II. UN PILOTAGE STRATÉGIQUE INSUFFISANT
A. LA RÉDUCTION DES BUDGETS : DES CONSÉQUENCES MAL ANTICIPÉES
Les réformes structurelles sont, par nature, lentes à produire des effets. Afin de préserver l'équilibre de leurs comptes, les entreprises de l'audiovisuel public sont donc contraintes de réaliser des économies sur leur offre de programmes, avec des conséquences économiques mal anticipées et peu assumées par le gouvernement, en l'absence d'étude d'impact et faute d'avoir pu aboutir sur la réforme de la gouvernance et sur la conclusion de contrats d'objectifs et de moyens (COM).
1. Des réformes structurelles qui nécessitent du temps
Pour Radio France, comme pour France Télévisions, la mise en oeuvre des réformes structurelles est lente. Alors que l'IGF et la Cour des comptes avaient déjà souligné, dans leurs rapports respectifs précités, la nécessité de faire évoluer le cadre social de France Télévisions, la dénonciation de l'accord collectif n'a eu lieu qu'en juillet 2025.
Dans son rapport, la Cour des comptes a en effet souligné la nécessité d'une réforme du cadre social de France Télévisions, actuellement très contraignant et inadapté à l'évolution des technologies qui a profondément transformé le métier de journaliste. Si l'accord collectif de 2013 a été dénoncé en juillet dernier par le conseil d'administration de France Télévisions, cette dénonciation n'a fait qu'ouvrir un délai de négociation de plus de deux ans.
De même que pour la télévision publique, la Cour des comptes a souligné, dans un rapport de janvier 2025, la rigidité du cadre social de Radio France, dont la renégociation est là aussi un processus au long cours.
Le rapprochement entre France 3 et France Bleu souffre de la même inertie. Or, ce rapprochement est indispensable, parallèlement à la rénovation du cadre social, dans la mesure où les 44 antennes locales de Radio France représentent plus de 30 % des effectifs et des moyens du groupe.
De la même façon, les réseaux France 3 et Outre-mer représentent une part essentielle de l'activité de France Télévisions, mobilisant plus de la moitié de ses effectifs et un quart de ses charges d'exploitation. Si la proximité est au coeur de la mission de l'audiovisuel public, les évolutions technologiques doivent permettre de plus grandes synergies dans l'offre de contenus mais aussi une plus grande souplesse dans l'organisation des métiers, marquée par une forte rigidité et une absence de polyvalence à l'origine de surcoûts importants.
Pour être efficient, le rapprochement France 3 - France Bleu doit porter non seulement sur le contenu de l'offre mais aussi sur l'organisation des équipes et sur les implantations immobilières.
2. Des conséquences économiques en chaîne
Pour réaliser l'effort de 146 M€ qui lui est demandé, France Télévisions met en place un plan d'économies dont les principales composantes envisagées sont les suivantes (sous toutes réserves) :
- environ 50 M€ d'économies sur le financement de l'audiovisuel ;
- environ 15 M€ d'économies sur le financement des programmes de flux ;
- environ 10 M€ d'économies sur le financement du cinéma ;
- environ 7 M€ d'économies sur l'achat de programmes sportifs.
L'essentiel des gains envisagés résulte d'une diminution du service rendu aux téléspectateurs, les économies structurelles étant difficilement réalisables à court terme. La situation est d'autant plus critique que l'ensemble des éditeurs font face à un risque d'augmentation des coûts de diffusion par l'opérateur Télédiffusion de France (TDF), qui souhaiterait compenser le départ des chaînes payantes de Canal+ de la TNT et la non-réattribution par l'Arcom du multiplex laissé vacant.
Le cahier des charges5(*) de France Télévisions prévoit que l'entreprise doit consacrer chaque année au moins 420 M€ à la production d'oeuvres européennes ou d'expression originale française. En 2024, France Télévisions a signé avec syndicats de l'audiovisuel un accord pérennisant un apport de 440 M€ par an, montant qu'elle ne pourra honorer en raison des économies qui lui sont demandées. Réaliser davantage d'économies nécessiterait une modification du cahier des charges du groupe. Les économies ainsi réalisées auraient une répercussion immédiate sur le secteur de la création, en termes de croissance, d'emploi, de rentrées sociales et fiscales, etc. En 2024, d'après l'Arcom, le groupe France Télévisions est le premier contributeur, représentant 35 % des dépenses de production d'oeuvres audiovisuelles en France.
S'agissant du cinéma, secteur dans lequel France Télévisions représente 15 % des investissements, une baisse de 10 M€ est évoquée.
Ce contexte rend le secteur audiovisuel français de plus en plus dépendant des dépenses des plateformes américaines. Or, par rapport à ces plateformes, France Télévisions a la particularité de travailler avec un plus grand nombre d'acteurs, de toutes tailles. La remise en cause du financement de France Télévisions fragilise donc l'ensemble du tissu économique.
C'est aussi la position de la France dans le domaine audiovisuel au niveau international qui est remise en cause, avec des conséquences en termes économiques et d'influence culturelle, à l'heure où la puissance culturelle revêt une importance particulière face à nos compétiteurs stratégiques.
* 5 Décret n° 2009-796 du 23 juin 2009 fixant le cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions.
