N° 455
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 mars 2013 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur la répartition du produit de la taxe d' apprentissage ,
Par M. François PATRIAT,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc , rapporteur général ; Mme Michèle André , première vice-présidente ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Pierre Caffet, Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mmes Fabienne Keller, Frédérique Espagnac, MM. Albéric de Montgolfier, Aymeri de Montesquiou, Roland du Luart , vice-présidents ; MM. Philippe Dallier, Jean Germain, Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Jean Arthuis, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Marc Massion, Gérard Miquel, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung . |
SOMMAIRE
Pages
Avant-propos 5
Les chiffres clés du financement de l'apprentissage et de la taxe d'apprentissage 9
Synthèse des constats, pistes et préconisations 10
I. une Présentation de la taxe d'apprentissage 11
A. L'Origine du dispositif et ses évolutions successives 11
1. Un bref historique de la création de la taxe d'apprentissage 11
2. Les réformes récentes 11
B. L'Architecture actuelle de la taxe d'apprentissage 12
1. Les deux parties de la taxe d'apprentissage 12
a) Le « quota » 12
b) Le « hors quota » 14
2. Le schéma de collecte et de répartition de la taxe d'apprentissage 14
a) L'évolution de la collecte 14
b) Les principes de répartition du produit de la taxe 15
3. Les contributions annexes 18
a) La contribution pour le développement de l'apprentissage (CDA) 18
b) La contribution supplémentaire à l'apprentissage (CSA) 18
c) La taxe d'apprentissage et les contributions annexes : un total de 2,8 milliards d'euros 19
II. La collecte de la taxe d'apprentissage : un circuit trop complexe pour être efficient 20
A. Les effets secondaires de l'intermédiation des organismes collecteurs agréés (OCTA) 20
1. Un dispositif hétérogène 20
2. Une collecte dispersée 21
B. Les problèmes constatés 22
1. Des procédures d'agréments non coordonnées 22
2. Un contrôle malaisé et déficient 24
III. La répartition du produit de la taxe d'apprentissage : un dispositif sans véritable gouvernance 24
A. Les principes de répartition de la taxe d'apprentissage et de libre affectation par les entreprises 24
1. Les règles de base régissant les versements effectués par les entreprises... 24
2. ... et la liberté d'affectation des fonds par les entreprises 25
B. une Absence de pilotage de la répartition des fonds et une gouvernance échappant à l'Etat comme aux régions 26
1. Le circuit de la taxe d'apprentissage 26
2. La dérive du dispositif 27
IV. Pistes et préconisations pour une réforme de la taxe d'apprentissage 28
A. engager Une refonte profonde, nécessaire et urgente 28
1. Une situation insatisfaisante 28
a) Des réformes ont été engagées... 28
b) ... mais trop de recommandations sont restées sans suite 28
2. Les orientations devant sous-tendre la réforme 29
a) Simplification 29
b) Décentralisation 29
c) Paritarisme 29
B. Rationaliser la collecte de la taxe d'apprentissage 30
1. Les pistes alternatives envisageables 30
a) Confier la collecte aux régions 30
b) Instaurer un collecteur unique en recourant au réseau des URSSAF 30
c) Adosser la collecte sur celle de la formation professionnelle 30
d) Rationaliser le dispositif actuel en réduisant le nombre des OCTA 31
2. Les préconisations de simplification 31
a) Simplifier la collecte 31
b) Simplifier l'architecture de la taxe et des contributions annexes 31
C. Recentrer la gouvernance de la taxe vers le financement de l'apprentissage 32
1. Les objectifs recherchés 32
2. Les préconisations relative à la gouvernance 32
a) Augmenter la part de la taxe d'apprentissage affectée à l'apprentissage 33
b) Accroître la part confiée aux régions dans la gouvernance de la répartition des fonds 33
c) Etudier la suppression de la distinction quota/hors quota ou en rééquilibrer la répartition 33
3. Alimenter la réflexion dans la perspective de l'élaboration d'un prochain projet de loi pour une réforme de la formation professionnelle 34
a) Un scénario de simplification de la taxe d'apprentissage... 34
b) ... et quelques projections chiffrées à verser au débat 35
Examen en commission 39
ANNEXES 49
ANNEXE 1 - Liste des personnes entendues 49
Annexe 2 - Le fonctionnement du compte d'affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage » (CAS « FNDMA ») 52
Annexe 3 - Réponse de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle au questionnaire adressé par votre rapporteur spécial 55
Pièce jointe n° 1 Collecte et frais de gestion par OCTA (données 2010) 123
Pièce jointe n° 2 la campagne 2008-2009 de contrôle des octa 130
Mesdames, Messieurs,
La commission des finances a confié à votre rapporteur spécial le soin de conduire, en application de l'article 57 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, une mission de contrôle sur la répartition du produit de la taxe d'apprentissage (TA), ayant pour objet d' évaluer les enjeux qui s'attachent à la collecte de cet impôt , ainsi que de dresser un bilan sur l'utilisation des différentes composantes de cette taxe au profit de l'apprentissage .
A première vue, ce prélèvement sur les entreprises, de l'ordre de 2 milliards d'euros par an, ne représente qu'une partie minoritaire de l'ensemble des fonds consacrés à la formation professionnelle (31,5 milliards d'euros) 1 ( * ) et, dans cet ensemble, à l'apprentissage (8 milliards d'euros) 2 ( * ) . Néanmoins, il s'agit d'un enjeu majeur de financement dont on peut s'interroger sur l'efficience des modes de collecte et de répartition, à l'heure où la priorité est donnée à l'emploi et à la formation, mais aussi à la réduction du déficit et à la meilleure utilisation possible du produit de l'impôt.
I. LES CONSTATS ISSUS DES TRAVAUX DE CONTRÔLE
A. UN DISPOSITIF TROP COMPLEXE
Les auditions entamées à l'automne 2012 ont permis d'identifier une série d'éléments confortant la nécessité d'engager une réforme profonde de la taxe d'apprentissage. Celle-ci est un impôt versé par les entreprises qui contribue financièrement au développement de l'apprentissage et de l'enseignement technologique et professionnel. Au-delà du fait que cette taxe n'a, de fait, pas pour seule vocation le financement de l'apprentissage, il s'agit d' un dispositif d'une redoutable complexité tant dans ses modalités de collecte que de répartition .
Depuis la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, qui a procédé à une réforme d'ensemble du système de formation professionnelle et de collecte de la taxe d'apprentissage, tous les rapports de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ou de l'Inspection générale des finances (IGF) n'ont cessé de mettre en évidence un dispositif juridique de collecte trop complexe pour les entreprises comme pour l'administration, mal respecté et insuffisamment contrôlé.
En outre, l'ensemble de ces rapports, mais aussi les auditions, ont permis de souligner le caractère peu transparent et illisible de la redistribution du produit de cette taxe. En 2009, un contrôle de l'IGAS apportait déjà la conclusion suivante : « près de la moitié des reversements sont littéralement saupoudrés sans garantie quant à leur finalité et à leur pertinence » 3 ( * ) .
B. LES DÉRIVES DES DISPOSITIFS DE COLLECTE ET DE RÉPARTITION DE LA TAXE
Puis, au terme de ce cycle d'auditions et sur la base des réponses de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) au questionnaire adressé par votre rapporteur spécial 4 ( * ) , les premiers constats effectués peuvent être qualifiés de « très critiques » sur la collecte et la répartition de la taxe d'apprentissage et peuvent se résumer à cette formule : « ni l'Etat, ni les régions n'ont la main » sur la répartition de la taxe d'apprentissage.
Ainsi, la DGEFP a pointé de nombreuses dérives, parfois graves, des dispositifs de collecte et de répartition .
S'agissant de la collecte :
- celle-ci est effectuée par un grand nombre d'organismes (141 dont 63 établissements consulaires, 55 organismes de collecte de la taxe d'apprentissage (OCTA) nationaux et 23 OCTA régionaux) alors que seuls les dix plus « gros » concentrent plus de la moitié (51 %) de la collecte totale ;
- plusieurs modes d'habilitation des organismes de collecte coexistent (ministères en charge de l'emploi, de l'éducation nationale, de l'agriculture et préfets de région) ;
- le système conduit à une concurrence entre les principaux organismes de collecte et engendre des pratiques anormales ;
- une telle situation entraîne une très grande hétérogénéité des performances de gestion des organismes de collecte.
S'agissant de la répartition :
- la gouvernance des OCTA ne favorise pas la réponse aux besoins des territoires dans les décisions d'affectation de la taxe. Il en ressort que contrairement au principe de « libre affectation » par l'entreprise, les OCTA sont de fait les seuls décideurs de l'affectation des fonds (soit la liberté d'affectation est relative, soit celle-ci est pratiquée au niveau de la branche professionnelle et autofinance l'appareil de formation qu'elle gère en direct) ;
- compte tenu des faiblesses des procédures d'agrément et de l'hétérogénéité des acteurs, le dispositif actuel ne prévoit aucune mutualisation dans la répartition des fonds collectés, alors même qu'il pourrait s'agir d'un objectif attendu d'une taxe à caractère fiscal ;
- le système actuel de listes préfectorales ne permet pas d'identifier avec précision les formations éligibles au financement de la taxe d'apprentissage et les organismes qui les dispensent. Ce problème réglementaire d'affectation des fonds de la taxe d'apprentissage ne favorise pas prioritairement le financement des établissements qui en auraient le plus besoin.
Ces constats sont développés plus en détail dans le corps du présent rapport.
II. LES PRÉCONISATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL
A. UNE RÉFORME PROFONDE DU DISPOSITIF...
Les constats et dérives signalés concernant les OCTA plaident pour une réforme profonde de la collecte qui doit précéder ou accompagner une refonte du mécanisme de répartition. Votre rapporteur spécial formule des préconisations précises :
- simplifier, clarifier et homogénéiser la collecte ;
- introduire un pilotage régional dans la répartition de la taxe d'apprentissage en fonction des priorités de formation définies au travers du contrat de plan régional de développement de la formation professionnelle (CPRDFP) ;
- introduire le paritarisme au sein d'une nouvelle gouvernance réunissant l'Etat et les acteurs de la formation professionnelle autour de la région comme pilote du dispositif.
Voici brièvement synthétisés les principaux constats et préconisations issus des travaux de la mission de contrôle. Par ailleurs, de nombreux autres éléments, parfois plus techniques, mettent en lumière l'opportunité d'engager une réforme ambitieuse de la taxe d'apprentissage :
- le contrôle de la collecte est déficient. Ainsi, l'administration fiscale ne dispose plus de l'information relative au paiement de la taxe par les entreprises. Dans les faits, ce sont les employeurs qui autoliquident et s'autocontrôlent dans leurs obligations de versement ;
- il n'existe aucune articulation des financements par la taxe et par les régions. Si les régions perçoivent 22 % de la taxe d'apprentissage via le fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage, le reste de la taxe est réparti sans stratégie globale autre que celle suivie par chaque entreprise ou organisme collecteurs.
B. ... QUI DOIT S'INSCRIRE DANS UN PROJET GLOBAL DE REVALORISATION DE L'APPRENTISSAGE ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE
A l'évidence, l'empilement des réformes législatives intervenues depuis 2002 n'a pas remédié à cet état de fait. Cinq lois ont concerné la taxe d'apprentissage, dont la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation tout au long de la vie qui a créé la contribution supplémentaire à l'apprentissage (CSA) pour les entreprises de 250 salariés et plus n'ayant pas atteint le quota de 3 % d'alternants dans leur effectif. Il faut également regretter que cette loi ait lancé la réforme des organismes paritaires de collecte agréés (OPCA) des fonds de la formation professionnelle sans prendre la peine d'intégrer dans son champ d'application les OCTA. Il s'agissait donc d'une « occasion manquée » qui a fait perdre quatre précieuses années qui auraient pu être utilement mises à profit pour moderniser et clarifier le dispositif de collecte.
L'urgence de la nécessité de réformer la collecte et la répartition de la taxe d'apprentissage n'est donc plus à démontrer .
Le 4 mars 2013, le Président de la République a annoncé le lancement d'une concertation avec les partenaires sociaux pour préparer un projet de loi sur la formation professionnelle et sur l'apprentissage qui devra être prêt pour la fin de l'année 2013. Le présent rapport a donc pour objet d'apporter une première contribution à cette concertation en présentant des constats, puis des pistes et des préconisations pour une réforme de la taxe d'apprentissage sur la base d'un scénario précis et des données estimatives chiffrées à verser au débat.
LES CHIFFRES CLÉS DU FINANCEMENT DE L'APPRENTISSAGE ET DE LA TAXE D'APPRENTISSAGE
Le nombre global d'apprentis Le « stock » actuel des contrats d'apprentissage en cours s'établit à 435 000 apprentis. Les projections montrent qu'au rythme de croissance annuelle actuelle du nombre d'apprentis, il n'est pas envisageable d'atteindre le fameux objectif de 600 000 apprentis en 2015 avancé par le précédent Gouvernement. En effet, la projection de la tendance actuelle situe l'objectif à 470 000 en 2015 et 500 000 en 2017. C'est donc à juste titre que la décision n° 23 du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi, prévoit de « favoriser l'embauche de jeunes en apprentissage dans les PME avec l'objectif de 500 000 apprentis en 2017 ». Le montant de la dépense pour l'apprentissage Selon le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV), en 2010, 8 milliards d'euros ont été consacrés au financement de l'apprentissage dont : - 3,3 milliards d'euros soit 41 % qui proviennent des entreprises (entreprises assujetties et employeurs) ; - 2,2 milliards d'euros de l'Etat (27 %) ; - 2 milliards d'euros (24 %) des régions ; - et environ 500 millions d'euros provenant d'autres contributeurs tels que les organismes gestionnaires des centres de formation, les familles des apprentis, les ventes de produits et prestations de services, et des autres collectivités territoriales (départements, communes). La part de la taxe d'apprentissage dans le financement de l'apprentissage En 2011, sur le montant total collecté de 1 944,36 millions d'euros, 52 % des fonds relèvent du quota et 48 % du hors quota, le montant des fonds effectivement s'élevait en 2011 à la somme de 1 916,05 millions d'euros, après déduction des frais de collecte et de gestion des OPCA. Les flux de répartition de la taxe aboutissent à ce que l'apprentissage est en réalité destinataire de près de 1,2 milliard d'euros, soit 62 % des fonds de la taxe d'apprentissage par un report de fonds issus du « hors quota » vers le « quota » 5 ( * ) .
L'évolution de la collecte de la taxe
d'apprentissage de 2006 à 2011
Source : d'après les données communiquées par la DGEFP |
* 1 Source : fascicule « Formation professionnelle » annexé au projet de loi de finances pour 2013.
* 2 Source : Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV). Il convient de préciser que le document de synthèse le plus exhaustif et le plus récent est intitulé « le financement et les effectifs de l'apprentissage en France » et a été établi en décembre 2012 sur la base de données 2010. Celui-ci est consultable sur le site internet du CNFPTLV à l'adresse suivante : http://www.cnfptlv.gouv.fr/les-ouvrages.html http://www.cnfptlv.gouv.fr/les-ouvrages.html
* 3 Rapport de l'IGAS n° RM 2008-131 P « Contrôle de plusieurs OCTA - Un dispositif mal maîtrisé dont près de la moitié des dépenses sont littéralement saupoudrées » (mars 2009).
* 4 Cf. annexe III.
* 5 Cf. infra.