III. AUDITION D'ÉCONOMISTES SUR LES PERSPECTIVES DE L'ÉCONOMIE FRANÇAISE ET LA SITUATION DES FINANCES PUBLIQUES (23 OCTOBRE 2024)

Réunie le mercredi 23 octobre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu Mme Anne-Laure Delatte, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rattachée à l'université Paris Dauphine-PSL (en visioconférence), M. Olivier Redoulès, directeur des études de l'Institut Rexecode, et Mme Natacha Valla, présidente du Conseil national de productivité (CNP).

M. Claude Raynal, président. - Grâce à cette audition commune consacrée aux perspectives économiques de la France et à la situation des finances publiques, nous allons nous pencher sur ce que pensent les économistes du budget pour 2025 qui est soumis à notre examen et sur son impact sur l'économie française. Nous entendons Mme Anne-Laure Delatte, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rattachée à l'Université Paris-Dauphine PSL, et qui se trouve en visioconférence ; M. Olivier Redoulès, directeur des études à l'institut Rexecode ; et Mme Natacha Valla, présidente du Conseil national de la productivité (CNP).

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 est construit sur un ensemble d'hypothèses macroéconomiques formulées par le Gouvernement et sur lesquelles notre commission souhaite bénéficier de vos analyses, après avoir déjà entendu, le 11 octobre dernier, M. Pierre Moscovici en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP).

Pour redresser des finances publiques parvenues à un niveau de dégradation inédit, avec un déficit pour 2024 prévu pour l'instant à 6,1 % du PIB, le Gouvernement envisage dans le cadre du budget pour 2025 un effort structurel de 42 milliards d'euros, répartis entre 30 milliards d'euros de mesures nouvelles en prélèvements obligatoires et 12 milliards d'euros en baisses de dépenses. Cet effort est d'autant plus important que l'évolution spontanée des recettes serait, comme en 2023 et 2024, inférieure à celle du PIB. De ce fait, pour atteindre un ajustement structurel de 1,1 point de PIB - permettant le passage d'un déficit de 6,1 % à 5 % du PIB -, un effort structurel de 1,4 point de PIB, soit de 42 milliards d'euros, est nécessaire. Selon le Gouvernement, qui prend comme référence le « tendanciel » pour 2025, l'effort consenti pour atteindre un déficit de 5 % du PIB serait en réalité de 60 milliards d'euros. Je ne suis pas convaincu qu'il s'agisse de la bonne référence, et je pense même qu'il faut définitivement l'oublier pour clarifier nos débats.

Le Gouvernement prévoit une croissance du PIB de 1,1 % en 2025, alors même que l'ajustement structurel s'élève à 1,1 point de PIB. Selon le HCFP, cela signifie que la prévision de croissance sans cet ajustement serait de 1,7 %. Si l'on retenait comme base de calcul pour la détermination du niveau d'ajustement les 60 milliards d'euros sur lesquels communique le Gouvernement, cela signifierait que la croissance hors ajustement dépasserait les 2 % !

Cette prévision « hors ajustement » est bien plus élevée que la croissance en 2023 et 2024, bien plus élevée aussi que la croissance potentielle et que ce qu'anticipait le consensus des économistes dans sa dernière publication du 7 octobre dernier pour 2025, à savoir 1 %.

En somme, cela signifie ou bien que la prévision de croissance hors ajustement est trop élevée, ou bien que l'impact récessif estimé de l'ajustement envisagé est trop faible. L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui a publié sa note de conjoncture peu de temps après le dépôt du PLF, estime ainsi que la croissance devrait s'élever non pas à 1,1 %, mais à 0,8 % du PIB. Madame Delatte, sans proposer de prévisions de croissance, vous avez vous-même dans un article récent estimé que l'impact récessif de l'ajustement budgétaire serait de - 0,6 point de PIB en 2025 et même de - 1,7 point en 2026.

Nous aimerions connaître votre sentiment à tous les trois sur le sujet.

Nous aimerions également connaître votre analyse du dérapage hors norme du déficit pour l'année 2024.

Enfin, pour déterminer les grandes lignes de son scénario macroéconomique, le Gouvernement a formulé diverses hypothèses. Selon lui, l'assouplissement de la politique monétaire opéré depuis juin dernier par la Banque centrale européenne (BCE) et qui devrait se poursuivre en 2025 permettrait un rebond de l'investissement, après une chute, en 2024, qui n'avait pas été anticipée par le gouvernement Borne et à propos de laquelle la commission des finances alertait pourtant. Par ailleurs, le Gouvernement mise sur une hausse de la consommation des ménages expliquée par le reflux de l'inflation et la baisse du taux d'épargne : une certaine prudence devrait pourtant être de mise en la matière. Le Gouvernement anticipe également une forte hausse des exportations. Que pouvez-vous nous en dire ?

Je vous rappelle que cette audition est retransmise sur le site internet du Sénat et les réseaux sociaux.

Mme Anne-Laure Delatte, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique, rattachée à l'université Paris Dauphine-PSL. - Je me suis principalement intéressée aux effets macroéconomiques du budget.

Tout d'abord, j'ai examiné le rythme d'ajustement exigé par les règles européennes. Le déficit structurel primaire, c'est-à-dire le déficit qui n'inclut pas le paiement des intérêts, est égal à 3,6 % du PIB, selon les prévisions du PLF pour 2025. Or les règles européennes exigent de réduire le déficit structurel primaire à 0,8 % du PIB. Les nouvelles règles prévoient des garde-fous en matière de déficit et de dette, soit un rythme minimum, avec un ajustement à réaliser en sept ans maximum. Pour respecter tous ces critères, c'est-à-dire faire un effort d'ajustement de l'ordre de 3 points de PIB sur sept ans et respecter le rythme minimum d'ajustement qui correspond aux garde-fous, il faut réaliser un effort structurel autour de 0,6 point de PIB par an, pendant sept ans, ce qui représente un effort d'environ 16 à 19 milliards d'euros par an. Cela a été calculé avec la méthodologie de centre de réflexion Bruegel.

Or le rythme d'ajustement prévu par le PLF pour 2025 n'est pas linéaire : on commence par un effort de 1,4 point de PIB en 2025, soit 42 milliards d'euros, puis entre 0,5 et 0,6 point de PIB par an jusqu'en 2031, pour conclure par un effort de 0,25 point de PIB en 2031.

Ainsi, je fais deux constats : la stratégie française et les exigences européennes sont très différentes. La stratégie française prévoit un effort initial beaucoup plus important qu'exigé, avant un ajustement légèrement moindre que ce qu'exigent les règles pendant plusieurs années notamment en 2031. Cela peut se négocier mais ce n'est pas exactement respectueux de ce que demandent les règles européennes avec leurs garde-fous. À terme, le déficit et la dette sont bien réduits si tout va bien.

Le but de la stratégie française est de réduire le déficit structurel pour dégager des marges de manoeuvre avant toute prochaine crise, d'envoyer un message positif et volontariste aux investisseurs et sans doute, aussi, un signal politique de la part du gouvernement Barnier.

Les risques sont que l'ajustement cumulé est légèrement supérieur à ce qui est nécessaire, entre 2 et 27 milliards d'euros de plus que ce qu'exigent les règles européennes, selon les estimations de l'institut Avant-garde. Le deuxième risque est le coût social des effets récessifs, notamment au regard des suppressions d'emplois à venir. Enfin, le troisième risque est de rater la cible, car les plans d'économies augmentent l'endettement à court terme, du fait des effets récessifs.

J'en viens au paradoxe de l'effet récessif des plans d'économies. Quand les administrations font des économies, elles réduisent la demande dans l'économie, ce qui diminue le PIB. Quand l'État réduit sa dépense ou augmente les prélèvements obligatoires, cela a un effet sur une grande partie des ménages. Un plan d'économies réduit l'activité économique les années suivantes, car, du fait des effets de demande et de revenu, la consommation et l'investissement baissent.

Cela a deux implications. Il existe un effet sur les recettes : moins d'activité entraîne moins de recettes. En raison d'un effet multiplicateur, des économies de dépenses à hauteur de 10 milliards d'euros réduiraient l'activité de 7,8 milliards d'euros l'année suivante. Cela conduit selon mes calculs à une évaporation de recettes de 4,4 milliards d'euros. Ainsi, pour 10 milliards d'euros, le déficit primaire ne baisse que de 5,6 milliards d'euros, alors qu'entretemps 15 000 emplois ont été supprimés.

Le second effet porte sur les ratios : moins d'activité augmente les deux ratios dette/PIB et déficit/PIB. Si le PIB baisse plus vite que la dette et le déficit, les ratios augmentent. Ainsi, si on part d'un déficit de 50 milliards d'euros, r 10 milliards d'euros d'économies de dépenses permettrait au déficit d'atteindre 44 milliards d'euros,. La dette passerait de 1 000 à 1 044 milliards d'euros et le PIB de 1 000 à 1 006 milliards d'euros. Ainsi, le déficit va baisser moins que les économies réalisées, le chômage va augmenter et la dette risque aussi d'augmenter à court terme.

Vous avez fait allusion, monsieur le président, à un article que j'ai publié la semaine dernière. J'ai effectivement estimé les effets macroéconomiques du PLF pour 2025, en ligne avec les prévisions de l'OFCE, en « traduisant » le texte initial du PLF en impulsions budgétaires.

La baisse des dépenses publiques de 12 milliards d'euros - soit 0,4 % du PIB - prévue par le PLF est à mettre en perspective avec des augmentations de prélèvements obligatoires à hauteur de 30 milliards d'euros ; une augmentation de l'impôt sur les sociétés (IS) qui doit rapporter 8,5 milliards d'euros - soit 0,3 % du PIB - ; une réduction des exonérations de cotisations sociales, ce qui correspond à augmentation des cotisations versées par les employeurs à hauteur de 0,1 % du PIB ; une hausse de l'impôt sur le revenu (IR) pour la tranche la plus élevée à hauteur de 0,1 % du PIB, et enfin une augmentation de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE). Il y a encore d'autres économies dont la nature n'était pas précisée par le Gouvernement au moment du calcul.

Le modèle sur lequel je m'appuie est le modèle macroéconomique de l'économie française développé par le Trésor et l'Insee, dit « Mésange » (modèle économique de simulation et d'analyse générale de l'économie). Ledit modèle permet d'apprécier l'effet multiplicateur que j'évoquais précédemment : lorsque les dépenses sont réduites de 1 euro, le PIB se voit diminué de 78 centimes la première année, cette baisse étant appelée à être plus importante la deuxième année, soit en 2026.

La réduction des dépenses et la hausse des prélèvements obligatoires auraient pour conséquence une diminution des revenus des ménages, tandis que les carnets de commandes des entreprises seraient indirectement affectés par une moindre consommation des ménages et directement touchés par une diminution de la commande publique. Cet effet augmenterait dans le temps, car la baisse de la demande serait progressive. Si je me suis limitée aux deux premières années en raison des incertitudes politiques et de la difficulté de bâtir des projections à cinq ans, le modèle Mésange fait l'hypothèse que les effets des réductions de dépenses, loin de s'estomper, perdureraient et augmenteraient pendant cinq ans.

Pour ce qui est des effets macroéconomiques de l'impulsion budgétaire et fiscale du PLF pour 2025, le PIB augmenterait moins que prévu en 2025, avec une croissance qui ne serait que de 0,6 % pour une prévision de 1,2 %. Par conséquent, les recettes augmenteraient moins que prévu en ne progressant que de 0,3 point par rapport au scénario sans ajustement. Au total, pour 42 milliards d'euros d'économies, 10 milliards d'euros de recettes s'évaporeraient du fait des effets récessifs, d'où une diminution du déficit primaire d'environ 32 milliards d'euros.

En outre, la dette publique passerait de 113 % du PIB à 114,8 % du PIB, alors que les effets récessifs s'accentueraient en 2026, avec une variation du solde primaire qui ne serait pas loin de zéro en raison du ralentissement combiné de l'activité et des recettes. On pourrait continuer l'exercice pour 2026 puisque la stratégie pluriannuelle a déjà été établie. Si on fait un effort structurel de 0,5 point, on baissera de 0,6 ou 0,7 le solde primaire. À chaque fois qu'on fera des économies, on accentuera les effets récessifs. Il faudra donc prêter attention à l'effet récessif des réductions de dépenses.

M. Olivier Redoulès, directeur des études de l'institut Rexecode. - Merci de nous accueillir pour cette table ronde. En première réaction aux propos qui viennent d'être tenus, le modèle Mésange est extrêmement perfectionné et intéressant pour comprendre les effets à court et à moyen terme des différentes mesures fiscales, mais il présente au moins deux limites, à commencer par le fait de ne pas différencier les mesures. Or, quoi que l'on pense des mesures envisagées par le Gouvernement, ce dernier a essayé d'en limiter l'effet sur la conjoncture.

Par ailleurs, Anne-Laure Delatte ne semble pas avoir considéré l'effet positif à attendre sur les taux d'intérêt, le modèle Mésange donnant pourtant des estimations assez fortes de l'impact que pourrait avoir, par exemple, une hausse de 100 points de base des taux d'intérêt. Cette intégration du sujet des taux viendrait minorer assez fortement ce débat sur les effets de court terme : si vous perdez un peu de croissance à court terme, mais gagnez trois points de PIB à moyen terme, la question se posera forcément autrement, à la fois en termes d'activité économique et de recettes.

Sur le plan international, l'Europe reste dans une situation de croissance ralentie par rapport à la Chine et aux États-Unis, les trajectoires de croissance divergeant fortement. Le choc inflationniste semble se réduire, mais peut-être pas aussi fortement que ce que nous pensions, notamment aux États-Unis où les salaires continuent à être relativement dynamiques. Les taux d'intérêt pourraient rester élevés pendant assez longtemps, comme le montrent les mouvements à la hausse et à la baisse des anticipations de marché sur les taux d'intérêt ; parallèlement, la fragmentation du commerce mondial va sans doute au-delà du simple contrecoup du boom post-crise habituellement observé, dans la mesure où l'on observe une divergence entre la trajectoire du PIB mondial et celle du commerce mondial.

La Chine et les États-Unis accusent des déficits considérables et sollicitent une épargne mondiale qui est elle-même moins excédentaire qu'une dizaine d'années plus tôt : nous sommes structurellement sortis d'un monde où les taux d'intérêt réels étaient négatifs pour aller vers des taux d'intérêt clairement positifs, ce qui modifie la problématique de la consolidation budgétaire. En effet, lorsque les taux d'intérêt réels sont négatifs, la consolidation n'est guère utile à court ou à moyen terme dans la mesure où le ratio de dette publique baisse de manière un peu automatique. Ce n'est cependant plus le cas et nous ne savons pas quand nous sortirons de cette phase caractérisée par des taux positifs.

La France suit globalement la trajectoire de PIB moyenne de la zone euro depuis 2019, l'une des situations extrêmes étant celle de l'Allemagne, qui stagne littéralement puisque son PIB se situe exactement au même niveau que fin 2019 : on peut parler pour ce pays d'une demi-décennie perdue. En revanche, la majorité de nos voisins se sont montrés plus dynamiques que nous.

Avant la présentation du budget, l'institut Rexecode avait anticipé une croissance de 0,7 % en 2025, avec une légère diminution de l'emploi liée au redressement de la productivité, une inflation en recul et une légère reprise de la consommation des ménages, tandis que l'investissement productif devait continuer à baisser.

De manière assez étonnante, la demande interne française a été essentiellement soutenue par la dépense publique sur la période récente. En contrepoint, la consommation a été quasiment plate, tandis que l'investissement des entreprises est en repli depuis le milieu de l'année 2023. En matière d'investissement des entreprises, sur la décennie écoulée, la France avait pourtant suivi à peu près la même tendance que les États-Unis, mais l'écart a commencé à se creuser à cette date. À ce sujet, notre enquête menée avec Bpifrance en septembre 2024 montre que la moitié des très petites entreprises (TPE) ainsi que des petites et moyennes entreprises (PME) ont repoussé ou annulé des projets d'investissements et d'embauches en raison des incertitudes politiques.

Notre diagnostic, qui se rapproche de celui du Gouvernement, consiste à dire que la France est assez proche de son potentiel de croissance, avant la consolidation budgétaire - c'est-à-dire que c'est un potentiel qu'on atteint avec un déficit de 6 points de PIB. Notre modèle, calqué sur celui qui est utilisé par la Commission européenne, montre que l'écart de production - qui mesure la différence entre le PIB effectif et son niveau potentiel - est quasiment nul. La croissance du PIB s'établit autour de 1,1 % en 2024, en deçà de l'évaluation elle-même réévaluée à la baisse du Gouvernement, à 1,2 %.

J'en viens au programme d'ajustement lui-même, en rappelant qu'il convient de raisonner par rapport à des « tendances ». Ainsi, la diminution des dépenses à hauteur de 40 milliards d'euros interviendrait dans le cadre d'une tendance très dynamique des dépenses, qui auraient continué à croître en volume. Les prélèvements sont aussi en hausse par rapport à une tendance elle-même dynamique. Il faut aussi rappeler que le montant de 40 milliards d'euros affiché pour les dépenses comprend des diminutions d'allégements, donc des hausses de cotisations, donc de prélèvements obligatoires. D'après nous, l'effort structurel s'élève à environ 45 milliards d'euros, dont 27 milliards d'euros en recettes et 18 milliards d'euros en dépenses. Le calcul du HCFP est différent, mais identifie lui aussi une majorité de recettes.

Sur les 35 milliards d'euros de dépenses prévues, deux tiers ne sont pas connus ou incertains, seuls 12 milliards d'euros étant à peu près sûrs - et encore, l'avis du HCFP montrant que, malgré une annulation de crédits, les crédits reportés permettent de faire progresser la dépense et d'avoir des surprises. De surcroît, l'État n'a pas véritablement la main sur les dépenses des collectivités territoriales : même s'il peut freiner les ressources, il n'est pas certain que l'on aboutisse réellement à des baisses de dépenses. Enfin, 11 milliards d'euros correspondent à des mesures non documentées.

Les prélèvements, quant à eux, touchent majoritairement les entreprises. Si l'on inclut dans le calcul des mesures déjà programmées telles que la fin du bouclier tarifaire, ce sont 85 % - et non pas 70 % - des nouveaux prélèvements qui vont porter sur les entreprises, ce qui pose un vrai problème du point de vue de la croissance à court et à moyen terme.

Deux scénarios sont envisageables. Dans le premier, en intégrant un déficit de 6 % pour être au potentiel de croissance, cela signifie que notre potentiel de croissance soutenable est moindre. Nous pourrions être contraints de nous ajuster sur une trajectoire structurelle de PIB plus basse et vivre une situation équivalente aux pays qui ont connu des bulles immobilières, avec un ajustement venant corriger une phase de dopage de l'économie par le crédit.

Dans un second scénario, plus positif, nous pourrions considérer que ces 6 points de déficit freinent l'économie et qu'une consolidation budgétaire passant par des réformes structurelles pourrait aboutir à une croissance du PIB qui serait supérieure.

Je suis, pour ma part, agnostique s'agissant de ces deux trajectoires, qui dépendront beaucoup de la nature des mesures qui seront choisies. Ces observations nous ramènent à la composition du plan et aux 10 milliards d'euros de hausses de prélèvements qui vont pénaliser la compétitivité. Par exemple, la CVAE est maintenue jusqu'en 2028 alors qu'elle aurait dû être supprimée. Par ailleurs, la surtaxe d'IS, qui revient à un prélèvement sur la capitalisation boursière des entreprises, et la hausse du coût du travail affecteront la rémunération des facteurs de production et enverront un signal aux investisseurs, qui intégreront dans leur calcul de rentabilité une ponction tous les dix ans. Par ailleurs, les principales baisses de dépenses connues - telles que le décalage de la revalorisation des retraites - auront des effets plutôt neutres sur l'activité à moyen terme.

S'agissant de la croissance pour 2025, il existe une importante incertitude sur le niveau des « multiplicateurs budgétaires », un débat qui avait déjà été lancé par Olivier Blanchard en 2013. La situation est cependant très différente de celle de 2013, période de trappe à liquidité durant laquelle les taux d'intérêt étaient bloqués à zéro et qui était marquée par un mouvement de désendettement. Aujourd'hui, la position dans le cycle et la trajectoire baissière des taux d'intérêt réels et nominaux plaident en faveur de multiplicateurs plus faibles ; de plus, la nature des mesures atténue fortement l'effet récessif à court terme. À l'inverse, l'incertitude sur la fiscalité et la capacité productive future fait peser une véritable menace sur l'activité.

La hausse des cotisations va toucher les secteurs intensifs en main d'oeuvre, qui ne disposeront pas nécessairement de la possibilité de la répercuter sur les prix, notamment si leurs clients sont publics. En outre, certaines baisses de dépenses sociales et hausses d'impôts vont toucher des ménages financièrement contraints, tandis que la baisse des dépenses des administrations affectera mécaniquement le PIB. Certaines mesures ne sont pas encore connues.

En conclusion, j'ai le sentiment que le sujet est moins de court que de moyen terme. Il faudra conserver des marges de manoeuvre, car l'effort pourrait s'avérer insuffisant pour tenir la trajectoire. On peut estimer qu'il ne faut pas faire tout l'ajustement en début de période. Dans un monde idéal, on fait des réformes qui soutiennent la croissance, et on ajuste les finances publiques lorsque la situation est bonne. Ces marges n'existent pas en raison d'une inaction passée, à la fois depuis longtemps et sur la période la plus récente : une partie de la surprise sur le déficit n'en était pas vraiment une et tenait au fait que dans les documents du Gouvernement, il y avait 1,5 point de PIB de mesures à déterminer. Un tel niveau sur deux ans pose question. On peut cependant avoir intérêt à accélérer les choses car plus on retarde l'ajustement, plus la dette s'accumule. Or elle est sans doute scrutée de plus près que le déficit par les marchés financiers.

Mme Natacha Valla, présidente du Conseil national de productivité. - Merci de m'avoir invitée pour traiter ce sujet, inscrit à la fois dans l'actualité et dans une problématique de long terme pour notre pays.

J'aborderai plusieurs points, le premier ayant trait aux très forts effets des conditions initiales qui façonnent le débat budgétaire actuel dans notre pays, avec un ratio dette/PIB très élevé et la persistance d'un déficit primaire qui prend, en particulier cette année, des proportions inattendues et préoccupantes. Plus globalement, le Fonds monétaire international (FMI) vient de publier le numéro d'automne du Moniteur des finances publiques, qui évoque un record sans précédent de la dette publique depuis qu'on collecte cette donnée : celle-ci représente désormais 100 trillions de dollars et 93 % du PIB mondial. Au-delà des grands endettés que sont la Chine et les États-Unis, d'autres pays avancés sont concernés, dont le nôtre. Les exercices de soutenabilité de la dette, devenus très sophistiqués et incluant notamment des facteurs liés au passif contingent, sont explosifs quasiment partout, rendant la perspective générale sur l'endettement public assez défavorable. La publication fait également référence au concept de « dette à risque », qui met en perspective les chiffres de la dette avec les facteurs et aléas déjà évoqués : les taux d'intérêt, la croissance, etc.

Le deuxième point renvoie à la problématique de la trajectoire à moyen terme des dépenses, déjà évoquée par le « rapport Arthuis », remis par la commission sur l'avenir des finances publiques. Publié en 2021, ce document reste néanmoins d'actualité, ses annexes fournissant notamment des idées et des recommandations en matière de maîtrise de la trajectoire des dépenses à moyen terme.

La baisse du déficit structurel est un objectif prioritaire par rapport à cet enjeu de soutenabilité de la dette, sans oublier une question de gouvernance de moyen terme puisque la situation française est compliquée, notamment pour ce qui concerne la maîtrise des finances publiques au niveau des collectivités locales. Plus globalement, l'efficacité de la dépense publique doit être débattue : même si je comprends qu'un temps considérable soit consacré à la discussion sur la ventilation des dépenses, il serait essentiel d'en accorder autant à la mesure de leur efficacité.

J'en viens au troisième point, qui porte sur l'arbitrage nécessaire entre, d'une part, le caractère justifié de la dette pour lisser les chocs macroéconomiques dans le temps, notamment à l'occasion de crises ; d'autre part, la capacité à déployer des moyens pour construire la croissance potentielle de demain, elle-même un facteur de premier ordre pour la soutenabilité de la dette.

S'agissant du débat portant sur les multiplicateurs, j'aimerais mettre en avant des travaux moins visibles et relatifs à des multiplicateurs bien plus granulaires. En particulier, quand on ventile l'effet sur la croissance des différents postes de la dépense publique, on constate d'importantes différences. Le multiplicateur de l'investissement est ainsi très régulièrement considéré comme étant supérieur à un. Cela signifie que la réduction des investissements va casser la croissance à court terme. La meilleure raison pour ne pas y procéder est que, en raisonnant sur la ventilation des dépenses, une diminution des investissements affectera la trajectoire de croissance et la croissance potentielle, qui n'est déjà pas fameuse, comme le relevait justement Olivier Redoulès.

J'en viens aux questions de compétitivité et de productivité, en soulignant l'importance d'évaluer l'impact des mesures fiscales pour les performances de notre pays. Concernant la productivité, la France n'est pas dans sa meilleure forme - tout comme l'Allemagne et l'Espagne, certes -, mais se situe à rebours de l'Italie, des États-Unis et du Royaume-Uni, puisque notre productivité par tête et par heure travaillée est encore en deçà des niveaux d'avant la crise covid, soit une faiblesse persistante qui est tout à fait cohérente avec les estimations de croissance potentielle.

Une analyse détaillée de ces contre-performances de productivité permet de constater que les secteurs de la construction, du commerce et de nombreuses branches industrielles ont eu une contribution fortement négative dans ce mouvement ; à l'inverse, les secteurs de la communication, de l'information et de l'agriculture ont plutôt contribué de manière positive.

La ventilation des facteurs conjoncturels autour de cette faiblesse de la croissance de la productivité laisse apparaître que la proportion prise par l'apprentissage - sans critiquer ce dispositif - a eu un impact à court terme sur la croissance de la productivité. En outre, les mesures de soutien adoptées pour faire face à la crise sanitaire et à la crise énergétique ont contribué à maintenir un statu quo qui n'a pas été favorable à la performance en termes de productivité. La fin de ces mesures temporaires devrait générer une dynamique et libérer des équilibres économiques plus spontanés.

J'en termine avec la compétitivité, en rappelant que l'environnement international s'est fortement modifié et que la Chine a perdu des parts de marché dans le commerce mondial, tandis que la position de la France s'est améliorée. Nous gagnons des parts de marché, même si le solde de nos comptes courants reste négatif, la situation de l'Allemagne étant un facteur important pour notre compétitivité relative et notre performance commerciale. De surcroît, nous sommes devenus plus compétitifs sur les prix, le coût du travail ayant diminué en termes relatifs par rapport à nos partenaires commerciaux. En contrepoint, notre compétitivité hors prix ne s'est pas améliorée.

En résumé, la performance de la France sur les marchés mondiaux en matière commerciale et d'attractivité des capitaux et des investissements étrangers constitue l'un des rares facteurs favorables à l'heure actuelle,. J'estime qu'il faut intégrer ces éléments à la réflexion budgétaire et fiscale actuelle : certains de nos voisins se portent moins bien qu'avant et nous pouvons capitaliser sur des mesures qui ont été favorables aux entreprises et, de fait, à la croissance. Je dresse ce constat de façon très agnostique, rappelant simplement que nous avons besoin de la croissance pour assurer la stabilisation de la dette et l'équilibre des comptes publics.

En conclusion, j'attire votre attention sur le fait que la BCE n'est plus là pour acheter notre dette publique, pour la première année pleine. S'agissant du policy mix, le desserrement monétaire qui se dessine avec la diminution des taux d'intérêt peut compenser un resserrement budgétaire, mais restons vigilants par rapport aux facteurs spécifiques à notre pays, en particulier à l'égard de primes de risques qui sont plus élevées que par le passé.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour vos trois exposés qui englobent des problématiques et des sujets plus larges que les réponses plus immédiates que nous recherchons dans le cadre du débat sur le PLF pour 2025, même si les conclusions à en tirer sur le plan des décisions politiques à court terme n'ont rien d'évident.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous sommes en effet à la recherche d'éclairages et je note que deux des trois économistes ont affiché une position agnostique, ce qui me préoccupe compte tenu de la nature du débat et de l'ampleur des ajustements à effectuer. On a plutôt retrouvé de la compétitivité, mais la productivité ne s'est pas suffisamment rétablie, et finalement nos comptes publics se sont très sensiblement dégradés et le niveau de la dette est inquiétant. D'après le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, que nous avons reçu le 11 octobre, l'économie française a bien résisté, mais à quel prix ?

Lorsque Mme Delatte a indiqué que le freinage de la dépense publique risquait de ralentir la croissance, je n'ai pas pu m'empêcher de penser que nous aurions dû enregistrer une croissance exceptionnelle ces dernières années au regard de l'ampleur des dépenses engagées. Je reste interrogatif.

De manière générale, notre objectif consiste à trouver des solutions pour redresser la situation et permettre au pays de retrouver confiance en lui-même, ce qui représente à mon avis la moitié du chemin.

D'après vous, le taux d'épargne des ménages pourrait-il se maintenir à un niveau élevé, ou au contraire refluer ?

Par ailleurs, le redressement observé sur le plan du commerce extérieur tient-il à des facteurs exogènes, notamment la tendance à la baisse de l'euro, ou à un renforcement de la compétitivité de l'appareil productif français ?

Comment l'accélération du dérapage du déficit public s'explique-t-elle en si peu de temps ?

Enfin, quel regard portez-vous sur la possibilité d'introduire une part de financement hors marchés de la dette publique sous une forme ou une autre ?

Mme Florence Blatrix Contat. - En réalité, trois questions se posent : le montant de l'ajustement budgétaire à réaliser - qui est cadré au niveau européen -, le rythme à suivre et l'identification de ceux qui doivent porter l'effort.

Certes, les entreprises porteraient une large part de l'effort. Mais comment expliquez-vous que la productivité n'ait pas été au rendez-vous ces dernières années, alors que plusieurs allègements de charges ont été octroyés aux entreprises, ainsi que des aides substantielles, notamment via le crédit d'impôt recherche (CIR) ? Une annulation de la politique de l'offre aurait-elle vraiment un effet sur la compétitivité ?

Quel rythme d'ajustement budgétaire faut-il suivre ? Madame Delatte a évoqué un effet de 0,6 point en 2025 et en cumulé 1,5 point en 2026. Les effets récessifs du scénario prévu, impliquant un effort très important la première année, se poursuivront-ils ? Faut-il se caler plutôt sur le calendrier européen ou suivre le rythme prévu par le Gouvernement ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Mme Delatte a mentionné un ajustement budgétaire à 42 milliards d'euros, impliquant 30 milliards d'euros de recettes et 12 milliards d'euros de réduction des dépenses publiques. M. Redoulès a évoqué, pour sa part, un ajustement de 45 milliards d'euros, moyennant 27 milliards d'euros de prélèvements supplémentaires et 18 milliards d'euros de réduction des dépenses publiques. Pourquoi de tels écarts ?

Un effort aussi important est-il nécessaire dès la première année ? Le réglage prévu entre l'ajustement budgétaire visé et le maintien de la croissance est-il le bon ? Cette politique pourrait avoir un effet récessif trop important, ce qui condamnerait la suite du processus. Ne faudrait-il pas prévoir un effort moins important la première année, et agir davantage pour réduire les dépenses, si tant est que cela soit possible ?

Les alourdissements de taxes ne risquent-ils pas de pénaliser, par contrecoup, certains secteurs comme le tourisme, par exemple, qui souffrirait des conséquences des hausses des taxes pesant sur le transport aérien ? De même, les mesures envisagées ne risquent-elles pas d'affaiblir les capacités d'investissement des collectivités locales ?

M. Thierry Cozic. - Madame Delatte, où devrait-on porter l'effort pour neutraliser l'impact économique des mesures annoncées : sur les recettes ou sur la réduction des dépenses publiques ?

M. Grégory Blanc. - Le groupe TotalEnergies, qui dispose d'importantes liquidités, vient d'annoncer un rachat massif d'actions en 2024 et 2025. En quoi une augmentation de l'IS sur les plus grandes sociétés pourrait-elle avoir un impact récessif sur l'économie française ?

Par ailleurs, il existe en économie un phénomène connu : ceux qui ont de faibles revenus présentent une plus forte propension à consommer, quand les détenteurs de revenus plus élevés ont davantage tendance à épargner. Or la Banque de France souligne que l'épargne des Français est majoritairement placée aux États-Unis. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Baptiste Olivier. - Je me méfie toujours des analyses keynésiennes, même si elles s'avèrent parfois pertinentes. Diminuer la dépense aura certes des conséquences sur l'économie. Toutefois, toutes les dépenses ne se valent pas : un euro dépensé n'a pas la même efficacité partout.

Selon le principe du multiplicateur d'investissement, un euro d'investissement produit davantage qu'un euro de PIB. Mais s'agit-il d'investissement privé, public, ou des deux ? L'investissement public produit-il autant que l'investissement privé ?

M. Thomas Dossus. - Le coup de rabot prévu sur les collectivités territoriales, qui réduira leur capacité d'investissement, aura-t-il un impact plus important que d'autres coupes budgétaires sur notre croissance à venir ?

M. Victorin Lurel. - Il me semble que deux visions s'opposent : d'un côté, une politique appuyée sur une dépense publique importante, qui n'a pas généré, comme le rapporteur général le soulignait, la croissance espérée, et, de l'autre, une politique qu'il faut bien qualifier d'austéritaire, aux conséquences sociales considérables.

Madame Delatte, sur quel modèle économique vous êtes-vous appuyée pour décrire les effets récessifs que vous avez exposés ?

Vous avez dit par ailleurs qu'il ne fallait pas prévoir un effort aussi important dès la première année. Le risque est d'avoir un ajustement très récessif qui dure même au-delà de sept ans. Quel est le bon rythme en matière d'ajustement budgétaire ? Aurait-il fallu commencer plus progressivement ? Quelle est la bonne politique économique à suivre pour obtenir des effets économiquement moins coûteux et socialement moins difficiles ?

Mme Natacha Valla. - Le placement de l'épargne européenne et française aux États-Unis est un sujet important, pour la France comme pour l'Europe. Ce ne sont pas vraiment les riches qui achètent des actions américaines. Les banques et les assureurs vont chercher du rendement dans des classes d'actifs peu risquées et peu rémunératrices, en l'occurrence les obligations américaines. Ce phénomène se retrouve clairement dans la balance des paiements. Les Américains ont quant à eux une capacité d'endettement très forte : le dollar est encore la monnaie dominante. Ils consomment une partie de cet argent collecté, mais ils l'investissent aussi à l'étranger dans des classes d'actifs plus risquées et donc plus rentables. Nous avons mené des travaux avec la BCE, qui montrent un dividende de risque, sur ce différentiel de rendement entre l'épargne absorbée par les États-Unis et ensuite réinvestie dans le monde, qui rapporte aux États-Unis entre 2 % et 3 % de rendement par an. Le problème de l'allocation de notre épargne est effectivement central. Plusieurs systèmes ont été envisagés pour y remédier : dans le rapport Draghi, par exemple, ou le rapport Letta sur l'Union des marchés de capitaux.

Le multiplicateur d'investissement est un multiplicateur d'investissements publics agrégés, qui a un effet d'entraînement important pour l'investissement privé. Il n'a donc pas d'effet d'éviction mais plutôt un effet de catalyse. La dépense publique gagne ainsi en efficacité. Je ne militais pas pour préserver l'ensemble des investissements publics en l'état, mais pour revoir la ventilation des dépenses publiques en faveur de l'investissement.

La nécessité de lisser l'effort budgétaire dans le temps peut s'entendre, au vu de l'effet récessif immédiat des politiques envisagées. Cependant, cela fait longtemps que l'on n'a pas entendu parler d'effort dans le pays pour la saine gestion des finances publiques. Il ne faudrait pas non plus brouiller ce signal positif par un ralentissement. Il est vrai néanmoins qu'un arbitrage est à réaliser.

La performance de la France en matière de commerce extérieur est un peu moins mauvaise qu'auparavant du fait notamment de facteurs exogènes, notamment les moindres résultats de l'Allemagne et de la Chine. Toutefois, et même s'il faut avoir du discernement sur les mesures, si nous n'avions pas eu des politiques favorables à l'offre, nous n'aurions pas été en mesure de capter cette opportunité donnée par les circonstances extérieures.

Par ailleurs, le CNP creusera la question du coût du travail.

Enfin, pour ce qui concerne le financement de la dette, il peut être tentant de chercher d'autres sources de financement que les marchés, a fortiori au vu de l'importance de notre épargne. Cela s'est fait dans l'histoire donc tout se regarde. Les marchés restent néanmoins la source de financement à privilégier, tant que l'on parvient à se financer à des taux d'intérêt corrects. Les primes de risque assignées à notre pays, c'est-à-dire le « facteur pays », vont nous le dire, et elles dépendent elles-mêmes du signal qu'on enverra collectivement en tant que pays sur la saine gestion de nos finances.

M. Olivier Redoulès. - L'emploi du terme « agnostique » signifie que l'on a conscience des limites de la science économique et que l'on admet, sur tel ou tel sujet, que l'on ne sait pas répondre : soit par manque de recul, soit en raison de la complexité des mesures mises en place. En ce cas, il vaut mieux miser pour la prudence.

Le taux d'épargne en France est plus élevé que la moyenne européenne, laquelle a augmenté, alors qu'elle a diminué aux États-Unis. Si on exclut les gens les plus financièrement contraints, des mesures qui freineraient les revenus des ménages auraient donc sans doute assez peu d'effet sur la consommation. La grande protection accordée jusqu'à présent aux ménages a d'ailleurs surtout servi l'épargne et moins la consommation, ce qui tend à limiter l'effet multiplicateur de l'épargne à très court terme. Tout dépend toutefois de la façon dont les mesures sont calibrées.

On observe un redressement des indicateurs de parts de marché en matière de commerce extérieur. À titre d'exemple, Airbus avait pris du retard dans la remise en ordre de ses chaînes de production. De bonnes surprises pourraient survenir dans les mois à venir. Il y a une part de rattrapage, mais des améliorations sont aussi survenues en matière de coût du travail dans presque tous les secteurs. Ce n'est toutefois pas forcément le cas dans les secteurs manufacturiers, dans lesquels l'Italie, par exemple, fait des miracles.

Pourquoi le déficit public a-t-il dérapé récemment ? L'avis du HCFP paru en avril 2024 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2024 à 2027 nous conduisait déjà vers un effort d'ajustement budgétaire de 1,5 point de PIB, soit 45 milliards d'euros. Les 15 milliards d'euros restant semblent venir des collectivités, avec des recettes parfois meilleures et parfois pires que prévu.

Le Gouvernement a annoncé un déficit public à 7 % du PIB en 2025 si rien n'est fait. Or cela suppose une dynamique de la dépense publique en volume plus forte que le PIB, soit 2,8 %. Il faut voir comment cette hypothèse a été construite, mais cela peut témoigner d'une forme de prudence de la part du Gouvernement.

Concernant le financement de la dette, je ne crois pas qu'il faille s'attendre à des coûts moins élevés hors marché que sur les marchés. La France accède encore aux marchés dans de bonnes conditions, moyennant un taux d'intérêt à 3 %, soit un taux plus favorable que celui qui était prévu en 2022 dans le projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027. L'augmentation des taux d'intérêt a donc été moindre que prévu. Il y a un peu de spread par rapport à l'Allemagne, mais en termes absolus les taux restent assez faibles.

Le rythme d'ajustement budgétaire annoncé agit comme un signal. Il a également un effet sur la dynamique de la dette. Cependant, il est vrai que la Commission européenne laisse une certaine marge pour étaler l'ajustement sur plusieurs années, à condition de présenter un plan et des réformes crédibles. Il serait donc possible de plaider pour un étalement de l'ajustement sur sept ou huit ans. Cela impliquerait toutefois une poursuite de l'augmentation de la dette. Il faut être prêt à l'assumer et à convaincre les marchés.

J'en viens aux différences de montant relevées dans mon propos par rapport à la présentation d'Anne-Laure Delatte. Le rapport économique, social et financier (RESF) mentionne 30 milliards d'euros de prélèvements, parmi lesquels 3 milliards d'euros concernent les collectivités. Or il ne s'agit pas, à mon sens, de prélèvements, mais de mesures de frein de dépenses. C'est pourquoi j'évoque plutôt une somme de 27 milliards d'euros. On arrive ensuite à la somme de 44 milliards d'euros retenue pour l'ajustement : la partie relative à la réduction de la dépense publique, elle tient compte à la fois de la hausse de l'ordre de 10 milliards d'euros de la charge de la dette et de l'effet de moindre recette spontanée par rapport à ce qu'on pouvait attendre avec une élasticité des prélèvements obligatoires au PIB de 1.

À quelques exceptions près, je ne crois pas par ailleurs que l'augmentation de l'IS ait des effets récessifs. En revanche, à moyen terme, elle peut avoir un effet sur le potentiel de croissance.

Vous avez évoqué le transfert de l'épargne vers les États-Unis. La rentabilité de l'épargne est un sujet important. L'augmentation de l'IS réduira les dividendes ou le patrimoine valorisé des entreprises, ce qui limitera les investissements - même si ce n'est pas sûr à très court terme. De plus, à moyen terme, elle induira un risque sur le rendement attendu. La décision de TotalEnergies de se coter à New York est à comprendre dans ce contexte.

Les collectivités sont en outre l'un des premiers canaux d'investissement public. Le multiplicateur d'investissement dépend beaucoup de la qualité de la dépense et de la gouvernance dans laquelle il s'inscrit. Si la dépense effectuée est tournée vers un vrai projet - qui pourrait être du « fonctionnement », comme l'éducation dont on peut s'interroger s'il s'agit vraiment d'une dépense de cette nature du point de vue de l'économiste -, qui génère un retour sur investissement, son effet peut être très élevé.

Mme Anne-Laure Delatte. - Comme cela a été souligné, l'important effort budgétaire immédiat demandé risque d'avoir un effet récessif. La question se pose donc de savoir quelle est la stratégie à suivre.

Il est nécessaire de réduire le déficit, en raison de nos engagements européens et pour préparer le pays à l'avenir. Plusieurs chocs comme celui de la crise du covid-19 risquent en effet de survenir. Nous devons avoir la capacité de nous endetter pour y faire face. Les organisations internationales, comme le FMI, anticipent d'ailleurs une hausse des dettes publiques pour cette raison.

S'agissant des effets récessifs sur le PIB, ils s'élèveraient à 1,5 point en 2026, La baisse des taux d'intérêt ne suffira pas à compenser cette évolution négative. Et ce constat est fait sans même retenir l'effort de 2026. Or, cette année-là, il faudra continuer à augmenter les prélèvements obligatoires ou trouver de nouvelles dépenses publiques à supprimer.

J'utilise le modèle Mésange développé par l'Insee et la direction générale du Trésor, qui y a par ailleurs également recours. Il est keynésien à court terme, mais ne l'est plus ensuite. La demande joue en effet au départ, avant que l'offre prenne le relais.

Les efforts devraient porter là où les multiplicateurs sont les plus bas. Les économies réalisées devraient avoir le moins d'impact possible sur l'activité. Comme le multiplicateur d'investissement peut être supérieur à 1, toute suppression de dépense d'investissement risque de s'avérer contre-productive, c'est-à-dire qu'on va tellement réduire l'activité que cela finira par réduire davantage les recettes que les économies qui ont été faites. Il ne faut pas non plus agir sur la TVA, qui est payée par l'ensemble des ménages, car cela affecterait les revenus de ceux qui ont la plus grande propension à consommer. En ce sens, augmenter la taxe sur l'électricité n'est pas une bonne idée. Il vaut mieux se tourner vers les ménages percevant les revenus les plus élevés, car ils présentent une plus grande propension à épargner.

L'idée serait donc de chercher les multiplicateurs les plus faibles, dans les multinationales qui optimisent leur fiscalité et chez les hauts patrimoines. Or il est très surprenant de constater que le budget pour 2025 ne prévoit aucune contribution de ces derniers, que ce soit par un impôt sur la fortune ou par un impôt sur les hautes successions. Pourtant, si l'on ponctionne une partie du patrimoine des plus fortunés, cela n'affectera pas leur consommation, car celle-ci est déjà bien inférieure à leurs capacités. Un impôt sur les multinationales et un autre sur les hauts patrimoines pourraient donc être envisagés.

S'agissant de l'impact de certaines mesures sur la compétitivité et l'investissement, le CIR a peu, voire pas d'effet, sur l'investissement. Les exonérations de cotisations sociales accordées au-delà d'un certain seuil n'ont pas d'effet. Il serait donc possible de revenir sur toutes ces mesures sans affecter l'économie.

Le montant issu de l'ensemble de ces prélèvements nouveaux et de ces réductions de dépenses pourrait s'élever à environ 50 milliards d'euros. Je recommanderais de prélever 18 milliards d'euros sur cette somme pour réduire le déficit la première année, et faire de la dépense d'investissement, tournée en particulier vers la transition, qui souffre d'un déficit d'investissement estimé à 30 milliards d'euros par an selon le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz.

En réalité, ce PLF m'inquiète surtout en ce qu'il ne prépare pas l'avenir. On essaie de réduire le déficit en coupant des dépenses qui vont affecter la trajectoire de long terme de l'économie française, sans aucunement préparer les Français aux chocs écologiques à venir.

M. Claude Raynal, président. - Merci beaucoup de votre participation.

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