B. DANS UN CONTEXTE BUDGÉTAIRE DIFFICILE, LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES DOIT SE CONCENTRER SUR QUELQUES AXES PRIORITAIRES

1. Certains postes de dépenses sont mieux pourvus et ne nécessitent pas de crédits supplémentaires
a) Le déploiement des dispositifs de protection est satisfaisant

Les travaux récents des rapporteurs spéciaux30(*) ont permis de souligner plusieurs réussites dans la mise en oeuvre du Grenelle des violences conjugales.

Ainsi, ils ont noté que le déploiement des « téléphones grave danger » (TGD) semble répondre aux besoins identifiés sur le terrain et atteindre ses objectifs, ajoutant que le nombre relativement important de TGD inactifs (environ un cinquième de l'ensemble des TGD) paraît également satisfaisant à ce stade et ne rend pas nécessaire un nouvel investissement massif dans ce dispositif.

De même, le nombre de bracelets anti-rapprochement (BAR) actifs a fortement augmenté, passant de 267 en septembre 2021 à 784 en avril 2025. Dès lors, il est possible de considérer que le nombre de dispositifs disponibles est actuellement suffisant pour répondre aux besoins des juridictions.

Les rapporteurs spéciaux en ont conclu que, compte-tenu du coût des BAR, de nouveaux investissements dans de tels dispositifs peuvent être considérés comme non prioritaires.

b) L'amélioration de la prise en charge par les CPCA doit passer par une meilleure allocation des moyens

Les rapporteurs spéciaux ont également considéré que le financement des CPCA, qui apparaissent comme un levier de prévention de la récidive, ne devrait pas nécessairement être augmenté, mais devrait être rationalisé en allouant les ressources aux centres selon leur file active.

En effet, le financement des CPCA demeure largement forfaitaire, l'enveloppe de 1,06 million d'euros allouée ces dernières années ne représentant qu'une part marginale des subventions versées en 2024 (5,8 millions d'euros). Il conviendrait d'allouer au maximum les financements en fonction des besoins (les critères utilisés pour répartir l'enveloppe supplémentaire étant à cet égard pertinents).

2. Quels chantiers prioritaires dans la disette budgétaire ?
a) Les dispositifs d'accès aux droits et la prise en charge des victimes peuvent être améliorées

Si les crédits dédiés aux diverses structures d'accueil et de prise en charge ont sensiblement augmenté ces dernières années, ces structures demeurent précaires et insuffisamment déployées.

Évolution des crédits dédiés
au titre des CIDFF, EVARS, LEAO et AJ entre 2020 et 2024

(en millions de crédits de paiement exécutés)

Note : centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), espaces de vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS), lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation (LEAO) et accueils de jour (AJ).

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

(1) Les centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) : un réseau crucial mais fragilisé

Les CIDFF ont accompagné plus de 200 000 femmes en 2024, dont près de 70 % des victimes de violences. Ils constituent à ce titre la première solution d'accueil et d'accompagnement des femmes, qu'elles soient ou non victimes de violences - et donc bien au-delà des seules victimes de violences conjugales. Ils ont à ce titre assuré plus de 2 598 permanences.

Les financements alloués aux CIDFF peuvent être divisés en trois parts :

- d'abord, le financement consacré, via une convention pluriannuelle d'objectifs (CPO), au soutien à l'action de la fédération nationale des CIDFF (FN-CIDFF), qui représente 1,43 million d'euros en 2025 ;

- les financements dédiés aux CIDFF et à leurs fédérations régionales, qui s'élèvent à 6,6 millions d'euros en 2025 ;

- les financements dédiés à des projets spécifiques portés par les CIDFF en complément de leurs missions d'information des femmes sur leurs droits (pour lesquelles ils sont agréés par les préfets de région) : ainsi, les 98 CIDFF ont à ce titre bénéficié, au total, de 9,6 millions d'euros sur le programme 137 en 2022, dont - par exemple - 543 895 euros au titre d'actions de lutte contre les violences, 200 400 euros pour des actions de lutte contre la prostitution ou encore un peu plus d'un million d'euros pour des actions d'accueil de jour (cf. infra).

Si les CIDFF constituent un réseau crucial pour la politique d'égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les violences faites aux femmes, force est de constater qu'il est financièrement fragile.

C'est pourquoi les rapporteurs spéciaux se sont montrés particulièrement attentifs, en entendant la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), à ce que les surcoûts occasionés par la généralisation de la prime dite « Ségur » ne mettent pas les employeurs associatifs en difficultés. Il est ressorti de l'audition de l'administration que les surcoûts liés au « Ségur » ont été couverts par l'État à hauteur de 80 % - c'est à dire au-delà de la part du financement des CIDFF provenant ordinairement de l'Etat.

(2) Les lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation (LEAO) et les accueils de jour (AJ) : une refonte prévue pour 2026

Les LEAO et accueils de jour sont des dispositifs spécialisés dans l'accueil et l'accompagnement des femmes victimes de violences. Ils constituent bien souvent un dispositif de première prise en charge dans le parcours de sortie d'une situation de violences conjugales et dispensent un accompagnement : permanences juridiques, bureaux d'aide aux victimes, etc. Ils interviennent aussi en complémentarité des hébergements pour les femmes victimes de violences.

Il est donc indispensable que ces ressources soient facilement et rapidement identifiables, tant pour les victimes elles-mêmes que pour les professionnels ou partenaires concernés afin de bien orienter les victimes.

La distinction entre
les lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation (LEAO) et les accueils de jour (AJ)

Les accueils de jour (AJ) sont un dispositif permettant un primo-accueil inconditionnel des femmes victimes de violences, en individuel et en collectif, visant à mettre à la disposition des victimes un lieu de proximité ouvert sans rendez-vous durant la journée pour les accueillir, les informer et les orienter ;

Les lieux d'écoute d'accueil et d'orientation (LEAO), permanences associatives sur rendez-vous assurent des missions spécifiques d'accueil, d'information, d'accompagnement et d'orientation des femmes victimes de violences.

Source : SDFE

En 2021, on dénombrait 166 LEAO, répartis dans 95 départements, et 128 accueils de jour. Le montant des crédits exécutés en 2024 pour les deux dispositifs s'élève à 10,5 millions d'euros (soit une augmentation de 4 millions d'euros depuis 2020), dont 5,2 millions d'euros pour les LEAO et 5,3 millions d'euros pour les accueils de jour. Ces moyens avaient légèrement diminué dans le PLF 2025.

Afin de renforcer le pilotage de ce dispositif, un chantier de refonte des AJ et des LEAO a été lancé en novembre 2024. L'objectif est de clarifier les missions de ces deux dispositifs complémentaires, afin de les faire évoluer vers un dispositif commun, dans un souci de meilleure visibilité de l'offre, de lisibilité des interventions et de qualité de la prise en charge.

Les rapporteurs relèvent avec satisfaction que la mise en oeuvre effective de ce nouveau dispositif, qui devrait aboutir en 2026, est l'occasion pour le Gouvernement d'augmenter sensiblement les crédits dédiés aux AJ et aux LEAO : alors que les deux dispositifs représentaient respectivement 3,6 et 5,9 millions d'euros en PLF 2025, le présent projet de loi de finances porte leurs moyens combinés à 13,4 millions d'euros, soit une hausse de 3,9 millions d'euros (+ 40 %) incluant la couverture de la prime Ségur.

b) La mise à l'abri et l'hébergement constituent un axe majeur de progrès

Si la création d'un parc d'hébergement dédié aux femmes victimes de violences est une réalité et s'il s'agit d'un indéniable progrès pour la mise à l'abri et la prise en charge des victimes, les rapporteurs spéciaux ont souligné que la progression du nombre de places dans le parc spécialisé semble avoir été partiellement obtenue par la conversion de places de droit commun préexistantes.

Évolution du nombre de places d'hébergement dans l'ensemble du parc et dans le parc spécialisé pour les femmes victimes de violences

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par le SDFE

La progression du nombre de places d'hébergement dédiées aux victimes de violences conjugales n'est donc sans doute pas complètement sans incidence sur les tensions sur le parc, les victimes de violences patissant souvent elles-mêmes du manque de places d'hébergement disponibles, a fortiori dans des structures spécialisées.

C'est pourquoi les rapporteurs spéciaux considèrent que le développement de solutions de mise à l'abri, d'hébergement et d'accompagnement des victimes dans la durée doit être une priorité, les associations ayant indiqué que l'écrasante majorité des victimes était demandeuse d'un tel accompagnement.

Dans cette optique, le développement et la généralisation du « pack nouveau départ », expérimenté dans cinq départements pilotes, dont celui du Val d'Oise où les remontées de terrain sont particulièrement positives, devrait constituer une priorité.


* 30 Rapport d'information n° 814 (2024-2025), fait par MM. Pierre Barros et Arnaud Bazin au nom de la commission des finances du Sénat, sur l'évolution du financement de la lutte contre les violences faites aux femmes.

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