EXAMEN EN COMMISSION
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons maintenant les crédits du programme 107 consacré à l'administration pénitentiaire au sein de la mission « Justice ».
M. Louis Vogel, rapporteur pour avis de la mission « Justice » sur le programme « Administration pénitentiaire ». - Les crédits du programme 107 devraient s'établir en 2025 à 5,24 milliards d'euros, contre 5 milliards d'euros en 2024. Ce niveau historique résulte d'une augmentation des crédits de 4,8 % par rapport à 2024.
Cette augmentation est doublement importante : d'une part, par rapport à l'augmentation de 1,5 % du budget en 2024 ; d'autre part, par rapport à l'augmentation globale du budget de la justice, telle qu'elle figure dans le projet initial, qui est de 1,1 %.
Le Gouvernement présente la perspective budgétaire pour 2025 comme la poursuite de la modernisation du service public pénitentiaire. De fait, les crédits du titre 2 - dépenses de personnel hors pensions - augmentent de 40 millions d'euros au profit de la mise en oeuvre de la réforme de la filière de surveillance, laquelle prévoit notamment la revalorisation des postes et l'augmentation de catégories des personnels, ainsi que la création de 349 emplois supplémentaires.
Ces perspectives budgétaires, si elles sont favorables eu égard à la situation actuelle des finances publiques, ne permettent cependant pas de faire face aux défis auxquels est confrontée l'administration pénitentiaire. Elles ne répondent pas non plus aux impératifs de financement du milieu ouvert et aux ambitions d'une déclinaison de sanctions pénales adaptées. Enfin, comme l'a montré l'audition du garde des sceaux hier, ce projet de loi de finances est l'occasion de redéfinir les priorités de ce programme, notamment la nécessaire réorientation du plan 15 000.
Permettez-moi tout d'abord d'insister sur le fait que l'administration pénitentiaire fait face à une crise d'une ampleur inconnue depuis 1946. Ce constat est le fait non pas d'observateurs extérieurs parfois excessifs, mais de l'administration elle-même.
La crise actuelle repose sur quatre facteurs.
Le premier est, à l'évidence, la surpopulation carcérale : au 1er octobre 2024, 79 631 personnes étaient détenues pour environ 62 000 places opérationnelles. En pratique, 3 600 à 4 000 détenus dorment par terre chaque nuit dans les prisons françaises.
Le deuxième est l'évolution de la population incarcérée : les personnes impliquées dans la criminalité organisée y tiennent une part de plus en plus importante. Environ 15 000 détenus le sont en lien avec le narcotrafic. Le garde des sceaux a annoncé que 300 nouvelles places à l'isolement seraient créées pour les criminels les plus dangereux et mieux brouillées pour éviter les communications avec l'extérieur.
Le troisième est le nombre trop faible d'agents, qui conduit à un taux de couverture insuffisant de la population carcérale. Il y a actuellement 30 600 agents de surveillance au sein de l'administration pénitentiaire ; ce nombre est doublement insuffisant.
Insuffisant, d'une part, au regard de l'organigramme de référence, qui, s'il était respecté, aboutirait à la création de 2 600 postes supplémentaires pour couvrir les besoins de surveillance de 60 000 détenus avec des personnels travaillant 39 heures par semaine.
Insuffisant, surtout, au regard de la réalité de la situation, qui conduit l'administration à estimer que ce ne sont pas 2 600, mais 6 000 postes qui lui manquent. La création de 349 nouveaux postes prévue en 2025 paraît donc être un minimum qui ne permettra pas de combler les manques ni, surtout, de développer des missions rendues nécessaires par l'évolution de la population carcérale, comme le renseignement pénitentiaire.
Le quatrième facteur, l'inadaptation du budget, vient aggraver les trois premiers. En effet, le budget de l'administration pénitentiaire ne lui permet pas d'effectuer les recrutements et investissements nécessaires pour envisager une sortie de crise, à moins d'engager dès à présent des réorganisations profondes. À l'urgence de régler la situation pour 2024 s'ajoutent des questions stratégiques pour 2025.
Permettez-moi de revenir un instant sur l'exécution budgétaire pour 2024. Les crédits gelés depuis février s'élèvent à près de 17 % du budget. Or ce dernier est très rigide puisqu'il compte près de 85 % de dépenses contraintes, ce qui est problématique. Les auditions que j'ai menées m'ont permis de mesurer les effets concrets de ces gels sur les établissements pénitentiaires, dont certains ne peuvent assurer leurs paiements au-delà des dépenses courantes depuis le mois de septembre. Le dégel partiel des crédits pour 2024 apparaît donc comme une nécessité.
Le 31 octobre 2024, nous avons appris que la réduction prévue des crédits de la mission « Justice » serait moitié moins importante qu'annoncée et s'élèverait à 250 millions d'euros, ce qui devrait donner de nouvelles marges de manoeuvre à l'administration pénitentiaire. Je note que l'information du Parlement sur la ventilation de cette somme a été particulièrement incomplète et tardive. Si les circonstances liées à la dissolution justifient certains délais, elles ne les excusent pas.
Le montant des sommes prévues pour l'administration pénitentiaire est significatif. Cependant, cet abondement doit s'accompagner à court terme d'une réorientation des crédits, afin de faire face à la difficulté première du moment : la surpopulation carcérale. Les personnels sont, avec les détenus, les premiers exposés à la crise que connaît cette administration en la matière. Un constat est partagé tant par l'administration que par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté : la promiscuité liée à la surpopulation entraîne une augmentation de la violence et des agressions dans les prisons. Elle conduit à l'impossibilité pratique de gérer la détention autrement que de manière sécuritaire et réduit l'accompagnement et la réinsertion, qui font le sens de la peine et celui du métier.
L'emprise de la criminalité organisée expose également les personnels au risque de menace et de pression, ainsi qu'à celui de compromission et de corruption.
Le 14 mai 2024, l'administration pénitentiaire a connu un drame lors de l'attaque d'un convoi pénitentiaire à Incarville. Cette attaque a entraîné le décès de deux agents pénitentiaires et trois autres ont été blessés, dont deux grièvement. Un protocole d'accord a été signé le 21 mai 2024 entre le garde des sceaux et les organisations syndicales représentatives des personnels, qui comprend 33 mesures pour empêcher qu'un tel événement ne se reproduise. Nous nous félicitons que la mise en oeuvre de mesures de renforcement de la sécurité des agents pénitentiaires soit devenue une priorité et trouve sa traduction dans le budget pour 2025. Les achats de véhicules et d'équipements ont été engagés avec rapidité par l'administration, pour un déploiement rapide auprès des équipes.
Les moyens de visioconférence et l'aménagement permettant la tenue d'audiences dans les établissements ont également été développés et continueront de l'être en 2025.
Plus largement, l'action « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice », qui représentait un peu plus de la moitié des crédits en 2024, en représentera près des trois quarts en 2025.
J'en viens au sujet qui a été au coeur des budgets de l'administration pénitentiaire depuis plus de cinq ans : l'immobilier et la création de nouvelles places de prison. Le 10 novembre dernier, le garde des sceaux a annoncé à la presse que l'objectif de créer 15 000 nouvelles places ne serait pas tenu pour 2027, ce qui a eu le mérite d'officialiser un constat objectif déjà formulé par l'ensemble des observateurs. Hier, le ministre a aussi indiqué que l'objectif de création de ces places serait fixé à l'horizon 2029, que des bâtiments modulaires seraient utilisés d'ici là et que 42 % des places seraient créées à l'horizon 2027, à moyens constants, mais nous savons que constants ils ne le seront pas.
Le projet de budget marque ainsi un tournant dans le « plan 15 000 ». En effet, si les crédits de paiement (CP) augmentent d'un peu plus de 100 millions d'euros, les autorisations d'engagement (AE) baissent de moitié, ce qui correspond à l'état d'avancement du plan.
Les éléments chiffrés sur l'avancement du programme sont difficiles à établir, en raison des confusions entre le nombre de places construites et celles qui relèvent du programme. L'Agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij) a indiqué que, sur 50 projets prévus, 48 étaient engagés, qu'elle disposait de la maîtrise du foncier pour 13 400 places, que 12 500 étaient contractualisées et que 6 800 seraient livrées en 2027.
En pratique, les crédits prévus permettront de poursuivre les travaux engagés pour huit établissements pénitentiaires. Il est vraisemblable que, pour les vingt autres, qui atteignent des degrés divers de réalisation - cinq sont en phase d'étude et de conception, dix en appel d'offres et cinq en études préalables -, les travaux seront gelés ou menés largement au-delà de 2027.
Fondamentalement, comme nous l'avions souligné à l'occasion de l'examen du PLF 2024, la construction de places de prison supplémentaires ne peut être la solution à la surpopulation carcérale. Selon l'administration, pour maintenir la parité entre nombres de places et de détenus, il faudrait construire un centre de détention par mois !
Le PLF 2025 offre l'occasion de faire des choix stratégiques pour réorienter les crédits des projets immobiliers vers des actions qui permettraient d'améliorer plus rapidement les conditions de détention, de remplir ainsi les obligations qui incombent à la France et d'améliorer les conditions de travail des personnels. L'entretien des bâtiments et la fermeture des établissements vétustes ou inadaptés doivent devenir la priorité.
Le budget de l'action « Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice », qui représentait près de 40 % des crédits, n'en représente plus que 18 %. Les frais de fonctionnement des établissements se trouvent réduits de près de 80 % en AE. Cette réduction est en partie due à la conclusion d'un contrat pluriannuel en 2024.
Ces perspectives remettent en question la possibilité de faire face aux besoins des établissements dans les années à venir, ainsi que la possibilité de lutter contre la dégradation des locaux et d'assurer des conditions dignes de détention. Même si les CP consacrés à cette action augmentent légèrement et que les crédits de maintenance des bâtiments en gestion publique, qui représentent des montants modestes, sont maintenus au niveau de 2024, les crédits pour l'entretien des bâtiments seront largement insuffisants.
Je terminerai cet examen en m'intéressant au
parent pauvre de la détention : le milieu ouvert. Le nombre de
personnes suivies est plus de deux fois supérieur à celui des
personnes détenues. Or les crédits alloués à
ces missions sont en légère décroissance et
s'élèvent à 121,8 millions d'euros,
contre
123,2 millions pour 2024, ce qui confirme une attention moindre
portée à ces actions, dont l'administration pénitentiaire
et les acteurs de terrain soulignent pourtant l'importance.
Les mesures de milieu ouvert sont trop souvent vues comme des alternatives à l'incarcération plutôt que comme des sanctions adaptées. De manière significative, les mesures les mieux financées sont liées au bracelet électronique et sont celles qui s'apparentent le plus à la détention. De même, le recours aux travaux d'intérêt général (TIG), d'abord conçu comme un dispositif de réinsertion, est aujourd'hui utilisé comme une peine et concerne désormais des profils éloignés de la réinsertion. Ainsi, le dispositif devient inadapté et dévoyé. Le temps nécessaire à la mise en oeuvre des TIG en résulte pour partie.
Une revalorisation des mesures de milieu ouvert est nécessaire. Elle doit notamment passer par le développement de l'évaluation et des mesures de suivi, qui permettront de lutter contre la surpopulation carcérale et de permettre le prononcé de peines utiles socialement. Il faut aussi rappeler le coût particulièrement faible des mesures de milieu ouvert, qui s'élève à 5 ou 6 euros par jour, comparé à celui d'une journée de prison, qui atteint 130 euros en moyenne.
En l'état, les mesures de milieu ouvert souffrent non seulement d'un financement insuffisant sur le budget de l'administration pénitentiaire, mais également du désengagement prévisible des collectivités territoriales, soumises à d'importantes contraintes budgétaires.
Le nombre de conseillers d'insertion et de probation paraît insuffisant pour assurer un suivi adapté des personnes, ce que le rapport du Sénat remis par Marie Mercier et Laurence Harribey avait déjà souligné. Sous réserve des amendements à venir, le budget pour 2025 ne respecte pas les objectifs de la loi du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. La part de conseillers manquants a fait l'objet d'estimations variables lors des auditions que j'ai menées et représenterait jusqu'à 40 %. Ce manque de moyens est en décalage avec les objectifs de l'administration pénitentiaire et le rôle que les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) pourraient être amenés à jouer en tant qu'experts de la dangerosité et du risque de récidive, notamment au moment du prononcé de la peine. De plus, l'inquiétude demeure autour du nouveau logiciel conçu par les métiers de l'insertion et de la probation, malgré les 80 millions d'euros déjà dépensés.
En dépit de ces difficultés importantes, un
rejet des crédits ne pourrait qu'entraîner
l'incompréhension : c'est la raison pour laquelle je propose
d'émettre un avis favorable à leur adoption. Il faut cependant
accompagner notre vote d'un message clair sur la nécessité de
sortir de la crise actuelle,
en adoptant une politique
pénale et carcérale dont l'objectif affiché serait
d'assurer la protection de la société et de répondre aux
besoins de réinsertion des détenus.
Mme Laurence Harribey. - Pour la deuxième année consécutive, je ne peux qu'aller dans le sens de votre rapport, qui est très révélateur de la situation de l'administration pénitentiaire. Néanmoins, d'une année sur l'autre, cette situation ne change pas et je parviens à une conclusion différente de la vôtre en ce qui concerne le vote des crédits de la mission. Il faut savoir dire non. Ce budget est l'aboutissement de choix qui sont en contradiction avec la volonté de modifier les fondamentaux de la politique carcérale.
En ce qui concerne les places de prison, je prendrai l'exemple du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan. J'ai visité ce bel établissement, après m'être rendue deux fois dans l'ancienne maison d'arrêt, dans laquelle j'avais eu des frissons. Cependant, le taux d'occupation y atteint déjà 120 % et 140 matelas sont installés par terre. La construction tous azimuts de places de prison ne résout donc pas le problème.
Le garde des sceaux rappelait hier soir qu'il faut compter 450 détenus supplémentaires chaque mois. Compte tenu de la structuration des établissements, du manque de moyens en matière d'insertion et de suivi de la politique carcérale, du manque de différenciation de traitement des détenus, nous fabriquons de la récidive au lieu de favoriser la réinsertion. Il est fondamental d'opérer un tournant dans la politique immobilière.
J'en viens aux personnels pénitentiaires, dont les cris d'alarme nous saisissent. Il ne suffit pas de créer des postes ; encore faut-il qu'ils soient pourvus. Or le taux de vacance dans ces professions est catastrophique. Nous sommes donc confrontés à une double maltraitance : celle des détenus et celle des personnels, qui conduit à des drames. Le taux de démission et le manque de candidats aux concours montrent qu'il est très difficile d'atteindre les objectifs en la matière. Le garde des sceaux ne nous a pas beaucoup rassurés, même s'il est parvenu à limiter les dégâts et à obtenir une enveloppe supplémentaire de 250 millions d'euros, qui lui permettra juste d'honorer les protocoles d'accord déjà signés.
Enfin, pour que le milieu ouvert ne soit plus le parent pauvre de l'administration pénitentiaire, il faut revoir les fondamentaux de la politique carcérale. Je voudrais revenir à la nécessité de mener un travail de fond sur les peines alternatives et l'exécution des peines. Je sais que c'est au programme, mais je voudrais que ce soit effectif et que nous ne soyons pas obligés de répéter les mêmes choses l'an prochain.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Effectivement, c'est au programme et vous être membre et rapporteure de la mission d'information sur l'exécution des peines, qui commencera bientôt ses travaux.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Le constat est effrayant, entre manque de moyens, années perdues, promesses non tenues et réalisations trop peu nombreuses. La société a changé depuis quinze ans et nous ne nous sommes pas donné les moyens d'y faire face, en matière tant d'incarcération que d'insertion et de suivi. Enfin, un certain nombre de personnes n'ont pas leur place en prison puisqu'elles sont malades.
En tant que membre de la délégation aux outre-mer, j'ai visité le centre pénitentiaire de Faa'a-Nuutania en Polynésie française. J'ai eu honte et j'ai mis 48 heures à m'en remettre. Il n'y a pas de surpopulation et le personnel n'y est pas menacé, mais il s'agit probablement de la prison la plus indigne du pays. Il y a urgence.
M. Georges Naturel. - Je voudrais aborder la problématique de l'immobilier pénitentiaire en Nouvelle-Calédonie, où des exactions ont récemment eu lieu. La gendarmerie a déployé des enquêteurs supplémentaires, ce qui a permis de retrouver les commanditaires et les auteurs. La justice a aussi fait son travail, mais il faut désormais prévoir la détention des condamnés. Le centre pénitentiaire de Nouméa n'offrant plus de place, certains ont été envoyés dans l'Hexagone, en particulier des jeunes.
La prison de Nouméa se trouve dans les bâtiments du bagne, ce qui vous laisse imaginer sa date de construction. Elle est surpeuplée et indigne. L'État a d'ailleurs été condamné plusieurs fois à ce sujet. La construction d'un nouvel établissement a été annoncée par le précédent garde des sceaux, mais aucun crédit n'est prévu. Si un tel projet était lancé, il ne serait réalisé au mieux qu'en 2030. Que faire en attendant ? Que faire des jeunes que nous incarcérons, ce qui n'est pas le meilleur moyen de leur redonner envie de s'insérer ?
M. André Reichardt. - Le constat est connu depuis quelques années et les crédits ne sont pas à la hauteur des besoins ; nous gérons la pénurie. Je ne suis pas sûr qu'il faille donner un avis favorable, malgré la situation financière du pays.
Comment lutter contre la présence de téléphones portables dans les établissements ? On parle beaucoup de brouillage ; que prévoit-on en la matière ?
En ce qui concerne le programme immobilier, vous avez dit que près de 90 % du foncier était déjà acquis. Y a-t-il encore des blocages de projets liés au refus de certaines communes et populations d'accueillir des établissements pénitentiaires ?
Les besoins en matière de quartiers dédiés aux détenus radicalisés sont-ils couverts ?
Enfin, est-on confronté à un problème de recrutement du personnel dans l'administration pénitentiaire, notamment après le drame d'Incarville ?
Mme Marie Mercier. - Avec la prison, il y a un avant, un pendant et un après. Avant, il faut prévenir, notamment grâce à l'aide à la parentalité et aux bases éducatives. Pendant, il faut se pencher sur la question du travail pour les détenus et de la prise en charge, mais aussi vider les établissements de ceux qui n'ont rien à y faire et relèvent de structures psychiatriques. Après, les questions de la réinsertion et de la lutte contre la récidive se posent. Des budgets sont-ils prévus pour la justice restaurative ?
M. Olivier Bitz. - Le rejet des crédits du PLF 2025 serait mal vécu par l'administration pénitentiaire.
Vous avez évoqué le fait que cette administration est confrontée à sa plus grande crise depuis l'après-guerre, ce qui est vrai. À cette époque, il a été décidé non pas d'augmenter les crédits, mais de procéder à une grande réforme pour reposer la question des fondamentaux et de la gestion de l'incarcération. Nous n'arriverons pas à répondre à la demande seulement en augmentant les crédits ; il faut réformer les peines et la détention.
En détention, la sécurité coûte cher. Or, aujourd'hui, notamment dans les maisons d'arrêt, nous traitons tous les détenus comme s'ils étaient des personnes dangereuses, même s'ils ne posent pas de difficulté particulière au sein de l'établissement. Une gradation des niveaux de sécurité serait nécessaire pour se concentrer sur les détenus dangereux.
Le drame d'Incarville a mis en lumière les questions de sécurité posées par les extractions judiciaires. Par ailleurs, ces extractions consomment des postes budgétaires qui pourraient être mis à profit pour des missions plus traditionnelles. Il faut utiliser davantage la visioconférence et les magistrats doivent accepter de se déplacer. Je ne parle pas ici des juges de l'application des peines (JAP), qui le font déjà. Il s'agirait de rendre la justice de manière plus humaine, mais aussi de renforcer les moyens et la sécurité de nos agents. Je rappelle aussi que, lorsque les missions d'extractions judiciaires sont passées de la responsabilité des forces de sécurité intérieure à celle de l'administration pénitentiaire, plus de 700 postes n'ont pas été transférés.
Pour éviter une explosion des crédits, il faut réfléchir autrement, notamment autour des mesures de milieu ouvert, qui permettent de décider de peines adaptées et de réaliser des économies importantes.
J'en viens au personnel. J'ai récemment
visité les deux établissements pénitentiaires de mon
département : le centre pénitentiaire
d'Alençon-Condé-sur-Sarthe et le centre de détention
d'Argentan. Les agents et les organisations syndicales ont exprimé leur
ras-le-bol. Les effectifs ne sont pas couverts, un nombre d'heures
supplémentaires délirant est demandé aux agents, qui sont
épuisés. Nous sommes à bout de souffle. Des mesures ont
été prises dans le cadre du protocole d'accord signé
après le drame d'Incarville, mais elles ne suffiront ni à
développer l'attractivité des postes et la
fidélisation
des personnels ni à améliorer les
conditions de travail de l'École nationale d'administration
pénitentiaire (Enap), qui doit former les agents toujours
plus rapidement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je partage ce qui a été dit par le rapporteur mais pas sa conclusion.
Je ne comprends pas pourquoi il faudrait construire des quartiers spécifiques pour brouiller les communications, comme l'explique le garde des sceaux. Certes, la question des riverains peut se poser. De plus, les personnels pénitentiaires veulent conserver leur téléphone, alors qu'ils n'en ont théoriquement pas le droit. Pourquoi ne pas mettre des brouilleurs dans les cellules concernées plutôt que de construire des quartiers spécifiques ? Pourrait-on formuler une préconisation en ce sens ?
Quand aura-t-on le courage d'aborder le sujet de la régulation carcérale ? Nous construisons des prisons, qui sont toujours surpeuplées. Sachant que les peines sont de plus en plus longues, il va falloir prendre des décisions et travailler à cette question.
M. Teva Rohfritsch. - La Polynésie française est confrontée à un paradoxe puisque nous accueillons, à la fois, le centre de détention très moderne de Tatutu - ce qui se fait de mieux - et l'établissement de Faa'a-Nuutania, maison d'arrêt et centre de détention pour femmes qui continue de se dégrader, malgré quelques rustines et coups de peinture, et dont la situation est très inquiétante en termes de délabrement et d'insalubrité. De plus, les catégories de prévenus y sont mélangées et des violences y ont lieu régulièrement.
La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) en 2020. Dans son rapport du 16 juin 2022, l'Observatoire international des prisons (OIP) pointe du doigt le fait que la situation n'a pas avancé. Un effort a été fourni pour limiter la promiscuité avec l'ouverture du centre de Tatutu. Ainsi, si le taux d'occupation était de 150 % à 200 %, il est aujourd'hui de 100 % à 120 %. En raison de la flambée du narcotrafic, il augmente de nouveau. Les conditions de détention y restent inacceptables pour la République.
M. Michel Masset. - Malgré la qualité de son travail, nous ne suivrons pas l'avis du rapporteur.
J'aimerais connaître le nombre de détenus qui sont en préventive.
Je voudrais aussi vous alerter sur le niveau très bas de recrutement des agents de la pénitentiaire, dû au manque d'attractivité de la profession.
M. Alain Marc. - Nous évoquons la surpopulation carcérale, mais j'aimerais avoir accès à une comparaison internationale. J'ai reçu récemment le président de la Cour constitutionnelle de Taïwan, qui indiquait que son pays compte 40 000 détenus pour 23 millions d'habitants.
Par ailleurs, nous avons beaucoup entendu que les maires s'opposaient à la construction des prisons et que les établissements devaient être situés dans des bassins de délinquance. Au nom de quelle doctrine s'attache-t-on à ce dernier point ? Certains maires seraient favorables à accueillir des prisons, dans des lieux qui ne sont pas forcément situés dans ces bassins. Nous pourrions ainsi augmenter le nombre de places disponibles.
M. François Bonhomme. - La maison d'arrêt de mon département connaît un taux d'occupation de 160 % et de nombreux détenus dorment sur des matelas au sol. Les conditions de travail des personnels y sont dégradées et les ateliers professionnels ne sont pas toujours assurés, faute de personnels disponibles ou de taux de vacance élevés.
J'ai le sentiment que plus nous faisons d'annonces, moins nous construisons de places de prison. Le garde des sceaux a admis que l'objectif de 15 000 places pour 2027 n'était pas tenable. Le précédent avait déjà reconnu les difficultés et l'inertie rencontrées en la matière. Un nouvel objectif de 6 800 places a été annoncé à l'horizon 2027. Au-delà des aléas techniques et environnementaux, des problèmes de foncier et d'acceptabilité, est-il possible d'avoir les leviers nécessaires - pas seulement financiers - pour réévaluer ce chiffrage ?
Enfin, le rapporteur mentionne 76 600 détenus et le garde des sceaux évoque le chiffre de 62 000 places de prison ; comment expliquer ce décalage ?
M. Louis Vogel, rapporteur pour avis. - Madame Harribey, nos conclusions diffèrent. D'abord, il faut tenir compte des circonstances et de la crise financière. Or le budget de la justice et de l'administration pénitentiaire augmente malgré tout, ce qui est exceptionnel. De plus, les engagements par rapport aux personnels sont tenus. Enfin, le garde des sceaux reconnaît la situation et, pour la première fois, considère qu'il faut dire la vérité : nous n'y arriverons pas en construisant plus de prisons et il faut des modes nouveaux d'enfermement. Nous devons lui en faire crédit, et nous jugerons l'année prochaine.
Madame Eustache-Brinio, je suis d'accord sur le fait que beaucoup de détenus ne devraient pas être en prison, notamment ceux qui ont des problèmes psychiatriques et qui sont à l'origine de 80 % des incidents. Nos surveillants ne sont pas formés pour les soigner. Il s'agit d'un problème de diversification des modes d'enfermement, que la construction de nouvelles prisons ne résoudra pas.
La prison de Faa'a-Nuutania doit être détruite et remplacée. Nous verrons si le garde des sceaux comprend qu'il y a des priorités dans ce qui reste à faire.
Monsieur Naturel, la surpopulation chasse les détenus ailleurs. Il faut trouver d'autres solutions : changer le système et la politique pénale.
Les brouilleurs sont financés dans le projet de budget, mais des problèmes techniques se posent. Je note le paradoxe de la proposition du garde des sceaux qui acte le fait que des téléphones sont disponibles jusque dans les cellules d'isolement.
Il faut aussi procéder à une gradation des établissements, pour adapter nos prisons aux prisonniers et pas l'inverse. Certaines doivent être très sécurisées alors que, dans d'autres, il n'est pas nécessaire de gaspiller de l'argent car les prisonniers n'ont pas particulièrement besoin d'être encadrés.
La construction de prisons se heurte à des oppositions locales. Certaines doivent être remplacées de façon urgente, comme celle de Melun, qui est inondable.
Madame Mercier, les crédits pour la justice restaurative ne relèvent pas du programme.
Monsieur Bitz, je suis d'accord sur les extractions. À Fleury-Mérogis, j'ai vu les équipements permettant d'organiser des visioconférences, ainsi que la salle d'audience. Il faudrait avoir davantage recours à ce type de dispositif. La mentalité des magistrats doit évoluer, et ces derniers doivent interagir davantage avec l'administration pénitentiaire.
La régulation carcérale n'est pas une solution en soi. Il faut changer de politique pénale car c'est à l'entrée de la prison qu'il faut agir, pas à la sortie.
Monsieur Masset, le pourcentage de détenus à titre provisoire s'élève à 28 % de la population carcérale totale. Il s'agit d'une question importante. Par ailleurs, il me semble que le système de comparution immédiate est à revoir.
Monsieur Marc, j'aimerais aussi avoir davantage d'informations sur le niveau de sévérité des juges, le nombre de personnes détenues et les différentes formes de détention dans les autres pays. Nos juges sont de plus en plus sévères car les textes prévoient des peines de plus en plus lourdes. Le législateur doit mieux s'attacher au respect de l'échelle des peines. Mieux vaut appliquer des peines moins lourdes, mais le faire rapidement après la commission du délit.
Monsieur Bonhomme, nous comptons quasiment 80 000 détenus pour 62 000 places de prison. Les chiffres du ministère de la justice ne correspondent pas toujours à la réalité et il est difficile pour le législateur de se faire une idée précise de la situation.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 107 « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».