III. LA POSITION DE LA COMMISSION

A. PEUT-ON RÉGULER LE NUMÉRIQUE ?

Sur un mode mineur, on peut déplorer la multiplication de l'examen de propositions de loi visant à réguler le numérique en particulier chez les plus jeunes, avec deux autres textes examinés en procédure accélérée au Sénat ce même mois de mai9(*) et d'autres qui pourraient suivre. Cet éclatement empêche une vision réellement cohérente d'un sujet qui mériterait pourtant une réflexion d'ensemble.

Comme souvent dans la régulation du numérique, deux obstacles se dressent :

- d'une part, une réglementation européenne très contraignante, qui encadre strictement les initiatives que peuvent envisager les États. La présente proposition de loi, si elle est adoptée, devra ainsi probablement être notifiée à la Commission européenne ;

- d'autre part, les limites techniques inhérentes. Ainsi, de nombreuses mesures adoptées dans le passé n'ont pas eu encore d'applications réellement concrètes faute de mise en oeuvre, l'exemple le plus emblématique étant la législation adoptée en 2020 à l'initiative du Sénat sur l'accessibilité de la pornographie pour les mineurs.

De ce point de vue, et en l'état actuel, la proposition de loi ne laisse pas présager en elle-même de solutions technologiques en mesure tout à la fois de s'assurer de l'âge des mineurs et de recueillir le consentement parental. Les plateformes ont toutes évoqué des hypothèses de travail et des pistes prometteuses, sans être en mesure toutefois de s'engager sur des délais.

Il est alors légitimement permis de s'interroger sur les effets réels que pourrait avoir cette proposition de loi si elle était adoptée, d'autant plus que le Gouvernement a retenu la procédure accélérée.

Trois arguments plaident cependant en faveur d'une approche favorable par le Sénat.

Tout d'abord, il n'est pas exclu que, aiguillonnées par ce texte, les plateformes finissent par élaborer des solutions. La responsabilité repose en effet sur elles, et nul ne doute de leur haut niveau technologique. En la matière, la simple incitation et les déclarations d'intention n'ont pas permis de juguler de manière visible l'usage des réseaux par les mineurs.

Ensuite, la borne des 15 ans aura le mérite de fixer une donnée pour les parents, surtout si les réseaux communiquent dessus. Pour des adultes souvent déboussolés, elle permet a minima d'attirer l'attention et d'engager un dialogue avec leurs enfants. Les réseaux, qui jusqu'à présent acceptent l'inscription à partir de 13 ans, devront en tout état de cause repousser l'âge « officiel » de deux ans.

Enfin, il faut admettre que le « 100 % » n'existe pas plus dans le domaine numérique que dans la vie réelle. Il y aura toujours la tentation de jouer avec les règles. Pour autant, cela ne signifie pas qu'il faille renoncer à les édicter, avec l'espoir et la volonté politique qu'elles soient appliquées.

Dernier point, le rejet de cette proposition de loi, à l'heure où les pays du monde et singulièrement l'Europe s'attachent enfin à poser un cadre autour des outils numériques, constituerait un mauvais signal adressé aussi bien aux parents qu'aux mineurs et aux plateformes.


* 9 Proposition de loi visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux et Proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants, discutées respectivement les 9 et 10 mai.

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