B. LE COÛT CROISSANT DU CRÉDIT D'IMPÔT EN FAVEUR DE LA RECHERCHE POUR DES EFFETS TOUJOURS PLUS INCERTAINS

1. Le coût du crédit d'impôt en faveur de la recherche (CIR) progresse de façon dynamique

La sous-action 200-12-03 regroupe les restitutions au titre des crédits d'impôt dont bénéficient les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés, principalement les remboursements de créances du crédit d'impôt en faveur de la recherche (CIR), avec une part résiduelle de dépenses au titre du crédit d'impôt en faveur de la compétitivité et de l'emploi (CICE).

Selon les dernières estimations à date, ces dépenses s'établiraient à 6,6 milliards d'euros en 2024 en légère baisse par rapport à 2023 (7,1 milliards d'euros) : cette évolution masque des évolutions contradictoires, l'extinction du CICE16(*) (0,1 milliard d'euros en 2024 contre 1,1 milliard d'euros en 2023) venant plus que compenser une hausse des dépenses de CIR (de 6 milliards à 6,5 milliards). Avec l'extinction du CICE, une hausse de 100 millions d'euros est anticipée pour l'année 2025 (+ 1,5 %), dont le niveau peut être interrogé au vu du dynamisme passé du CIR.

Le coût du crédit d'impôt recherche (CIR), en dépit de variations conjoncturelles, est en forte hausse depuis la réforme de 2008 (cf. infra). Alors qu'en 2009, il s'établissait à 4,5 milliards d'euros pour un peu plus de 14 000 dossiers, il devrait représenter, en 2025, 7,7 milliards d'euros pour près de 15 500 entreprises.

Le rapporteur spécial s'étonne de la baisse confirmée du nombre d'entreprises bénéficiaires, passé de 21 695 en 2023 à 15 693 en 2024 et désormais 15 507 en 2025 (données des PLF 2023 à 2025 - voies et moyens tome 2).

En 2023, l'exécution s'est établie à 7,3 milliards d'euros. Comme l'illustre le graphique ci-dessous, l'augmentation du coût du dispositif (crédits prévus en LFI) est de 34 % entre 2014 et 2025.

Évolution du coût du crédit d'impôt pour la recherche depuis 2014

(en millions d'euros)

La courbe « linéaire » marque la tendance des crédits votés en LFI.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Cette tendance haussière continue malgré la suppression par la loi de finances pour 2021 du doublement des dépenses sous-traitées à des organismes publics17(*) en matière de CIR à compter du 1er janvier 2022.

En remplacement de cette règle, la loi de finances pour 2022 crée un nouveau crédit d'impôt en faveur de la recherche collaborative, codifié à l'article 244 quater B bis du CGI. Ce crédit d'impôt s'applique aux dépenses facturées par des organismes de recherche et de diffusion des connaissances (ORDC) dans le cadre d'un contrat de collaboration conclu entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025. Ces dépenses sont retenues dans la limite globale de 6 millions d'euros par an et le taux du crédit d'impôt est de 40 % (ou 50 % pour les PME). En 2024, ce crédit d'impôt est estimé à 146 millions d'euros, stable par rapport à 2023.

À cet égard, il est important de souligner que les entreprises ne peuvent pas, au titre des mêmes dépenses, bénéficier à la fois du crédit d'impôt en faveur de la recherche collaborative et du CIR.

Les remboursements au titre du crédit d'impôt recherche

En application de l'article 199 ter B du code général des impôts, les entreprises imputent leurs créances de CIR sur leur impôt sur les sociétés de l'année N + 1.

Si, après prise en compte de cette créance, elles sont toujours déficitaires, elles pourront mobiliser à nouveau cette créance pour payer leur impôt en année N + 2 et N + 3, sans donner lieu à une restitution de la part de l'administration fiscale. Le reliquat de créance qui n'aura pas été utilisé en N+ 4 pourra ainsi donner lieu à une restitution.

Plusieurs types d'entreprises peuvent demander le remboursement immédiat des dépenses éligibles au CIR :

- les petites et moyennes entreprises au sens du droit européen18(*) ;

- les entreprises nouvelles durant les cinq années suivant leur création ;

- les entreprises ayant fait l'objet d'une procédure de conciliation ou de sauvegarde, d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire ;

- les jeunes entreprises innovantes.

Source : article 199 ter B du code général des impôts

2. Un dispositif couteux qui doit être mieux ciblé et plus efficace

Créé en 1983, le CIR avait initialement pour objet d'apporter un soutien proportionnel à la croissance de la recherche et développement des entreprises. Depuis la réforme de 2004, le montant du CIR est calculé proportionnellement à celui de l'ensemble des dépenses de recherche et développement éligibles engagées et non plus sur la base des dépenses nouvelles réalisées par les entreprises.

La principale réforme du CIR a été portée par la loi de finances initiale pour 2008 et a consisté à porter le crédit d'impôt à 30 % des dépenses de recherche et développement en deçà de 100 millions d'euros et à 5 % au-delà. Entre 2007 et 2008, l'effort financier en faveur de la recherche privée est ainsi passé de 1,7 milliard d'euros à 4,1 milliards d'euros. Le taux était, de surcroit, doublé lorsque la recherche était confiée par l'entreprise à un organisme public de recherche ou qu'elle correspondait à l'embauche d'un jeune docteur19(*).

Le bénéfice du CIR est aujourd'hui particulièrement concentré sur les grandes entreprises. En particulier, les cinquante premières entreprises bénéficiaires du CIR concentrent à elles seules près de 45 % du bénéfice du dispositif, tandis que les 200 premières entreprises représentent près des deux tiers du coût total. La concentration des montants du CIR s'explique par le volume de dépenses de R&D engagé par certaines entreprises. Aussi, 28 groupes déclarent le tiers des dépenses de R&D et bénéficient de 27 % de créances de CIR. Les petites et moyennes entreprises (PME), représentent 80 % des bénéficiaires mais seulement 27 % des montants de CIR. 

Or d'après les différentes études passées en revue par la Cnepi, l'effet d'additionnalité du CIR sur les PME se situerait entre 0,90 et 1,5 euro de dépenses de recherche et développement par euro de CIR dépensé, soit une dépense de R&D des entreprises qui n'augmenterait qu'à due concurrence du bénéfice que celles-ci tirent du dispositif. La question de l'efficience de l'argent public mis dans cette politique doit donc être posée.

Autrement dit, l'effet du CIR sur l'effort supplémentaire de recherche fourni par les entreprises se limite à un réinvestissement égal au bénéfice du dispositif. L'indicateur 2.2 du programme 172 « Recherche scientifique et technologies pluridisciplinaires » arrive d'ailleurs à la même conclusion puisque la réalisation 2023 (égale à la cible), comme celle des années précédentes, atteint le ratio de 1 concernant les dépenses de recherche et développement privées supplémentaires par euro de CIR. Comme chaque année, la cible pour les années suivantes est indiquée comme devant être supérieure à 1. Cet indicateur affiche aussi un indice de rotation en baisse en 2023 (18,9 %) par rapport à 2022 (19,5 %), sous la cible affichée de 20 %, montrant une stabilité des bénéficiaires de ce crédit d'impôt.

Enfin, le CIR est un crédit d'impôt particulièrement difficile à contrôler qui nécessite une coordination entre les services de la DGFIP et ceux du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il est, par ailleurs, générateur de nombreux contentieux relatifs au caractère éligible ou non des dépenses d'innovation.

Il apparait donc nécessaire au rapporteur spécial, d'engager une réforme du CIR qui viserait a minima à établir une véritable différenciation par type d'entreprise et par secteur d'activité. Le CIR ne peut être une baisse d'impôt comme les autres sans effet de levier manifestes sur des investissements additionnels suscités par le dispositif.

Cette réforme parait d'autant plus nécessaire que l'une des justifications du CIR était, notamment le taux nominal de l'impôt sur les sociétés, considéré pour certains comme particulièrement élevé. Or, depuis plusieurs années les entreprises bénéficient de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés décidée par le Gouvernement et votée en 2019 par le Parlement. Le taux normal d'imposition est ainsi passé de 33,3 % en 2018 à 25 % en 2022. Cette baisse de l'impôt sur les sociétés a, par ailleurs, été accompagnée par celle des impôts dits « de production » (cf. infra).


* 16 Le CICE a été abrogé par la loi de finances pour 2018 avec effet au 1er janvier 2019. Depuis le 1er janvier 2019, il a été transformé en un allègement pérenne de cotisations sociales, excepté à Mayotte où il est toujours en vigueur. Cependant, les entreprises qui détiennent une créance au titre du CICE peuvent continuer à s'en servir pour le paiement de leur IS pendant cinq ans.

En conséquence, l'année 2023 est la dernière année au cours de laquelle des restitutions d'IS en lien avec le CICE, au titre de l'année 2019, étaient susceptibles d'être inscrites sur les crédits du programme 200 (sauf pour les entreprises domiciliées à Mayotte).

* 17 La règle dite du « doublement de l'assiette » du crédit d'impôt recherche (CIR) qui permet à un donneur d'ordre privé, externalisant une activité de R&D à une entité publique de recherche, de déclarer à l'administration fiscale le double des dépenses facturées par l'entité.

* 18 Entrant dans la définition des micro, petites et moyennes entreprises donnée à l'annexe I au règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité.

* 19 Règle remplacée en 2022 par la création d'un crédit d'impôt en faveur de la recherche collaborative.

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