de contrat d'objectifs et de moyens, ce qui peut paraître surprenant, voire gênant. Face à la réduction des crédits, les responsables des deux grandes entreprises de l'audiovisuel public envisagent-ils un allégement de leurs coûts de fonctionnement et de leurs frais généraux ? Quelles réflexions ont-ils lancées sur le recentrage de leurs missions essentielles ? Il n'y a aucune raison que l'audiovisuel public ne participe pas à l'effort de la Nation pour contribuer au désendettement et à la réduction des déficits. Une véritable réflexion est-elle menée sur les missions de l'audiovisuel public dans le domaine de l'information, de la culture, de l'éducation, du lien social, en termes d'expression des territoires, d'accès à l'information ?
Les crédits ne seront plus abondants. Ce travail de réorganisation ambitieuse est-il lancé de la même manière à France Télévisions et à Radio France ? L'audiovisuel public se prépare-t-il à plus de souplesse, plus d'agilité, plus d'efficacité, pour plus de compétitivité ?
Mme Sonia de La Provôté. - Je tiens à féliciter le rapporteur pour son rapport de qualité. Je souhaite réagir sur les effets de bord de la baisse des crédits, singulièrement sur le cinéma, la création audiovisuelle et l'animation.
La diminution des budgets, qui pèsera en grande partie sur la création, aura un impact économique important sur le secteur de la culture dans son ensemble. En effet, France Télévisions est le premier partenaire des producteurs indépendants, ce qui est un gage de la diversité des films proposés. Ces producteurs travaillent dans tous les territoires, notamment les territoires ultramarins. Tout est lié dans la politique culturelle, l'impact ne sera pas neutre sur le cinéma - sans oublier que les crédits du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) sont également malmenés en ce moment. A-t-on estimé le coût économique de cette décision budgétaire ?
M. Cédric Vial, rapporteur pour avis. - M. Ouzoulias, vous dites qu'il n'y a ni moyens ni politique, mais ce n'est pas tout à fait exact puisque les moyens, bien qu'en baisse, s'élèvent à près de 4 milliards d'euros, ce qui n'est pas rien.
Certes, la situation est préoccupante, mais un certain nombre de responsables de l'audiovisuel public ont fait preuve d'un manque d'anticipation. Gérer, c'est choisir. Or nous subissons la baisse de moyens sans avoir la possibilité de faire des choix, ce qui rend la situation difficile.
À court terme, cette diminution fera mal. À moyen terme, elle aura des conséquences compliquées. Cependant, à long terme, elle est nécessaire et même existentielle pour l'audiovisuel public.
Mme de Marco affirme qu'affaiblir l'audiovisuel public, c'est affaiblir la démocratie. Je dirais plutôt que ne pas changer l'audiovisuel public, c'est l'affaiblir. Il ne s'agit pas de punir parce que nous considérons que les efforts nécessaires n'ont pas été fournis, mais de contraindre à procéder aux changements nécessaires. Jusqu'à maintenant, les responsables de l'audiovisuel public se demandaient pourquoi ils devaient évoluer alors qu'ils bénéficiaient toujours des mêmes moyens. L'écosystème de l'audiovisuel privé a changé, comme les audiovisuels publics européens. Pourquoi échapperions-nous à la règle ? Le décalage avec le reste de l'écosystème est de plus en plus important.
L'accord collectif de France Télévisions a été dénoncé l'été dernier après la publication d'un rapport de la Cour des comptes, car il contraignait à un cloisonnement des métiers générant des charges considérables, qui empêchent la transformation du secteur.
Les évolutions que nous connaissons auraient dû être anticipées. Les responsables de chaînes nous disent qu'ils ne l'ont pas fait parce qu'ils étaient dans l'incertitude. Certes, il faut reconnaître une responsabilité de l'État, qui n'a pas été clair. Il y a eu une absence de prévision et, pire encore, des signaux contradictoires ont été envoyés, ce qui est catastrophique quand il s'agit de piloter une politique. Néanmoins, les responsables auraient dû prévoir ce qui allait se passer. Ce n'est pas parce qu'on leur promettait des moyens supplémentaires qu'il ne fallait pas faire d'économies. Au contraire, il fallait en faire pour engager une transformation. Tout le monde le paie aujourd'hui.
Je crains que ces responsables ne prennent encore le chemin de la facilité en faisant peser les économies sur les programmes plutôt que sur le structurel. L'État investit environ 2,5 milliards d'euros dans France Télévisions - complétés par des revenus publicitaires s'élevant à 500 millions d'euros -, dans l'objectif de diffuser des programmes. C'est le rôle de la télévision. Or les économies vont être réalisées essentiellement sur les programmes. Ainsi, France Télévisions prévoit une réduction du financement de 50 millions d'euros pour la création audiovisuelle, de 10 millions d'euros pour le cinéma, de 15 millions d'euros pour les émissions de flux et de 7 millions d'euros pour le sport. La baisse atteint 82 millions d'euros alors que la coupe budgétaire prévue par le PLF s'élève à 65 millions d'euros, car il s'agit aussi de combler un déficit auquel les patrons de chaînes se sont habitués, dans la mesure où il était jusqu'à présent compensé par des recapitalisations. Nous les avons prévenus que ce ne serait plus le cas ; il s'agit de bonne gestion. Il ne serait ni moral, ni souhaitable, ni juste que toutes les économies portent sur les programmes. Si les responsables de chaînes ne procèdent pas à des économies structurelles, ils passeront une nouvelle fois à côté des défis qui sont les leurs.
Les projets annuels de performance (PAP) pour les années à venir prévoient une diminution continue des crédits de l'audiovisuel public : de 71 millions d'euros en 2026, de 65 millions d'euros en 2027 et de 44 millions d'euros en 2028. La baisse va se poursuivre, nous sommes dans une logique de diminution, qui nécessitera une réflexion sur les missions essentielles de l'audiovisuel public, laquelle doit être menée par les responsables de chaînes et l'État. On ne pourra pas continuer en rabotant les coûts ; nous avons atteint les limites du système. Il faudra peut-être revoir nos ambitions à la baisse pour pouvoir continuer à 'remplir de façon satisfaisante les missions que l'on décidera de conserver.
La réflexion devra aussi inclure le rôle de l'audiovisuel public à l'international, parfois négligé. Il importe de prendre en compte des enjeux majeurs et croissants, notamment en termes de guerre informationnelle. Il nous faut soutenir France Médias Monde, qui lutte sur ce champ de bataille. Il nous faut aussi répondre aux enjeux en matière de francophonie et de soft power. À cet égard, nous avons besoin d'Arte, de TV5 Monde et de France Médias Monde, mais aussi d'arbitrages forts.
Enfin, à titre personnel, je pense que Radio France a un peu mieux anticipé les enjeux que ne l'a fait France Télévisions, en engageant des réformes et en réalisant des économies. Les coupes budgétaires devraient être un peu moins lourdes à supporter et porter un peu moins sur les programmes. Ils ont fait des choix, comme la transformation de la radio Mouv' en chaîne numérique, qui génère des économies et permet d'éviter de faire peser l'effort sur tout le reste.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Audiovisuel public » du projet de loi de finances pour 2026.