EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article
unique
Prolongation jusqu'au 31 décembre 2026 de la
dérogation
d'utilisation des titres-restaurant
Cet article propose de prolonger jusqu'au 31 décembre 2026 le dispositif dérogatoire permettant l'utilisation des titres-restaurant pour acquitter le prix de tout produit alimentaire, qu'il soit ou non directement consommable.
La commission a adopté cet article modifié d'un amendement COM-1 réduisant la durée de cette dérogation jusqu'au 31 décembre 2025.
I - Le dispositif proposé
A. Le titre restaurant, un avantage social ancien pour le salarié, dont l'évolution tend à s'adapter aux usages
1. Le titre-restaurant, un dispositif de financement du repas des salariés dont le champ d'utilisation n'a cessé d'augmenter
a) Un avantage aux salariés cofinancé par l'employeur
Si l'employeur est tenu de longue date1(*) de fournir à ses salariés un emplacement leur permettant de se restaurer2(*) dans de bonnes conditions de santé et de salubrité, aucun texte n'oblige en revanche l'employeur à prendre en charge le repas de ses salariés.
Pour autant, des initiatives privées d'employeurs ont permis de développer des offres de restauration collective3(*). Faute de place, ou pour des considérations économiques, certains employeurs ont également pu développer des accords locaux avec des restaurateurs4(*), mais c'est l'ordonnance du 27 septembre 19675(*) qui constitue le titre-restaurant en avantage social accordé au salarié, et lui accorde à ce titre un régime fiscal et social particulier.
Désormais régi par les articles L. 3262-1 et suivants du code du travail, le titre-restaurant est un « titre spécial de paiement remis par l'employeur aux salariés ». Les titres-restaurant peuvent être émis, sous format papier ou dématérialisé6(*), directement par l'employeur ou par le comité social et économique (CSE). Ils sont cependant le plus souvent émis par une entreprise spécialisée qui les cède à l'employeur contre paiement de leur valeur libératoire et d'une commission.
Le titre-restaurant est cofinancé par l'employeur et par le salarié. La contribution de l'employeur doit être comprise entre 50 % et 60 % de la valeur libératoire des titres7(*).
Chiffres clés au 31 décembre 2023
- Nombre d'employeurs recourant au dispositif : 180 000
- Nombre de salariés bénéficiaires : 5,4 millions
- Nombre de commerces agréés : 234 000
- Valeur faciale totale des titres : 9,4 milliards
- Valeur moyenne du titre : 8,55 euros
- Part de titres non utilisée : entre 0,6 et 0,7 %
Source : CNTR
L'octroi de titres-restaurant n'est pas obligatoire pour
l'employeur, sauf dans le cas où une convention collective ou un accord
d'entreprise le prévoit ou dans la situation où l'employeur d'une
entreprise de plus de
50 salariés n'est pas en capacité
de fournir un emplacement ou un local de restauration8(*). En revanche, si l'employeur
décide de mettre en place des titres-restaurant, il doit en faire
bénéficier tous ses salariés, sauf en application de
critères objectifs et non discriminatoires entre les
salariés9(*).
b) Un régime fiscal et social avantageux
Afin de donner au dispositif un caractère incitatif, le titre restaurant bénéficie d'un régime avantageux pour l'employeur et pour le salarié :
- pour le salarié, le titre-restaurant est considéré comme un complément de rémunération, et bénéficie d'une exonération de l'impôt sur le revenu10(*) dans la limite correspondant à la part de la contribution de l'employeur, soit 7,18 euros par titre-restaurant actuellement. Dans les mêmes conditions et limites, cette contribution de l'employeur est exclue de l'assiette des cotisations sociales, de la CSG et de la CRDS11(*).
- pour l'employeur, la contribution à la valeur libératoire du titre-restaurant est exclue de l'assiette des cotisations et contributions sociales.
Selon la CNTR, l'impact du titre-restaurant pour les finances publiques s'élèverait à 1,5 milliard d'euros.
c) Des modalités d'utilisation qui ont évolué au fil du temps
À la différence de l'indemnité repas, ou prime de panier, les titres-restaurant n'ont qu'une affectation possible : le règlement du repas du salarié. Aussi, un même salarié ne peut recevoir qu'un titre-restaurant par repas compris dans son horaire de travail journalier, et ce titre n'est pas cessible12(*).
· La vocation originelle du titre-restaurant étant de garantir un repas décent au salarié lors de sa pause méridienne, son utilisation était initialement réservée à l'achat d'un repas au restaurant. Cependant son éligibilité a progressivement été étendue, d'abord aux détaillants en fruits et légumes13(*), puis aux commerces assimilés agréés par la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR)14(*), notamment des commerces de bouche et des grandes et moyennes surfaces.
L'agrément comme commerce assimilé par la CNTR
L'assimilation à la profession de restaurateur est accordée par la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR) qui vérifie le respect par le commerçant des conditions ouvrant droit au remboursement du titre-restaurant. Peuvent ainsi être agréés des commerces offrant des prestations de restauration rapide ou des prestations de type alimentaire à titre principal ou secondaire, notamment les supermarchés, supérettes et épiceries.
· Ce repas peut être composé de préparations alimentaires directement consommables, le cas échéant à réchauffer ou à décongeler, notamment de produits laitiers. Il peut également être composé de fruits et légumes, qu'ils soient ou non directement consommables15(*).
Afin de permettre le contrôle des ventes par les commerces agréés, la CNTR a élaboré une charte avec le secteur de la distribution en vue de définir les produits éligibles au titre-restaurant. Sont ainsi exclus du dispositif les produits alimentaires nécessitant une préparation (farine, pâtes, riz, semoule, viandes et poissons non transformés, produits en nombre, viennoiseries et autres desserts non préparés à base de produits laitiers), les boissons alcoolisées et tous les produits non alimentaires.
La Commission nationale des titres-restaurant
La CNTR est constituée de quatre collèges :
- les représentants des organisations syndicales de salariés (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC) ;
- les représentants des organisations professionnelles d'employeurs (Medef, CPME, U2P) ;
- six représentants des organisations professionnelles des restaurateurs et commerçants assimilés à la restauration16(*) ;
- les treize sociétés émettrices de titres-restaurant.
La commission dispose d'un conseil d'administration, en charge des affaires générales, composé d'un représentant de chacun des quatre collèges.
La CNTR assure quatre missions principales participant à la régulation du dispositif du titre-restaurant :
- des missions générales : information des acteurs, médiation, études et proposition ;
- un rôle de délivrance des agréments aux commerçants assimilés ;
- un rôle de vérification de l'exercice de la profession de restaurateur ;
- un rôle de contrôle du respect de la réglementation par les sociétés émettrices et par les professionnels acceptant les titres-restaurant.
· Les titres-restaurant font également l'objet de conditions d'utilisation encadrées :
- sauf décision contraire de l'employeur, les titres-restaurant ne sont pas utilisables les dimanches et jours fériés ;
- ils ne peuvent être utilisés que dans le département du lieu de travail des salariés bénéficiaires et les départements limitrophes17(*) ;
- leur utilisation journalière est limitée à un montant maximum fixé par décret. Depuis le 1er octobre 2022, ce plafond journalier est fixé à 25 euros18(*).
2. Un assouplissement dérogatoire pour faire face à l'inflation
a) Une initiative sénatoriale déjà reconduite
Dans le cadre de la discussion au Sénat de la loi « pouvoir d'achat » du 16 août 202219(*), le rapporteur Frédérique Puissat avait proposé, afin de soutenir le pouvoir d'achat des Français face à l'inflation, d'assouplir les règles qui encadrent l'utilisation du titre-restaurant en l'étendant à une plus large gamme de consommations.
À son initiative, cette loi a donc prévu un dispositif dérogatoire permettant d'utiliser, jusqu'au 31 décembre 2023, les titres-restaurant pour l'achat de tout produit alimentaire, qu'il soit ou non directement consommable20(*). Cette dérogation vise par définition les « professionnels assimilés », telles que les détaillants et les supermarchés.
Cette dérogation a par la suite été prorogée par la loi du 26 décembre 202321(*), jusqu'au 31 décembre 2024, considérant que les motifs qui avaient prévalu à la mise en place de cet assouplissement étaient toujours valables.
b) Une évolution dont le bilan demeure contrasté
Depuis la mise en oeuvre de ce dispositif dérogatoire, les travaux de la CNTR ont permis d'actualiser les chiffres concernant l'utilisation des titres-restaurant, et ainsi d'objectiver son effet. Il en ressort que la part de marché des restaurateurs diminue au profit des grandes et moyennes surfaces (GMS) : la part de la grande distribution dans l'utilisation des titres serait passée de 22,4 % en 2022 à 30,8 %, faisant reculer de fait la part restauration de plus de 6 points, à 40,1 % du marché.
Source : CNTR
Cependant ce constat ne permet pas de statuer sur un effet de causalité avec l'extension des titres-restaurant aux aliments non-directement consommables. En effet les comportements de consommation ont eux-mêmes pu évoluer (télétravail, préférences alimentaires, etc.), et il faut souligner que les aliments non-directement consommables ne représenteraient pas plus de 25 % des achats en GMS à l'aide de titres-restaurant. Par ailleurs, le volume de titres-restaurant émis a augmenté, ce qui explique qu'en valeur absolue le revenu des restaurateurs liés aux titres-restaurant continue d'augmenter depuis 2022.
Source : CNTR
B. La proposition de prolonger d'un an le régime dérogatoire
Dans ce contexte, l'article unique de la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale par Mme. Anne-Laure Blin et MM. Jean-Pierre Taite et Pierre Cordier propose une nouvelle prolongation jusqu'au 31 décembre 2025 de ce dispositif.
L'exposé des motifs de ladite loi souligne à la fois la difficulté d'un « retour en arrière (...) alors même que des problématiques de pouvoir d'achat se posent toujours », ainsi que « l'attente importante des salariés français » qui, selon une étude du CNTR de mars 2024, plébiscitent cette flexibilité à plus de 96 %.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
A. En commission
L'article unique de la présente proposition de loi a fait l'objet, contre l'avis de la rapporteure, d'une réécriture lors de l'examen en commission des affaires économiques. Proposés par l'ancienne ministre en charge de la réforme des titres-restaurants, Mme Olivia Grégoire, et plusieurs de ses collègues, deux amendements ont été adoptés afin :
- de pérenniser l'extension de l'éligibilité aux titres-restaurants des produits non directement consommables en l'inscrivant à l'article L.3262-1 du code du travail, sans date limite ;
- de préciser à l'article L. 3262-5 dudit code que l'utilisation des titres restaurants pouvait être faite dans un autre commerce de distribution alimentaire.
En outre, une demande de rapport relative à une réforme structurelle du titre-restaurant a été adopté à l'initiative du groupe écologiste et social.
B. En séance
Le présent article a été modifié par quatre amendements identiques soutenus par les groupes Modem, Ensemble pour la République, Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot) et Socialistes, qui sont revenus sur la pérennisation du dispositif. Ces amendements ne rétablissent pas pour autant le texte initial, puisqu'ils procèdent à la prolongation de la dérogation existante jusqu'au 31 décembre 2026, soit de deux années au lieu d'une.
La demande de rapport introduite lors de l'examen en commission a en outre été supprimée.
L'Assemblée nationale a adopté cet article ainsi modifié.
III - La position de la commission
La rapporteure constate que, la justification initiale de la dérogation ouverte aux produits alimentaires non-directement consommables n'est plus totalement remplie. Même si certains territoires, notamment ultra-marins, sont encore percutés par la problématique de la vie chère, l'inflation ne connaît plus les niveaux rencontrés les années précédents - respectivement + 5,2 % en 2022 et + 4,9 % en 2023.
Par ailleurs, le titre-restaurant n'a pas vocation a devenir un « chèque alimentation » destiné à soutenir le pouvoir d'achat des salariés, pas plus qu'il ne constitue une politique satisfaisante de soutien des restaurateurs face aux difficultés que rencontre la profession.
Cependant il lui semble que l'assouplissement doit être prolongé, car les salariés ne comprendraient pas de se voir retirer cette flexibilité sans évolutions plus globales du titre-restaurant.
Néanmoins, afin d'aboutir à une position équilibrée, la rapporteure propose d'adopter un amendement visant à limiter à une année cette prolongation, comme le texte initial de la proposition de loi le prévoyait. La durée d'un an permet en effet d'éviter une « pérennisation du fait accompli », tout en permettant de travailler à un projet de loi permettant d'éviter la multiplication des véhicules législatifs de prorogation.
La rapporteure appelle ainsi le Gouvernement à procéder à la réforme du titre-restaurant, au terme d'une concertation avec l'ensemble des acteurs. Cette réforme devrait notamment permettre de généraliser la dématérialisation des titres, mais aussi de renforcer de la concurrence sur le marché des sociétés émettrices et de doter de plus de moyens la CNTR afin de multiplier les contrôles de la bonne utilisation des titres.
Dans cette perspective, la rapporteure tient à souligner le courage, et le sérieux des représentants du secteur de la restauration. Durant leur audition, ils ont en effet reconnu que supprimer toute flexibilité à l'utilisation du titre-restaurant ne leur semblait pas souhaitable dans l'intérêt la collectivité. En revanche, ils ont évoqué la possibilité d'introduire un double plafond, afin de différencier le montant maximal de titre-restaurant utilisable entre les denrées alimentaires non directement consommables et la restauration. Cette piste semble intéressante, bien qu'elle puisse soulever des risques sur le plan juridique, notamment au regard du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques.
La commission a adopté cet article ainsi modifié par l'amendement n° COM-1.
* 1 Décret du 10 juillet 1913 portant mesures générales de protection et de salubrité applicables à tous les établissements.
* 2 Article R. 4228-23 du code du travail.
* 3 Dès 1897 le Crédit Lyonnais inaugure le premier restaurant d'entreprise privée, sur le modèle de la cantine de la Banque de France créée en 1866.
* 4 Suivant l'exemple des « bons-repas » du docteur Winchdron en Angleterre, les initiatives se multiplient en France durant les années 1950 : le « Crédit Repas » dès 1957, puis le « Chèque-restaurant » en 1962, le « Ticket-Restaurant » en 1963 et enfin le « Chèque Déjeuner » en 1964.
* 5 Ordonnance n° 67-830 du 27 septembre 1967 relative à l'aménagement des conditions du travail en ce qui concerne le régime des conventions collectives, le travail des jeunes et les titres-restaurant.
* 6 Article R. 3262-1 du code du travail.
* 7 Arrêté du 22 décembre 1967 relatif à l'application du décret n° 67-1165 relatif aux titres-restaurant.
* 8 Réponse ministérielle n° 8300 du 27 mai 1964.
* 9 Voir la décision de la Cour de cassation, Soc., Mme Angelier et autres versus ASSEDIC de Belfort Montbéliard et Haute-Saône du 22 janvier 1992 : rien n'interdit à l'employeur de prévoir une tarification différente en fonction de l'éloignement du lieu de travail par rapport au domicile des salariés.
* 10 Article 81 du code général des impôts.
* 11 Art. L. 136-1-1 du code de la sécurité sociale.
* 12 Art. R. 3262-7 du code du travail.
* 13 Article 113 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
* 14 Article 2 de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche.
* 15 Art. R. 3262-4 du code du travail.
* 16 Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), Groupement des hôtelleries et restaurations de France (GHR), Groupement national de la restauration (GNR), Boulangers de Paris, Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie et traiteurs (CFBCT), Saveurs Commerce.
* 17 Art. R. 3262-9 du code du travail.
* 18 Art. R. 3262-10 du code du travail.
* 19 Loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.
* 20 Article 6 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022.
* 21 Loi n° 2023-1252 du 26 décembre 2023 visant à prolonger en 2024 l'utilisation des titres restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables.