N° 144 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024 |
RAPPORT GÉNÉRAL FAIT au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025, |
Par M. Jean-François HUSSON, Rapporteur général, Sénateur LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES (seconde partie de la loi de
finances) ADMINISTRATION GÉNÉRALE ET
TERRITORIALE DE L'ÉTAT |
Rapporteure spéciale : Mme Florence BLATRIX CONTAT |
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, MM. Vincent Capo-Canellas, Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Jean-Baptiste Olivier, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean-Pierre Vogel. |
Voir les numéros : Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8 Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
La mission « Administration générale et territoriale de l'État » retrace les crédits affectés à l'administration territoriale de l'État, à la vie politique, culturelle et associative et au pilotage des principales politiques du ministère de l'intérieur.
1. LES MOYENS EN HAUSSE DE LA MISSION TÉMOIGNENT DE CHOIX OPÉRÉS EN FAVEUR DES INVESTISSEMENTS IMMOBILIERS
A. UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS POUR 2025 TOUTEFOIS EN-DEÇÀ DE LA TRAJECTOIRE PRÉVUE PAR LA LOI D'ORIENTATION ET DE PROGRAMMATION DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR
1. Une augmentation significative et diffuse des crédits de paiement, excepté ceux dédiés à la vie politique
Pour 2025, les crédits demandés sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État » (AGTE) s'élèvent à 4,96 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) et 4,70 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE), ce qui représente une hausse de 6,52 % en CP et une baisse de 15,84 % en AE par rapport à la loi de finances initiale pour 2024. À périmètre constant, la hausse en CP est de 4,64 % et la baisse en AE de 17,33 %, soit du même ordre que l'exécution anticipée de l'exercice 2024. L'augmentation des CP concerne les programmes 354 « Administration territoriale de l'État » et 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », qui représentent près de 92 % des crédits de la mission en 2025. Les crédits du programme 232 « Vie politique » baissent quant à eux de 61 % en l'absence de scrutin national prévu pour 2025.
Comparaison du volume de la mission
entre le
projet de loi de finances pour 2025 et l'exercice 2024
(en millions d'euros et en %)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
En revanche, la contraction des AE de l'ordre d'un milliard d'euros révèle que les efforts budgétaires sont concentrés sur les dépenses à venir. Cela traduit ainsi l'absence de nouveau projet immobilier d'ampleur engagé.
Contribution des programmes à la hausse des crédits
(en millions d'euros)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
2. Des crédits demandés toutefois en recul par rapport à la trajectoire pluriannuelle
Pour les dépenses entrant dans le champ de la programmation telle que fixée par la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) du 24 janvier 2023, les prévisions pour 2025 sont en-deçà de la programmation, du fait d'une déviation importante de la trajectoire s'agissant des dépenses hors titre 2 du programme 216. Par ailleurs, cette situation a vocation à perdurer pendant toute la durée de la programmation, alors même que le ministère de l'intérieur avait annoncé de grands projets de numérisation, et accuse un retard important en matière de développement des outils d'intelligence artificielle.
En revanche, le niveau des dépenses de l'administration territoriale de l'État est globalement conforme à la trajectoire de la LOPMI. Il en va de même pour les dépenses de personnel, alors même que les schémas d'emplois des programmes 216 et 354 sont neutres pour 2025.
Comparaison des trajectoires prévisionnelles pour 2025
(en millions d'euros et en CP)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et la LOPMI
B. UN EFFORT PARTICULIER À DESTINATION DE L'IMMOBILIER DES PRÉFECTURES ET DE L'ADMINISTRATION CENTRALE DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR
1. La revalorisation des dépenses immobilières de l'administration territoriale de l'État répond à un besoin de rattrapage fort face aux objectifs de transition énergétique
Le projet de loi de finances pour 2025, sans être à la hauteur des besoins, notamment au regard des objectifs internes croissants de performance énergétique, mais aussi au niveau européen, traduit un effort à destination de l'immobilier de l'administration territoriale de l'État.
En particulier, les crédits demandés pour l'investissement de l'État propriétaire, qui représentent près de 76 % de ses dépenses immobilières, s'élèvent pour 2025 à 83,5 millions d'euros en AE et 60,5 millions d'euros en CP, soit une hausse de 33,4 % en AE et de 37,5 % en CP par rapport à 2024. Ces crédits sont destinés à rénover énergétiquement les bâtiments des préfectures et sous-préfectures. Depuis l'entrée dans la programmation, ces dépenses ont augmenté de 71 % entre 2023 et 2025.
Évolution des dépenses immobilières
de l'administration territoriale de l'État de 2020 à 2025
(en millions d'euros, en CP)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
Outre ces investissements, la rapporteure spéciale déplore la part grandissante des loyers dans les dépenses immobilières de fonctionnement. En effet, les dépenses de loyers s'élèvent, pour 2025, à 96,8 millions d'euros en AE et 97,6 millions d'euros en CP, soit une augmentation de 19 % en AE et de 7 % en CP par rapport aux loyers constatés en 2023.
2. Des engagements financiers à honorer du fait de la poursuite des projets « Universeine » et de site unique de la direction générale de la sécurité intérieure
Les CP du programme 216 sont en forte augmentation du fait des engagements financiers à honorer pour deux opérations immobilières majeures. Ainsi, les dépenses d'investissement passent de 178,9 millions d'euros en 2024 à 513,4 millions d'euros en 2025. Tout d'abord, 139,4 millions d'euros en CP sont destinés à assurer le paiement du marché global de construction du site unique de la DGSI à Saint-Ouen. Ensuite, 296,4 millions d'euros en CP couvriront 93 % du projet « Universeine », qui a vocation à accueillir plusieurs services de l'administration centrale du ministère de l'intérieur à Saint-Denis sur l'ancien site du village olympique « Paris 2024 ». La rapporteure spéciale s'interroge sur la soutenabilité à moyen terme des restes à payer du programme 216, composés à 65 % de dépenses liées à l'investissement immobilier. Ainsi, au 31 décembre 2023, le solde des engagements non couverts par des paiements est estimé à 1 175,6 millions d'euros.
II. L'ANNÉE 2025 MARQUE UNE PAUSE DANS LE « RÉARMEMENT » DE L'ÉTAT TERRITORIAL, DE NATURE À FRAGILISER L'EXERCICE DE CERTAINES MISSIONS ESSENTIELLES DES PRÉFECTURES
A. UNE STABILISATION DES EFFECTIFS EN CONTRARIÉTÉ AVEC LES OBJECTIFS DE LA LOPMI
1. Le réarmement de l'État territorial n'aura pas lieu en 2025
Alors que 45 créations de poste devaient être opérées en 2025 conformément aux objectifs fixés par la LOPMI, et 350 emplois au global de 2023 à 2025, le schéma d'emploi de - 1 ETP pour 2025 ne permettra aucune création d'emploi. Par ailleurs, la baisse du plafond d'emploi de - 182 ETP acte le non-recrutement de 54 experts de haut niveau, et 21 agents dédiés au renforcement des plateformes régionales chargées des ressources humaines, qui avait été décidé en 2024 hors plafond de la LOPMI, et pourtant utiles aux préfectures pour combler des manques de compétence, notamment en matière de suivi des travaux immobiliers.
2. Plusieurs missions, pourtant jugées prioritaires, mises à mal au sein des préfectures
Alors qu'un plan de priorisation des missions des préfectures a été lancé de 2022 à 2025, celle-ci n'a pas été opérée, hors fléchage à la marge de postes. Ainsi, le plan de soutien en vacataires, mis en oeuvre de 2022 à 2024 à destination des services « étrangers », sera prorogé en 2025, sans pour autant que le niveau des renforts soit encore défini à ce stade. Par ailleurs, les gains attendus par l'administration numérique des étrangers en France (ANEF) sont encore peu visibles eu égard à son développement incomplet, qui ne couvre pas tous les titres de séjour. Cette situation rend difficile l'instruction des dossiers dans de bonnes conditions. S'agissant du contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales, les effectifs dédiés sont en baisse (2 109 ETPT en 2025 contre 2 132,52 ETPT en 2024).
B. L'EFFICIENCE DE LA DÉLIVRANCE DES TITRES SÉCURISÉS CONFRONTÉE À LA TRAJECTOIRE FINANCIÈRE PEU SOUTENABLE DE FRANCE TITRES
L'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), devenue France Titres, joue un rôle d'interface entre différents acteurs dans la chaîne de délivrance de titres. Alors que la demande de titre se maintient à un niveau toujours très élevé, et que France Titres attrait de plus en plus de missions, ses ressources peinent à être suffisantes depuis 2023 au regard de la progression de ses dépenses. Sa soutenabilité budgétaire doit donc être garantie pour, d'une part, assurer le développement de France identité, alors que seulement 1,2 million d'identités numériques ont été créées pour l'instant, et, d'autre part, maintenir des délais moyens de délivrance des titres raisonnables. Ces derniers sont en baisse sensible en 2024, avec un délai moyen de l'ordre de 13 jours pour les cartes d'identité et de 20 jours pour les passeports, alors que ces délais moyens étaient respectivement de 34 et 26 jours en 2023.
III. LE PILOTAGE DE PLUSIEURS DÉPENSES DE L'ADMINISTRATION CENTRALE DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR DOIT ÊTRE RENFORCÉ
A. UNE BAISSE DES DÉPENSES DE PROTECTION FONCTIONNELLE QUI MASQUE TOUTEFOIS DES DÉPENSES CONTENTIEUSES TRÈS DYNAMIQUES ET STRUCTURELLEMENT SOUS-ÉVALUÉES
La diminution des dépenses de fonctionnement du programme 216 s'explique par une moindre demande de crédits pour les dépenses contentieuses et de protection fonctionnelle, gérées par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ). La baisse de 18,2 millions d'euros par rapport à 2024 est la conséquence mécanique d'un transfert des crédits relatifs à la protection fonctionnelle des agents de la police nationale et de la gendarmerie nationale à la mission « Sécurité ». Hors transfert, la budgétisation initiale de 73,5 millions d'euros est déjà jugée insuffisante au regard notamment de la forte dynamique des dépenses liées au contentieux des étrangers.
Le redéploiement systématique de crédits à l'échelle du programme n'étant pas satisfaisant, la rapporteure spéciale estime nécessaire la remise à niveau des dépenses contentieuses du ministère de l'intérieur.
Écarts entre les crédits ouverts et
consommés
pour les dépenses contentieuses de
2019 à 2025
(en millions d'euros)
* La consommation affichée pour 2024 est celle des crédits disponibles au 4 novembre 2024
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et les réponses de la DLPAJ
B. LES CRÉDITS ALLOUÉS À LA PRÉVENTION DE LA DÉLINQUANCE, À LA RADICALISATION ET À LA VIDÉO-PROTECTION EN RECHERCHE DE LISIBILITÉ
Le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR), qui a vocation à devenir une délégation interministérielle en 2025, coordonne l'utilisation des crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), abondé à hauteur de 62,41 millions dans le présent projet de loi de finances. Or, il ressort que, d'une part, les critères de répartition territoriale des crédits sont assez peu transparents, et d'autre part, que la fongibilité des enveloppes des programmes financés alimente un problème de lisibilité des actions financées.
Les dépenses de vidéoprotection de la voie publique, gérées depuis le1er janvier 2024 par la direction des entreprises et des partenariats de sécurité et des armes (DEPSA), sont en hausse de 7 millions d'euros en 2025. Pour autant, il n'existe pour l'heure pas de revue des différents engagements gérés au niveau des préfectures, avec des paiements en attente constatés.
Réunie le mercredi 20 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission.
Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé définitivement ses votes émis sur toutes les missions, tous les budgets annexes, tous les comptes spéciaux et les articles rattachés aux missions, ainsi que les amendements qu'elle a adoptés, à l'exception des votes émis pour les missions « Culture », « Direction de l'action du Gouvernement », « Enseignement scolaire », « Médias, livre et industries culturelles », « Audiovisuel public », « Recherche et enseignement supérieur », ainsi que des comptes spéciaux qui s'y rattachent.
Au 10 octobre 2024, date limite, en application de l'article 49 de la LOLF, pour le retour des réponses du Gouvernement aux questionnaires budgétaires concernant le présent projet de loi de finances, 68,4 % des réponses portant sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État » étaient parvenues à la rapporteure spéciale.