DEUXIÈME
PARTIE
LE BUDGET DE L'ÉTAT : UNE VOIE ÉTROITE POUR
QUITTER LES SOMMETS DE LA DETTE FRANÇAISE ET RETROUVER DE
L'OXYGÈNE
I. LE DÉFICIT BUDGÉTAIRE SE RÉDUIRAIT DE PRÈS DE 25 MILLIARDS D'EUROS EN 2025 GRÂCE À DES MESURES EN RECETTES ET EN DÉPENSES
Le déficit budgétaire de l'État est prévu en 2025 à un niveau de 142,1 milliards d'euros par le présent projet de loi de finances dans sa version initiale, en amélioration de 24,5 milliards d'euros par rapport au déficit prévisionnel révisé de 2024, prévu à 166,6 milliards d'euros.
A. LA RÉVISION À LA HAUSSE DU DÉFICIT BUDGÉTAIRE EN COURS D'ANNÉE 2024 NE PEUT PLUS ÊTRE QUALIFIÉE D'ACCIDENT
Le déficit budgétaire pour l'année courante 2024 est prévu à 166,6 milliards d'euros par le projet de loi de finances pour 2025, supérieur de 19,7 milliards d'euros au déficit de 146,9 milliards d'euros prévu en loi de finances initiale pour 202486(*).
Cette contre-performance s'explique principalement par un niveau de recettes inférieur de 26,0 milliards d'euros à la prévision. Les dépenses seraient légèrement inférieures au niveau prévu, sans que l'on retrouve les conséquences sur les dépenses du décret d'annulation de 10 milliards d'euros du 21 février 202487(*).
Évolution du solde budgétaire en 2024 entre la loi de finances initiale et le solde révisé du projet de loi de finances pour 2025
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires, à partir du texte initial du projet de loi de finances
1. L'écart entre les recettes effectives et les prévisions affichées pèse lourdement sur le déficit budgétaire en 2024
Le niveau des recettes serait inférieur en 2024 de 26,0 milliards d'euros au niveau prévu en loi de finances initiale, ce qui est exceptionnel pour une année qui n'a pas été marquée par un choc inhabituel. En particulier, le principal déterminant des recettes fiscales, qui est la croissance, serait de 1,1 %, soit un niveau certes inférieur mais proche de la prévision initiale de 1,4 %.
Évolution de l'écart entre les prévisions de recettes initiale et révisée
(en milliards d'euros)
Prévision initiale : sous-jacente à la loi de finances initiale de l'année N ; révisée : présentée lors de la présentation du projet de loi de finances pour l'année N+ 1.
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
Cette chute par rapport à la prévision initiale est, au moins en partie, due au choix par le Gouvernement, dénoncé par la commission des finances en juin dernier88(*), de ne pas prendre en compte, au mois de décembre 2023, les premières informations qui lui remontaient sur le manque de recettes fiscales, qui devait pourtant se répercuter partiellement sur les recettes de l'année suivante sur chacun des grands impôts. Les explications des moindres recettes données dans les documents annexés au projet de loi de finances font d'ailleurs largement référence aux reprises en base 2024 des moindres recettes 2023.
La baisse proviendrait principalement d'un manque à gagner de 14,3 milliards d'euros sur l'impôt sur les sociétés. Le produit de cet impôt avait été estimé à un niveau très élevé de 72,0 milliards d'euros. Comme le rapporteur général l'avait noté en examinant le projet de loi de finances pour 202489(*), cette estimation n'était guère expliquée par les documents budgétaires et sa chute est un contre-coup d'un niveau inférieur à la prévision du bénéfice fiscal 2023.
Le produit de l'impôt sur le revenu serait également inférieur de 5,3 milliards d'euros à la prévision initiale, ce que le Gouvernement explique principalement par l'effet de revenus en 2023 inférieurs au niveau estimé lors de l'élaboration du budget 2024 (baisse du solde payé en 2024 au titre des revenus de 2023, reprise en base des moindres recettes de 2023 sur le prélèvement à la source en 2024) ainsi que par un moindre dynamisme des plus-values mobilières90(*).
Les recettes de taxe sur la valeur ajoutée, elles aussi, seraient inférieures de 4,8 milliards d'euros au niveau anticipé. Les raisons invoquées sont la reprise en base d'un niveau de recettes 2023 inférieur à celui estimé lors de l'élaboration du projet de loi de finances pour 2024, mais aussi une croissance de l'activité jugée moins favorable aux recettes de TVA.
Les autres recettes fiscales nettes, dont la TICPE, seraient inférieures de 1,6 milliard d'euros à la prévision initiale.
S'agissant des recettes non fiscales, elles seraient supérieures de 0,7 milliard d'euros au niveau prévu en loi de finances initiale, principalement à cause d'un surcroît de dividendes et recettes assimilées (+ 1,6 milliard d'euros, dont la moitié en raison de l'excédent du fonds de réserve des retraites des agents de la Banque de France), partiellement compensé par des ventes de biens et de services moindre que prévu (- 0,9 milliard d'euros).
2. Les dépenses devraient être légèrement inférieures à la prévision en loi de finances initiale grâce à un effort dans la seconde moitié de l'année
Les dépenses, sur le périmètre des dépenses de l'État qui mesure celles sur lesquelles le Gouvernement a le plus de prise, devraient, selon l'estimation faite au moment du dépôt du projet de loi de finances pour 2025, être de 488,1 milliards d'euros, soit 3,8 milliards d'euros de moins que l'autorisation en loi de finances initiale.
L'exécution aura toutefois été particulièrement mouvementée puisque ce résultat est atteint alors que lors de la première annonce publique de risque de dégradation du solde au mois de février dernier le Gouvernement a pris un décret d'annulation d'un montant exceptionnel de 10 milliards d'euros.
Le programme de stabilité, présenté à la mi-avril au Parlement et transmis à l'Union européenne, s'est fondé sur un montant de dépenses inférieur de 10 milliards d'euros au montant prévu en loi de finances initiale, soit 481,9 milliards d'euros, ce qui peut surprendre car, peu auparavant, une note de l'administration en date du 2 avril faisait état d'une prévision de dépense de 496,6 milliards d'euros. En effet, le décret d'annulation avait été plus que compensé par le report de 16 milliards d'euros réalisé entre le début du mois de janvier et la mi-mars (même si une partie seulement de cette somme avait vocation à être consommée) et, au-delà, par la nécessité de financer des charges non prévues en loi de finances initiale (notamment des dépenses supplémentaires en faveur de l'Ukraine et en soutien des agriculteurs).
Évolution des estimations de
dépenses de l'État
au cours de l'année 2024
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des notes de l'administration et des documents budgétaires
Il est vrai que les prévisions du programme de stabilité prenaient en compte la mise en place de réformes tendant à réduire les dépenses, contrairement aux prévisions faites par l'administration, dites « techniques », c'est-à-dire à politique inchangée.
Toutefois, comme en témoigne la prévision encore élevée faite en juillet, la seule mesure mise réellement en place a été l'accroissement de la réserve de précaution par des mesures de surgels, faisant passer celle-ci à un niveau de 16 milliards d'euros en cours d'année, mesure moins forte qu'une annulation car il suffit d'une décision gouvernementale pour remettre les crédits à disposition des responsables de programme.
L'actuel ministre chargé des comptes publics a toutefois indiqué, lors de son audition devant la commission des finances91(*), qu'une fraction de cette réserve serait annulée en loi de finances de fin de gestion ou non consommée, ce qui permettrait, selon la prévision faite à l'occasion du dépôt du présent projet de loi de finances, de limiter la dépense à un niveau de 488,1 milliards d'euros.
3. L'État aura donc connu en 2024 sa cinquième année consécutive de déficit supérieur à 150 milliards d'euros
Le déficit s'établirait donc à 166,6 milliards d'euros en 2024, en très légère diminution de 6,4 milliards d'euros par rapport à 2023.
Les recettes fiscales nettes sont presque stables par rapport à 2023, par la compensation d'effets contraires92(*) et les recettes non fiscales en diminution de 1,7 milliard d'euros, principalement en raison d'un montant moins élevé du versement de l'Union européenne contribuant au financement du plan national de relance et de résilience (PNRR).
L'effet principal est une réduction des dépenses nettes de 8,0 milliards d'euros, dont les documents budgétaires ne donnent pas une décomposition précise. À la fin août 2024, les dépenses nettes de l'État étaient inférieures de 2,0 milliards d'euros à leur niveau de la fin août 2023, par compensation de plusieurs effets, notamment une augmentation de 4,8 milliards d'euros des dépenses de la mission « Défense » et une diminution de 10,4 milliards d'euros, soit 40,0 %, de celles de la mission « Écologie, développement et mobilité durables »93(*). Ces montants ne sont toutefois pas forcément représentatifs de l'évolution annuelle, qui peut dépendre de dépenses importantes en fin d'année.
La variation du solde entre 2023 et 2024
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
En tout état de cause, si ce niveau de déficit se confirme, il ne marquera qu'une amélioration très limitée de la situation budgétaire compte tenu du niveau très élevé qu'il a atteint en 2023, soit 173,0 milliards d'euros, dans un contexte de sortie de crise énergétique qui n'a rien à voir avec le contexte de l'année 2024.
L'État connaîtrait donc en 2024 non seulement sa cinquantième année consécutive de déficit94(*), mais aussi sa cinquième année consécutive de déficit supérieur à 150 milliards d'euros. Depuis 2020, pas moins de 840 milliards d'euros de déficit ont ainsi été accumulés.
* 86 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
* 87 Le projet de loi de finances pour 2025 ne donne pas d'explications détaillées sur l'évolution de la dépense en 2024, qui sera présentée dans le projet de loi de fin de gestion.
* 88 Dégradation des finances publiques : entre pari et déni, rapport d'information n° 685 (2023-2024) déposé le 12 juin 2024, présenté par Jean-François Husson, rapporteur, et Claude Raynal, président, au nom de la mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France.
* 89 Rapport général n° 128 (2023-2024) sur le projet de loi de finances pour 2024, tome I, présenté par Jean-François Husson, rapporteur général, au nom de la commission des finances, déposé le 21 novembre 2023.
* 90 Annexe Voies et moyens, tome 1, au projet de loi de finances pour 2025.
* 91 Audition d'Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et de Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, devant la commission des finances du Sénat, 11 octobre 2024.
* 92 En particulier, le produit de l'impôt sur les sociétés et celui de la TVA seraient tous deux en augmentation de 0,9 milliard d'euros, estimations qui restent très incertaines à cette période de l'année, alors que celui de la TICPE serait en diminution de 1,3 milliard d'euros.
* 93 Situation mensuelle du budget de l'État, crédits de paiement consommés.
* 94 L'État a connu pour la dernière fois un excédent budgétaire en 1974, d'un montant de 5,8 milliards de francs (soit à peu près, en tenant compte de l'érosion monétaire, 5,2 milliards d'euros de 2023).