B. DES INSTRUMENTS PUISSANTS MAIS INSUFFISAMMENT COORDONNÉS
1. Les « stratégies » de la Commission européenne à l'égard des RUP
La Commission européenne publie tous les cinq ans des documents de « stratégies » relatives aux RUP, l'ensemble des thématiques les concernant étant alors couvertes dans un document programmatique.
Un document de ce type, intitulé « Un partenariat stratégique renouvelé et renforcé avec les régions ultrapériphériques de l'Union européenne », avait ainsi été publié en octobre 20176(*), puis évalué à mi-parcours en 20207(*).
Le 3 mai 2022, la Commission européenne a adopté une nouvelle communication relative aux RUP, intitulée « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive, libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l'Union »8(*). En s'appuyant sur cette communication, le Conseil a adopté, pendant la présidence française du Conseil de l'Union européenne et pour la première fois, des conclusions entièrement consacrées aux RUP9(*).
Dans ces conclusions, le Conseil se félicitait « de l'initiative de la Commission visant à recenser les domaines clés de coopération par bassin » et invitait les États membres concernés à promouvoir la coopération dans ces domaines entre les régions ultrapériphériques et les pays et territoires d'outre-mer, ainsi qu'avec les pays tiers.
Et de souligner « l'importance que revêtent les régions ultrapériphériques pour les relations extérieures de l'UE, car elles permettent de faire rayonner les intérêts et les valeurs de l'UE dans leurs zones géographiques » et « l'importance qu'il y a à mieux intégrer les régions ultrapériphériques aux projets de coopération multilatérale ».
Enfin, la Commission était expressément invitée « à préserver les intérêts des régions ultrapériphériques, notamment dans le cadre de négociations commerciales avec des pays tiers ».
La présente proposition fait largement écho à cette stratégie, censée encore prévaloir aujourd'hui, avec des résultats contrastés.
2. L'évaluation à mi-parcours de la stratégie pour les RUP : un bilan contrasté
La Commission européenne a publié le 3 octobre dernier un rapport sur la mise en oeuvre de la stratégie de 202210(*).
Celui-ci souligne que depuis 2019, la Commission a pris en compte les spécificités des régions ultrapériphériques dans une centaine de politiques, d'actes législatifs et de programmes de l'UE. Il reconnaît que la stratégie de 2022 « affiche un niveau d'ambition plus élevé que les stratégies précédentes, avec un champ d'application plus large ».
C'est aussi la raison pour laquelle aucun « paquet RUP » ni « stratégie » n'est inscrit au programme de travail de la Commission européenne pour 2025, qui recense les initiatives et priorités nouvelles de la Commission.
On peut le regretter, tout en attirant l'attention sur la consultation publique que ne devrait pas manquer d'ouvrir prochainement la Commission européenne, dans le cadre de l'évaluation à mi-parcours de cette stratégie, concomitante avec celles des principaux fonds régionaux, mentionnée dans le programme de travail pour cette année, dans la perspective de la préparation du prochain CFP. Il est essentiel que les acteurs concernés, institutionnels, politiques, administratifs, économiques et représentants de la société civile des RUP, participent massivement à cette consultation en ligne, qui devrait être pilotée par la direction générale de la politique régionale et urbaine (DG REGIO).
C'est en effet celle-ci qui a la main sur les principaux fonds structurels, qui jouent un rôle majeur outre-mer.
3. Le rôle clé des fonds de la politique de cohésion
Le rapport de la Commission précité montre que les fonds de la politique de cohésion jouent un rôle clé dans le soutien aux régions ultrapériphériques.
Dans le cadre du Fonds européen de développement régional (FEDER), du Fonds de cohésion et du Fonds social européen plus (FSE+), ces régions bénéficient des taux de cofinancement les plus élevés, d'une allocation spécifique supplémentaire et d'exceptions pour des investissements tels que ceux concernant les ports, les aéroports et le traitement des déchets résiduels.
Ainsi, dans le cadre du budget de l'UE pour la période 2021-2027, la Commission a affecté au total 16 milliards d'euros aux régions ultrapériphériques au titre des fonds de la politique de cohésion, de l'agriculture et de la pêche, soit une augmentation notable par rapport aux 13 milliards d'euros de la période 2014-2020.
Toutefois, le rapport de la Commission constate que des « défis majeurs subsistent en ce qui concerne les conditions de vie, les perspectives et le développement » dans les régions ultrapériphériques. Comme le souligne le neuvième rapport sur la cohésion11(*), la plupart de ces régions souffrent encore d'un faible PIB par habitant (inférieur à 75 % de la moyenne de l'UE), de disparités économiques, d'un taux de chômage plus élevé (en particulier chez les jeunes) et d'un niveau d'instruction plus faible.
Mayotte, qui est devenue la dernière région ultrapériphérique en 2014, est la région la plus pauvre de l'UE, avec un PIB par habitant inférieur à 30 % de la moyenne européenne.
La plupart de ces régions sont également confrontées à des défis démographiques, tels que le vieillissement de la population et l'exode des jeunes.
Néanmoins, la Commission estime que « la mise en oeuvre de la communication de 2022 est en constante progression » et affiche des « progrès significatifs » accomplis dans le cadre de « nombreuses politiques, fonds, programmes et outils de l'UE ».
4. Un outil majeur de coopération régionale : INTERREG
La Commission a renforcé la dimension extérieure des programmes Interreg 2021-202712(*) pour les régions ultrapériphériques en prévoyant que les projets devraient associer au moins un pays partenaire voisin et/ou PTOM.
Au cours de la période 2014-2020, les RUP ont développé plusieurs projets Interreg pour relever des défis communs, par exemple la lutte contre les sargasses, un système de prévention et de gestion des risques, intégrant un protocole d'intervention d'urgence en cas de catastrophes régionales, mais aussi la protection de la biodiversité, les transports et la santé.
Ces projets se poursuivent dans le cadre des programmes 2021- 2027, qui consacrent plus de 19 millions d'euros notamment à l'adaptation au changement climatique, avec le programme PIROI dans l'océan Indien13(*), qui avait, dès avant le passage dévastateur du cyclone Chido, mené 67 opérations d'urgence et porté assistance à deux millions de personnes.
Parmi d'autres réalisations régionales remarquables obtenues grâce à Interreg, on peut souligner :
- le projet FORMA'TERRA, qui favorise les échanges dans la formation agricole entre La Réunion, Maurice, Madagascar et les Seychelles ;
- et le projet SARG'COOP, qui encadre la coopération de l'ensemble des territoires caribéens dans leur combat contre les sargasses.
Le programme Interreg, géré par la DG REGIO, est l'outil financier incontournable de la coopération régionale : 63 millions d'euros pour 2021-2027 sur le seul programme dédié à l'océan Indien et 10 millions d'euros pour le programme du canal du Mozambique. Quant au bassin Caraïbe, il a bénéficié de 67 millions d'euros et l'Amazonie, de 19 millions d'euros. Sans Interreg, la coopération régionale ne serait pas financée.
Au total, 329 millions d'euros seraient affectés au voisinage des RUP par cet instrument pour le présent CFP, avec un taux de programmation qui pourrait être amélioré, celle-ci ayant démarré assez lentement : ce taux serait de 27 % pour l'océan Indien et n'aurait pas encore démarré pour le programme concernant le canal du Mozambique. Après avoir fait face aux urgences dues aux réponses pressantes à apporter aux dévastations du cyclone Chido, il est espéré que la programmation démarre rapidement et atteigne sa vitesse de croisière.
Le taux d'exécution pour le programme Interreg au titre du précédent CFP 2014-2020 est considéré dans la plupart des cas comme « très satisfaisant » par les services de la Commission, soit 100 % en Amazonie, 87 % pour l'océan Indien et 83 % pour les Caraïbes. Une exception regrettable est à signaler pour Mayotte où 10 millions d'euros n'auraient pas été utilisés.
Il faut espérer que la dévolution du rôle d'autorité de gestion au Conseil départemental pour le FEDER lors du présent CFP entraînera également une meilleure utilisation du potentiel INTERREG.
5. L'instrument NDICI, géré par la DG INTPA
Le nouvel instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale, dit « NDICI », est géré par la direction générale de la Commission européenne chargée des partenariats internationaux, dite « DG INTPA ».
Ainsi, ses crédits alimentent les projets portés par la commission de l'océan Indien (COI), majoritairement financée par l'Union européenne.
Grâce à ce financement, 87 millions d'euros ont été versés sur la période 2018-2022 pour créer et développer des projets très concrets dans le bassin de l'océan Indien, par exemple visant à renforcer la sécurité ou lutter contre la pêche illégale.
Cet instrument intervient en complément de l'aide bilatérale très importante de la France et de l'Union européenne. Dans le bassin de l'océan Indien, l'île Maurice, Madagascar, les Comores ou la Tanzanie en sont particulièrement bénéficiaires.
Son degré de coordination avec les actions financées par les fonds de cohésion et notamment Interreg, gérés par la DG REGIO, paraît nettement perfectible.
6. La stratégie « Global Gateway » paraît souffrir d'une insuffisante lisibilité
Cette stratégie de « connectivité » au sens large, lancée par la Commission européenne dès 2021, et censée couvrir au niveau mondial pas moins de 300 milliards d'euros d'investissements dans le présent CFP, a été conçue au départ par la présidente de la Commission, Mme von der Leyen, comme une réponse européenne aux « nouvelles routes de la soie » chinoises.
Elle est également gérée par la DG INTPA, mais il semble que les projets d'investissements labellisés « Global Gateway » dans les zones régionales des RUP ne soient destinataires que d'un montant assez faible par rapport à l'enveloppe globale. La Commission européenne ne s'engage que sur de grands projets multibailleurs pour favoriser un effet de levier, en associant le secteur privé.
Les cinq objectifs de Global Gateway
1°) Dans le domaine du numérique :
Déploiement de réseaux d'infrastructures numériques (câbles sous-marins) ;
Mise en commun de bases d'échanges de données et de coopération dans le domaine de l'IA ;
Assistance européenne dans la protection des données et la cybersécurité.
2°) Climat et énergie :
Soutien à la transition vers la production d'énergie propres ;
Soutien à l'intégration énergétique régionale, à l'interconnexion ;
3°) Transports :
Investissements dans des infrastructures d'échelle mondiale ;
Aide à la diversification des chaînes d'approvisionnement.
4°) Santé :
Là aussi, soutien aux chaînes d'approvisionnement par exemple pour les vaccins ;
Contribution de l'Autorité de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (HERA).
5°) Éducation et recherche :
Investissements dans les outils numériques d'apprentissage ;
Facilitation de la mobilité des étudiants.
La lutte contre les sargasses ou les projets de corridor vert maritime en bénéficient, parmi d'autres projets orientés vers la résilience des régions concernées à l'égard des changements climatiques.
Exemples de projets « Global Gateway »
1°) Dans les Caraïbes
Faire face à la menace des sargasses
Investissements dans les énergies géothermiques, solaires et éolienne
2°) Dans le bassin Pacifique
Soutien financier à l'Alliance Bleue-Verte pour le Pacifique : jusqu'à 20 millions d'euros mobilisés pour aider la région à faire face aux effets du dérèglement climatique et pour la résilience.
3°) Dans le bassin de l'océan Indien
Soutien financier aux zones rurales de Madagascar pour la mise en place de réseaux électriques, en coopération avec l'AFD pour un montant total de 36 millions d'euros.
Toutefois, l'approche « équipe Europe » mise en avant par la Commission semble perfectible, notamment quant à la coordination de ses services avec les actions du Service européen d'Action extérieure (SEAE), qui dépend de la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, vice-présidente de la Commission européenne, chargée de coordonner et mettre en oeuvre la politique étrangère et de sécurité de l'UE.
C'est à ce déficit de coordination et de vision d'ensemble que la présente proposition entend opportunément apporter une réponse
* 6 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social, au Comité des régions et à la Banque européenne d'investissement du 17 octobre 2017, intitulée « Un partenariat stratégique renouvelé et renforcé avec les régions ultrapériphériques de l'Union européenne » - COM (2017) 613 final.
* 7 Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social, au Comité des régions et à la Banque européenne d'investissement du 23 mars 2020 relatif à la mise en oeuvre de la communication de la Commission intitulée « Un partenariat stratégique renouvelé et renforcé avec les régions ultrapériphériques de l'Union européenne » - COM(2020) 0104.
* 8 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 3 mai 2022 « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive, libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l'Union », - COM(2022) 198 final.
* 9 Communication de la Commission intitulée « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive, libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l'Union » : Conclusions du Conseil de l'Union européenne du 30 mai 2022 - 8781/22 (COM (2022) 198 final).
* 10 Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur la mise en oeuvre de la communication « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive, libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l'Union », le 3 octobre 2024 - COM(2024) 435 final.
* 11 Neuvième rapport sur la cohésion économique, sociale et territoriale au sein de l'UE, 27 mars 2024, COM(2024) 149 final.
* 12 Les zones régionales fléchées du canal du Mozambique, des Caraïbes, de l'océan Indien et de l'Amazonie concernent au premier chef les RUP françaises ; la Macaronésie intéresse les Canaries et Madère.
* 13 La plateforme d'intervention régionale dans l'océan Indien (PIROI), support d'intervention à vocation régionale de préparation et de réponse aux catastrophes, a pour objectif principal de réduire la vulnérabilité des populations faces aux risques et aux conséquences des catastrophes naturelles dans la zone sud-ouest de l'océan Indien.