II. AUDITION DE M. PIERRE MOSCOVICI, PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES (11 OCTOBRE 2024)
Réunie le vendredi 11 octobre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques, sur le projet de loi de finances pour 2025.
M. Claude Raynal, président. - Nous recevons ce matin M. Pierre Moscovici en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes.
En application des dispositions de l'article 61 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), le HCFP rend un avis sur les prévisions macroéconomiques qui sous-tendent le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de l'année, et sur la cohérence de l'article liminaire au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel et de dépenses des administrations publiques. Il se prononce également sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses du PLF.
Alors que la croissance devrait être modérée en 2025, dans un contexte marqué par un assouplissement de la politique monétaire dû au reflux de l'inflation et un regain de tensions au niveau international, votre éclairage, monsieur le président, sur la sincérité et la crédibilité du scénario économique et budgétaire présenté pour l'année à venir nous est précieux. Je signale que le HCFP a également produit un avis sur le plan budgétaire et structurel national de moyen terme (PSMT) de la France, issu des nouvelles règles budgétaires européennes et qui doit être transmis à la Commission avant la fin du mois d'octobre.
Vous estimez que le scénario macroéconomique pour 2025 est, dans l'ensemble, fragile. En effet, une prévision de croissance de 1,1 % paraît difficile à concilier avec un ajustement de 60 milliards d'euros. Par ailleurs, les informations concernant les économies à réaliser vous paraissent insuffisantes et le détail des économies prévues et des hausses de prélèvements attendus, non documenté. De fait, on peine à connaître pour l'instant le niveau de baisse des allègements généraux de cotisation ou le contenu concret des mesures d'économie demandées aux collectivités territoriales.
Sans plus attendre, je vous cède la parole pour revenir sur ces différents points.
M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques. - Merci pour votre accueil. Je me réjouis de revenir aujourd'hui devant votre commission en tant que président du HCFP pour vous présenter les principales conclusions des deux avis que nous avons remis au Gouvernement. Il s'agit de l'avis, traditionnel, relatif au PLF et au PLFSS pour 2025, mais aussi, et c'est nouveau, de l'avis relatif au PSMT à l'horizon de 2031. Conformément à la Lolf, le HCFP a été saisi des prévisions macroéconomiques, mais il a aussi porté une appréciation sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses du PLF et du PLFSS. Par ailleurs, le Gouvernement a décidé de nous saisir pour avis sur le PSMT introduit par la nouvelle gouvernance économique européenne, qu'il doit présenter à la Commission cet automne.
Je veux d'abord me féliciter que le Gouvernement ait décidé de nous saisir de ce PSMT. Il n'y est pas tenu dans les premières années de mise en oeuvre de cette nouvelle gouvernance, mais il a souhaité - à ma demande - fixer un rendez-vous supplémentaire, de sorte que vous ne serez pas privé de l'avis du HCFP sur les perspectives de moyen terme. Puisque nous rendions un avis sur le programme de stabilité, il est logique que nous le fassions pour le PSMT. Mais je suis au regret de vous dire que les informations transmises par le Gouvernement ne nous permettent pas de juger du réalisme de la trajectoire associée à ce PSMT, car elles sont très insuffisantes. On peut, on doit faire mieux à l'avenir - j'y reviendrai.
J'ai eu l'occasion de le dire devant vous à de multiples reprises, mais à présent que nous connaissons le résultat des courses, je le dis avec gravité : 2024 est une année noire pour les finances publiques. Alors que l'objectif de déficit public prévu dans la loi de finances initiale (LFI) était de 4,4 points de PIB, soit 128 milliards d'euros, ce montant a été porté en avril à 5,1 points de PIB dans le programme de stabilité, et l'année se terminera sans doute avec un déficit de 6,1 points de PIB, soit 180 milliards d'euros. Cela fait quelque temps que je suis dans l'action publique, comme magistrat à la Cour des comptes et, avant cela, dans d'autres fonctions qui m'ont amené plus près de vous dans le passé. Un creusement du déficit de 1,7 % du PIB sur un an, soit 52 milliards d'euros, je ne garde pas le souvenir d'avoir assisté à une chose pareille - d'autant que nous ne sommes pas en période de crise économique ou financière, et que nos partenaires dans l'Union européenne ont connu des évolutions strictement inverses.
Dans ce contexte, le HCFP souligne la nécessité de retenir des hypothèses prudentes en matière de prévision de recettes comme de ralentissement des dépenses, dès lors qu'aucun dispositif robuste n'a été prévu à cet effet. Et nous continuerons pour notre part à jouer, de concert avec le Parlement, à votre service en quelque sorte, un rôle de vigie des finances publiques.
Je rappelle de surcroît, mais cela n'a échappé à personne, que l'année 2024 a été marquée par l'ouverture, en juillet dernier, d'une procédure pour déficit excessif à l'encontre de la France. Concrètement, cette procédure nous oblige à transmettre une trajectoire crédible de désendettement, fondée sur un budget cohérent, dans le cadre du premier PSMT prévu par la nouvelle gouvernance des finances publiques européennes.
Le PSMT qui sera présenté à la Commission européenne se fonde sur une trajectoire plus réaliste que les précédentes. Je suis venu devant vous, à l'époque, présenter les avis du Haut Conseil sur le projet de loi de programmation des finances publiques, puis le programme de stabilité pour les années 2024 à 2027. Je ne me rappelle pas exactement la sémantique qui avait été retenue, mais nous disions il y a un an que la trajectoire du projet de loi de programmation des finances publiques nous semblait manquer de crédibilité. Nous avions même dit, lorsque nous sommes venus présenter l'avis sur le programme de stabilité, que ce document manquait de crédibilité mais aussi de cohérence économique.
Franchement, ces références sont à oublier. Elles sont caduques l'une et l'autre. Je ne vais pas jusqu'à vous proposer, dans le contexte que nous connaissons, d'élaborer une nouvelle loi de programmation des finances publiques. Disons que, désormais, la base est la trajectoire du PSMT, qui est plus raisonnable. En effet, elle décale l'objectif de ramener le déficit public sous 3 points de PIB à l'horizon de 2029 et non plus 2027. Il y a quelques semaines, je vous avais dit qu'il me semblait plus raisonnable de procéder ainsi. Avec un déficit de 6 points de PIB à la fin de 2024, vouloir arriver à 3 points de PIB en 2027 eût été socialement meurtrier, dommageable économiquement, et complexe sur le plan politique.
Il est plus raisonnable de fixer l'échéance à 2029, assurément, mais il y a tout de même une contrepartie : ce scénario, pour être conforme aux règles de gouvernance européennes, suppose que la période d'ajustement budgétaire de la France soit portée à sept ans. Voilà pourquoi le PSMT court jusqu'en 2031. Mais il est crucial que cette trajectoire soit tenue. Nous ne pouvons plus nous permettre que nos trajectoires pluriannuelles des finances publiques deviennent caduques avant leur publication ou dès leur publication, ou en tout cas avant même la première année de leur mise en oeuvre. Ces changements constants de trajectoires et de cibles, sont très dommageable pour la France, je l'ai constaté lorsque j'étais commissaire européen en charge de ces sujets, car ils jettent une ombre sur la crédibilité du pays. Cette trajectoire plus raisonnable, il faut donc la tenir. Et pour cela, il faut prendre des engagements très concrets. Les objectifs du PLF et du PLFSS pour 2025, examinés par le HCFP, sont les premières briques de cette trajectoire.
La fixation d'un objectif de réduction du solde structurel de 1,2 point en 2025 est une inflexion que je juge réelle et bienvenue. En effet, nous avons accumulé un tel niveau de dette, la charge de la dette est si forte, les déficits sont si profonds, qu'il nous faut vraiment revenir sur une trajectoire plus raisonnable. Ce n'est pas une question de soumission aux marchés ou à l'Union européenne, c'est une question de bon sens. La charge de notre dette était de quelque 25 milliards d'euros en 2021. Elle est de 53 milliards d'euros cette année. Si rien n'est fait, elle peut filer allègrement vers les 100 milliards d'euros, ce qui nous placerait dans un état d'impuissance absolue. Nous devons donc marquer ce point d'inflexion. Et il faut que la première marche soit significative, parce que nous sommes à un niveau beaucoup trop élevé.
Après ce bref rappel de la situation, je souhaite revenir sur nos trois messages principaux.
Le premier message porte sur le réalisme des prévisions macroéconomiques. Vous l'avez dit, monsieur le président, le scénario du Gouvernement pour 2024 est dans l'ensemble réaliste, mais celui de 2025 paraît fragile. Et le scénario du PSMT semble plus raisonnable, bien qu'un peu optimiste.
Le deuxième message a trait aux prévisions de recettes et de dépenses. Malgré nos demandes, les informations communiquées au HCFP sont insuffisantes pour apprécier la capacité du Gouvernement à atteindre ses objectifs de hausse des prélèvements obligatoires et de freinage de la dépense pour 2025, qui portent sur des montants très importants. Le Conseil des ministres a adopté le PLF hier. Nous disposerons donc bientôt d'éléments plus précis.
Le troisième message est que nous saluons l'inflexion représentée par la fixation d'un objectif de déficit à 5 points de PIB en 2025, même si un risque élevé, j'y insiste, pèse sur le respect de cette trajectoire. De ce point de vue, les objectifs du PSMT sont plus réalistes.
Le contexte économique international est plutôt incertain. L'économie mondiale a eu ces dernières années à surmonter successivement une pandémie, un choc énergétique, des tensions géopolitiques majeures, mais elle continue de démontrer sa résilience, puisqu'elle croît à un taux de 3 % par an en moyenne, ce qui devrait continuer dans les années à venir. On observe toutefois des modifications importantes dans sa composition, puisque les États-Unis et la Chine devraient quelque peu ralentir alors que la zone euro voit sa croissance redémarrer enfin.
Ce redémarrage, visible depuis le début de 2024, est tiré principalement par le commerce extérieur, ce qui n'est pas sans impact sur les recettes fiscales, alors que la demande intérieure continue de pâtir de la chute de l'investissement, mais avec une conjoncture très contrastée selon les pays. Le paradoxe est que ce sont surtout les pays du Sud, comme l'Espagne, le Portugal, la Grèce ou l'Italie, qui sont en situation favorable, alors que l'Allemagne, qui fut longtemps le principal moteur de la zone euro, est carrément en panne, avec des incertitudes sur sa reprise.
Le redémarrage devrait être plutôt favorisé par le cycle de baisse des taux, qui s'est déjà traduit par une diminution de 50 points de base du taux d'intérêt de la facilité de dépôt de la Banque centrale européenne (BCE). Il y a tout de même des incertitudes assez fortes sur la conjoncture internationale. Nous pouvons citer les tensions géopolitiques ; les conséquences de l'élection présidentielle américaine ; les fragilités, voire les turbulences dans le système commercial multilatéral, qui pourraient être aggravées, justement, par l'élection américaine. Dans la zone euro, les perspectives restent incertaines pour l'économie allemande, qui, connaissant sa deuxième année de récession, annonce une reprise assez forte en 2025, mais sur la base d'un acquis de croissance assez faible. C'est à se demander si, là aussi, la machine à prévisions n'est pas quelque peu déréglée... Enfin, une désinflation plus rapide que prévu aux États-Unis et en zone euro pourrait soutenir le pouvoir d'achat des ménages et favoriser une détente accrue sur les taux.
J'en viens aux observations du HCFP sur les prévisions macroéconomiques du Gouvernement pour la France, à court et moyen terme. Dans le contexte international que je viens d'évoquer, le HCFP considère que le scenario macroéconomique pour 2024 est dans l'ensemble réaliste, mais que celui que le Gouvernement présente pour 2025 comporte des éléments de fragilité. Pour 2024, le Gouvernement prévoit une croissance du PIB de 1,1 point en moyenne annuelle, comparable au chiffre moyen avancé par les prévisionnistes, et que nous jugeons réaliste dans l'ensemble. En revanche, la prévision de croissance pour 2025 nous paraît un peu élevée.
Le Gouvernement vous dira sans doute que ce chiffre de 1,1 point de croissance en 2025 reflète aussi le consensus des économistes. Dans l'absolu, il n'est pas impossible qu'il se réalise. Mais la prévision de croissance du Gouvernement s'éloigne du consensus si on prend en compte - et vous devez le faire - l'orientation restrictive du scénario de finances publiques associé, qui prévoit 1,2 point de PIB d'ajustement structurel. Le multiplicateur keynésien est souvent estimé à 0,5. Cela signifie que nous aurons 0,6 point de croissance en moins. Le chiffre du Gouvernement impliquerait donc que la croissance spontanée de l'économie serait de 1,7 %. Pour le coup, un tel taux n'est ni dans les astres ni dans les chiffres...
Pour compenser ce problème, le Gouvernement fait un certain nombre d'hypothèses qui nous paraissent favorables, même si elles ne sont pas absurdes, comme le recul de l'épargne ou l'augmentation forte de la consommation des agents. À ce stade, les indicateurs avancés ne laissent pas anticiper une telle évolution. Certaines hypothèses ne sont pas injustifiées. Par exemple, la dynamique récente des permis de construire et des mises en chantier peut laisser entrevoir une stabilisation de l'investissement des ménages. D'autres sont quelque peu volontaristes. Un repli du taux d'épargne et une hausse de la consommation sont possibles, mais observons que la part des ménages estimant qu'il est opportun d'épargner a atteint son plus haut niveau historique en septembre. Un léger rebond de l'investissement des entreprises n'est pas à exclure non plus, malgré une forte détérioration du taux de marge - sans parler de la fiscalité. Une forte hausse des exportations est envisageable aussi, tirée par une croissance du commerce mondial, attendue à un niveau supérieur à celui de l'activité mondiale. Après deux années, on n'en a pas observé. Mais les impacts de l'élection américaine, par exemple, ne sont pas évalués. Bref, nous qualifions le taux retenu d'un peu élevé. Or la croissance influe, dans son niveau comme dans sa composition, sur les recettes fiscales attendues.
Pour l'inflation, nous pensons aussi que le chiffre de 1,8 % est un peu élevé au regard du mouvement de désinflation observé depuis le début d'année. Enfin, la croissance de 2,8 % de la masse salariale nous semble un peu optimiste. Elle reflète la prévision d'emploi, en lien avec l'appréciation portée sur le PIB et l'évolution du salaire moyen par tête.
S'agissant du scénario macroéconomique sous-jacent au PSMT, dans la limite des informations extraordinairement lacunaires qui nous ont été transmises, le HCFP ne peut guère se prononcer que sur l'estimation du PIB potentiel, c'est-à-dire la croissance que connaîtrait l'économie en l'absence de choc conjoncturel. Je ne blâme certes pas le Gouvernement pour ce manque d'informations, je le remercie plutôt de nous avoir saisis. Mais la prochaine fois, il faudra tout même que nous soyons mieux informés. Je veux voir dans cette situation le reflet d'une forme d'urgence. Et il est mieux d'avoir été saisi avec des informations lacunaires, que de ne pas avoir été saisi du tout. L'estimation du PIB potentiel, du reste, est importante, car c'est un des chiffres sur lesquels se fondent les règles européennes. Pour le coup, je donne un satisfecit, dans la mesure où le Gouvernement se montre moins volontariste : il prévoit 1,2 % de croissance potentielle entre 2024 et 2028, et un peu moins après - 1 % - ce qui se rapproche de nos estimations. Évidemment, il vaut mieux des hypothèses prudentes que des hypothèses hasardeuses... Le HCFP a également relevé que le scénario de croissance effective était plutôt optimiste.
En somme, toutes ces hypothèses reflètent un peu de volontarisme, mais ce n'est pas comparable à ce qu'on a vu l'année dernière.
J'en viens aux prévisions sur les finances publiques pour 2025. Le scénario du Gouvernement prévoit un solde public effectif de 6,1 points de PIB en 2024 et de 5 points de PIB en 2025. En 2024 - c'est un vrai choc - le déficit public dépassera sans doute de 1,7 point de PIB l'objectif initial, qui était prévu à 4,4 points de PIB. Le Gouvernement prend quelques mesures pour éviter qu'on aille au-delà, mais il n'a pas déposé de projet de loi de finances rectificative (PLFR), ce qui aurait été opportun.
Le HCFP souligne un facteur de risque supplémentaire et une situation inédite. Je me permets d'attirer votre attention sur ce point. Le solde présenté dans l'article liminaire de ce PLF est, non de 5 points, mais de 5,2 points. Cela signifie que certaines des mesures prises en compte dans la prévision de déficit qui, elle, est à 5 points, ne sont pas intégrées à ce stade au PLF que vous allez examiner, mais qu'elles devront être introduites par amendement lors du débat parlementaire, pour un effet additionnel de 0,2 point. Autrement dit, le respect de l'objectif de 5 points dépend de l'adoption, ou non, par les assemblées de tels amendements, ce qui suppose une très grande force de conviction du Gouvernement et une extrême sagesse de la part des parlementaires. Il est vrai que vous nous y avez toujours habitués... Mais je voulais souligner ce hiatus et insister sur le fait que nous devons nous en tenir à un objectif de 5 %.
Le HCFP estime que la prévision de déficit pour 2025 est donc fragile, en raison de l'optimisme, léger mais réel, du scénario macroéconomique et de l'ampleur des mesures à mettre en oeuvre, qui ne sont pas toutes documentées à ce stade.
En 2025, les prévisions de prélèvements obligatoires affichent une hausse de 4,9 milliards d'euros par rapport à 2024. Leur croissance spontanée, de 2,5 %, resterait moins rapide que celle du PIB en valeur. Toutefois, cette prévision apparaît un peu haute, compte tenu du caractère optimiste des prévisions de croissance et d'inflation retenues dans le scénario du Gouvernement. Nous sommes obligés de constater que, ces deux dernières années, la machine à prélever des recettes n'a pas fonctionné. Il faudrait savoir ce qui s'est passé. On a des raisons de penser que ce sera mieux à l'avenir, mais prudence ! Le Gouvernement prévoit aussi dans le PLFSS une hausse de 30 milliards d'euros des recettes grâce à des mesures nouvelles, qui ne sont pas suffisamment évaluées, toutefois.
J'en viens à l'analyse de l'évolution des dépenses publiques prévues dans le PLF et le PLFSS. L'objectif pour 2024 ne sera évidemment pas atteint. C'est une année noire sur le plan des finances publiques, où les dépenses auront augmenté de 2,6 points en volume, soit nettement plus que la hausse de 0,5 % en 2023. Ce qui veut dire que le « quoi qu'il en coûte », en fait, ne s'est jamais arrêté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En effet !
M. Pierre Moscovici. - La dépense publique a continué à filer allègrement. La dégradation pour 2024 est de 20,4 milliards d'euros par rapport à la cible du programme de stabilité. Elle s'explique pour moitié par le dynamisme des dépenses des collectivités territoriales, en fonctionnement comme en investissement, et pour moitié par les dépenses de l'État. Quant aux dépenses des administrations sociales, elles sont restées plus proches des prévisions initiales.
Au total, les dépenses publiques hors crédits d'impôt atteindraient 56,8 points de PIB, un niveau supérieur de 3 points à ce qu'il était en 2019, avant la crise sanitaire. C'est un phénomène français que l'on connaît bien : l'effet de cliquet. Une crise arrive, on engage des dépenses massives ; la crise passe, les dépenses certes refluent, mais restent tout de même bien au-dessus de ce qu'elles étaient auparavant ! On continue ainsi d'accumuler des strates de dépenses publiques, d'où une impérieuse nécessité à se poser la question de la qualité de la dépense.
Nous n'avons pas d'autre choix, je le dis avec gravité, que de placer notre endettement et nos déficits sur une trajectoire baissière, notamment via des économies. Pour cela, il faut que des mesures en moindres dépenses soient effectivement mises en oeuvre et documentées. À ce jour, indépendamment du champ administratif concerné, leurs modalités restent peu définies, mais j'espère que le PLF apportera tous les éclaircissements requis - à défaut, le débat s'en chargera. C'est aussi le cas des mécanismes de résilience qui permettraient de contenir la hausse des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales à 0,2 point en volume par rapport à 2024. Une croissance très forte des dépenses des collectivités locales a effectivement été observée, mais elle est aussi due à l'absence de définition concertée de l'évolution de ces dépenses.
Si l'ensemble des économies étaient réalisées, la hausse des dépenses en volume, hors dépenses exceptionnelles de charge de la dette, serait contenue à 0,2 point, soit à un niveau inférieur à 2023. Mais, même ainsi, même ramené à 56,3 points de PIB, le poids des dépenses publiques n'en demeurerait pas moins situé 2,5 points au-dessus de leur niveau d'avant la crise sanitaire.
L'on me demandait ce matin à la radio si ce budget était un budget de rigueur ou d'austérité... Nous pouvons parler de rigueur et, même si le terme est connoté, il n'est jamais mauvais d'être rigoureux - c'est ainsi que nous gérons nos finances personnelles, familiales, entrepreneuriales. En revanche, avec 52 milliards d'euros de déficit en plus, une croissance massive des dépenses publiques et 3 points de déficit de plus qu'avant la crise sanitaire, je considère qu'un effort visant à ramener les dépenses publiques à 56,3 points de PIB peut difficilement être assimilé à de l'austérité. Il s'agit toutefois d'une cible ambitieuse, dont l'atteinte est conditionnée à la mise en oeuvre rapide de mesures d'économies.
Le solde structurel présenté par le Gouvernement s'élève à 4,5 points de PIB en 2025, contre 5,7 points en 2024. Cet ajustement structurel de 1,2 point est supérieur à l'effort de 0,5 point de PIB demandé par la gouvernance économique européenne. Dans la mesure où une procédure pour déficit excessif a été engagée, il faut que la première marche soit élevée. Je suis douloureusement conscient de la difficulté d'un tel exercice, qui n'a été mené qu'une fois au cours des vingt dernières années, en 2012-2013, alors que j'étais ministre des finances publiques. Il faudra en réalité consentir un effort structurel de 1,4 point de PIB, soit 42 milliards d'euros, pour compenser l'impact négatif de la croissance spontanée des prélèvements obligatoires, inférieure à celle du PIB.
J'attire votre attention sur un point qui peut faire l'objet de controverses et dont je ne voudrais pas qu'il soit mal exploité : cet effort repose à 70 % sur des hausses de prélèvements obligatoires, à hauteur de 30 milliards d'euros, soit 1 point de PIB, et à 30 % sur des baisses de la dépense publique, à hauteur de 12 milliards d'euros, soit 0,4 point de PIB. Il s'agit d'une analyse structurelle, quand le Gouvernement, lui, présente la situation en termes tendanciels, c'est-à-dire qu'il suppose que la tendance de croissance - au demeurant catastrophique puisqu'elle s'élève à 2,8 % en 2024 - des dépenses, qui est supérieure à la croissance potentielle comme à la croissance effective, se poursuivrait en 2025. Or cela n'est pas obligatoire et ne peut être apprécié.
Du fait de ce choix méthodologique, l'effort en dépenses affiché par le Gouvernement est considérable - il s'élève à 1,3 point de PIB -, alors qu'il ne réduit le poids des dépenses dans le PIB que de 0,4 point.
Il s'agit de deux modes de calculs différents.
Par ailleurs, la classification des mesures en recettes et en dépenses diffère entre le Gouvernement et le HCFP. Le chiffre de 20 milliards d'euros de prélèvements obligatoires supplémentaires ne tient pas compte de certaines mesures fiscales prises pour 2025, comme une partie de l'augmentation de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) ou la réduction des allègements de cotisations d'employeurs. Le Gouvernement les comptabilise. J'estime pour ma part que ce sont des prélèvements obligatoires.
'En prenant en compte cette différence de comptabilisation, l'effort par rapport au tendanciel serait plutôt donc porté à 50 % par une hausse des prélèvements obligatoires et à 50 % par une baisse des dépenses, quand ces proportions sont respectivement de 70 % et 30 % si l'on raisonne en structurel.
Le ratio de dette publique continue à croître très fortement, pour retrouver en 2025 le point haut atteint en 2020 lors de la crise sanitaire, soit 115 points de PIB. Depuis la fin de la crise sanitaire, la dette publique a reculé d'une dizaine de points dans la zone euro. Nous renouons pour notre part avec le point le plus haut de la crise, alors même que nous ne sommes pas en période de crise.
Or chaque euro remboursé pour financer la dette' est un euro de perdu pour les services publics. Avec un tel niveau de dette, on ne peut rien faire. C'est un véritable gâchis. L'année prochaine, la charge de la dette se rapprochera, en valeur, du budget de l'éducation nationale. Elle passera de 53 milliards d'euros cette année à 70 milliards d'euros l'an prochain.
Je me réjouis enfin que le Gouvernement ait saisi le HCFP du plan budgétaire et structurel à moyen terme. Je regrette toutefois que l'information disponible sur la nature des mesures qui sous-tendent la trajectoire soit étique. Il va de soi que dans trois semaines, quand le Gouvernement présentera ce plan à la Commission européenne, il devra documenter de manière bien plus approfondie les mesures qu'il souhaite prendre.
Je relève deux points positifs. Le premier est le décalage de deux ans de la date de retour à un déficit sous le seuil des 3 points de PIB. Le second est le caractère plus raisonnable de la croissance potentielle. Dans l'ensemble, cette nouvelle trajectoire gagne en réalisme. Il importe à présent qu'elle soit documentée et respectée, car l'instabilité nous tue. La Commission européenne étudiera ce plan avec bienveillance, mais aussi avec exigence. Il faudra donc lui fournir une réponse structurelle et structurante.
Si je me suis exprimé devant vous avec gravité, c'est parce que j'ai le sentiment que nous avons perdu le contrôle de nos finances publiques et qu'il nous faut reprendre ce contrôle. Nous sommes désormais le troisième pays le plus endetté de la zone euro en pourcentage du PIB, derrière la Grèce et l'Italie. Nous sommes le premier en termes de volume de dette, celle-ci s'élevant à près de 3 300 milliards d'euros. Nous sommes enfin le pays qui, ayant une dynamique de la dette aussi mauvaise, voit celle-ci continuer de se dégrader. Il nous faut donc replacer la dette sur une trajectoire descendante.
Toutefois, cet effort doit être acceptable socialement et soutenable économiquement. Cela passe par une politique non pas d'austérité, mais de maîtrise, d'amélioration de l'efficience et de la qualité des dépenses. Cette année sera à ce titre probablement une année zéro, mais il nous faudra progresser dans les années à venir. Quoi qu'il en soit, des années exigeantes nous attendent.
M. Claude Raynal, président. - Au-delà de la seule année 2025, le sujet de la trajectoire est fondamental, y compris pour apprécier les mesures qui seront prises pour l'année prochaine. Le document dont vous avez été saisi fait part d'intentions, d'une « trajectoire de principe », sans éléments sérieux pour pouvoir porter une analyse solide. Pensez-vous que le Gouvernement sera en mesure de documenter correctement sa trajectoire, secteur par secteur, dans le délai qui lui est imparti ? Nous devons avoir une visibilité sur cette trajectoire pour pouvoir en discuter.
Par ailleurs, on fait dire ce que l'on veut aux chiffres : il suffit d'aggraver un peu les prévisions de déficit en tendanciel pour que le niveau d'économies projeté dans le budget soit plus fort. Mais restons-nous dans des limites raisonnables ? La note de la direction générale du Trésor (DGT) qui date de cet été prévoyait un déficit public effectif de 6,2 points de PIB en 2025. Or cette prévision est soudainement passée à 7 points, ce qui représenterait un dérapage de près de 90 milliards d'euros par rapport à la prévision contenue dans le dernier programme de stabilité. Qu'en pensez-vous ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les propos que vous avez tenus sont les mêmes que notre commission tient depuis deux ans, et je regrette amèrement que le Gouvernement ait jugé insupportables, et presque déraisonnables les propositions que nous avions formulées lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques. Celles-ci auraient permis une inflexion du niveau de dépenses publiques de 37 milliards d'euros sur cinq ans. Nous mesurons aujourd'hui les conséquences de ce refus d'écouter la représentation nationale.
J'entends ce que vous dites sur les différentes mesures de l'effort porté par le PLF, entre tendanciel et structurel mais 'les Français retiennent malheureusement ce qui fait peur. En tout cas, l'ensemble des sénatrices et des sénateurs espèrent avoir un vrai débat sur le projet de loi de finances et retrouver à cette occasion un espace démocratique. Au regard de la situation politique, le Sénat aura un rôle particulier.
La perfect storm qu'avait évoquée devant nous le ministre de l'économie et des finances pour expliquer l'erreur de prévision des hauts fonctionnaires de Bercy fait aujourd'hui figure de tempête permanente. J'estime pour ma part qu'une prévision de déficit initiale de 4,4 points de PIB qui est revue à 6,1 points, voire à 6,3 points en cours d'exercice ne peut pas reposer sur des bases sincères. Les prévisions sur lesquelles se fonde ce PLF vous paraissent-elles plus fiables ?
Par ailleurs, le PSMT dont vous avez été saisi prévoit une augmentation du ratio d'endettement par rapport au PIB jusqu'en 2027. Comment éviter le cercle vicieux par lequel la dégradation de la situation budgétaire et la dégradation des conditions 'd'emprunt s'entretiendraient mutuellement ? Comment échapper à ces mâchoires qui risquent d'entraver les perspectives d'évolution plus favorables des conditions de financement et de redressement de nos comptes publics ?
Si la situation de notre pays est inédite, pour ne pas dire catastrophique, je crois que plus que jamais, nous aurons la faculté, lors du débat parlementaire, de proposer des arbitrages en faveur d'une baisse immédiate de la dépense publique.
M. Pierre Moscovici. - La trajectoire proposée est en tout cas plus raisonnable que celle que prévoit la loi de programmation des finances publiques et que celle qui était avancée par le programme de stabilité, dont le Haut Conseil avait estimé qu'elle manquait de cohérence et de crédibilité. L'objectif de repasser sous le seuil des 3 % de PIB de déficit public en 2027 - nous le disions cet été dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques - paraissait acrobatique, pour ne pas dire improbable. Il est devenu impossible dès lors que la prévision de déficit pour cette année s'est établie à 6,1 points de PIB.
Je ne puis dire si le Gouvernement parviendra à documenter cette trajectoire d'ici à trois semaines, mais ce que je sais, c'est qu'il doit impérativement le faire. Je le redis : pacta sunt servanda, les trajectoires sont faites pour être respectées. Des changements permanents de trajectoire ne sont pas bons. L'année prochaine, je serai sans doute saisi d'un PSMT bien plus documenté.
Le tendanciel repose sur des conventions que nous avons peu d'informations pour apprécier. Quel est le tendanciel sur les dépenses de l'État, la masse salariale ou l'emploi ? On prend en compte des décisions prises comme la revalorisation des médecins généralistes, mais cela n'a pas d'effet massif ! L'on a parfois l'impression que cela relève de calculs faits sur un coin de table, et du prolongement de tendances qui pour catastrophiques qu'elles soient, ne sont pas toujours expliquées. Le dérapage du solde public en 2024 s'explique par plusieurs facteurs : certaines mesures du programme de stabilité qui n'ont pu être mises en oeuvre du fait de la dissolution, des hypothèses volontaristes sur certaines dépenses, des moins-values de recettes. Il faudra faire le partage exact pour savoir précisément ce qu'il s'est passé.
J'ai toutefois la certitude tranquille que le structurel est ce qui reste. C'est une indication plus robuste que celle produite par le Gouvernement. Et j'ai également la certitude que le partage recettes-dépenses affiché n'est pas exact. Je pense que le Gouvernement ne le contestera pas. Le budget de cette année comporte de nombreuses mesures fiscales. Il ne pourra par définition y en avoir autant dans les prochaines années, d'une part parce que certains impôts envisagés sont pluriannuels, et d'autre part parce qu'il y a des limites aux augmentations d'impôt. Si on fait cela deux fois, bonjour les dégâts !
Si je n'ai pas à relater la teneur des discussions au Haut conseil, il se peut que nous ayons pu en débattre les années précédentes, par exemple lorsque la prévision de croissance du Gouvernement s'élevait à +1,4 % alors que le consensus des économistes prévoyait +0,8 %... Nous avions également estimé que les hypothèses du programme de stabilité n'étaient pas cohérentes, ce qui est pour nous une sémantique très rude pour ne pas dire violente ! En revanche la question de la sincérité de ce budget 2025 ne s'est même pas posée au Haut Conseil. Le report de deux ans du retour du déficit en deçà du seuil des 3 % du PIB, la prévision de croissance y compris potentielle raisonnable - mais optimiste, ce qui est un facteur de risque - sont des éléments positifs.
La charge de la dette va continuer à augmenter. Elle pourrait se situer à 2,8 points de PIB en 2027-2028, soit à plus de 90 milliards d'euros, et ce à supposer que les conditions de financement restent convenables. Or celles-ci peuvent se dégrader si notre pays n'est plus jugé crédible. Je n'ai jamais été de ceux qui crient à la faillite ou qui comparent la France à la Grèce. Nous ne sommes pas dans cette situation-là. Nous sommes un pays solide, robuste, avec une économie étendue. Notre dette trouvera donc preneur. Mais nous ne pourrons pas agir avec 90 à 100 milliards d'euros de charge de la dette. C'est vraiment la dépense la plus bête qui soit. Par ailleurs, la charge de la dette renchérit à mesure que nous perdons en crédibilité.
Il nous faut donc agir si nous ne voulons pas passer de l'étranglement à l'asphyxie. Si nous agissons, nous retrouverons des marges.
M. Thierry Cozic. - Je salue l'intervention du Haut Conseil, qui a effectué un travail de qualité en un temps record. Jamais sous la Ve République, un projet de loi de finances n'aura été préparé dans une telle improvisation, alors même que l'urgence appelle des mesures inédites.
Ce texte est un PLF « à trous » comme l'atteste la différence entre les chiffres de déficit - 5,2 % du PIB au début de la discussion mais 5 % espérés à la fin. Depuis quelques années, les prédictions de déficit et de croissance n'ont eu de cesse de plonger les finances publiques dans le rouge. Confirmez-vous que l'effort prévu par le projet de loi de finances pour 2025 est bien de l'ordre de 70 % d'augmentation des recettes et de 30 % de réduction de la dépense publique ?
- Présidence de M. Bernard Delcros, vice-président -
M. Thomas Dossus. - Les différents organismes s'accordent sur une prévision de croissance autour de 1,1 % pour 2025. Or l'impact dépressif de ce budget est évalué par le Gouvernement lui-même à 0,5 point de croissance. Dans ces conditions, comment pouvez-vous qualifier de raisonnable et légèrement optimiste la prévision de croissance sur laquelle se fonde le budget, alors même qu'elle ne tient pas compte de cet impact dépressif ? Compte tenu de la baisse des investissements que les efforts demandés vont emporter, cela ne relève-t-il pas davantage de la science-fiction ?
M. Pascal Savoldelli. - Vous évaluez à 42 milliards d'euros l'effort budgétaire de 60 milliards d'euros que nous annonce le Gouvernement. Cela pose tout de même la question de la sincérité des bases du travail parlementaire. Merci donc de ce moment de vérité !
Vous semblez balayer l'idée d'une responsabilité des marchés financiers ou du programme de stabilité dans la situation de nos finances publiques. Je rappelle, car il importe de tout dire, que le montant des intérêts payés par la France aux marchés financiers est passé de 33,8 milliards d'euros en 2022 à 56 milliards d'euros en 2024 du fait du relèvement du taux directeur de la Banque centrale européenne et de l'inflation.
Au mois de mars dernier, le Sénat avait demandé un projet de loi de finances rectificative afin de débattre des 10 milliards d'euros de coupes effectuées dans le budget de l'État. Nous n'avons pas pu en discuter, nous avons même peiné à identifier ces coupes... Avant d'envisager de nouveaux efforts budgétaires, j'estime qu'il nous faudrait disposer d'une évaluation de leurs effets.
Ce budget suscite de vives inquiétudes dans les domaines de l'éducation, de la santé ou encore parmi les collectivités territoriales. Vous avez fait fort, il faut bien le dire, en proposant la suppression de 100 000 emplois dans les collectivités territoriales d'ici à 2030 ! Quelles seront les conséquences de ce projet de loi de finances, d'après les derniers documents dont on dispose, sur les agents travaillant dans ces secteurs et sur les populations ?
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
M. Grégory Blanc. - Je tiens à souligner à mon tour la qualité des travaux du HCFP. Vous avez expliqué, à juste titre, que l'absence de maîtrise des comptes publics était problématique au regard des enjeux de souveraineté. Comme l'a indiqué notre rapporteur général, nous avons sans doute désormais une approche plus réaliste des finances publiques. Ces dernières années, nous avons été bercés par un slogan, celui de la stabilité fiscale, qui était quelque peu éthéré, voire hors sol. J'en veux pour preuve que l'effort d'ajustement reposera, comme vous l'avez indiqué, à hauteur de 70 % sur l'impôt.
En 2024, « année noire » pour les finances publiques selon vos propres termes, les quelques mesures qui ont été prises ont consisté en des gels de crédits ayant affecté les contractuels ou les investissements dans l'écologie et dans les réseaux - trains, numérique, etc. Il n'y a pas eu de réforme structurelle : ni sur la fiscalité ni sur les dépenses de l'État. Il me semble que la maquette budgétaire pour 2025 ne comporte pas non plus de réforme structurelle. En dehors de la réduction des dépenses de l'État de 5 milliards d'euros, qui n'est pas détaillée, l'effort porte de nouveau sur les investissements utiles pour l'avenir, à l'exception des investissements à caractère militaire.
Mme Christine Lavarde. - Dans son avis sur le programme de stabilité, le HCFP avait déploré la qualité de l'information qui lui avait été transmise. La direction générale du Trésor avait émis des alertes dès le mois de janvier sur l'évolution des recettes. Avez-vous eu connaissance de ces éléments ? Pouvez-vous demander à Bercy des documents complémentaires à ceux qui vous sont adressés pour établir vos avis ?
Vous jugez que la trajectoire du PSMT de la France est plus réaliste. Toutefois, pour qu'un État puisse bénéficier par l'Union européenne d'un allongement du délai qui lui est consenti pour revenir à l'équilibre budgétaire, il faut qu'il montre qu'il n'y aura pas de réduction des investissements dans des domaines stratégiques pour l'Europe : la recherche, la défense, l'écologie, etc. Or ce projet de loi de finances contient des coupes significatives dans certains de ces domaines, sur la décarbonation par exemple. En tant qu'ancien commissaire européen, pensez-vous que la Commission européenne acceptera la copie du Gouvernement ?
M. Pierre Moscovici. - Permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour vos compliments sur le travail du HCFP. Le Haut Conseil n'est pas la Cour des comptes : il est composé d'une équipe pluraliste d'une quinzaine de personnes, dont les profils sont très divers - des économistes, des membres de la Cour des comptes, mais ils ne sont que quatre, etc. Chacun a ses convictions et apporte son expertise. Les membres sont nommés par des autorités différentes : par le président du Sénat ou par le président de l'Assemblée nationale, par exemple. Certains sont de gauche, d'autres de droite : on peut s'attendre à ce qu'Éric Doligé et Michaël Zemmour ne pensent pas exactement de la même façon, et heureusement. Mais ils se mettent toujours d'accord, car nous procédons par consensus. Notre travail est collectif. Le HCFP, ce n'est pas la Cour des comptes. Il ne se résume pas non plus à son président, qui n'est qu'un animateur. Nous sommes assistés par une petite équipe, qui réalise un travail remarquable de haut niveau, dans des délais toujours très serrés. Nos avis sont adoptés à l'unanimité, à l'issue de débats internes. Ils découlent d'une analyse solide et robuste.
Nous estimons que l'effort budgétaire sera réparti à 70 % sur les impôts et à 30 % sur les dépenses. En tout cas, il nous semble certain que la fiscalité augmentera de 30 milliards d'euros, que l'on raisonne en tendanciel ou en structurel. J'ai dit aussi que l'effort structurel restait devant nous. J'observe d'ailleurs que vos questions portent non pas seulement sur ce budget, mais aussi sur l'avenir.
Vous m'avez interpellé sur la prévision de croissance. Comme je l'ai dit, celle-ci nous paraît un peu élevée. La prévision retenue de 1,1 % du PIB est, certes, conforme au consensus des économistes, mais il s'agit de la croissance ex ante, avant la prise en compte des effets restrictifs d'un budget prévoyant un ajustement structurel de 1,2 point de PIB. Si l'on retient un multiplicateur keynésien de 0,5, alors la croissance sera réduite d'environ 0,6 point. Cela signifie que pour obtenir une croissance finale de 1,1 point de PIB, il faudra que la croissance spontanée soit de 1,7 point. Notre appréciation est toutefois prudente, car tout n'est pas mécanique. Nous avons ainsi constaté les années passées que la croissance française pouvait faire preuve d'une certaine forme de robustesse, et s'avérer finalement meilleure qu'attendu. Certains événements ou aléas peuvent avoir une influence : cette année, par exemple, il y a eu un effet jeux Olympiques. La prévision n'est donc pas une science exacte. Nous ne sommes pas, au HCFP, des optimistes invétérés ; nous disons simplement que la prévision est « un peu élevée », en raison de risques baissiers significatifs liés à l'impact récessif des mesures, mais elle n'est pas impossible à atteindre.
Le général de Gaulle disait que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille ». Certes, mais les marchés existent et quand on doit emprunter 300 milliards d'euros chaque année, il faut tout de même tenir compte de leur avis et de celui des agences de notation ! Nous devons donc veiller à notre crédibilité, pour nous-mêmes et pour l'Union européenne.
Quant à l'euro, il faut bien reconnaître que nous en bénéficions plus que d'autres : s'il n'existait pas, le spread avec l'Allemagne serait certainement plus élevé. Souvenez-vous de la politique du franc fort dans les années 1990 : l'arrimage de notre monnaie au mark avait pour contrepartie que nos taux d'intérêt étaient supérieurs de 5 points à ceux qui s'appliquaient outre-Rhin ! Je comprends vos remarques sur la BCE. Je tiens à préciser toutefois qu'il est normal que les taux soient positifs. L'anomalie, c'est cette parenthèse magique d'une dizaine d'années pendant laquelle les taux étaient négatifs : on a cru alors que plus on s'endettait, plus on gagnait d'argent ; c'est une illusion. La Banque centrale revient progressivement à un régime normal de taux positifs.
La coupe budgétaire de 10 milliards d'euros était presque compensée par des reports de crédits de 2023. Il est certain que si un PLFR avait été adopté à temps, la situation serait quelque peu différente aujourd'hui. Les mesures de freinage ou d'ajustement ont été limitées, et cela a un impact.
En tant que Premier président de la Cour des comptes, je tiens à préciser que la Cour ne propose pas et n'a pas proposé de supprimer 100 000 emplois dans les collectivités locales. Elle n'a même pas proposé de supprimer un seul emploi. On estime cependant qu'il est possible de modifier la gouvernance des collectivités locales. Il serait alors envisageable, à terme, de fonctionner avec 100 000 emplois de moins en 2030, en ne remplaçant pas tous les départs en retraite par exemple. Nous avons aussi publié plusieurs rapports sur le temps de travail dans les collectivités locales, qui reste parfois inférieur aux 35 heures. Une amélioration de la gouvernance permettrait d'aboutir à une baisse du nombre d'emplois en 2030, mais nous ne proposons évidemment pas de supprimer des emplois.
Pour ce qui est des réformes structurelles, ce budget porte les traces de la situation politique que l'on connaît. Le gouvernement précédent a expédié les affaires courantes pendant deux mois. Le nouveau Premier ministre a été nommé le 5 septembre, le Gouvernement a été composé quinze jours après et le projet de loi de finances a été présenté le 10 octobre. Dans ces circonstances, un tel budget est nécessairement marqué du sceau de l'urgence et peut difficilement comporter des réformes structurelles importantes. Cela signifie qu'il faudra réfléchir, à l'avenir, à une meilleure qualité de la dépense publique. Nous devons ramener nos déficits sous la barre des 3 % en cinq ans. Notre effort devra être maintenu, de l'ordre de 20 milliards d'euros par an. Les réformes devront évidemment être structurelles, car il ne sera pas possible de prendre indéfiniment des mesures d'ordre conjoncturel.
En ce qui concerne la qualité de l'information qui nous est transmise, le HCFP est habilité à demander des éléments complémentaires au Gouvernement. Pour ne rien vous cacher, j'ai manifesté, cette fois-ci, une légère mauvaise humeur, car le Gouvernement ne nous a pas fourni un certain nombre de documents, que vous avez d'ailleurs aussi eu du mal à obtenir en tant que parlementaires, et lorsqu'il nous les communiquait, on constatait que les informations figuraient déjà dans la presse le matin... C'est agaçant ! Le respect des institutions est important dans une démocratie. Des progrès peuvent être faits en matière de transparence. Si ce n'est pas le cas, nous serons plus intrusifs.
C'est à vous qu'il revient d'apprécier et d'évaluer les mesures que le Gouvernement propose. Il ne m'appartient pas de me prononcer à la place des parlementaires. La Commission européenne, puis les États membres ensuite, vérifieront si la trajectoire du PSMT est cohérente avec les mesures présentées. Il est clair que le document ne peut pas être présenté en l'état. La Commission ne sera pas contente du tout !
Tout est affaire de choix. Vous avez rappelé les priorités de l'Union européenne, sur la transition écologique notamment. Je ne peux, à titre personnel, que vous rejoindre sur ce point. Nous sommes face à une montagne de dettes et à un mur d'investissement. On ne peut pas ne pas investir dans la transition écologique à l'avenir. Il est certainement possible d'améliorer certains mécanismes. La Cour des comptes avait ainsi publié un rapport sur MaPrimeRénov' voilà quelques années. Toute économie dans le secteur n'est pas illégitime, mais si tous les financements pour la transition écologique baissent, ce sera contre-productif pour l'avenir de la planète et de nos enfants.
M. Vincent Capo-Canellas. - Nous attendons tous les ans avec inquiétude et une certaine gourmandise l'adjectif que vous allez choisir pour qualifier les hypothèses retenues par le budget. « Fragile », avez-vous dit cette fois : voilà qui résume très bien, malheureusement, le budget et la situation politique actuelle. Un autre mot qui revient souvent est celui d'urgence, car le budget a été préparé dans des délais très courts, et il est urgent d'agir compte tenu de la situation financière de notre pays.
De ce projet de loi de finances, on retient surtout le choc fiscal et le risque récessif qu'il comporte. D'autres scénarios étaient-ils possibles ? La hausse de la fiscalité est une solution de facilité pour équilibrer les comptes, mais on n'a pas toujours le choix. N'assiste-t-on pas à une certaine forme de schizophrénie de la part du Gouvernement, qui annonce un choc fiscal sans renoncer pour autant à la politique de l'offre suivie jusque-là avec, pour but, de rétablir la croissance en favorisant le taux d'emploi ? Certains secteurs vont subir l'imposition de nouvelles taxes, toujours qualifiées d'« environnementales ». Ainsi, 2,5 milliards d'euros sont déjà prélevés sur les billets d'avion tous les ans. Il est prévu de prélever 1 milliard supplémentaire. Ne doit-on pas craindre une attrition de la base fiscale et une asphyxie de certains secteurs économiques ?
Ce budget a été improvisé dans l'urgence. Ne faudrait-il pas prévoir un PLFR à tête reposée au début de l'année prochaine, pour mettre en oeuvre des mesures plus structurantes ?
M. Albéric de Montgolfier. - Le HCFP a été créé par une loi organique en application des traités européens, mais le Gouvernement ne tient guère compte de ses avis et de ses prévisions macroéconomiques. Ma question sera un petit peu provocatrice : à quoi servent les avis du Haut Conseil ?
M. Pierre Moscovici. - Vous me permettrez d'être aussi provocateur dans ma réponse !
Mme Nathalie Goulet. -Si je comprends bien, lorsque vous employez l'expression « peu cohérent », votre reproche est violent ; de même, votre « légère mauvaise humeur » est en fait de l'agacement... Pourriez-vous nous fournir un glossaire l'année prochaine ? Je serai moins diplomate que vous en mettant en avant la chaîne d'irresponsabilité qui nous a conduits à la situation actuelle : finalement, personne n'est responsable ; les éléments d'information ne sont pas transmis ; le Parlement est incapable de se faire entendre, etc.
Avec quelques collègues, pour montrer notre agacement, nous avons attaqué devant le Conseil d'État le décret d'annulation de crédits de février, car celui-ci constitue un vrai dol budgétaire. La procédure est toujours en cours.
Quelles seront les conséquences de ce budget sur la signature de la France ? Les agences de notation sont en train de revoir leur position et leur notation. Que pensez-vous également du niveau des engagements hors bilan ? Le texte ne comporte rien sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. Ne faudrait-il pas pourtant prendre ces sujets à bras-le-corps ?
M. Raphaël Daubet. - Vous jugez que les prévisions d'inflation du Gouvernement en 2025 sont « un peu élevées » : pourriez-vous nous en dire plus ?
Le poids de la dette nous permet-il encore d'agir ? L'important dans la dette, c'est ce que nous en faisons. Celle-ci nous permet-elle de financer des investissements d'avenir susceptibles d'améliorer notre croissance ?
M. Laurent Somon. - Nous avions eu déjà des déceptions sur les recettes l'an dernier. Cette année le dérapage par rapport aux prévisions initiales est encore plus flagrant, sans que nous ayons d'explications précises. Les montants escomptés pour les nouvelles recettes sont-ils crédibles ou bien vous paraissent-ils optimistes ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - Le tableau de l'état des finances publiques que vous nous avez présenté est catastrophique. Nous ne sommes pas surpris : voilà trois ans que nous prêchons dans le désert. La catastrophe était annoncée. L'épargne est surabondante en France. 'Comment pourrait-elle à un moment donné être utilisée ? J'ai l'impression qu'elle est dans l'oeil du cyclone...
M. Stéphane Sautarel. - L'évolution de la dépense publique ne me semble endiguée que de manière très limitée. Vous avez expliqué qu'il ne s'agissait pas d'austérité. Vous avez rappelé les vertus de la rigueur. Mais peut-on parler de rigueur ? Il est aussi peu question de réduire les dépenses fiscales dans ce budget. Avez-vous des éléments sur ce sujet ?
M. Pierre Moscovici. - Un autre scénario est-il possible ? Nous devons absolument reprendre le contrôle de nos finances publiques. C'est le rôle du Parlement, et non du HCFP, de définir les modalités. J'indique toutefois qu'il est crucial d'analyser les dépenses sous le prisme de la qualité. Je ne sais pas si un PLFR sera nécessaire. Tout dépendra de la qualité de l'exécution du budget.
Vous me demandez à quoi sert le Haut Conseil. Mais, au fond, la question est, si j'en juge par certains de vos propos : à quoi servons-nous tous ? Le Parlement comme le Haut Conseil sont des vigies, des garde-fous, des lanceurs d'alerte. Le Parlement est plus que cela, c'est aussi le lieu du débat. Si celui-ci n'a pas lieu ou n'est pas suivi d'effets, on assiste à des dérapages budgétaires. Le Parlement est nécessaire. Le Haut Conseil fait aussi un travail utile, en éclairant les débats, en formulant des avis qui sont écoutés par les Français. Ces derniers ont ainsi pris conscience, ces derniers mois, que notre pays était trop endetté. Les enquêtes d'opinion le montrent bien. Ce changement d'attitude montre que nous finissons par être entendus. Cette voix de la vérité finit par être entendue et a des conséquences démocratiques : un pouvoir qui ne l'écoute pas finit par être sanctionné. Nous participons à la qualité du débat démocratique. On pourrait regretter qu'il ne soit pas meilleur dans notre pays, mais quoi qu'il en soit, nous continuerons à jouer notre rôle.
S'agissant de la signature de la France, le Gouvernement prévoit une hausse des taux d'intérêt, qui passeraient de 3,3 % fin 2024 à 3,6 %. L'écart de taux avec l'Allemagne augmente depuis le mois de mai, même s'il s'est un petit peu réduit à la suite de certaines annonces. C'est bien l'indicateur qu'il faut suivre. Il est donc important d'annoncer des mesures crédibles et de les mettre en oeuvre. Il faut aussi faire preuve de stabilité. Si les chiffres que nous donnons ne cessent d'évoluer, cela finit par poser des problèmes.
Je suis un peu embarrassé pour vous répondre sur la fiscalité, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale parce que cela ne fait pas partie des compétences du Haut Conseil. Notre rôle est de formuler un avis sur le réalisme du scénario macroéconomique et des prévisions de recettes et de dépenses. Nous n'avons pas à nous prononcer sur le détail du budget. C'est le rôle du Parlement.
La prévision d'inflation nous semble un peu élevée au regard du mouvement de désinflation entamé depuis le début de l'année et de la conjoncture internationale. Le Gouvernement a révisé en hausse de 0,1 point par rapport au programme de stabilité ses prévisions d'inflation. Certes, celle-ci sera soutenue par la revalorisation des tarifs médicaux en décembre 2024 et par la hausse du coût du travail au niveau du Smic, mais plusieurs facteurs baissiers existent : en septembre 2024, les prix à la consommation n'ont augmenté, d'après l'Insee, que de 1,2 % sur un an. Tout bien balancé, on estime que les estimations sont « un peu élevées ».
Vous me demandez un glossaire pour traduire les avis du HCFP, mais celui-ci émerge progressivement au fil de nos rapports. Je vous rappelle qu'il s'agit d'une jeune institution. Sa « jurisprudence » est encore récente.
Concernant le sujet de l'endettement, la question essentielle est celle du rapport entre la dette et l'investissement. Un pays qui est trop endetté ne peut plus investir dans quoi que ce soit. Il est complètement ligoté. Je ne suis pas un ayatollah du désendettement. Je suis juste convaincu qu'un État trop endetté est paralysé, impuissant et finalement inutile. Nous avons besoin de retrouver des marges de manoeuvre. C'est une question de souveraineté. Tout euro consacré au remboursement de la dette est un euro perdu pour le service public et pour l'investissement ! Voilà pourquoi il faut la réduire.
Il faudra comprendre comment le dérapage sur les recettes fiscales a pu se produire, afin de corriger ce qui doit l'être. Il ne s'agit pas de remettre en cause telle personne ou telle administration. Quelque chose s'est déréglé en 2023 et en 2024. Les prévisions de recettes se sont révélées profondément erronées. Peut-être faut-il modifier les modèles de prévisions - on peut constater que celles-ci sont désormais trop favorables - ou réévaluer l'appréciation des facteurs influant sur les recettes. Je pense notamment à la composition de la croissance. En tout cas, nous devons comprendre ce qui se passe.
Les estimations de croissance de la TVA nous paraissent crédibles. Nous avons quelques raisons de penser que la dérive par rapport aux prévisions devrait être bien moindre l'an prochain, mais nous ne pouvons pas pour autant en être certains.
La préférence française pour l'épargne ne se dément pas, alors que certains facteurs devraient entraîner sa baisse et favoriser une reprise de la consommation. La composition de la croissance en France a changé : elle est désormais tirée davantage par les exportations que par la consommation intérieure. Cela a des effets sur les recettes de TVA. Cette évolution figure parmi les éléments susceptibles d'expliquer la dégradation des rentrées fiscales. Or la consommation intérieure ne repartira vraiment que le jour où l'épargne commencera à refluer. L'économie française est marquée actuellement par une surépargne.
Vous devriez interroger le Gouvernement sur la répartition entre ce qui relève du tendanciel et ce qui est d'ordre structurel. Même si notre appréciation diffère de celle du Gouvernement, je peux comprendre son raisonnement. Néanmoins, s'il prétend réaliser un ajustement de 60 milliards d'euros, il doit justifier que l'évolution tendancielle des dépenses était bien celle qu'il indique.
En revanche, nous sommes formels sur l'effort structurel : celui-ci repose à 70 % sur les hausses de prélèvements obligatoires et à 30 % sur les dépenses. Quant à l'effort fiscal, il sera davantage de l'ordre de 30 milliards d'euros que de 20 milliards.
La devise de la Cour des comptes est : « Elle rétablit l'ordre par la lumière ». Telle est notre mission. J'espère que ces éléments éclaireront vos débats.