C. LE GOUVERNEMENT N'APPORTE PAS DE VÉRITABLE RÉPONSE AUX PROBLÈMES IMMÉDIATS
1. Une réforme modeste et insuffisante de l'assurance veuvage
Le
Gouvernement a fait adopter par l'Assemblée nationale un article
additionnel 29
bis
modifiant de manière assez substantielle le
régime de l'assurance veuvage. Cet article résulte d'un
amendement de séance déposé par le Gouvernement et que la
commission des affaires culturelles, familiales et sociales n'a pas pu
examiner.
L'assurance veuvage garantit au conjoint d'un assuré relevant du
régime général ou du régime des salariés
agricoles, âgé de moins de 55 ans, et ayant élevé ou
ayant à sa charge au moins un enfant, une allocation veuvage
dégressive dans le temps, dès lors que ses ressources sont
inférieures ou égales à un plafond, fixé au niveau
très bas de 3.883 francs par mois, allocation comprise.
Lorsque la somme des ressources personnelles et de l'allocation dépasse
le plafond, cette dernière est réduite à due concurrence.
En conséquence, le bénéfice de l'allocation au taux plein
est réservé, la première année, aux personnes dont
les ressources personnelles sont inférieures ou égales à
776 francs par mois. La durée d'attribution est limitée aux
trois années suivant le décès du conjoint, cette
durée étant portée à cinq ans si le
bénéficiaire était âgé d'au moins 50 ans
au moment du décès.
Le montant mensuel maximal de l'allocation est fixé à
3.107 francs par mois la première année, 2.041 francs
par mois la deuxième année et 1.537 francs par mois la
troisième année et, le cas échéant, les deux
années suivantes.
L'allocation veuvage devient ainsi inférieure au RMI dès la
deuxième année, alors qu'elle est une prestation de
sécurité sociale -et non d'assistance- financée par une
cotisation spécifique à la charge du salarié dont le taux
est fixé à 0,1 % du salaire déplafonné.
La réforme proposée par le Gouvernement consiste à
remplacer cette allocation dégressive par une allocation unique
.
L'allocation veuvage serait désormais versée pendant deux
années seulement, mais au taux de la première année, soit
3.107 francs par mois. Pour les veuves et les veufs âgés de
50 à 55 ans lors du décès de leur conjoint,
l'allocation veuvage pourrait être maintenue à ce taux pendant
trois années supplémentaires, soit pendant une durée
totale de cinq ans.
Votre rapporteur ne peut tout d'abord que déplorer la méthode
employée par le Gouvernement. Il n'apparaît pas très
respectueux des droits du Parlement de déposer au dernier moment un
amendement de cette importance, que la commission des Affaires culturelles,
familiales et sociales de l'Assemblée nationale n'a donc pas pu examiner.
Il fait en outre observer que le problème de l'assurance veuvage est
ancien : le Gouvernement peut difficilement feindre de n'avoir pris
conscience que ces derniers jours de son acuité, ce qui expliquerait le
dépôt très tardif de cet amendement.
Votre commission a déjà souligné, à de
nombreuses reprises, l'impérieuse nécessité
d'améliorer la condition des veuves et des veufs.
L'assurance veuvage n'a en effet guère évolué depuis sa
création en 1980 ; elle ne semble pas aujourd'hui en mesure de
remplir la mission qui lui avait été assignée : donner au
conjoint survivant n'exerçant pas d'activité professionnelle des
moyens de subsistance en attendant qu'il puisse se réinsérer dans
la vie professionnelle.
Le groupe d'études sénatorial des problèmes du veuvage,
que préside M. Jacques Machet et qui est rattaché à votre
commission, a ainsi souvent attiré l'attention du Gouvernement sur la
situation de l'assurance veuvage. De même, lors de l'examen par le
Sénat du projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 1998, votre rapporteur était revenu sur cette question dans
son rapport écrit et dans son intervention dans la discussion
générale.
Pour améliorer le sort des veuves et des veufs, des moyens financiers
sont disponibles.
Le Fonds national de l'assurance veuvage, qui retrace en
recettes les cotisations d'assurance veuvage et en dépenses les
prestations d'assurance veuvage, est structurellement excédentaire
depuis sa création, en 1980.
Fonds national de l'assurance veuvage
(en millions de francs)
|
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
Recettes (cotisations) |
1.738 |
2.028 |
1.941 |
1.924 |
1.992 |
2.020 |
2.321 |
2.153 |
Dépenses (prestations) |
435 |
435 |
439 |
449 |
465 |
462 |
506 |
550 |
Solde |
+ 1.303 |
+ 1.593 |
+ 1.502 |
+ 1.475 |
+ 1.527 |
+ 1.558 |
+ 1.815 |
+ 1.603 |
Sur
la période 1990-1997, les dépenses au titre des prestations
veuvage n'ont représenté en moyenne que 23 % des recettes et
le total des excédents cumulés s'élève à
12,4 milliards de francs.
Ces excédents répétés viennent minorer les
déficits du régime général d'assurance vieillesse.
La loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 a d'ailleurs
entériné la pratique du transfert des excédents de
l'assurance veuvage vers l'assurance vieillesse en créant une branche
unique vieillesse-veuvage.
Pourtant, le deuxième alinéa de l'article L. 251-6 du code de la
sécurité sociale prévoit que
" les
excédents du fonds national d'assurance veuvage constatés
à l'issue de chaque exercice sont affectés en priorité
à la couverture sociale du risque de veuvage ".
Cette
disposition n'a jamais eu de réelle portée pratique.
Votre commission a par conséquent souligné depuis longtemps la
nécessité de revaloriser de manière significative les
différents montants de l'allocation veuvage, de sorte que même
l'allocation servie pendant la troisième année soit
supérieure au RMI. Il conviendrait parallèlement de relever dans
des proportions au moins équivalentes le plafond de ressources
applicable.
La réforme que le Gouvernement a fait adopter par l'Assemblée
nationale s'inscrit dans la ligne des propositions de Mme Join-Lambert
dans son rapport relatif aux minima sociaux remis à la ministre de
l'emploi et de la solidarité en février 1998.
Elle constitue cependant un progrès très relatif.
Elle
améliore certes la situation de la deuxième année, ce qui
permettra aux personnes concernées de percevoir 1.066 francs
supplémentaires par mois pendant cette année-là. Pour les
personnes âgées de moins de 50 ans, elle supprime en revanche
toute prestation pour la troisième année : les personnes
concernées basculeront désormais sur le RMI dès la fin de
la deuxième année.
Au total, l'effort financier accompli par le Gouvernement est modeste :
la réforme proposée se traduira par une dépense
supplémentaire de 70 millions de francs en 1999 et constitue davantage
un redéploiement de crédits qu'un réel effort financier en
faveur des veuves et des veufs.
La mesure proposée n'affectera pas
sensiblement l'excédent du Fonds national de l'assurance veuvage.
Votre rapporteur regrette que le Gouvernement n'ait pas souhaité
mener une réforme plus ambitieuse et plus généreuse de
l'assurance veuvage. Elle ne manquera pas de souligner que l'effort accompli
paraît bien dérisoire par rapport aux besoins des personnes
atteintes par le drame du veuvage et aux excédents structurels du Fonds
national de l'assurance veuvage.
Votre rapporteur juge en outre particulièrement déplaisant que le
Gouvernement ait cru bon de profiter de cet article additionnel pour introduire
une disposition revenant sur une jurisprudence de la Cour de cassation selon
laquelle la majoration pour enfants applicable aux pensions de vieillesse du
régime général ne doit pas être prise en compte pour
l'application de la limite de cumul entre pension directe et pension de
réversion.
2. Une réforme hâtive et inachevée de l'aide à domicile
L'article L. 241-10 du code de la sécurité
sociale
prévoit que les rémunérations des aides à domicile
employées par les associations agréées par l'Etat
6(
*
)
, les organismes habilités au
titre de l'aide sociale ou ayant passé convention avec un organisme de
sécurité sociale bénéficient d'une
exonération de 30 % des cotisations sociales patronales.
L'article 3
ter
du projet de loi, qui résulte d'un amendement
présenté par la commission des finances de l'Assemblée
nationale, relève de 30 % à 100 % le taux de cette
exonération de charges sociales patronales, accordant ainsi aux
associations prestataires de services aux personnes et organismes
habilités une exonération totale de charges sociales patronales.
Conscient des difficultés que rencontrent aujourd'hui les
associations d'aide à domicile, votre rapporteur accueille très
favorablement cet article. Il avait d'ailleurs interrogé la ministre de
l'emploi et de la solidarité sur ce point le 15 octobre dernier, lors
des questions d'actualité au Gouvernement.
Le Sénat avait en outre voté le passage de 30 % à
60 % du taux d'exonération de charges sociales dont ces
associations bénéficient lors de l'examen par notre Haute
assemblée du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre
économique et financier. Cette disposition n'avait cependant finalement
pas été retenue par l'Assemblée nationale.
En revanche, votre rapporteur ne peut accepter le plafonnement drastique,
institué par l'article 3
bis
, de l'exonération de
cotisations sociales dont peuvent bénéficier, pour la
rémunération d'une aide à domicile, les personnes
âgées de plus de 70 ans.
Cette exonération ne serait désormais accordée que dans la
limite d'un plafond fixé à 180 fois la valeur du SMIC horaire.
L'exonération de cotisations sociales patronales ne porterait donc plus
désormais que sur l'équivalent de 180 heures payées au
SMIC par trimestre, soit 14 à 15 heures par semaine.
Cette disposition résulte d'un amendement de séance
déposé par le Gouvernement le jour même de son examen et
qui n'a donc pas pu être examiné par la commission des affaires
culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale.
Il eût été éminemment préférable qu'un
texte de cette importance, traitant d'un sujet aussi complexe, fasse l'objet
d'une étude plus approfondie.
Soucieux de rétablir l'équité entre l'emploi direct, dit
de gré à gré, et le recours à des associations
prestataires de services, votre rapporteur est favorable à une
exonération totale des cotisations sociales pour les associations. Il ne
peut cependant accepter que l'on réduise parallèlement les
avantages accordés à l'emploi direct.
Une telle mesure reviendrait à tomber d'un excès dans l'autre.
Les associations souffraient antérieurement de la concurrence du
gré à gré, dont le coût s'avérait plus
compétitif pour les employeurs. Il ne faudrait pas, pour autant,
qu'elles soient aujourd'hui dans une position qui les avantagerait sensiblement
par rapport au gré à gré.
La mesure proposée par le Gouvernement revient à passer, pour les
associations, d'une situation de discrimination négative à une
situation de discrimination positive.
Votre commission partage à cet égard les conclusions du rapport
" Hespel-Thierry ", dont la ministre de l'emploi et de la
solidarité prétend pourtant s'être inspirée, selon
lesquelles il convient de
" préserver la liberté de choix
des employeurs entre le gré à gré et les prestataires,
sauf en cas de dépendance extrême "
7(
*
)
.
Dans leur rapport de mission sur les services d'aide aux personnes, Mme Hespel
et M. Thierry proposent de
" substituer à la réduction
fiscale une exonération uniforme des charges patronales
afférentes aux emplois à domicile, prises en charge par
l'Etat. "
Cette prise en charge serait accordée à l'ensemble des emplois
ouvrant droit actuellement à la réduction fiscale pour emplois
familiaux, qu'ils soient le fait d'employeurs de gré à gré
ou d'employeurs prestataires, associations ou entreprises.
L'exonération porterait sur 100 % des cotisations patronales
exigibles tant par le régime général que par les
régimes de retraite complémentaire, l'UNEDIC et les organismes de
formation continue, dans la limite des taux actuellement applicables aux
employés relevant de la convention des employés de maison et dans
la limite du SMIC.
Cette hypothèse conduit le rapport " Hespel-Thierry " à
préconiser :
- d'élargir le champ des exonérations consenties aux
employeurs de plus de 70 ans ou assimilés, recourant au gré
à gré (extension aux cotisations FNAL, IRCEM, UNEDIC et formation
continue) ;
- d'augmenter le taux et le champ des exonérations consenties aux
employeurs prestataires (taux passant de 30 à 100 %, extension aux
cotisations UNEDIC, régime de retraite complémentaire et
formation continue) ;
- d'augmenter le niveau et le champ des exonérations consenties aux
associations intermédiaires, lorsqu'elles interviennent dans le champ
des services à domicile.
On peut ainsi constater que la réforme proposée par le
Gouvernement prend, pour les personnes âgées de plus de 70 ans,
l'exact contre-pied des recommandations du rapport " Hespel-Thierry "
dont la ministre de l'emploi et de la solidarité a prétendu
à plusieurs reprises vouloir s'inspirer.
On ajoutera enfin que cette réforme comporte un risque de
développement du travail clandestin qu'on ne saurait sous-estimer.
La seule véritable justification de ce plafonnement, dont on ignore par
ailleurs pour quelles raisons il a été fixé à 180
heures par trimestre, est financière.
La ministre de l'emploi et de la solidarité a ainsi expliqué que
l'objectif était de gager partiellement le coût de l'adoption de
l'article 3
ter
(670 millions par francs) par une économie de 420
millions de francs réalisée en plafonnant l'exonération
accordée aux personnes de plus de 70 ans.
Elle a précisé qu'elle donnerait un avis favorable à
l'adoption de l'article 3
ter
dès lors que l'article 3
bis
aurait été adopté,
" puisqu'ils sont
financés en partie l'un par l'autre ".
Les autres dispositions de cet article fixent les conditions -contrats à
durée indéterminée, exonération sur une fraction
des rémunérations, modalités de contrôle de ces
exonérations- auxquelles sera soumise l'exonération totale de
cotisations sociales dont bénéficieraient les associations. Elles
mettent en place un système complexe reposant sur des procédures
lourdes. Il est très difficile d'en mesurer aujourd'hui, dans un
délai aussi bref, la portée et les conséquences.
Votre rapporteur ne peut que déplorer une nouvelle fois la
précipitation avec laquelle le Gouvernement souhaite faire adopter par
le Parlement cette réforme de l'aide à domicile. Cette
précipitation prive le législateur du délai
nécessaire à un examen attentif et à une évaluation
approfondie, au travers notamment d'une concertation avec les
différentes parties intéressées, du dispositif
proposé.
A l'évidence, la réforme de l'aide à domicile
proposée par le Gouvernement présente un caractère pour le
moins inachevé.
*
Il
apparaît ainsi que l'équilibre de la branche vieillesse du
régime général n'est pas assuré en 1999. Le
déficit n'est réduit de moitié que par un expédient
non renouvelable.
Parallèlement, le Gouvernement décide une revalorisation de
1,2 % des pensions de retraite, mesure qui s'avérera coûteuse
en 1999 et dont les répercussions financières se feront
également sentir les années suivantes.
L'annexe C du projet de loi intègre l'impact des mesures contenues dans
le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999
et prévoit le solde de la branche vieillesse du régime
général (CNAVTS) pour les prochaines années.
Le
régime général devrait être encore
déficitaire de 4,8 milliards de francs en 2000 et de 2,3 milliards
en 2001, malgré des hypothèses macro-économiques
optimistes.
Le déficit de la branche vieillesse du régime
général présente à l'évidence un
caractère quasi structurel. La persistance de ces déficits est
d'autant plus préoccupante que la branche vieillesse
bénéficie aujourd'hui d'une situation démographique
exceptionnellement favorable, résultant de l'arrivée à
l'âge de la retraite des classes creuses d'avant-guerre.
Ces déficits répétés et permanents amènent
à s'interroger sur la signification que peut dès lors
revêtir la constitution concomitante de " réserves "
pour les retraites. Il y a en effet quelque chose de paradoxal à tenter
de constituer des réserves pour l'avenir alors que les déficits
accumulés alourdissent la dette qui pèse sur les
générations futures.