II. UNE PROPOSITION UTILE POUR MIEUX COORDONNER, SOUTENIR DANS LA DURÉE ET ACCOMPAGNER LES INSTRUMENTS EXISTANTS EN CRÉANT UNE VÉRITABLE POLITIQUE DE VOISINAGE ULTRAPÉRIPHÉRIQUE
A. UN TEXTE QUI VISE À RÉPONDRE AUX DIFFICULTÉS QUI INHIBENT ET COMPLIQUENT L'INSERTION RÉGIONALE DES OUTRE-MER.
1. Lever les freins et réduire les asymétries des accords de coopération régionale
Le premier obstacle à l'insertion régionale des RUP, repéré quasi-unanimement, porte sur les accords de partenariat économique (APE) négociés par l'Union européenne avec les pays ACP (Afrique - Caraïbes - Pacifique). La non-prise en compte des intérêts des outre-mer, et des RUP en particulier, est pointée. Les vulnérabilités des économies ultramarines sont oubliées et ces accords exposent les outre-mer à une concurrence accrue.
Les accords les plus asymétriques sont dénommés « négativistes », ce qui signifie que la RUP concernée ne peut pas exporter dans le territoire voisin, alors que l'inverse est possible.
De tels accords asymétriques existent partout, y compris dans l'océan Indien. Ainsi, les droits de douane que doit payer La Réunion pour exporter sont extrêmement et délibérément prohibitifs, afin de favoriser le développement des États voisins. En sens inverse, les importations vers La Réunion ou Mayotte sont exonérées de droits de douane.
Les accords prévoient souvent des clauses de sauvegarde, mais celles-ci demeurent complexes à activer et provisoires. Des clauses miroirs sont parfois demandées, notamment en matière de normes environnementales ou sanitaires. Mais le principe de simple équivalence offre une garantie partielle.
2. Intégrer les RUP au processus décisionnel européen
Les auteurs de la proposition visent à remédier au constat que les outre-mer sont le plus souvent absents ou en retrait du processus décisionnel européen.
Les négociations ACP-UE n'intègrent pas de groupe de travail RUP. La conférence des présidents des RUP plaide depuis de nombreuses années pour y remédier, en particulier depuis les premiers APE en 2000.
Une résolution du Parlement européen demandait en 2021 à la Commission européenne de « s'assurer que les RUP bénéficient pleinement des accords internationaux conclus entre l'Union et les pays tiers en créant une task force « Conséquence de la politique commerciale sur les RUP » qui associerait de manière effective les RUP, y compris les représentants des filières RUP »14(*).
Malgré cette résolution, dans sa communication du 3 mai 2022, la Commission européenne tendait à renvoyer aux États membres le soin d'associer les RUP lors de l'élaboration de leur position sur les accords commerciaux.
L'exemple de la signature de l'APE avec la zone Afrique australe est fréquemment cité par les acteurs économiques réunionnais qui n'ont pas été associés aux négociations.
Récemment, les autorités locales réunionnaises et mahoraises ont découvert tardivement les négociations entre l'Union européenne et Madagascar pour relever le taux de nicotine toléré dans la vanille de Madagascar pour pouvoir entrer sur le marché européen.
La proposition invite à progresser. Quand la volonté politique existe, elle porte ses fruits. Ainsi, c'est à l'initiative du Sénat, qu'une résolution européenne de 2016 avait permis d'alerter sur les effets destructeurs sur la filière des sucres spéciaux réunionnais d'un accord de libre-échange avec le Vietnam. Ensuite, l'accord final avec l'UE avait contingenté les exportations vers l'UE.
Pour que les RUP cessent d'être tenues à l'écart des projets d'accords commerciaux de l'Union, il conviendrait de rendre obligatoires les études d'impact de ces projets sur les RUP et d'y associer ces derniers dès l'ouverture des négociations.
L'article 349 du TFUE justifie que les RUP aient une place à part dans l'architecture des négociations et ne soient pas traités comme un acteur ordinaire de la société civile. Il faut enfin imaginer la possibilité de conclure des accords commerciaux régionaux sur-mesure.
3. Un paquet législatif pour adapter les normes européennes aux spécificités des RUP
Lors de la présentation du rapport d'information précité de la délégation sénatoriale aux outre-mer, le co-auteur de la proposition Georges Patient a souligné que « les outre-mer sont des bulles de droit européen au milieu d'océans régis par des traditions juridiques très différentes. »
Le droit européen protège, bien souvent, mais il isole également, alimentant ainsi le lien de dépendance à l'égard de la métropole et de l'Europe. Un des effets collatéraux est le renchérissement des coûts d'approvisionnement.
Ce qui a heureusement été fait pour les matériaux de construction - avant même que l'extrême urgence s'impose à Mayotte - doit pouvoir être reproduit.
Le règlement (UE) 2024/3110 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2024 établissant des conditions harmonisées de commercialisation pour les produits de construction et abrogeant le règlement (UE) 305/2011, publié au Journal officiel de l'Union européenne le 18 décembre 2024, laisse en effet aux États membres la faculté d'exempter leurs RUP du respect du marquage CE au profit d'un marquage local.
Il y a ainsi une vraie prise en compte des réalités locales :
- les produits de construction mis sur le marché dans les RUP sont souvent importés des pays voisins et ne sont donc pas soumis aux exigences du droit de l'Union européenne ;
- soumettre ces produits de construction aux normes européennes représente un coût disproportionné pour les entreprises ;
- les produits de construction fabriqués dans les RUP circulent difficilement vers les autres États membres compte tenu de l'éloignement.
Une telle adaptation devrait pouvoir s'appliquer à d'autres secteurs, par exemple en matière de transfert des déchets pour permettre le développement de filières de traitement des déchets à l'échelon régional15(*). De même, en matière agro-alimentaire, certaines normes européennes pourraient être assouplies pour faciliter les échanges intra-régionaux.
Une telle adaptation peut être obtenue par l'adoption d'un « paquet législatif RUP » proposé par le présent texte. L'objectif serait de passer en revue les différentes législations européennes qui créent des obstacles réglementaires à l'insertion économique des RUP dans leur environnement, en tenant le plus grand compte des remontées de terrain des acteurs politiques, économiques et sociaux.
Ce travail transversal aboutirait à la présentation d'un paquet de directives et règlements portant « diverses dispositions relatives aux RUP », en vue de lever les freins à leur développement économique endogène.
* 14 Résolution du Parlement européen du 14 septembre 2021 « Vers un renforcement du partenariat avec les régions ultrapériphériques de l'Union » - 2020/2120(INI).
* 15 Cf. la résolution européenne du Sénat (n°67, 2022-2023) sur la gestion des déchets dans les outre-mer, du 25 juillet 2023, adoptée sur le rapport de Mmes Marta de Cidrac et Gisèle Jourda.