EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ

ARTICLE 79

Suppression de la prise en compte de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) en revenu professionnel dans le calcul de la prime d'activité

Aujourd'hui, les bénéficiaires de l'AAH peuvent bénéficier de la prime d'activité ; dans ce cas l'AAH est comptabilisé comme un revenu professionnel. Le présent article vise à supprimer cette dérogation favorable aux personnes concernées, ce qui aboutirait à priver de la prime d'activité 87 % des bénéficiaires actuels des deux prestations.

Considérant que cette mesure est incohérente au regard de l'objectif d'intégration des personnes handicapées dans le monde du travail, la commission des finances propose de supprimer cet article.

I. LE DROIT EXISTANT : L'ALLOCATION AUX ADULTES HANDICAPÉS EST COMPTABILISÉE COMME UN REVENU PROFESSIONNEL POUR LE CALCUL DE LA PRIME D'ACTIVITÉ

A. LA PRIME D'ACTIVITÉ EST OUVERTE AUX BÉNÉFICIAIRES DE L'AAH QUI EXERCENT UNE ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE

La prime d'activité est ouverte aux jeunes actifs dès 18 ans, français ou européen, ainsi qu'aux personnes titulaires d'un titre de séjour depuis au moins cinq ans les autorisant à travailler. Elle est également ouverte aux étudiants, aux stagiaires et aux apprentis ayant perçu, au cours des trois derniers mois, un salaire mensuel supérieur à 78 % du SMIC.

Elle a également été ouverte à compter du 1er juillet 201631(*) aux bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) qui travaillent en établissements et services d'aide par le travail (ESAT) ou en milieu ordinaire.

Le montant de l'AAH est comptabilisé comme un revenu professionnel pour le calcul de la prime d'activité.

En 2024, 108 000 personnes ont ainsi cumulé l'AAH et la prime d'activité. Parmi ces allocataires, 67 % travaillent au sein d'un établissement ou service d'aide par le travail (ESAT), et 33 % travaillent en milieu ordinaire.

B. BIEN QU'ELLE S'ACCOMPAGNE D'EFFETS DE BORD, LA PRISE EN COMPTE DE L'AAH COMME UN REVENU PROFESSIONNEL EST FAVORABLE AUX PERSONNES CONCERNÉES

1. Une prise en compte de l'AAH dans le calcul de la prime d'activité

Aux termes de l'article L. 842-3 du code de la sécurité sociale (CSS), le calcul de la prime d'activité est égal à la différence ci-dessous :

Le montant forfaitaire de la prime d'activité, fixé à 633,21 euros en 2025, est revalorisé chaque année. La prise en compte des revenus professionnels de part et d'autre de la soustraction - assorti d'un coefficient de 59,85 % d'un côté, permet au montant de la prime d'augmenter avec la hausse des revenus, bien que moins rapidement. C'est cette « pente » qui permet d'éviter que la prime d'activité ne constitue un frein au travail.

En tant que prestation sociale, l'AAH est naturellement prise en compte dans les ressources du foyer. Or l'article L. 842-8 du CSS prévoit également une prise en compte - dérogatoire - de cette allocation au titre des revenus professionnels, à condition que les revenus qu'ils tirent de cette activité soit au moins égaux à 29 fois le montant du salaire minimum de croissance (SMIC) horaire, soit environ un quart de SMIC mensuel.

Cette prise en compte permet d'aggrandir la différence entre les deux termes de la soustraction et d'augmenter le niveau de la prime d'activité pour les bénéficiaires de l'AAH.

2. Une dérogation qui n'est pas sans créer quelques incohérences

Dans l'évaluation préalable du présent article, le Gouvernement souligne des incohérences dans les situations de cumul de la prime d'activité et de l'AAH.

Le Gouvernement indique d'abord que la prime d'activité visait initialement les travailleurs non-handicapés, éligibles si leurs ressources sont trop faibles au revenu de solidarité active (RSA) et non à l'AAH. Le montant du RSA étant purement différentiel (il diminue à due concurrence de l'augmentation des revenus du bénéficiaire), cette prestation aurait risqué de constituer une trappe à inactivité et à pauvreté en l'absence de la prime d'activité (qui augmente avec les revenus, bien que plus faiblement). Cette justification n'existerait pas s'agissant de l'AAH, qui intègre elle-même cette dimension d'intéressement au travail par le biais d'abattements spécifiques, si bien que le cumul AAH-prime d'activité fait, selon le Gouvernement, « conceptuellement double emploi ».

Le Gouvernement ajoute que, dans le système actuel, le cumul entre AAH et prime d'activité peut souffrir d'effets de bord, dans la mesure où il ne permet pas de garantir que les ressources globales du foyer augmentent bien à mesure que progresse la rémunération.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : LA SUPPRESSION, POUR LE CALCUL DE LA PRIME D'ACTIVITÉ, DE LA COMPTABILISATION DE L'AAH PARMI LES REVENU PROFESSIONNELS

Le présent article abroge l'article L. 842-8 du code de la sécurité sociale à compter du 1er avril 2026.

Il précise toutefois que, pour les personnes qui bénéficiaient de l'AAH et de la prime d'activité au 31 mars 2026, ce bénéfice leur serait conservé pendant le trimestre suivant ; il s'éteindrait donc au plus tard au 30 juin 2026.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION : LA SUPPRESSION D'UNE MESURE INJUSTE ET INCOHÉRENTE AVEC L'OBJECTIF D'INTÉGRATION DES PERSONNES HANDICAPÉES DANS LE MONDE DU TRAVAIL

A. LES ÉCONOMIES ATTENDUES DE CETTE MESURE SUR LES FINANCES NE JUSTIFIENT PAS D'APPAUVRIR DES PERSONNES VULNÉRABLES

La mesure proposée, en retirant le montant de l'AAH des revenus professionnels, va diminuer la différence entre les deux termes de la soustraction sur laquelle est fondé le calcul de l'AAH et va, dans les faits, réduire les revenus de nombreuses personnes en situation de handicap, alors même que beaucoup vivent déjà sous le seuil de pauvreté.

Outre des arguments techniques déjà évoqués supra, le Gouvernement justifie cette mesure par son impact budgétaire positif : les moindres dépenses attendues de sa mise en oeuvre s'établissent ainsi à 90 millions d'euros en 2026, soit 225 millions d'euros en année pleine.

Toutefois, les rapporteurs spéciaux estiment que le montant des économies attendues ne justifie pas d'appauvrir des personnes parmi les plus vulnérables de notre société.

En effet, le Gouvernement estime à 108 000 le nombre de personnes qui bénéficieraient à la fois de la prime d'activité et de l'AAH à fin 2024. Parmi eux, plus de 72 000 (soit 67 %) travaillent au sein d'un ESAT, et 36 000 (soit 33 %) travaillent en milieu ordinaire. L'impact de la mesure proposée sur ces travailleurs handicapés cumulant l'AAH et la prime d'activité serait dévastateur : pour ces bénéficiaires, la suppression de la prise en compte de l'AAH comme un revenu professionnel entraîne la perte du bénéfice de la prime d'activité en raison de ressources qui seraient alors trop élevées.

Selon le Gouvernement, 87 % des bénéficiaires cumulant les deux prestations perdraient ainsi le bénéfice de la prime d'activité du fait de cette réforme, dont 95 % des travailleurs en ESAT.

Le Gouvernement estime les pertes monétaires à hauteur de 174 euros par mois en moyenne par personne. Cette estimation rejoint les simulations réalisées par les associations de défense des droits des personnes handicapées.

Estimation des pertes monétaires pour plusieurs cas-types

Simulation APF France Handicap : pour un travailleur en ESAT qui touche 1285 euros par mois (844 euros de rémunération ESAT et 441 euros d'AAH), la prime d'activité pourrait être réduite significativement voire purement et simplement supprimée, sachant qu'elle représente entre 150 et 170 euros par mois pour les travailleurs en ESAT.

Simulation FNATH : comparaison entre deux travailleurs en ESAT avec une rémunération directe égale à 10 % du SMIC (cas représentatif de la majorité des travailleurs) :

- pour un travailleur en ESAT sans carte mobilité inclusion (CMI) : pas de droit à la prime d'activité ; perte de 168 euros par mois.

- pour un travailleur en ESAT bénéficiaire de la CMI : diminution du montant de la prime d'activité ; perte de 77 euros par mois.

Source : commission des finances du Sénat, après les auditions conduites par les rapporteurs spéciaux

Ces montants représentent une part importante du revenu global des personnes en situation de handicap concernés, dont les ressources sont déjà modestes.

B. UNE MESURE INJUSTE MAIS ÉGALEMENT INCOHÉRENTE AVEC LES OBJECTIFS DÉFENDUS PAR AILLEURS PAR LES POUVOIRS PUBLICS

Les associations de défense des droits des personnes handicapées ont également souligné que le calcul dérogatoire de la prime d'activité, une exception favorable aux travailleurs handicapés afin de ne pas les décourager d'exercer une activité professionnelle, ne constituait pas un privilège, mais une double reconnaissance : de la valeur du travail, d'une part, et de la situation de handicap, d'autre part.

Le mécanisme d'intéressement de l'AAH ne compensant que partiellement la perte de ressources liée à la reprise d'un emploi, le cumul avec la prime d'activité permet de corriger les effets de seuil et de rendre le travail réellement plus rémunérateur.

Les rapporteurs spéciaux rejoignent pleinement ce constat. Ils relèvent en outre que la mesure proposée par le Gouvernement est totalement incohérente avec son discours sur la nécessaire incitation à l'emploi des personnes handicapées. Il est en effet incompréhensible de pénaliser l'emploi des personnes handicapées alors que les pouvoirs publics affichent l'objectif inverse.

Enfin, les effets désincitatifs dénoncés par le gouvernement résultent davantage de la complexité des barèmes et du manque de coordination entre aides (AAH, prime d'activité, aides au logement, etc.), dont la résolution nécessiterait une réflexion d'ensemble plutôt qu'une mesure de régression sociale.

Enfin, cette mesure injuste pour les personnes concernées paraît d'autant plus superflue que les économies qui en sont attendues pourraient aisément être atteintes par un autre moyen, moins discriminatoire pour les personnes en situation de handicap : une nouvelle mesure paramétrique de baisse de la « pente » de la prime d'activité. En effet, le décret du 29 mars 2025 (diminution de la pente de 1,15 point) ayant généré 290 millions d'euros de moindres dépenses en 2025, une baisse supplémentaire d'environ 0,35 point permettrait aisément de compenser la suppression du présent article, en recentrant la prime d'activité sur les travailleurs les plus modestes.

Une rapide simulation sur le logiciel LexImpact tend à confirmer qu'il s'agit d'une perspective crédible pour une mesure de nature réglementaire, qui peut donc être prise directement par le Gouvernement.

Les rapporteurs spéciaux invitent ainsi la commission à adopter leur amendement FINC.1 de suppression de l'article 79.

Proposition de la commission : la commission des finances propose de supprimer cet article.


* 31 À compter rétroactivement du 1er janvier 2016.

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