II. PARALLÈLEMENT À LA MOINDRE DYNAMIQUE DE LEURS RECETTES, LES COLLECTIVITÉS DEVRONT, EN 2025, FAIRE FACE À UNE HAUSSE DE LEURS DÉPENSES
A. LES DÉPENSES DE FONCTIONNEMENT DES COLLECTIVITÉS POURSUIVENT LEUR TENDANCE À LA HAUSSE EN 2024 APRÈS DES ANNÉES 2022 ET 2023 MARQUÉES PAR UNE FORTE INFLATION
En 2023, les charges réelles de fonctionnement des collectivités territoriales ont plus augmenté que l'inflation.
Les dépenses de fonctionnement ont connu une hausse significative depuis deux ans (+ 6,1 % en 2023, + 5 % en 20225(*)) qui peut être imputée pour une large part aux effets directs et indirects de l'inflation sur les dépenses : hausse du prix des achats de biens et services (en particulier, eau, énergie, chauffage et aliments), indexation sur l'inflation des prestations sociales, augmentation de la charge en intérêts de l'endettement financier sous l'effet de la hausse des taux d'intérêt, hausses salariales...
Cette progression se poursuit sur les neuf premiers mois de l'année 2024, dans un contexte moins inflationniste, avec tout de même une hausse des dépenses réelles de fonctionnement (+ 5,6 %, + 7,6 milliards d'euros) portée principalement par les dépenses de personnel (+ 5,4 %, + 2,9 milliards d'euros), les achats et charges externes (+ 11 %, + 2,5 milliards d'euros) et, dans une moindre mesure, les charges financières (+ 22,5 %, + 0,4 milliard d'euros)
Évolution des recettes réelles (RRF) et dépenses réelles de fonctionnement (DRF) en 2023 et 2024
Source : situation mensuelle comptable des collectivités locales, octobre 2024
1. Un dynamisme des dépenses de personnel pour une large part contraint
Compte tenu de la persistance d'une inflation élevée, plusieurs mesures salariales ont été accordées aux agents des fonctions publiques :
- une nouvelle revalorisation du point d'indice de 1,5 % au 1er juillet 2023 ;
- une augmentation spécifique pour le bas des grilles salariales B et C ;
- hausse du taux forfaitaire de remboursement du transport collectif (75 % contre 50 % précédemment) depuis le 1er septembre 2023 ;
- création d'une prime de pouvoir d'achat exceptionnelle dans la fonction publique territoriale par décret du 31 octobre 20236(*), pouvant être versée en une ou plusieurs fois d'ici le 30 juin 2024 ;
- l'attribution de 5 points supplémentaires pour l'ensemble des agents au 1er janvier 2024 et, sous réserve d'une décision en ce sens des exécutifs locaux, l'attribution d'une prime à l'ensemble des agents gagnant moins de 3 250 euros bruts (estimée par le gouvernement à 25 euros par agent par mois) ;
- l'extension de la prime Ségur en juin 20247(*) au secteur sanitaire, social et médico-social privé à but non lucratif.
En plus de ces trois dernières mesures, l'année 2024, voit les collectivités absorber l'effet en année pleine de la revalorisation du point d'indice de la fonction publique, de la hausse du taux forfaitaire de remboursement du transport collectif.
Ces mesures sont financées par les budgets des collectivités territoriales et de leurs groupements. Après un coût de l'ordre de 2,2 milliards d'euros en année pleine 2023 pour la revalorisation du point d'indice de 2022, la nouvelle revalorisation pèserait à elle seule sur les budgets des collectivités à hauteur de 1 milliard d'euros en année pleine 2024.
Par ailleurs, l'attribution différenciée de points au titre des catégories B et C occasionnera aux collectivités une charge de 0,2 milliard d'euros en année pleine 2024 et l'attribution de 5 points à l'ensemble des agents une charge de 0,75 milliard d'euros pour cette même année.
Enfin, l'extension de la prime Ségur concerne 112 000 salariés auparavant exclus, avec un versement obligatoire d'une indemnité forfaitaire de 183 euros net par mois, rétroactif au 1er janvier 2024. Départements de France estime un coût total pour les départements de 170 millions d'euros.
2. Une hausse des dépenses d'achats de biens et services qui doit être contenue
Les achats et charges externes affichent une progression soutenue dans un contexte pourtant moins inflationniste. Sur la base des informations comptables communiqués par la direction générale des finances publiques (DGFiP) visant à comparer les dépenses engagées du 1er janvier au 31 juillet, les achats et charges externes des communes8(*) progressent de 9,7 % entre 2023 et 2024 contre 7,5 % entre 2022 et 2023, et ce malgré une progression moindre des dépenses d'énergie (+ 8,9 % en 2023, + 2,9 % en 2024) et d'alimentation (+ 14,1 % en 2023, + 10,6 % en 2023).
Des hausses substantielles sont observées dans les dépenses d'entretien et réparation (+ 3,2 % en 2023, + 11,4 % en 2024), de contrats de prestations de services (+ 5,7 % en 2023, + 15,6 % en 2024) et les primes d'assurance (+ 11,7 % en 2023, + 18,9 % en 2024).
S'agissant de ces premiers postes, les rapporteurs spéciaux appellent à mener les travaux nécessaires pour identifier les causes de ces hausses, qui ne sauraient être imputées à la seule inflation.
Quant à la question des primes d'assurances, les rapporteurs spéciaux renvoient aux travaux de la commission des finances sur ce thème notamment la mission d'information sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales menée par son rapporteur général9(*). Il y était observé que depuis le 1er janvier 2023, 29 % des collectivités ont vu leur contrat faire l'objet d'un avenant avec une hausse des cotisations pour 94 % d'entre elles et une hausse du montant des franchises pour 27 % d'entre elles. Le rapport propose 15 recommandations pour garantir la concurrence sur le marché, sécuriser les collectivités et prévoir une intervention de l'État en dernier ressort.
Les rapporteurs spéciaux se réfèrent aussi au rapport présenté par Madame Christine Lavarde en mai 2024 au nom de la commission des finances du Sénat sur le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles10(*) (CatNat), dont le coût devrait croître ces prochaines années puisque le coût de la sinistralité devrait augmenter d'environ 40 % à l'horizon 2050. Or le régime est financé par une cotisation additionnelle assise sur la prime des contrats d'assurance, la « surprime CatNat ». Ceci suscitera un surcoût pour les collectivités dès le 1er janvier 2025 puisque ce taux passera de 12 % à 20 %, mais aussi à plus long terme, puisque ce relèvement de taux ne suffira pas à équilibrer le régime. Le rapport formule 16 recommandations visant à endiguer la progression du coût de cette indemnisation, en multipliant les mesures de prévention et en mettant en place un observatoire de la concurrence en matière d'assurance des risques naturels majeurs.
3. L'impact significatif des dépenses sociales des départements
Les dépenses d'intervention (81,6 milliards d'euros, 34 % des dépenses courantes) qui retracent les différentes actions des collectivités locales envers leurs territoires, augmenteraient de 3,6 % en 202411(*).
Les dépenses d'action sociale, qui représentent la moitié de ce poste avec un niveau de 40,5 milliards d'euros, seraient en hausse de 4,5 %. Le revenu de solidarité active (RSA), qui atteint un peu moins de 12 milliards d'euros, serait en légère hausse car l'effet de la revalorisation de + 3,6 % serait partiellement compensé par une baisse du nombre de bénéficiaires.
Les autres allocations individuelles de solidarité, à savoir l'APA et la prestation de compensation du handicap (PCH), seraient toujours dynamiques avec la montée en charge de la PCH parentalité et la poursuite des revalorisations salariales. Enfin, la dynamique propre des dépenses d'aide sociale à l'enfance (ASE) se poursuit depuis 2022.
Le vieillissement de la population ainsi que la hausse des flux migratoires exposent les départements à une augmentation durable des dépenses d'APA et d'ASE.
4. Une charge de la dette qui progresse
La charge de la dette poursuit sa progression à mesure que les contrats de dette sont renouvelés dans un contexte macroéconomique défavorable, marqué par des taux d'intérêt plus élevés. Les taux pratiqués sont généralement indexés sur les indices du Livret A ou de l'Euribor 3 mois. Or, le taux d'intérêt du Livret A est fixé à 3 % depuis février 2023 (contre 1 % en février 2022), quant à celui de l'Euribor 3 mois, il a progressé de 0,72 % à 3,49 % entre septembre 2022 et septembre 2024.
Les nouveaux emprunts devraient également coûter plus cher aux communes en particulier et aux collectivités en général en raison des niveaux des taux d'usure.
Dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, le niveau élevé des taux d'intérêt, qui renchérit le recours à l'emprunt, risque d'engendrer un renoncement des collectivités à certains projets d'investissement notamment ceux liés à la transition énergétique.
* 5 A périmètre constant.
* 6 Décret n° 2023-1006 du 31 octobre 2023 portant création d'une prime de pouvoir d'achat exceptionnelle pour certains agents publics de la fonction publique territoriale.
* 7 Arrêté du 19 juin 2024 relatif à l'agrément de certains accords de travail applicables dans les établissements et services du secteur social et médico-social privé à but non lucratif.
* 8 Des dynamiques similaires sont observées pour les groupements à fiscalité propre et établissements publics territoriaux.
* 9 Rapport d'information n° 474 (2023-2024), déposé le 27 mars 2024.
* 10 Rapport d'information n° 603 (2023-2024), déposé le 15 mai 2024.
* 11 Source : la banque postale, note de conjoncture, tendances par niveau de collectivités locales et éclairages par politiques publiques, septembre 2024.