B. L'ÉDUCATION ARTISTIQUE ET CULTURELLE AU DÉFI DU PASS CULTURE

1. La montée en charge attendue et nécessaire du Pass Culture
a) Une dynamique initialement entravée par une expérimentation limitée

Expérimenté depuis juin 2019 dans 14 départements 20 ( * ) , le Pass Culture consiste en une application gratuite, qui révèle et relaie les possibilités culturelles et artistiques accessibles à proximité. Chaque jeune de 18 ans résidant dans ces territoires peut demander l'octroi d'une enveloppe de 500 euros à dépenser sur cette application, parmi un large choix de spectacles, visites, cours, livres, musique, services numériques proposés par 11 000 offreurs (offres payantes et gratuites). La durée de consommation initialement fixée à 12 mois a été portée, en 2020, à 24 mois.

Le crédit de 500 euros est soumis à des sous plafonds : si les utilisateurs peuvent consacrer la totalité du crédit à des sorties culturelles ou des cours de pratique artistique, un seuil est prévu pour les services numériques. L'utilisation du Pass aux fins d'acquisition de biens physiques (livres, CD, DVD, instruments de musique) prend la forme d'une réservation dudit bien en boutique.

L'ambition initiale du Gouvernement consistait en une généralisation du dispositif à l'horizon 2022 sur l'ensemble du territoire. Un élargissement de la phase d'expérimentation était prévu le 20 avril 2020. Il a été différé en raison de la crise sanitaire. La totalité des départements des régions Île-de-France et Grand Est et le département de La Réunion devaient initialement mettre en place le dispositif à cette date.

S'agissant du dispositif en tant que tel, le projet a d'abord été porté par le ministère lui-même, par l'intermédiaire d'une start-up d'État. Une société par actions simplifiée (SAS) , chargée du développement du Pass Culture a finalement pris le relais courant 2019, en vue notamment d'élargir son financement à des acteurs privés 21 ( * ) . La SAS reste pour l'heure détenue à 70 % par l'État et à 30 % par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), via sa Banque des territoires.

Au financement de l'État s'ajoute celui des offreurs, via les conditions de remboursement des offres physiques aux acteurs (barème spécifique ou dégressif selon les offres). Les offres numériques sont décomptées de l'enveloppe de 300 euros, mais ne sont pas remboursées par la SAS pass Culture aux offreurs, les réservations étant plafonnées à 100 euros. Au final, le taux de cofinancement par les offreurs atteint aujourd'hui 10,3 % et pourrait atteindre 20 % à l'horizon 2023.

b) La nécessaire généralisation du dispositif en 2021

Sans remettre en cause l'utilité du dispositif, qui peut s'avérer être un véritable outil d'émancipation culturelle, la commission des finances avait exprimé des doutes lors de l'examen des projets de loi de finances pour 2019 et 2020 sur la stratégie mise en oeuvre pour rendre accessible ce dispositif. Celui-ci apparaissait mal connu. Le lancement d'une campagne de publicité nationale et d'action de sensibilisation à destination de publics éloignés (jeunes salariés, apprentis etc.) semblait à ce titre impossible compte-tenu du caractère expérimental du Pass.

Les rapporteurs spéciaux avaient par ailleurs souhaité lors de l'examen des crédits pour 2021 que soit favorisée une meilleure articulation avec le parcours d'éducation artistique et culturelle, notamment dans les dernières années du lycée, afin de permettre aux futurs utilisateurs de mieux connaître l'application.

Ils avaient en outre appuyé l'idée d'une accélération du déploiement national dès 2021, ce qui semblait être la seule option possible en vue de mieux faire connaître le dispositif et une utilisation des crédits dédiés. Le ministère de la Culture semblait y être favorable sans l'afficher comme objectif. Elle serait assortie d'une réduction du montant accordé de 500 euros à 300 euros, somme plus proche des usages observés dans le cadre de l'expérimentation.

Le projet de loi de finances pour 2021 traduisait cette prudence en tablant sur une majoration des crédits dédiés au dispositif de 20 millions d'euros, pour atteindre 59 millions d'euros (AE = CP), avec pour objectif 200 000 bénéficiaires en 2021. La généralisation du Pass Culture dès 2021, a finalement été annoncée par le président de la République le 21 mai dernier, assortie d'une diminution du montant accordé de 500 à 300 euros.

Le succès est indéniable : plus de 770 000 jeunes avaient ainsi activé leur Pass en octobre 2021, soit 80 % de la population visée. Le montant moyen des réservations s'élève, quant à lui, à 136 euros Le collectif budgétaire de fin de gestion 2021 prend acte de cette généralisation en prévoyant une dotation complémentaire de 27 millions d'euros (AE = CP).

c) Le projet de loi de finances pour 2022 intègre la généralisation et l'extension du dispositif

Le présent projet de loi de finances prévoit 199 millions d'euros de crédits (AE = CP) pour le financement du dispositif, soit une majoration des crédits de 140 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2021.

Évolution des crédits affectés au financement du Pass culture entre 2019 et 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette majoration des crédits intègre l'élargissement du Pass, évalué à 83 millions d'euros, dont 38 millions d'euros au titre de la mission Culture . Le Pass sera en effet, à partir de janvier 2022, ouvert :

- aux élèves à partir de la classe de 4 ème , qui sous la responsabilité des enseignants, bénéficieront d'un crédit (25 euros par élève en quatrième et en troisième, 30 euros, en seconde et 20 euros en première et en terminale) à dépenser dans un cadre collectif : sortie culturelle, accueil d'un professionnel... Ce volet collectif du Pass est financé sur le programme 230 « Vie de l'élève » de la mission « Enseignement scolaire » à hauteur de 45 millions d'euros ;

- aux jeunes de 15 ans non scolarisés, ou ceux inscrits en seconde qui bénéficieront d'un crédit individuel de 20 euros. Les élèves de première et de terminale ou les jeunes non scolarisés de 16 ou 17 ans bénéficient d'un crédit individuel porté à 30 euros. Cette extension aux moins de 18 ans n'intègre pas les offres numériques (à l'exception de la presse numérique) et les jeux vidéo. Le cout de cet élargissement est supporté par la mission « Culture » à hauteur de 38 millions d'euros.

2,4 millions de jeunes sont concernés par cet élargissement. Une expérimentation de l'utilisation du Pass pour les jeunes de moins de 18 ans dans les académies de Versailles et Rennes est menée depuis septembre 2021.

Le surcoût lié à la généralisation est, quant à lui, évalué à 96 millions d'euros. À compter de 2023, le besoin annuel est estimé à ce stade pour le volet concernant les jeunes de plus de 18 ans à près de 155 millions d'euros. Cette évaluation se fonde sur un taux d'activation supérieur à 80 % et une hypothèse de 95 % de consommation de l'enveloppe.

La majoration des crédits, prévue en 2022, intègre, en outre, la progression des coûts de fonctionnement et de développement de la SAS Pass Culture, à hauteur de 6 millions d'euros .

d) Une évaluation qualitative doit désormais être menée

L'exercice 2022 devrait permettre une évaluation du niveau qualitatif de l'application, tant du point de vue des jeunes que de celui des offreurs. Il s'agira notamment de vérifier que le Pass ne serve pas au financement d'achats liés au parcours scolaire et qu'il contribue à faire évoluer des pratiques culturelles.

Le Pass ne saurait, en effet, se résumer à une simple plateforme d'achat de biens et de services et doit être éditorialisé en vue de mettre en place un véritable parcours culturel. La SAS Pass Culture, auditionnée par les rapporteurs spéciaux, partage cette ambition. Pour l'heure, 50 % des achats liés au Pass sont orientés vers le livre (34,4 millions d'euros consommés). Ces acquisitions concernent pour 76 % le manga. Le ministère de la culture comme la SAS PAss Culture tablent cependant sur le rôle de médiateur des libraires en vue de diversifier le profil des oeuvres achetées. 35 % des utilisateurs ayant réservé un manga ont d'ailleurs réservé un ouvrage d'un autre genre littéraire et plus d'un quart d'entre eux ont effectué des réservations dans d'autres catégories culturelles. Les rapporteurs spéciaux rappellent cependant que la mise en place d'un sous-plafond, à l'image de celui mis en place pour les achats numériques, peut constituer une option en vue d'assurer un plus grand éventail de réservations . Le cinéma (11 millions d'euros consommés) et l'achat d'instruments de musique (8 millions d'euros) constituent les deux autres priorités d'utilisation du Pass. Reste la question de l'accès au spectacle vivant. Pour l'heure les réservations pour ce type de produit culturel représentent à peine 1,5 % - 2 % des crédits consommés. Le contexte sanitaire peut expliquer un tel ratio. L'absence de volonté des producteurs de conventionner avec la SAS Pass culture a également contribué à fragiliser l'utilisation du Pass à cet escient. Les festivals ont néanmoins constitué une amorce qu'il convient de prolonger.

Au-delà de la question de la médiation culturelle, un accent doit également être mis sur l'accès des jeunes non-scolarisés au Pass. Pour l'heure, on observe une réelle surpondération des lycées et des étudiants parmi les jeunes ayant ouvert un compte.

Il conviendra également de contribuer à faire du Pass une véritable plateforme en faveur de l'éducation artistique et culturelle accessible aux jeunes qui ne seraient plus éligibles, si l'on entend que le Pass Culture qui agrège 54 % des crédits dédiés à cette politique ne se résume pas à une offre limitée dans le temps.

e) Une attention particulière sera portée sur les frais de fonctionnement de la société Pass Culture

Le projet de loi de finances pour 2022 prévoit une majoration des crédits dédiés au fonctionnement de la SAS. Cette progression peut s'entendre compte-tenu du développement à marche forcée de l'application.

La SAS table désormais sur des frais de fonctionnement limités à 5 % de la dotation accordée en loi de finances pour le Pass. Les rapporteurs spéciaux veilleront à ce que ce ratio soit respecté. Cette ambition passe notamment par l'internalisation d'un certain nombre d'activités actuellement gérées par une trentaine de prestataires. La SAS compte actuellement 90 salariés.

2. Au-delà du Pass Culture, quels moyens pour l'éducation artistiques et culturelle ?

La commission des finances a, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, exprimé sa crainte que le Pass Culture tende à résumer l'effort de l'État en faveur de l'éducation artistique et culturelle et que la montée en charge budgétaire de l'application ne s'effectue au détriment des moyens qui lui sont traditionnellement dédiés.

La loi de finances pour 2021 avait déjà tenté de répondre à cette objection avec plusieurs mesures nouvelles (11 millions d'euros de mesures nouvelles). Le projet de loi de finances poursuit dans cette direction avec 23,5 millions d'euros en AE et 11,5 millions d'euros en CP de mesures nouvelles :

- 8,5 millions d'euros (AE = CP) sont ainsi fléchés vers les actions en faveur de l'action culturelle territoriale (déploiement des centres culturels de rencontre, financement des Olympiades culturelles en prévision des jeux olympiques de 2024, appui aux initiatives de proximité) ;

- 15 millions d'euros en AE et 3 millions d'euros en CP sont dédiés au soutien au projet d'implantation des Ateliers Médicis, résidence d'artistes actuellement située à Clichy-sous-Bois et à Montfermeil, appelée à déménager d'ici 2025 afin d'être directement reliée à une ligne du métro Grand Paris Express.

Cette majoration des crédits s'avère indispensable si le Gouvernement entend atteindre ses objectifs en matière d'éducation artistique et culturelle. Reste une interrogation quant à l'efficacité de la dépense publique en la matière. L'indicateur 2.2 rattaché au programme visant la part des enfants et adolescents ayant bénéficié d'une action d'éducation artistique et culturelle a ainsi été revu à la baisse en 2021. L'objectif assigné avait déjà été minoré en 2019 et en 2020.

Accès des enfants et adolescents à une action d'éducation artistique et culturelle Prévision et réalisation 2021

Indicateur

Prévision PAP 2021

Réalisation

Part des enfants et adolescents ayant bénéficié d'une action d'éducation artistique et culturelle (%)

88

70

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les rapporteurs spéciaux relèvent, en outre, que la mesure de l'effort en faveur des territoires prioritaires ne répond pas non plus aux objectifs initialement assignés.

Effort en faveur des territoires prioritaires - Prévision et réalisation 2021

Indicateur

Prévision PAP 2021

Réalisation

Part des crédits de l'action 2 (éducation artistique et culturelle et accès à la culture) dirigés vers les territoires prioritaires par rapport à la totalité des crédits de l'action 02 (en %)

30

25

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Si le contexte sanitaire a pu fragiliser cette ambition en 2021, les rapporteurs spéciaux seront extrêmement vigilants quant à la réalisation de ces objectifs en 2022.


* 20 Ardennes, Bas Rhin, Côtes d'Armor, Doubs, Finistère, Guyane, Hérault, Ille-et-Vilaine, Morbihan, Nièvre, Saône-et-Loire, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Vaucluse.

* 21 Décret n°2019-755 du 22 juillet 2019.

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