EXAMEN PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
En première lecture, l'Assemblée nationale n'ayant pas adopté la première partie du projet de loi, celui-ci est considéré comme rejeté en application du troisième alinéa de l'article 119 du Règlement de l'Assemblée nationale.
En conséquence, sont considérés comme rejetés les crédits de la mission « Outre-mer ».
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 4 novembre 2025, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de MM. Georges Patient et Stéphane Fouassin, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Outre-mer ».
M. Claude Raynal, président. - Nous terminons nos travaux par l'examen du rapport spécial sur la mission « Outre-mer ». Nous accueillons Micheline Jacques, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Je vous prie d'excuser l'absence de notre collègue Teva Rohfritsch, rapporteur pour avis de la commission des lois.
M. Stéphane Fouassin, rapporteur spécial de la mission « Outre-mer ». - Mes chers collègues, je vous prie d'excuser mon collègue rapporteur spécial Georges Patient, qui est souffrant ; il sera parmi nous la semaine prochaine.
Le principal objectif de la mission « Outre-mer » du budget général de l'État est le rattrapage des écarts entre les territoires d'outre-mer et la métropole.
Il est d'autant plus important qu'un grand nombre de territoires ultramarins traversent actuellement une crise aiguë. Ainsi, le passage du cyclone Chido et de la tempête Dikeledi, à Mayotte, a entraîné des dégâts chiffrés à 3,4 milliards d'euros sur les infrastructures, accompagnés de pertes d'activité économique s'élevant à près de 500 millions d'euros. À La Réunion, le cyclone Garance a causé des dégâts d'un montant proche de 850 millions d'euros. En Nouvelle-Calédonie, les émeutes de 2024 ont entraîné des destructions d'un coût supérieur à 2 milliards d'euros.
La crise de la « vie chère » frappe également un grand nombre de nos concitoyens ultramarins, en particulier en Martinique. Selon l'Insee, en 2022, les prix sont plus élevés en outre-mer que dans l'Hexagone : de 15,8 % en Guadeloupe, de 13,7 % en Guyane ou encore de 8,9 % à La Réunion. Cette situation n'est pas viable et engendre des frustrations fortes parmi les populations. L'État peut contribuer à trouver des remèdes face à cette situation, conjointement avec les collectivités. Un projet de loi relatif à ce sujet a d'ailleurs été récemment discuté ici, au Sénat.
Dans ces conditions, le budget proposé pour la mission « Outre-mer » ne permet pas, dans sa version actuelle, de répondre aux enjeux des territoires ultramarins.
Il s'élève à 2,91 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 2,83 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une baisse de 5,4 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2025. Le budget spécifique aux Ultramarins perd ainsi 628 millions d'euros en AE et 183 millions d'euros en CP.
La difficulté principale est la baisse de 340 millions d'euros sur le programme 138 « Emploi outre-mer », qui porte les compensations d'exonérations sociales spécifiques aux outre-mer, dites exonérations « Lodéom ». Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 prévoit en effet, à l'article 9, une réforme de ces exonérations, qui entraîne une baisse de la compensation portée par le programme 138. Ainsi, le barème d'« innovation et croissance » appliqué à certaines entreprises serait supprimé ; le régime spécifique de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin serait aligné sur celui des départements et régions d'outre-mer (Drom) ; enfin, les exonérations prévues sur les rémunérations supérieures à 2 Smic seraient réduites.
Une telle réforme occasionnerait une hausse de 5 % à 8 % de la masse salariale pour les entreprises, pour un coût total évalué à 340 millions d'euros. Dans le contexte qui prévaut actuellement à La Réunion, à Mayotte ou encore dans les Antilles, la réforme est difficilement soutenable pour les entreprises. Nous espérons que les discussions à venir permettront de faire évoluer le projet de loi de financement de la sécurité sociale et, par voie de conséquence, la budgétisation du programme 138.
Concernant le reste de la mission, mon collègue Georges Patient et moi-même saluons la hausse des dotations aux collectivités territoriales, qui s'élèvent à 453 millions d'euros.
En particulier, le présent projet de loi prévoit une dotation de 200 millions d'euros en AE et de 125 millions d'euros en CP pour Mayotte. Cette dotation est opportune pour financer la reconstruction du territoire et mettre en oeuvre la stratégie quinquennale de refondation, adoptée par notre assemblée au mois de juin dernier.
Par ailleurs, 30 millions d'euros sont destinés à financer la réponse aux dégâts occasionnés par le passage du cyclone Garance à La Réunion au mois de février dernier.
Enfin, ce sont 10 millions d'euros qui sont prévus pour la Nouvelle-Calédonie. Les besoins du territoire calédonien ont été évalués à 110 millions d'euros au total, soit un montant inférieur à la dotation de reconstruction de 200 millions d'euros adoptée en loi de finances initiale pour 2025. Toutefois, les crédits de paiement prévus pour 2025 et 2026 ne sont pas suffisants pour couvrir ces besoins.
Nous déplorons également la baisse des dotations spéciales d'équipement scolaire et de construction et d'équipement des établissements scolaires qui sont versées à Mayotte et à la Guyane - cette dernière perd à elle seule 43 millions d'euros en AE et 7 millions d'euros en CP à ce titre.
Par ailleurs, la dotation du fonds de secours outre-mer est largement rehaussée, ce que nous saluons : elle passe de 10 millions à 17 millions d'euros, en partie pour répondre aux besoins des producteurs réunionnais de canne à sucre, qui ont largement souffert du passage du cyclone Garance. Le fonds de secours outre-mer est d'ailleurs réformé, puisque sa part consacrée aux collectivités relèvera désormais de la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques.
Concernant les contrats de convergence et de transformation (CCT), que nous avons évoqués ensemble au mois d'octobre par un rapport de contrôle, nous saluons la hausse de 90 millions d'euros des CP qui leur sont alloués. Nous notons toutefois qu'à la troisième des quatre années de contractualisation seuls 46 % des montants contractualisés auront été engagés. Une renégociation des CCT serait d'ailleurs envisagée, ce que nous suivrons avec attention. Nous regrettons en tout cas que l'État ne tienne pas ses engagements, alors que les collectivités et les porteurs de projets se sont investis localement.
Le fonds exceptionnel d'investissement, le fameux FEI, perd quant à lui 31 millions d'euros, dans une optique de redressement des comptes publics. Ce sont autant de projets d'investissements locaux nécessaires à la population qui ne pourront être réalisés.
J'en viens maintenant aux crédits dédiés à la politique de continuité territoriale, qui augmentent de 2,5 millions d'euros, ce que nous saluons. Nous notons toutefois que les dispositifs de mobilité votés en loi de finances initiale pour 2024 n'ont toujours pas été mis en oeuvre, faute de publication du texte d'application. Les crédits prévus pourraient ne pas suffire à répondre à l'ensemble des demandes. Par ailleurs, les moyens de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom) sont rabotés de 2,5 millions d'euros et surtout de 5 emplois, alors que la situation financière de l'agence est déjà fragile, celle-ci ne parvenant pas à répondre à l'ensemble des demandes de subvention qui lui sont adressées.
Je relève par ailleurs, comme chaque année, que la dotation de continuité territoriale de la Corse est de 187 millions d'euros, soit un montant trois fois supérieur à celui dont bénéficient les 2,8 millions d'Ultramarins.
Enfin, la ligne budgétaire unique (LBU), qui finance le logement social outre-mer, est diminuée de près de 5 millions d'euros en AE, mais augmentée d'un montant équivalent en CP, ce qui permettra de couvrir une partie des engagements passés.
L'objectif de la LBU est de financer la production de logements sociaux et la résorption de l'habitat indigne ainsi que de venir en aide aux ménages modestes qui doivent mener des travaux de réhabilitation de leur habitation. En particulier, la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer de 2017 avait prévu un objectif de construction de 150 000 logements d'ici à 2027, dont 130 000 logements financés par l'État. Or, en 2024, seuls 80 000 nouveaux logements ont été construits, soit 61 % de la cible. Les efforts en faveur du logement social en outre-mer doivent donc être poursuivis.
En sus des crédits budgétaires, les dépenses fiscales contribuent à la dynamisation de l'économie, à l'attractivité des territoires et à l'effort général de rattrapage de l'écart de niveau socio-économique entre l'outre-mer et la métropole.
Sur les deux programmes de la mission, lesdites dépenses fiscales devraient s'établir, en 2026, à 4,7 milliards d'euros, soit presque deux fois plus que les crédits budgétaires portés par la mission « Outre-mer ». Entre 2025 et 2026, elles enregistrent une hausse de 3,2 %. Cette hausse est sensiblement identique à celle qui fut constatée entre 2024 et 2025.
Nous saluons cette évolution, les outils fiscaux étant indispensables pour permettre le développement économique des territoires ultramarins, ainsi que pour compenser les déséquilibres avec l'Hexagone concernant notamment les prix des biens. Nous suivrons d'ailleurs avec attention les modifications qui pourraient être apportées par le présent projet de loi de finances au régime d'exonérations fiscales dont bénéficient notamment les collectivités ultramarines.
De surcroît, en complément des crédits portés par la mission « Outre-mer » et des dépenses fiscales, les territoires d'outre-mer bénéficient de crédits en provenance d'autres programmes du budget général. Le montant total des contributions budgétaires afférentes s'élève ainsi à 21,9 milliards d'euros. Si l'on exclut la diminution des crédits budgétaires du programme « Service public de l'énergie », qui est compensée par une affectation de taxe, l'effort de l'État ne baisse que de 1,5 % par rapport à 2025.
Cette baisse est essentiellement due à la diminution des crédits de la mission « Outre-mer », dont nous venons de parler, et, dans une moindre mesure, à celle des crédits de la mission « Écologie ».
En particulier, les crédits du fonds vert, dont bénéficient les territoires ultramarins, suscitent des interrogations. Il s'agit d'un financement sur projet, qui est largement utilisé en outre-mer : ainsi, en 2024, 309 dossiers avaient été déposés, pour un montant total de plus de 87 millions d'euros de subventions en AE. À cet égard, la baisse annoncée des crédits abondant le fonds vert est regrettable, alors que les territoires ultramarins sont soumis à des contraintes particulièrement fortes d'adaptation au réchauffement climatique.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, nous sommes très opposés à la réforme des exonérations sociales dites « Lodéom », qui affecte les crédits de la mission. Toutefois, comme cette réforme relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale et non du présent projet de loi de finances, nous nous en remettons à l'avis de la commission concernant l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».
Je me permets néanmoins cette dernière précision : compte tenu de la baisse globale et significative des crédits, Georges Patient et moi-même, rapporteurs spéciaux, ne pourrons pas les voter en l'état.
Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission « Outre-mer ». - Comme beaucoup d'autres, la mission « Outre-mer » voit ses crédits diminuer pour 2026 dans le contexte du nécessaire redressement de nos finances publiques. Contrairement à mes collègues rapporteurs spéciaux de la commission des finances, j'ai néanmoins décidé de soutenir ce budget, et je proposerai à la commission des affaires économiques d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission.
En effet, plus qu'au niveau de la dépense, je m'intéresse à son adaptation aux enjeux. À cet égard, j'attends beaucoup de la mise en application, l'année prochaine, du troisième plan Logement outre-mer et de sa logique territorialisée.
Je souhaite mettre l'accent sur la question normative, que la délégation sénatoriale aux outre-mer connaît bien. Les acteurs du logement nous parlent certes de la LBU et des dispositifs fiscaux, mais ils évoquent aussi les normes d'urbanisme et de construction, ainsi que les normes environnementales, qu'elles soient européennes ou françaises. Oui, nous avons besoin de normes, mais celles-ci doivent s'adapter à l'environnement auquel elles s'appliquent et à l'urgence des situations à traiter.
L'idée d'un marquage « régions ultrapériphériques » dérogeant au marquage « CE » dans le domaine de la construction a connu de récentes avancées, mais doit encore trouver une concrétisation à des échelles plus globales pour aboutir, le cas échéant, à une baisse des coûts de construction des logements. Je compte sur le Gouvernement pour appuyer, en la matière, la démarche de la délégation aux outre-mer au sein de l'Union européenne.
Du reste, un autre sujet me paraît primordial s'agissant de compenser le manque d'investissement dans nos territoires ultramarins, à savoir la trop faible mobilisation des crédits européens ; nous devons approfondir cette piste.
À titre purement personnel, je souhaite appeler l'attention de nos collègues sur l'impact que pourrait avoir la modification des exonérations de charges patronales spécifiques à Saint-Barthélemy sur le budget global. Il faut savoir que ces exonérations tiennent compte du coût des loyers à Saint-Barthélemy, seule collectivité d'outre-mer à ne percevoir aucune dotation globale de compensation, puisqu'elle verse chaque année à l'État une dotation négative de 3 millions d'euros. Le taux de chômage y est en outre de 1,9 % : cette collectivité fonctionne bien. En voulant faire 15 millions d'euros d'économies, on risque de la faire basculer dans la dynamique qui est celle des autres territoires ultramarins.
J'appelle donc la commission à la plus grande prudence à propos de ce dispositif.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'espère que ma crainte ne se justifiera pas, mais j'ai le sentiment que le point de tension que l'on observe pour ces crédits, entre le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), constitue un mauvais signe pour ce qui risque d'arriver à l'échelle de tout le pays. D'après les remarques du rapporteur spécial, ce point de tension semble avoir une incidence sur son avis.
Je souhaite que les crédits soient adoptés. Cependant, il nous faut être vigilants, sans quoi plus personne n'y comprendra rien, qu'il s'agisse des habitants, des médias ou de nos collègues. Nous ferons ce qu'il faut pour prendre en compte les demandes présentées par les deux rapporteurs spéciaux. Dans le climat actuel, tout à fait inédit sous la Ve République, nous devons veiller à ce que le sérieux budgétaire puisse être compris et observé depuis l'extérieur.
M. Thierry Cozic. - Nos collègues élus d'outre-mer éprouvent une grande inquiétude, voire de la colère, devant ce budget, dont certains annoncent qu'il serait « cataclysmique » s'il était adopté en l'état.
Étranglés budgétairement, les outre-mer pourraient perdre près de 628 millions d'euros en AE, soit 18 % de leur budget, qui repasserait sous la barre des 3 milliards d'euros. Selon le bleu budgétaire, la programmation est plus sombre encore puisque la baisse des autorisations d'engagement dévolues à ces territoires atteindrait 24 % d'ici à 2028 par rapport à 2025. Si rien n'est fait pour enrayer cette logique mortifère, ce budget retrouverait son niveau d'il y a cinq ans d'ici à trois ans, ce qui signifierait huit ans perdus !
Le Gouvernement présente un budget indigent, rognant de 10 % les aides au logement et de 23 % en AE les crédits alloués aux collectivités locales et à l'aménagement du territoire, et divisant par deux le montant du FEI, qui finance les projets structurants.
Par ailleurs, il faut ajouter à ces baisses les 300 millions d'euros d'économies pour 2028 obtenus avec la réforme des dispositifs de défiscalisation, prévue par l'article 7 du PLF, et la réforme du dispositif d'exonération des charges sociales et des allégements généraux, inscrite à l'article 9 du PLFSS, qui impacte le programme 138.
En l'état, nous ne voterons pas les crédits de la mission.
M. Stéphane Fouassin, rapporteur spécial. - Georges Patient et moi nous en remettons à l'avis de la commission, mais nous voterons contre l'adoption des crédits de la mission.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je propose de voter favorablement, sachant que certains points doivent être améliorés.
La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Outre-mer ».
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Réunie à nouveau le mercredi 26 novembre 2025, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé définitivement ses votes émis sur toutes les missions, tous les budgets annexes, tous les comptes spéciaux et les articles rattachés aux missions, ainsi que les amendements qu'elle a adoptés, à l'exception des votes émis pour les missions « Action extérieure de l'État », « Aide publique au développement », « Cohésion des territoires », « Culture », « Immigration, asile et intégration », « Investir pour la France 2030 », « Monde combattant, mémoire et liens avec la nation », « Sport, jeunesse et vie associative », ainsi que des comptes spéciaux qui s'y rattachent.