EXAMEN EN COMMISSION
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous entendons à présent l'avis de Michel Masset sur les crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».
M. Michel Masset, rapporteur pour avis de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ». - Prenant la suite de notre ancienne collègue Nathalie Delattre, j'aborde cet avis avec un regard neuf, tout en m'inscrivant dans la continuité de ses travaux.
La mission « Direction de l'action du Gouvernement » interpelle par son caractère à la fois hétérogène et singulier. Son intitulé reprend la première phrase de l'article 21 de la Constitution : « Le Premier ministre dirige l'action du gouvernement. » Cette mission regroupe ainsi des entités disparates, comme des autorités administratives indépendantes (AAI) ou des secrétariats généraux, dont le dénominateur commun est leur rattachement au Premier ministre.
Cette mission participe, bien que de manière contrastée, à l'effort budgétaire national en voyant ses crédits diminuer, à périmètre inchangé, de 14,8 millions d'euros, ce qui représente une baisse de 1,4 % en euros courants et de 3,1 % en euros constants, une fois l'effet de l'inflation corrigé.
La diminution se concentre principalement sur le programme 129 « Coordination du travail gouvernemental », dont les crédits reculent de 2,3 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024. L'augmentation apparente des crédits s'explique par l'intégration du programme 352, « Innovation et transformation numériques », dans le périmètre de la mission.
Je tiens à saluer la gestion rigoureuse du budget annexe de la direction de l'information légale et administrative (Dila), dont l'excédent prévisionnel devrait doubler en 2025, passant de 15 millions à 30,5 millions d'euros. Cette performance résulte d'une stricte maîtrise des dépenses et d'une optimisation judicieuse des investissements.
Les autorités du programme 308 « Protection des droits et libertés » voient quant à elles leurs crédits progresser de 4,5 % par rapport à l'année précédente. Outre l'attribution de nouvelles missions et l'extension du périmètre de leurs missions historiques, certaines de ces autorités font face à des besoins d'investissements conjoncturels, notamment dans le domaine immobilier.
À cet égard, dans le prolongement des réflexions menées par Nathalie Delattre, je souligne les efforts menés par les différentes entités de la mission. Je salue, par exemple, le choix stratégique du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), qui a réduit ses espaces de travail de moitié en sous-louant une partie de ses locaux à FranceAgriMer, économisant ainsi 2,8 millions d'euros. Je signale également les gains financiers évalués à plus de 7,3 millions d'euros par an et les gains fonctionnels réalisés grâce à l'opération de regroupement au sein de l'ensemble immobilier Ségur-Fontenoy de services jusqu'alors disséminés, bien que l'occupation par résident puisse encore être optimisée.
Je demeure néanmoins circonspect concernant la décision de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) de louer un site privé pour neuf ans, faute de proposition domaniale de la part de la direction de l'immobilier de l'État (DIE). Cette situation nous conduit à nous interroger sur la stratégie de gestion immobilière publique et appelle, à l'avenir, à privilégier des implantations durables pour des entités ayant vocation à s'inscrire dans le long terme.
Enfin, sans pour autant qu'elle devienne la norme, la pratique de bureaux non attribués, dite flex office, expérimentée par la direction interministérielle du numérique (Dinum) et par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), mérite d'être poursuivie dans la perspective d'une évaluation dans les années à venir. Elle permet d'accueillir les agents dans de meilleures conditions, à surface constante, en particulier dans les services concernés par le temps partiel et le télétravail.
Après ce panorama général, j'aborde les orientations structurantes de la mission. Malgré son apparente hétérogénéité, trois axes majeurs d'allocation des crédits se dessinent.
La mission est tout d'abord fortement marquée par le soutien en matière d'accès aux droits et à la transparence de l'information.
En 2025, les entités des deux programmes s'attacheront, comme jamais auparavant, à favoriser l'accès aux droits des citoyens et à renforcer la transparence de l'action publique. La France poursuivra sa politique d'ouverture des données publiques, qui la classe au premier rang des pays européens dans ce domaine. Cette stratégie s'inscrit pleinement dans l'objectif de confiance des citoyens dans l'action administrative.
La Dila joue un rôle essentiel dans cette politique via ses sites Légifrance, Service public et Vie publique. Elle contribue à délivrer aux citoyens les informations nécessaires à la bonne connaissance de leurs droits et à garantir la transparence de la vie publique, tout en s'adressant, avec des résultats probants, à des publics ordinairement éloignés de l'environnement administratif et qui font montre d'appréhension face à la complexité de certaines démarches.
Enfin, le rôle mené par le CGLPL en matière d'accès aux droits des personnes en détention est à saluer compte tenu des moyens dont il dispose et du volontarisme dont font preuve les bénévoles au service de l'institution.
Une deuxième ligne forte, mais plus diffuse, de la mission budgétaire concerne ensuite le numérique, et ce à deux titres.
D'une part, la régulation des plateformes numériques devient un enjeu crucial avec l'entrée en vigueur du paquet législatif européen relatif aux services numériques. Le poids des algorithmes devient central dans le traitement de données à caractère personnel et les risques associés à un dispositif d'intelligence artificielle (IA) sont proportionnels au caractère sensible des données utilisées. Dans ce cadre, la Cnil se voit ainsi attribuer 8 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires.
D'autre part, la coordination de la politique numérique de l'État s'intensifie avec la mise en oeuvre de la feuille de route de la Dinum. Toutefois, si je salue la volonté de la Dinum, réaffirmée en audition, de réduire le recours aux prestataires extérieurs et de réinternaliser certaines fonctions, conformément à la recommandation de la Cour des comptes dans son rapport déposé en juillet dernier, je regrette que les crédits nécessaires ne lui soient pas affectés. Cette observation vaut tout particulièrement pour les instruments d'intelligence artificielle, pour lesquels les investissements sont résiduels.
En 2025, les résultats économiques attendus des technologies de l'intelligence artificielle sont estimés à 90 milliards d'euros, contre 7 milliards d'euros en 2020. L'intelligence artificielle permet des gains substantiels de compétitivité et de productivité dans tous les secteurs de l'économie ainsi que dans les services publics. La première phase de la stratégie nationale pour l'intelligence artificielle, de 2018 à 2022, tend à positionner la France comme l'un des leaders mondiaux. Il faut impérativement la poursuivre et l'amplifier pour ne pas accumuler de retards, qu'il nous serait d'autant plus difficile de rattraper lors des prochains exercices.
C'est pourquoi je vous propose d'adopter un amendement LOIS.1 visant à renforcer les capacités de la Dinum en matière d'IA et à soutenir ses projets stratégiques, en prévoyant une dotation supplémentaire de 6 millions d'euros en 2025, dont 3 millions d'euros consacrés au développement du programme « Entrepreneurs d'intérêt général ». Cette proposition s'inscrit dans la continuité de la stratégie numérique de l'État en répondant aux enjeux d'amélioration de l'attractivité des métiers numériques dans la fonction publique et d'internalisation des compétences clés. La disposition permettrait de renforcer l'efficacité de l'action publique et d'engendrer, dans un contexte de contraintes budgétaires, des gains pour les années à venir. La prise en main de l'IA par l'ensemble de la sphère publique m'apparaît capitale, tant pour son retour sur investissement que pour améliorer la qualité et l'efficacité des services publics. Sans cette dotation, la capacité de la Dinum à faire évoluer des outils essentiels comme France Connect ou le réseau interministériel de l'État (RIE) serait nettement compromise. Des investissements nécessaires pourraient être contrariés, notamment en ce qui concerne les sites ultramarins desservis par le RIE, dont la bande passante et la résilience demeurent, à ce jour, insuffisants.
La troisième ligne forte concerne les initiatives, bien qu'encore trop rares,destinées aux collectivités locales et aux élus méritant d'être amplifiées. Le programme « Transformation numérique des territoires » représente un pas dans la bonne direction. D'une durée de trois ans, ce programme constitue la principale initiative de coopération État-collectivités en matière d'administration numérique et vise à former les agents territoriaux grâce à des investissements collectifs à même d'accélérer la transformation numérique de l'action publique dans nos territoires.
À l'issue des échanges conduits avec des entités relevant de la mission, j'estime que les mesures nouvelles et les principales lignes directrices de celle-ci sont pertinentes et ambitieuses. En conséquence, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption de ses crédits et de ceux du budget annexe « Publications officielles et information administrative », tout en vous présentant un amendement de crédits de 6 millions d'euros en faveur de la Dinum.
Mme Audrey Linkenheld. - Merci à Michel Masset de la qualité de son rapport, qui assure la continuité avec les précédents travaux de Nathalie Delattre.
Le groupe Socialiste, Ecologiste et Républicains et moi-même sommes cependant bien plus réservés que le rapporteur sur l'évolution des crédits de la mission. On peut entendre qu'il faille faire des efforts budgétaires, mais la question reste toujours de savoir où les réaliser.
Nous regrettons ainsi la baisse qui intervient sur les crédits des programmes « Coordination du travail gouvernemental » et « Innovation et transformation numériques ». Le sujet du numérique nous paraît, en particulier, fondamental et nous souhaiterions davantage de moyens pour le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum). La commission d'enquête sénatoriale sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères avait insisté sur la nécessité d'en renforcer les moyens humains et financiers. De la même manière, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) voit ses moyens diminuer, alors que nous savons qu'elle joue un rôle de premier plan sur les aspects de cybersécurité, rôle amené à être encore renforcé dans les mois qui viennent avec la transposition de la directive européenne NIS 2.
Quant au programme « Protection des droits et libertés », il bénéficie d'une augmentation de ses crédits et les AAI, qu'il concerne plus spécifiquement, d'ETP supplémentaires. Quoique positif, le signal nous paraît insuffisant par rapport aux missions demandées à certaines AAI, en particulier la Cnil. Celle-ci avait sollicité davantage d'ETP qu'elle n'en obtient, en considération des nouvelles missions qui lui échoient, notamment depuis l'adoption de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique. Pour leur part, le Défenseur des droits (DDD) et ses délégués dans les territoires reçoivent un nombre toujours plus élevé de réclamations, dont le traitement satisfaisant, indispensable à la qualité de la relation de nos concitoyens avec leurs administrations et pour la confiance qu'ils placent en elles, requerrait des moyens additionnels.
M. Michel Masset, rapporteur pour avis. - Deux amendements, qui ont été déposés auprès de la commission des finances, ne vont nullement en ce sens. Le premier, du sénateur Christopher Szczurek, a pour objet une baisse supplémentaire de crédits de 14 millions d'euros. Le second, du Gouvernement, prévoit une nouvelle diminution de 26 millions d'euros.
L'amendement LOIS.1 n'est pas adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».