B. L'AIDE UNIVERSELLE D'URGENCE EN FAVEUR DES VICTIMES DE VIOLENCES : UN DISPOSITIF BIENVENU DONT LA MONTÉE EN CHARGE DOIT FAIRE L'OBJET D'UN SUIVI ATTENTIF

1. L'aide universelle d'urgence, un dispositif utile et innovant

La nouveauté du programme 137 comporte depuis la LFI pour 2024 se trouve dans une action 26, portant les crédits alloués à l'aide universelle d'urgence en faveur des victimes de violences conjugales (AUUVV). Il s'agit de l'aboutissement d'une proposition de loi déposée par la sénatrice Valérie Létard, alors vice-présidente du Sénat, et rapportée par notre collègue Jocelyne Guidez.

Cette initiative sénatoriale, que les deux rapporteurs spéciaux ont pleinement soutenue, est devenue la loi n° 2023-140 du 28 février 2023 créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales29(*).

Les associations de défense des droits des femmes, y compris lorsqu'elles se montrent critique du fonctionnement du dispositif, en saluent le principe. En effet, les plaintes pour violences conjugales suivent une tendance à la hausse : 244 000 plaintes ont été recensées en 2022, soit une augmentation de 15 % par rapport à 2021 et un doublement depuis 2016). De même, l'analyse des données issues des appels au « 39.19 - Violences Femmes Infos » montre que 59 % des victimes souhaitent quitter le domicile conjugal. L'une des raisons pour lesquelles ces victimes renoncent parfois à se protéger en quittant leur domicile est leur précarité et leur dépendance financière : 19 % des femmes déclarent subir des violences économiques dans leur appel au « 39.19 ».

L'aide universelle d'urgence est versée depuis le 28 novembre 2023 aux victimes de violences conjugales pour leur permettre de faire face aux dépenses immédiates pour quitter leur conjoint violent. Les bénéficiaires sont donc des victimes de violences commises par leur conjoint, leur concubin ou partenaire lié à elles par un pacte civil de solidarité (PACS).

Pour bénéficier de l'AUU, la personne doit attester de la situation de violences conjugales par un document de moins de 12 mois pouvant être un dépôt de plainte, une ordonnance de protection ou un signalement adressé au procureur de la République. L'aide est alors versée par la caisse d'allocations familiales de rattachement (CAF ou CMSA), dans un délai de trois à cinq jours ouvrés (selon que la personne est affiliée ou non) à compter de la réception de la demande.

Au moment où les rapporteurs spéciaux examinaient, l'année dernière, les crédits de la mission au titre du PLF pour 2024, ses modalités d'applications n'étaient pas définies. Elles ont depuis fait l'objet de précisions par décret30(*), notamment s'agissant de son barème. Concrètement, celui-ci dépend des ressources nettes mensuelles de la personne bénéficiaire, ainsi que du nombre d'enfants de moins de 21 ans qui sont à sa charge.

Barème de l'aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales du 1er avril 2024 au 31 mars 2025

(Métropole, DOM, hors Mayotte)

 

Nombre d'enfant de moins de 21 ans à charge

Ressources nettes mensuelles

Pas d'enfant

1 enfant

2 enfants

3 enfants

par enfant supplémentaire

Inférieures ou égales à 699,35€ (0,5 SMIC)

635,71 €

953,57 €

1 144,28 €

1 398,56 €

254,28 €

Entre 699,36€ et 1398,69€ (1 SMIC)

508,57 €

762,86 €

915,42 €

1 118,85 €

203,42 €

Entre 1398,7€ et 2098,04€ (1,5 SMIC)

381,43 €

572,14 €

686,50 €

839,14 €

152,57 €

Entre 2098,05€ et 3147,04€

254,28 €

381,43 €

457,71 €

559,42 €

101,71 €

Entre 3147,05 et 3776,45€

381,43 €

Entre 3776,46€ et 4615,67€

457,71 €

Supérieures ou égales à 4615,68€

559,42 €

101,71 €

Note : en bleu, les cas où l'AUU est attribuée sous forme de prêt.

Source : réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Principale innovation de l'aide universelle d'urgence : elle peut être attribuée sous forme d'aide non-remboursable ou sous forme de prêt ; dans ce second cas, elle peut être remboursée par l'auteur des violences si celui-ci a été condamné définitivement par la Justice.

2. Comme les rapporteurs spéciaux l'avait craint l'année dernière, les crédits alloués à l'aide universelle d'urgence en 2024 ont été largement insuffisants
a) Après un démarrage rapide, une stabilisation du recours à l'aide universelle d'urgence

Les documents budgétaires relatifs à l'approbation des comptes de l'État pour l'année 2023 faisaient apparaître, selon la direction générale de la cohésion sociale, une « belle dynamique » de l'aide universelle d'urgence dans ses premiers mois de mise en oeuvre. En effet, en décembre 2023, 5 723 aides avaient été versées, pour un montant total de 5 045 891 euros.

Cette montée en charge abrupte du dispositif s'explique compte tenu des modalités d'ouverture des droits à l'aide : les bénéficiaires potentiels doivent fournir un document de moins de 12 mois. Les dépenses d'aide universelle d'urgence ont pris en compte, pour la première année, un «  stock » marqué.

Le recours à cette nouvelle aide a ensuite connu une diminution progressive : le taux de recours s'est ainsi élevé à plus de 30 % en décembre 2023, mais il était de 14 % en juin et juillet 2024, pour un nombre total de bénéficiaires potentiels estimé à environ 220 000 par an31(*).

Nombre de bénéficiaires de l'aide universelle d'urgence à mi-2024

Nombre de bénéficiaires AUUVV

Décembre 2023

Janvier-Juillet 2024

Total

CNAF

5 686

20 536

26 222

dont aides non-remboursables

5 637

20 379

26 016

dont prêts

49

157

206

CCMSA

37

266

303

dont aides non-remboursables

37

266

303

dont prêts

0

0

0

Total

5 723

20 802

26 525

Source : réponses au questionnaire budgétaire

Depuis l'entrée en vigueur de l'aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales, 26 525 aides ont été versées par les CAF et les CMSA de décembre 2023 à juillet 2024. Le montant moyen des aides versées de décembre 2023 à juillet 2024 s'élève à 869 euros.

Sa mise en oeuvre n'a pas été exempte de difficultés. Par exemple, plusieurs associations ont regretté que l'aide soit payée en une seule fois, et que son montant soit relativement faible, équivalent à « quinze jours à l'hôtel », alors que le parcours psychologique des femmes quittant leur foyer pour fuir leur conjoint violent est souvent marquée par l'emprise et de nombreux retours au domicile en l'absence d'accompagnement.

En outre, l'administration a mentionné des difficultés, dans les premiers temps de la mise en oeuvre de l'aide, pour les services des CAF, liées aux documents justifiant l'ouverture des droits. En effet, la vérification de l'éligibilité des personnes demandeuses a nécessité dans certains la lecture des pièces de procédures relatives à la plainte, tache fastidieuse pour les personnels et intrusive pour les bénéficiaires. Ces difficultés ont été résolues par une coordination entre les services sociaux et les services judiciaires a permis de définir un récépissé de dépôt de plainte pouvant servir à faire valoir les droits des personnes plaignantes à l'aide universelle d'urgence.

b) Des crédits budgétés en loi de finances initiale largement insuffisants

Comme les rapporteurs spéciaux le craignaient, les dépenses au titre de l'aide universelle d'urgence ont été bien supérieures aux crédits prévus pour 2024. En effet, les dépenses supportées directement par la CNAF et la CCMSA, organismes gestionnaires pour le compte de l'État, se sont élevées à 5 millions d'euros en décembre 2023 et 18 millions d'euros pour la période de janvier à juillet 2024.

Pour 2024 en année pleine, le total des aides versées peut être estimé à ce stade à 26 millions d'euros.

Exécution des dépenses au titre de l'AUU au premier semestre 2024

(en euros)

Aide universelle d'urgence

LFI 2024 

Annulations premier semestre

Crédits gelés premier semestre

Autres mouvements premier semestre

Crédits engagés au 30 juin

Crédits disponibles au 30 juin

 
 

AE

13 028 547

3 294 092

0

- 3 000 000

8 051 777

- 1 317 322

 

CP

13 028 547

3 294 092

0

- 3 000 000

4 635 690

2 098 765

 

Source : commission des fnances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Compte tenu des mesures de régulation budgétaire prises en cours d'année par le précédent Gouvernement, qui ont sensiblementa affecté à l'aide universelle d'urgence (cf. tableau supra), les autorisations d'engagement au titre de ce dispositifs étaient déjà négatives au 30 juin 2024, ce qui traduit l'existence d'une dette de l'État à l'égard de la CNAF.

À fin août, la prévision de dépenses pour 2024 au titre de l'aide universelle d'urgence est établie à 25,9 millions d'euros. Dans le cadre du PLF pour 2025, une enveloppe de 20,4 millions d'euros est prévue, fondée sur l'hypothèse d'une évolution tendancielle à la baisse puis une stabilisation du total de bénéficiaires, conformément à l'évolution du taux de recours constatée en 2024.

c) Des prêts très minoritaires et non encore recouvrés

L'aide peut prendre la forme d'un prêt sans intérêt ou d'une aide non-remboursable, selon la situation financière et sociale de la personne, ainsi que le nombre d'enfants à sa charge. Le seuil de déclenchement du prêt est fixé à 1,5 SMIC net pour une personne sans enfant. Ce seuil correspond au point de sortie du bénéfice de la prime d'activité pour une personne seule « non isolée » et une échelle de majorations est appliquée à ce seuil selon le nombre d'enfants (cf. barème supra).

Ces prêts, fortement minoritaires (seuls 206 prêts ont été accordés, sur un total de 26 525 aides versées), n'ont pas encore fait l'objet d'un recouvrement. En effet, le remboursement de l'aide attribuée sous forme de prêt n'est exigible de son bénéficiaire que deux années après l'attribution. En outre, avant toute demande de remboursement, les CAF et caisses de la MSA doivent s'assurer au préalable qu'aucune procédure judiciaire à l'encontre de l'auteur de violences conjugales n'a pas été enclenchée. Pour ce faire, les échanges d'informations entre les CAF et CMSA et les juridictions doivent être définis, par voie de convention, pour la gestion du recouvrement des prêts, conformément aux modalités de remboursement précisées par un amendement sénatorial32(*) adopté lors de l'examen du PLF pour 2024 :

- en cas de condamnation de l'auteur à la peine complémentaire de remboursement, il revient au Trésor public de recouvrer le prêt selon les mêmes modalités que celles prévues en matière d'amendes (recouvrement forcé) ;

- en cas de composition pénale ou de classement sous condition de versement pécuniaire, le remboursement s'effectuera également auprès de l'État selon les règles du droit commun du code de procédure pénale (démarche volontaire) ;

- si l'auteur n'est pas condamné à rembourser le prêt, ce sont les caisses qui se chargeront de son recouvrement auprès de la personne bénéficiaire.

En tout état de cause, il apparaît peu probable que le recouvrement des aides accordées sous forme de prêt puisse permettre de modérer significativement le coût de l'aide pour les finances publiques.


* 29 Loi n° 2023-140 du 28 février 2023 créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales.

* 30 Décret n° 2023-1088 du 24 novembre 2023 relatif à l'aide universelle d'urgence pour les personnes victimes de violences conjugales.

* 31 Sur la base du nombre de dépôts de plainte pour violences conjugales, des ordonnances de protection, des signalements au parquet pour violences conjugales.

* 32 Amendement n° II-687 rect. de Mme Vérien, modifié par des sous-amendements de la commission et du Gouvernement.

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