EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 16 novembre 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de MM. Vincent Éblé et Didier Rambaud, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Culture ».
M. Claude Raynal , président. - Nous examinons désormais les crédits de la mission « Culture ».
M. Didier Rambaud , rapporteur spécial de la mission « Culture » . - Je vous prie d'excuser l'absence, pour des raisons de santé, de Vincent Éblé.
Le montant global des crédits demandés dans le cadre du présent projet de loi de finances s'élève à 3,491 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 3,461 milliards d'euros en crédits de paiement. Ces chiffres traduisent une nette progression par rapport à la loi de finances pour 2021, avec une hausse de 8,11 % en crédits de paiement, soit 259,74 millions d'euros.
Nous relevons un véritable engagement budgétaire en faveur de la culture depuis le début de la crise sanitaire. Les crédits de paiement de la mission ont, en effet, progressé de 17,42 %, soit 513,6 millions d'euros, par rapport à 2019. Reste à déterminer si ce niveau de dotation peut perdurer à l'avenir, tant en raison de l'équilibre budgétaire en général que du risque d'extrême dépendance aux fonds publics d'une partie des filières couvertes par la mission.
La mission « Culture » ne résume pas le financement public de la culture et de la communication. L'agrégation des crédits budgétaires et des dépenses fiscales destinés directement et indirectement à la culture et à la communication devrait ainsi atteindre 15,6 milliards d'euros en 2022. Ce montant n'intègre pas les crédits consacrés à la culture et à la communication au sein de la mission « Plan de relance », soit 463 millions d'euros.
La progression des crédits de paiement attendue en 2022 résulte pour 65 % de la montée en charge du pass Culture, couvert par le programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». Le pass Culture, déployé dans toute la France depuis mai 2021, devrait être étendu, en 2022, aux jeunes de 15 ans et plus, et aux élèves à partir de la quatrième. Le coût de cette montée en charge est établi à 140 millions d'euros en année pleine pour la mission. Le projet de budget pour 2022 prévoit ainsi une dotation de 199 millions d'euros à laquelle viennent s'ajouter 45 millions d'euros en provenance de la mission « Enseignement scolaire ».
Le succès du déploiement, que nous appelions de nos voeux l'an dernier, est indéniable : plus de 770 000 jeunes avaient ainsi activé leur pass en octobre 2021, soit 80 % de la population visée.
L'exercice 2022 devrait donc permettre une évaluation du niveau qualitatif de l'application, tant du point de vue des jeunes que de celui des offreurs. Il s'agira notamment de vérifier que le pass ne serve pas au financement d'achats liés au parcours scolaire et qu'il contribue à faire évoluer des pratiques culturelles. Le pass ne saurait, en effet, se résumer à une simple plateforme d'achat de biens et de services et doit être éditorialisé en vue de mettre en place un véritable parcours culturel, ciblant notamment le spectacle vivant. Au-delà de la question de la médiation culturelle, un accent doit également être mis sur l'accès des jeunes non scolarisés au pass. Il conviendra également de contribuer à faire du pass une véritable plateforme en faveur de l'éducation artistique et culturelle accessible aux jeunes qui ne seraient plus éligibles, si l'on entend que le pass Culture, qui agrège 54 % des crédits dédiés à cette politique, ne se résume pas à une offre limitée dans le temps. Une attention devra enfin être portée sur les frais de fonctionnement de la société par actions simplifiée « pass Culture ».
En tout état de cause, il est indispensable que le pass Culture ne résume pas l'effort de l'État en faveur de l'éducation artistique et culturelle et que la montée en charge budgétaire de l'application ne s'effectue au détriment des moyens qui lui sont traditionnellement affectés. Le projet de loi de finances prévoit à ce titre 23,5 millions d'euros en AE et 11,5 millions d'euros en crédits de paiement de mesures nouvelles. Cette majoration des crédits s'avère indispensable si le Gouvernement entend atteindre ses objectifs en matière d'éducation artistique et culturelle. Les indicateurs rattachés au programme tablent en effet sur une réduction de la part des enfants et adolescents ayant bénéficié d'une action d'éducation artistique et culturelle et de l'effort en faveur des territoires prioritaires.
Le programme 361 appelle, par ailleurs, deux remarques.
D'abord, les crédits dédiés aux travaux des établissements d'enseignement supérieur culturel et à l'insertion professionnelle devraient progresser de 8,82 % en 2022.Ces crédits seront complétés par le Plan de relance à hauteur de 20 millions d'euros. Pour l'heure, le plan de relance peine à s'incarner, avec un taux d'exécution des crédits 2021 établi à 34 %, faisant réapparaître un risque de non-consommation.
Ensuite, une attention particulière devrait être portée à la situation des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur culturel. Aucun dispositif particulier n'est cependant présenté dans le programme 361 ni au sein de la mission « Plan de relance ». Au regard des retards pris dans la rénovation des écoles nationales d'art, un recalibrage en faveur d'un mécanisme d'insertion des sommes destinées à compléter le programme 361 pourrait être opportun.
J'aborderai pour conclure le programme 224 consacré au soutien des politiques du ministère, doté de 775,5 millions d'euros en crédits de paiement en 2022.
La masse salariale devrait continuer à croître en 2022 en dépit de la réduction des effectifs : 13 millions d'euros seront fléchés vers le nécessaire plan de rattrapage indemnitaire pluriannuel destiné à combler le retard des agents du ministère sur leurs homologues des autres administrations. La majoration des crédits dédiés à l'informatique de 4,5 millions d'euros doit, de son côté, permettre un rattrapage indispensable de l'écart observé avec d'autres administrations. En ce qui concerne les économies, l'année 2022 devrait coïncider avec la réduction effective du nombre de sites parisiens du ministère.
Je vais désormais lire l'intervention de Vincent Éblé, dédiée aux crédits fléchés vers la création et le patrimoine.
« Le programme 175 « Patrimoines » devrait être doté en 2022 de 1,023 milliard d'euros en crédits de paiement. Le présent projet de loi de finances prévoit 10,1 millions d'euros en crédits de paiement de mesures nouvelles : 4,2 millions d'euros fléchés vers des mesures de personnels au sein des opérateurs ; 2,9 millions d'euros pour la revalorisation des crédits dédiés à la promotion de l'architecture via les réseaux territoriaux comme le réseau « Villes et Pays d'art et d'histoire » ; 2 millions d'euros pour la poursuite du déploiement du plan de mise en sécurité des cathédrales ; et enfin 1 million d'euros pour la revalorisation de la dotation du fonds incitatif et partenarial qui accompagne les collectivités à faibles ressources en vue de financer des opérations de restauration de monuments historiques.
« À cette somme s'ajoutent 16 millions d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement destinés au financement de schémas directeurs de travaux, à Versailles, aux Archives nationales, ou à Fontainebleau par exemple. Cette priorité accordée aux travaux, louable dans un contexte de réduction des ressources propres des principaux opérateurs, s'inscrit cependant dans un contexte d'incertitude quant à leur bonne exécution. Cette question n'est pas anodine au regard de l'exécution des crédits dédiés à la restauration du patrimoine au sein du plan de relance. Si, au 1 er octobre 2021, 93 des 136 opérations prévues, hors château de Villers-Cotterêts, ont pu être lancées, le taux d'exécution des crédits de paiement relatifs à celles-ci s'avère relativement faible : 29,86 %. Ces retards ont conduit au report en 2023 d'une partie, à hauteur de 42 millions d'euros en crédits de paiement, de la dotation prévue en 2022, qui devrait s'établir en conséquence à 227,3 millions d'euros en crédits de paiement.
« Je relève que le programme « Patrimoines » est complété par deux dispositifs non budgétaires : les dons en faveur de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris - 841,3 millions d'euros de promesses de dons, 160 millions d'euros de travaux déjà engagés -et le Loto du Patrimoine - 72 millions d'euros récoltés depuis sa création. Le ministère complète cet apport en dégelant en fin de gestion un montant représentant le produit des taxes perçues sur le produit du jeu. Au regard de l'ampleur du défi que représente la restauration du petit patrimoine, notamment rural, une exonération complète du produit du jeu aurait pu être décidée en amont, le dégel venant ensuite éventuellement en complément. Une telle solution est déjà retenue au Pays-Bas ou au Royaume-Uni.
« Les pertes cumulées pour les opérateurs du programme devraient atteindre, de leur côté, 310 millions d'euros en 2021 et 182 millions d'euros en 2022. Dans ces conditions, les dispositifs de soutien exceptionnels mis en oeuvre en 2020, dans les collectifs budgétaires, et en 2021 à travers la mission « Plan de relance » en loi de finances, ont pu apparaître, malgré leur caractère exceptionnel, insuffisants. Le collectif budgétaire de fin de gestion 2021 tend à pallier ces difficultés et l'exercice 2022 sera par ailleurs marqué par un apport complémentaire de 102,3 millions d'euros via la mission « Plan de relance ». Au final 567,2 millions d'euros auront été dégagés entre 2020 et 2022, hors subventions pour charges de service public, afin de compenser des pertes nettes estimées de leur côté à 745 millions d'euros.
« La perspective d'un retour à la normale est désormais repoussée à l'horizon 2024. Elle soulève des questions quant à l'avenir des opérateurs du programme 175 à l'issue de l'exercice 2022. Il existe un risque réel d'effet ciseau, conjuguant progression inévitable des charges et perspective de recettes limitées, voire incertaines. Un maintien, lors des prochains exercices budgétaires, d'un soutien financier de l'État destiné à pallier le manque de recettes est à attendre. Il romprait avec la trajectoire de réduction de l'intervention de l'État et le développement des ressources propres.
« Le montant des crédits de paiement du programme « Création » devrait atteindre, de son côté, 914,87 millions d'euros, soit une progression de 54,19 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2021. Les mesures nouvelles sont principalement orientées dans trois directions : le soutien à la création dans les territoires pour 20 millions d'euros, l'appui aux investissements des opérateurs - 16,65 millions d'euros consacrés aux travaux des salles de l'Odéon et de Chaillot et à la relocalisation du Centre national des arts plastiques à Pantin - et le renforcement des mesures de soutien à l'emploi, avec 5 millions d'euros dédiés au Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps). S'agissant de ce dernier sujet, la prolongation du dispositif d'année blanche pour les intermittents jusqu'au 31 décembre 2021 et la sortie par paliers en 2022, dont le coût global est estimé à 1,3 milliard d'euros, viennent compléter les dispositifs prévus au sein du programme 131.
« Ce dernier programme ne contient pas, en outre, toute l'aide accordée aux filières. Le Plan de relance prévoit ainsi deux enveloppes appelées à compléter le programme 131 pour un montant total de 81,1 millions d'euros en crédits de paiement.
« Ainsi, 44 millions sont fléchés vers les opérateurs du patrimoine. À cette somme, il convient d'ajouter les crédits prévus par le collectif budgétaire de fin d'année 2021 appelés à être reportés en 2022. Cette dotation complémentaire illustre les difficultés traversées par les opérateurs en 2021 - 65,68 millions d'euros de pertes annoncées, contre 48,34 millions d'euros en 2020 - et les doutes qui entourent un retour à la normale de l'activité en 2022.
« Cet appui budgétaire doit là encore être appuyé tant il peut éloigner le spectre d'une cessation de paiement. La crise frappe logiquement plus nettement les opérateurs les plus dépendants de leurs ressources propres. L'hypothèse d'un changement des habitudes culturelles post-covid doit, de fait, inciter à une réévaluation du prix des billets pour accéder à certaines salles publiques. La question de la billetterie est d'autant plus cruciale que les recettes liées au mécénat tendent à s'amoindrir, tant pour des raisons fiscales que sociétales.
« Sous réserve de ces observations, nous vous proposons d'adopter sans modification les crédits de la mission « Culture ». »
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Vous avez évoqué le déploiement du pass Culture. Dispose-t-on de statistiques quant à l'utilisation de ce chèque de 300 euros ? Quels biens culturels sont acquis en priorité via ce dispositif ? Pouvez-vous, par ailleurs, nous détailler les modalités de son extension aux jeunes de moins de dix-huit ans à partir de janvier prochain ? Comment ce dispositif s'articule-t-il avec les dispositifs existants dans certains territoires ?
M. Antoine Lefèvre . - Pourriez-vous nous donner plus de précisions concernant les travaux réalisés au château de Villers-Cotterêts pour accueillir la future Cité internationale de la langue française ? Je voudrais savoir notamment si des crédits du plan de relance sont mobilisés pour son financement.
M. Rémi Féraud . - Ma question portera sur le patrimoine. Si je comprends bien, le projet de loi de finances pour 2022, comme cela avait déjà été le cas l'an passé, ne comporte aucun crédit de l'État pour la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Pourtant Paris, la région d'Île-de-France, ainsi que d'autres collectivités partout en France, ont participé à la souscription...
M. Claude Raynal , président . - Comment le secteur de la culture rebondit-il après la crise sanitaire ? Il semble que le public ne soit plus aussi nombreux dans les théâtres et les cinémas. La fréquentation a ainsi baissé de 25 % dans les cinémas. Le ministère continuera-t-il à soutenir ces secteurs après la crise ?
M. Didier Rambaud , rapporteur spécial . - La moitié des achats réalisés par le biais du pass Culture sont des achats de livres. Il s'agit principalement de mangas. Certains s'en inquiètent dans la presse, mais il me semble que cela permet d'inciter les jeunes à entrer dans une librairie : ainsi 35 % des acheteurs d'un manga ont acheté aussi une oeuvre plus littéraire. Les autres postes d'utilisation du pass sont l'achat de places de cinéma, pour 11 millions d'euros, et d'instruments de musique, pour 8 millions d'euros. Les spectacles vivants ne représentent que 1,5 % des dépenses, mais il est vrai que le contexte sanitaire est particulier. Quant à la complémentarité avec les autres dispositifs culturels, je ne suis pas sûr qu'elle existe. Les jeunes peuvent profiter de tous les dispositifs. Dans l'Isère, par exemple, un « chéquier jeunes » a été instauré pour les collégiens. Le cumul sera encore accentué à partir de 2022 dans la mesure où le pass Culture sera élargi à tous les élèves à partir de la classe de quatrième, même s'il ne pourra pas être utilisé, dans ce cadre, pour les biens numériques, à l'exception de la presse en ligne, ni pour les jeux vidéo.
En ce qui concerne les travaux au château de Villers-Cotterêts, le plan de relance prévoit une enveloppe de 100 millions d'euros, dont 83 millions doivent être consommés avant la fin 2022, et 17 millions reportés en 2023.
En effet, le projet de loi de finances ne comporte pas de crédits de l'État pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris. Celle-ci s'effectue pour l'instant grâce aux dons.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - En somme, le Président décide de tout, mais ce sont les dons qui financent !
M. Didier Rambaud , rapporteur spécial . - Il faut rappeler toutefois que l'État contribue par le biais de la dépense fiscale associée au mécénat.
S'agissant de la chute de la fréquentation, elle est aussi due à la baisse du nombre de touristes étrangers. Les gens, par ailleurs, ne réservent plus à l'avance leurs places de spectacle par crainte des annulations. Les opérateurs des programmes « Patrimoines » et « Création » estiment que l'on ne retrouvera qu'en 2024 les chiffres de fréquentation que l'on connaissait avant la crise.
La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Culture ».
*
* *
Réunie à nouveau le jeudi 18 novembre 2021, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission.